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DÉBAT

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SÉMINAIRES

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Transition et agriculture LE CHOC DES CONTRADICTIONS

La neutralité carbone est annoncée pour 2050 et l’engagement de la profession agricole, d’ores et déjà en marche pour atteindre cet horizon. Mais loin de toute pratique extrême, c’est avant tout l’équilibre qu’il faut viser en matière de transition écologique.

Entre deux cultures, ne pas laisser la terre à nu grâce à des couverts végétaux permet de créer des puits de carbone.

Une enquête de la Commission européenne l’affirme : 60 % des Français estiment que la principale responsabilité des agriculteurs est de « fournir de la nourriture sûre, saine et de qualité ». La base du métier, autrement dit. Mais ce n’est pas tout. En troisième position, juste après le bien-être animal, vient la « protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. » Lourde mission pour ceux à qui on demande initialement de produire de l’alimentation ! Et pour cause. Identifié comme le deuxième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre en France, l’agriculture se trouve régulièrement dans le viseur écologique pour ses pratiques jugées contre-nature : digestion des ruminants, gestion des effluents d’élevage, utilisation d’engrais azotés, consommation d’énergie fossile... Tout est à la fois mélangé dans le grand sac de la transition environnementale, pétrole et pollution des sols, éolien et agriculture biologique, méthanisation et retour du labour... Non sans cristalliser de nombreuses contradictions car en matière de vert, rien n’est tout blanc ou tout noir.

L’AGRICULTURE CONSOMME, MAIS ELLE PRODUIT AUSSI

« Prenons un peu de hauteur », commence Thierry Huet, président de la FDSEA dans les Ardennes. « Il faudra s’adapter demain et consommer moins d’énergie, c’est certain. Mais l’agriculture

peut être une solution à cette évolution puisqu’elle sait aussi produire de l’énergie. » Photovoltaïque sur les toitures, unités de méthanisation, carburants végétaux (bioéthanol à base de blé et de betterave à Bazancourt, diester de colza dans l’Aube et la Meuse)... « Les biocarburants ne datent pas d’hier, avec un énorme potentiel industriel à développer. Mais il faut en avoir la volonté, réglementaire et financière », ajoute-t-il. Une volonté aujourd’hui plutôt tournée vers les moteurs électriques... « Or, dans l’agriculture, en tout cas dans les grandes cultures, on ne roulera pas en tracteur électrique. Et on n’aura, de toute façon, jamais assez d’électricité. Il faudrait des centaines d’hectares de ferme solaire pour arriver à l’équivalent d’une centrale nucléaire. À l’échelle d’un département, c’est compliqué alors qu’on veut de la biodiversité. » Selon l’ADEME, 20 % de la production d’énergie renouvelable est assurée par le secteur agricole. Pour certaines filières (éolien et biocarburants, notamment), la contribution est même beaucoup plus élevée. « En 2015, près de 51 000 exploitations, soit environ 12 % des fermes françaises, étaient impliquées », poursuit l’étude. Selon les projections, le nombre pourrait atteindre 90 000 en 2023 et plus de 140 000 en 2030, avec l’aide de partenaires institutionnels tels qu’EDF, et lorsqu’aura été réglée la problématique des conflits d’usage concernant les terres agricoles.

CE QUE VEUT LA SOCIÉTÉ

N’en demeure pas moins que toute démarche positive a son contraire. « Quand on met un coup de pied à droite, on dérègle le boulon de gauche. Il faut de la cohérence, poste par poste. » Thierry Huet, de la FDSEA, poursuit. « L’idée est bien de produire toujours mieux avec moins, on est d’accord. En termes de carburant par exemple, si on était à 120 litres de gazole par hectare il y a 10 ans, le chiffre est tombé à 80. Et peut encore descendre à 60. » Mais quid de l’exploitation bio, saluée mais pourtant obligée de travailler davantage son sol mécaniquement ? « Et donc, d’utiliser plus de gazole... Il faut

Thierry Huet (FDSEA 08) « L’idée est bien de produire toujours mieux avec moins ».

savoir ce qu’on veut mais on n’aura pas tout en même temps. Et le vert, ce sera immanquablement plus cher. » Modifier les pratiques, revoir les attentes, faire des choix. « Les sujets sont très nombreux », enchérit Thierry Huet à propos des engrais azotés. « Ils sont, eux aussi, produits avec de l’énergie... Si on veut s’en passer, c’est la valorisation des engrais organiques issus de l’élevage qui pourrait faire l’affaire. Or, les élevages produisent du méthane, on ne veut plus de méthane, donc on aura moins d’engrais organique et il faudra recourir à davantage de chimie. » Sa conclusion ? « C’est la recherche et l’innovation qui conduiront à la véritable transition énergétique. » Et pour ça, laisser encore un peu de temps.

Pauline Godart

LE SAVIEZ-VOUS ? Des couverts végétaux pour capter le carbone

La particularité de l’agriculture (mieux encore : la sylviculture), est d’être un puits de carbone. La biomasse et les sols stockent ainsi le CO2 par l’accumulation de matière organique. Un phénomène permis, notamment, par les couverts végétaux positionnés entre deux cultures pour ne pas laisser la terre nue. On les appelle les CIPAN : cultures intermédiaires, pièges à nitrate. En étant broyée puis enfuie avant un prochain semis, cette matière a priori inutile contribue à élaborer un humus stable, à stocker du carbone et de l’azote. De même, l’association de certaines plantes au moment de semis (telles que la féverole aux côtés du colza) permet également cet effet et l’ajustement des pratiques.

Jean-Pierre Rennaud.

JEAN-PIERRE RENNAUD

Il faut passer d’une dynamique de prescription à une logique d’observation.

Jean-Pierre Rennaud, Président du comité scientifique de l’institut Planet A, à Châlons

Comment conduire à une transition réussie ?

L’agriculture est en mouvement, les paysans ne nous ont pas attendus pour prendre conscience qu’il y avait des choses à changer dans leurs pratiques et des centaines d’initiatives existent déjà. Mais seuls, ils n’y arriveront pas. C’est toute la société civile qui doit se mettre au service de la transition agro-écologique : scientifiques, politiques, entreprises, recherche... Par exemple, seule une volonté des collectivités locales apportera la nourriture locale dans les cantines. Il faut faire converger les solutions et c’est ce que nous faisons chez Planet A. En tant que citoyen ou acteur public, que peut-on apporter à cette communauté d’agriculteurs ?

Quel genre de pratique a changé ces dernières années ?

Je pense à l’agriculture de conservation des sols, à laquelle sont déjà convertis 4 % des paysans (on ne travaille plus le sol mécaniquement entre les cultures, mais on se rend plus dépendant du désherbage chimique, ndlr). On est convaincu que c’est le fondamental : le respect de la terre, sa régénération, la vie qu’elle abrite, etc. Or, ça fait 30 ans que les adeptes rament pour essayer de mettre en œuvre cette solution. Ils prennent des risques, essuient les critiques de leurs confrères jugeant leurs champs moins nets... Il faudra pourtant passer d’une dynamique de prescription (la bonne graine, le bon intrant...) à une logique d’observation. Un beau jour, à force de recherche et d’expérimentation, on réduira autant les intrants que le travail du sol, dans le même temps.

En conclusion ?

La difficulté de la transition, c’est de passer à grande échelle. Et elle ne se fera que lorsqu’on aura recréé le lien entre l’agriculteur et le reste du monde. Dans la plupart des pays, pour avoir une carotte, il faut une terre et non un supermarché... De même, les anti-éoliens savent pourtant bien utiliser un bouton pour allumer la lumière. Il faut recréer le lien entre le bouton et l’éolienne et cela conduira à la fameuse santé unique : celle des sols, des écosystèmes, des hommes et des territoires. Ça va de la prise en compte d’éléments fondamentaux, comme la terre, à la recherche scientifique.

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