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BRASSERIES

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BUSINESS ACT

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Des marques locales en plein boom PETITES BIÈRES, GRANDES AMBITIONS

Dans un marché national archidominé par les grandes brasseries industrielles, les bières locales et artisanales parviennent à tirer leur épingle du jeu, à condition d’investir de façon conséquente, ainsi que l’expliquent les représentants de trois entreprises régionales : Les 3 Loups dans l’Aisne, La Petite Brasserie Ardennaise à Charleville-Mézières, la Brasserie d’Orgemont dans la Marne.

ÀTrélou-sur-Marne, dans l’Aisne, en limite de la Marne, la brasserie Les 3 Loups a été fondée en 2009 par Sylvain Henriet, alors âgé de 27 ans, un peu par hasard. Il se destinait plutôt à embrasser une carrière agro-alimentaire tendance fromage, mais s’est vite laissé emporter par le virus de la bière. Il ne le regrette pas ! « J’ai commencé avec 3 000 euros d’économie et un kit de brasseur acheté sur Internet. Aujourd’hui, mon entreprise de

Les micro-brasseries sont un phénomène : de 27 en France en 1997, elles sont passées à plus de 2000 aujourd’hui. trois personnes propose onze recettes différentes. Elle est saine financièrement avec une progression de 20 % de chiffre d’affaires annuel, hors 2020 évidemment. Elle me permet de mettre ma famille à l’abri du besoin tout en lui donnant un certain confort, c’est donc une réussite financière », analyse Sylvain Henriet, unique actionnaire des 3 Loups.

MONTÉE EN GAMME

La première grande étape de la croissance s’est opérée en 2016 par l’acquisition de nouveaux bâtiments. Toute brasserie qui se développe a besoin de beaucoup de place et de matériel. La capacité de production est montée à 1 300 hectolitres/an, soit l’équivalent de 390 000 bouteilles de 33 cl, mais la production réelle s’est établie en 2019 à 1 000 hectolitres, soit 303 000 bouteilles de 33 cl. L’étape suivante est fixée à 2022. La capacité de production doit s’établir entre 2 000 et 2 500 hectolitres par an. De nouvelles cuves sont attendues dans les prochaines semaines. L’effectif de l’entreprise passera à quatre personnes avec l’arrivée d’un nouveau brasseur. « Notre objectif est d’abord la pérennisation des 3 Loups et d’atteindre notre nouvelle capacité de production. Nous ne souhaitons pas aller au-delà, mais s’il le faut, nous nous adapterons en fonction du marché, sachant que chaque pallier supplémentaire suppose de nouveaux investissements, à la fois matériels et humains et de produire toujours davantage ». L’immense majorité de la production s’écoule sur le marché national, essentiellement via les distributeurs qui fournissent les grandes et moyennes surfaces. Le niveau local, dans un secteur défini autour des villes de Château-Thierry, Épernay et Reims, est bien desservi. Depuis 2021, la brasserie axonaise vend aussi à l’export, pour l’instant exclusivement en Norvège. « Nous avons répondu à un appel d’offres que nous avons remporté, ce marché compte pour 7 % de nos ventes », détaille le chef d’entreprise.

Le marché de la bière en France

Ainsi que le précise le syndicat national des brasseurs indépendants, « Les brasseries disposant des parts de marché les plus importantes en France ne sont pas des sociétés françaises ». Trois grands groupes dominent le marché national : le belgo-brésilien AB InBev (Hoegaarden, Leffe, Stella Artois, Corona,...), qui importe la totalité de ses produits ; le néerlandais Heineken (Heineken, Pelforth, Desperados, Fischer...), qui possède trois brasseries françaises pour une production annuelle avoisinant les 6,5 millions d’hectolitres ; et le danois Carlsberg (Kronenbourg, 1664, Grimbergen, Guinness...), dont la seule brasserie française, située à Obernai, produit environ 6 700 000 hectolitres par an. Les bières des quatre pays que sont la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Royaume-Uni représentent 85 % des importations, celles de Belgique 60 % à elles seules.

“Si l’on veut changer de dimension, d’importants investissements sont nécessaires. Je parle d’un demi-million d’euros”

TREIZE SALARIÉS À LA PETITE BRASSERIE ARDENNAISE

La PBA (Petite brasserie ardennaise), implantée à Charleville-Mézières, qui produit entre autres la célèbre Oubliette, connaît cette année, elle aussi, une croissance à deux chiffres. Son président, Benoît Guibert, ne les dévoile pas, mais confirme que depuis qu’il a racheté l’entreprise en 2013, la progression est constante. « Avant que je reprenne la PBA, son modèle économique était compliqué. Nous sommes dans un marché très concurrentiel. Si l’on veut changer de dimension, d’importants investissements sont nécessaires. Je parle d’un demi-million d’euros, à moins qu’on ne préfère rester dans son garage ! » À sa création, en 1997, par un groupe d’amis, la PBA était la toute première des micro-brasseries du paysage régional. « À cette époque, on n’en dénombrait que vingt-sept dans toute la France. Aujourd’hui, elles sont plus de deux mille et il s’en crée tous les jours », assure Benoît Guibert. Voilà bien la démonstration que l’engouement pour ce secteur d’activité ne se dément pas, en dépit d’une réglementation scrupuleuse et d’importantes contraintes techniques. L’entreprise carolomacérienne emploie treize personnes et propose quinze références de bières. En octobre 2021, la production de l’année en cours atteignait déjà les 10 000 hectolitres. « À la fin de l’année, nous pourrons compter sur 2 à 3 000 hectolitres supplémentaires », estimait alors Benoît Guibert. La PBA pourrait produire beaucoup plus : sa capacité est dimensionnée pour 30 000 hectolitres. Aussi les objectifs sont clairs : croître toujours davantage, automatiser les étapes de la fabrication qui le permettent, comme le conditionnement, et surtout gagner des parts sur le marché national ultra dominé par les bières industrielles.

L’oubliette, marque phare de la PBA, s’est fait une vraie place sur le marché de la bière.

600 000 € D’INVESTISSEMENTS POUR LA BRASSERIE D’ORGEMONT

« Les industriels et les distributeurs verrouillent le marché », répond justement Baptiste Devos, directeur de la brasserie d’Orgemont, installée en pleine campagne marnaise, à SommepyTahure, en lisière des Ardennes. Aussi l’entreprise réalise-t-elle plus de la moitié de son chiffre d’affaires dans un rayon de cent kilomètres. Elle a été créée en 2001 par Jean-Bernard Guyot, à l’époque pour diversifier l’exploitation agricole familiale. Ce dernier s’emploie de plus en plus sur la ferme, entre autres dans le but de produire les matières premières nécessaires à la fabrication de la bière (houblon, orge) en agroforesterie. Baptiste Devos, qui vient du marketing digital, a rejoint l’entreprise en 2018. Il y trouve pleine satisfaction, grâce à une croissance annuelle « de 15 à 20 % », grâce aussi à un contexte professionnel plus que positif. « Avant, j’exerçais un métier. Aujourd’hui, je n’ai plus l’impression de travailler, alors même que l’activité brassicole est très prenante, mais je la vis comme une passion, d’autant plus que le milieu est super sympa. » Forte de quatre employés, pour l’instant, et d’un catalogue de neuf bières dont la Valmy, qui a bénéficié d’un formidable tremplin en 2015 à l’occasion de sa sélection par la COP 21 de Paris, la brasserie d’Orgemont affiche cette année une production de 1 800 hecto-

Baptiste Devos, directeur de la brasserie d’Orgemont dans la Marne.

litres. « L’idée est de monter à 3 000, 4 000 hectolitres », expose Baptiste Devos. Pour passer à la vitesse supérieure, contrariée par un an de retard à cause du Covid, les investissements annoncés à hauteur de 600 000 € viennent d’être réalisés, concomitamment à deux levées de fonds. « L’ancienne salle de brassage, trop petite, nous freinait dans notre développement ».

Jean-Michel François

Une très forte tradition régionale

Historiquement, le quart nord-est de la France, soit les Hauts-de-France et le Grand Est d’aujourd’hui, constituait la plus grande région brassicole des XIXe et XXe siècles. La Champagne-Ardenne a vu se développer des fleurons, tels que Le Fort Carré à Saint-Dizier, La Grande Brasserie Ardennaise, créée en 1921, qui produisait notamment les célèbres Sedan et Prince’s Beer, ou encore la prestigieuse Comète, née à Châlons-sur-Marne en 1882 à laquelle on doit la Slavia. À côté de ces industriels qui embauchaient des centaines de personnes et prospéraient dans toute la France, les bières artisanales étaient légion. Dans le Nord, on disait que chaque village possédait au moins une brasserie ! En Champagne-Ardenne, on a dénombré depuis 1890 près de 350 brasseries et jusqu’à 24 malteries. Rien que dans la Marne, 84 brasseries cohabitaient dès 1807 et fournissaient la moitié des cafés parisiens. En ce XXIe siècle, le renouveau des brasseries artisanales rejoue en quelque sorte l’histoire des pionnières qui vivaient grâce à un marché local.

« LE MARCHÉ N’EST PAS SATURÉ »

Sonial Rigal, déléguée générale du syndicat national des brasseurs indépendants.

« Il s’est créé 356 nouvelles brasseries dans l’Hexagone en 2020 », annonce Sonia Rigal, déléguée générale du syndicat national des brasseurs indépendants, qui fédère plus de 720 adhérents sur les quelque 2 100 brasseries existantes. Selon leur taille, les productions s’échelonnent de 10 à 40 000 hectolitres, une grande partie se situant autour de 1 000 à 2 000 hectolitres. « Beaucoup de petits brasseurs cumulent avec une autre activité professionnelle qu’ils arrêtent quand ils décident de passer à l’échelon supérieur. » La bière artisanale suscite toujours autant de vocations alors que le secteur a été

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NOS FONDATEURS : Sans investissement conséquent, il n’est pas possible de croître durablement dans le milieu de la bière artisanale

profondément affecté par la crise sanitaire du Covid-19, du fait d’une consommation en forte baisse due à la fermeture temporaire des débits de boissons et autres restaurants. Le conditionnement en bouteille ou en canette a été privilégié à celui en fût. « Mais la dynamique de création de nouvelles brasseries est restée intacte », appuie Sonia Rigal. Ce qui change en réalité, c’est l’augmentation des fermetures. On en compte désormais une pour sept ouvertures, le ratio était de une pour dix en 2018. En France, le marché de la bière est détenu à 90 % environ par les industriels. Pour autant, « il n’est pas saturé », assure la spécialiste. « Les brasseries artisanales parviennent à gagner des parts, grâce à des consommateurs de plus en plus fervents de bières locales, ce qui demande un gros travail logistique pour leur donner satisfaction, surtout en période de pandémie. » La vente par Internet, le « click and collect », les circuits courts se sont développés et continueront vraisemblablement après la crise. Les professionnels n’excluent pas non plus une hausse de la consommation : avec 33 litres par an et par habitant, celle de la France est la plus faible au niveau européen.

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