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Révolution électrique dans l’automobile LES ARDENNES SUR LE PIED DE GUERRE

La transition vers l’électrique bouleverse et parfois inquiète l’industrie automobile. Dans les Ardennes, la sous-traitance est sur les dents.

Le site de PSA-Stellantis emploie actuellement 1 800 personnes dont 300 intérimaires. C’est le plus gros employeur privé de l’ex-Champagne-Ardenne.

«Dans les quatre à cinq ans, il n’y aura pas d’incidence de cette transformation en termes d’emplois. Nous ne sommes pas en sureffectif ». A Charleville, le directeur de la fonderie PSA-Stellantis l’assure(1). Plutôt que de s’apitoyer sur les dommages collatéraux de la révolution électrique, Patrice Peslier préfère voir le verre à moitié plein. Avec ses 1 800 salariés (dont 300 intérimaires), la plus grosse fonderie d’Europe a du grain à moudre. « Le groupe n’a pas attendu pour adapter ses sites industriels afin de les rendre plus agiles et compétitifs et devenir un champion de la mobilité durable ». Derrière le discours rodé, il y a une réalité. Depuis deux ans, l’objectif européen de réduction des rejets de CO2 sur les véhicules avait déjà engagé le site ardennais à ajouter à son activité phare - la production de culasses pour moteurs thermiques -, celle de carters pour les

Le directeur du site PSA-Stellantis, Patrice Peslier

motorisations électriques. En passant de 15 à 37,5 % en 2035 les émissions maximales de CO2, l’Europe a contraint le constructeur à enclencher la vitesse supérieure. « Nos plans de transformation sont accélérés. En 2022, le site va non seulement renforcer sa production de pièces de liaison au sol, il va aussi accentuer la fourniture de carters électriques pour les usines d’assemblage du groupe, notamment Metz-Trémery », explique Patrice Peslier.

PLUS DE NUMÉRIQUE, MOINS DE PAPIER…

La fonderie ardennaise va basculer progressivement d’un modèle à l’autre. A terme, tous les modèles électriques du groupe seront concernés. C’est déjà le cas pour une trentaine de modèles hybrides ou 100 % électriques. « A l’horizon 2030, 70 % de nos ventes seront réalisés en versions électrifiées. A l’échelle du groupe, cela représente un investissement de 30 milliards d’euros d’ici 5 ans ». Sur l’investissement local, Patrice Peslier est moins loquace. « Quelques dizaines de millions d’euros », selon lui. Il l’est un peu plus sur les conséquences humaines de cette révolution électrique.

“Le groupe n’a pas attendu pour adapter ses sites industriels.”

« Nous allons devoir accompagner l’évolution des process et des métiers, garantir les reconversions et assurer l’employabilité de notre personnel. L’enjeu est là ». Plus d’outils numériques, de moins en moins de papier, davantage d’exigence qualité : chez PSA-Stellantis, voilà comment résumer la transformation des métiers impulsée par l’électrification. A Bogny-sur-Meuse, le directeur général de Walor, Patrick Beuscart, aimerait en dire autant. Experte dans la forge et l’estampage de bielles (voitures, poids lourds, matériels agricoles), les ex-Ateliers des Janves emploient 180 personnes. Liquidée en 2018, l’entreprise n’avait pas tardé à retrouver son dynamisme, grâce à un investissement de 2 millions d’euros consenti par son repreneur, Walor.

FORGES ET FONDERIES EN DANGER

Voilà que la montée en puissance des véhicules électriques (privés de bielles) assombrit à nouveau l’horizon. « On sait déjà que 70 % de ces voitures ne seront pas ouverts aux sous-traitants français. La part de la sous-traitance hexagonale va décliner. Et comme les possibilités de diversification sont proches de zéro, il y a de fortes inquiétudes », résume Patrick Beuscart qui se réfère à un rapport éclairant de PFA (plateforme automobile). Ce rapport conforte les craintes des organisations européennes de forges et fonderies qui évoquent les « menaces vitales » que font peser sur ces secteurs l’électrification, la pénurie et le renchérissement des matières premières et l’explosion des prix de l’énergie. Une autre inquiétude du patron de Walor porte sur la nouvelle configuration du paysage automobile. « On sait que les bielles se consomment là où les moteurs sont assemblés. Or, les constructeurs ont de plus en plus tendance à faire assembler leurs voitures loin de France, comme PSA en Hongrie(2) », redoute Patrick Beuscart qui entend pourtant ne pas céder à la panique. « La transformation ne va pas se dérouler du jour au lendemain. Nous avons encore un peu de temps, une dizaine d’années, devant nous pour travailler à un redéploiement concerté de nos activités ». Les sous-traitants ardennais, qui emploient au total près de 8 000 personnes, sont prévenus.

Gilles Grandpierre

QUELQUES CHIFFRES

• Actuellement, le secteur automobile emploie en France près de 900 000 personnes : 400 000 dans la production, 500 000 dans les métiers dérivés (concessions, réparation etc). • Depuis le début de la crise sanitaire, l’industrie automobile française a perdu 15 000 emplois. Dans les trois ans, les prévisions tablent sur la perte de 65 000 emplois et de 100 000 à l’horizon 2030. • En 2020, il s’est vendu en France 1,65 million de véhicules thermiques pour 110 000 voitures électriques.

2035 : fin du thermique

L’histoire de l’automobile s’en souviendra peut-être comme de l’année de tous les dangers. Réchauffement climatique oblige, la filière signe en 2018 avec l’Etat un contrat par lequel elle s’engage à multiplier par cinq le nombre de véhicules électriques en cinq ans. « La filière s’était un peu endormie en misant jusque-là sur l’optimisation des moteurs thermiques » rappelle Luc Chatel. Depuis, le Parlement européen a voté une réduction de 37,5 % des émissions de CO2 des voitures entre 2021 et 2030. Cette réduction a été portée à 55 % en juillet dernier, la Commission fixant de surcroît à 2035 l’arrêt de la vente des véhicules thermiques ! Telle est en tout cas la proposition. Il appartiendra en 2022 à la présidence française de l’Union européenne de mener à bien les discussions entre la Commission, le Conseil et le Parlement, mais on sait déjà qu’il existe des amendements pour avancer l’échéance de 2035 à 2030...

Sur un poste de fabrication d’une culasse destinée à un véhicule thermique.

Hanon Systems : refroidissement en cours

A Charleville, Hanon Systems (ex-Visteon-Ford) avait annoncé fin 2020 un plan d’investissement pluriannuel de 36 millions d’euros sur son site historique de la plaine de Montjoly en vue de la fourniture de systèmes de refroidissement destinés aux véhicules électriques de Volkswagen. L’entreprise (350 salariés) devait débuter cette production cette année avec l’objectif de produire un million de pièces la première année. Contactée, la société n’a pas donné suite.

LUC CHATEL : « Une révolution dans le pire des contextes ! »

L’ancien ministre de l’Education nationale préside la plate-forme automobile, qui représente les constructeurs.

Dans la course à l’électrification, l’automobile française est-elle en retard ou en avance ? En valeur relative, nous sommes en retard par rapport aux Chinois qui ont pris ce virage il y a quelques années. Il est vrai qu’ils bénéficient d’un marché intérieur qui permet d’amortir les coûts de recherche et de développement. Ils disposent déjà de véhicules électriques accessibles et de qualité. Au dernier salon automobile de Münich, en septembre, un constructeur chinois exposait d’ailleurs ses véhicules dans l’un des halls principaux auprès des grands constructeurs mondiaux. Cette avance est-elle rattrapable ? Ce qui importe, ce n’est pas tant l’avance chinoise que les nouvelles normes européennes qui imposent à cette transition une rapidité sans précédent. C’est déjà compliqué de passer à l’électrique parce que des pans entiers de la sous-traitance s’avèrent inopérants du jour au lendemain. Mais quand cette transformation doit en plus se faire dans des délais extrêmement contraints, ça devient encore plus compliqué. Plus ce rythme s’accélère, plus les dommages collatéraux pour les PME de la sous-traitance sont importants. Pourquoi les constructeurs ont-ils tardé à réagir ? Parce qu’ils ont joué pendant un temps sur les deux tableaux, proposant à la fois de nouveaux modèles électriques et des moteurs thermiques conventionnels. Il semble qu’ils aient enfin compris qu’il leur fallait être les premiers dans le monde d’après. Ils ne sont plus dans une logique d’attente mais d’accélération. Tant mieux… L’Europe n’est-elle pas trop exigeante avec ce secteur très pourvoyeur d’emplois au risque de menacer la survie même de certaines entreprises ? Nous sommes tous très inquiets, en effet. On demande à la filière de se faire harakiri et de tirer un trait sur un siècle d’expérience dans des secteurs - la forge, la fonderie - où la France a un savoir-faire unique au monde. Il y a clairement un risque de survie et de casse de l’emploi. Entre le thermique et l’électrique, le différentiel est de 5 à 6 postes de travail pour un seul ! Que faire pour amortir le choc ? Le développement d’un nouveau moteur thermique, c’est un investissement de 5 à 6 milliards d’euros. Dans sa conception, un moteur électrique est à la fois moins cher et plus simple, et il nécessite moins d’heures de travail et moins d’assemblage, même s’il y a plus de composants électroniques. Il faut donc que la filière se repositionne progressivement sur de la sous-traitance à plus forte valeur ajoutée. A l’horizon 2030, les constructeurs doivent savoir où chercher cette valeur ajoutée, comment relocaliser des investissements en France et comment capter les grands projets de l’automobile du futur. C’est l’objet même de la feuille de route que nous venons d’élaborer avec les constructeurs et les pouvoirs publics. La chute du marché automobile et la pénurie de matières premières, en l’occurrence les semi-conducteurs, n’arrangent rien... L’industrie automobile doit en effet négocier ce virage dans le pire des contextes. Hors temps de guerre, c’est la plus grave crise depuis les débuts de l’automobile. En 2020, l’activité a chuté de 25 % et on sera proche de ce chiffre en 2021. En volume d’activité, on revient 20 ans en arrière. Cette atonie s’explique en partie par la crise de l’approvisionnement en particulier des composants électroniques. Cela crée des ruptures dans la production, puis les ventes. Attendre sa voiture 8 ou 9 mois, ça ne donne pas envie d’acheter ! J’ajoute à cela la hausse des matières premières, l’augmentation du prix de l’acier de 120 %, des plastiques ou du fret maritime venu d’Asie de l’ordre de 10 %. Faut-il un plan massif pour soutenir l’industrie automobile ? En juillet dernier, un plan de soutien à la filière a déjà permis aux usines de redémarrer et nous travaillons actuellement à la mise en place de dispositifs pour pérenniser les fonds d’aide à l’innovation, et doper le fonds de modernisation aux sous-traitants. Nous ne sommes pas inertes.

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