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Vigne et vin sont le fruit d’une longue histoire
Les premières traces, en Champagne, de vin et de vaisselle vinique, on les trouve dans les tombes princières de l’âge du fer, comme à Lavau, où une exceptionnelle tombe à char, découverte en 2012, remonte au Ve siècle avant notre ère. Les premières vignes attendront la conquête romaine et le 1er siècle de notre ère. Avec le Moyen âge, les abbayes construisent leurs granges autant dans les plaines, où l’on fait pousser le grain, que sur les coteaux où pousse la vigne. Le climat se réchauffe : c’est le moment de l’optimum médiéval. Le vignoble de subsistance devient un vignoble commercial. Mais, à l’époque, le vin de Champagne ne mousse pas. Pas encore.
Les négociants anglais, qui importent du vin de toute l’Europe, ont inventé au XVIe siècle un nouveau type de verre, plus dur que tout ce que les continentaux savent produire. Les bouteilles sont devenues transportables. La bulle champenoise n’est plus très loin.
On attribue souvent l’invention de l’effervescence à un moine bénédictin du XVIIe siècle, Dom Perignon. En réalité, c’est à Limoux qu’on invente le vin à bulles mais c’est la Champagne qui va le perfectionner. Le climat se rafraîchit : c’est l’époque du petit âge glaciaire et on n’hésite pas à sucrer les moûts pour les adoucir. On commence aussi à remplacer les bouts de bois enveloppés de chanvre qui bouchent alors les bouteilles par de véritables bouchons de liège venus du Portugal.
Du sucre, une bouteille solide, un bouchon de liège : les ingrédients sont là. Ce qui change la donne, c’est un roi dépressif. Louis XV est un roi maussade, souvent gagné d’accès de mélancolie. Pour lui, le champagne est un euphorisant de choix. Il l’apprécie tellement, qu’il commande des tableaux où l’on voit des convives en boire. Le plus connu, c’est le Déjeuner d’huîtres de François de Troy, où le peintre attire génialement le regard sur un bouchon en suspension dans les airs.
Le sauter de bouchon est devenu la mode et cette mode gagne l’Europe. L’aristocratie du continent vit à l’heure française. Elle parle et boit français. Plus encore que le roi des vins, le champagne est le vin des rois. Surtout, le champagne est déjà un vin de la mondialisation. Le génie des négociants champenois, c’est de savoir s’adapter au goût local.
Dans les salons de la Convention, puis de l’Empire, on préfère le piano au clavecin mais on adopte le champagne sans hésiter. Au cours du XIXe siècle, le champagne passe de l’aristocratie à la bourgeoisie et continue sa carrière dans les salons d’Europe. Il rosit dans les bordels, il aborde le Japon de Meiji et s’installe aux États-Unis.
Dans le dernier quart du XIXe, le phylloxéra bouleverse tout. En pleine désolation, il suscite un intense mouvement de collaboration entre le vignoble et le négoce, avec la création de l’Association viticole champenoise, qui existe encore aujourd’hui et qui cherche, alors, tous les moyens de lutte contre ce maudit puceron américain qui dévaste le vignoble. Le greffage de la vigne sur des porte-greffes aussi américains que le puceron en question permet de sauver les cépages qui se sont fixés depuis quelques générations. La première délimitation de l’appellation, en 1903, exclut l’Aube, où l’on a replanté du gamay à tour de bras avec le phylloxéra. Une partie des négociants, à peu près les seuls à savoir vinifier à l’époque, s’y fournissent pourtant.
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En 1911, alors que la Champagne atteint son premier pic d’expéditions (39 millions de bouteilles, dont 15,5 pour le marché français), la révolte gronde chez les vignerons. Les Marnais protestent contre l’importation des raisins « cultivés à la charrue » de l’Aube. Les Aubois, eux, réclament leur droit à être Champenois. La Grande guerre précipite une crise des expéditions qui dure jusqu’en 1926. L’année suivante, la Champagne est la première appellation définie par une loi. L’Aube en est, à condition d’arracher ses gamays pour planter du pinot noir.
Après la Deuxième Guerre mondiale, l’appellation se structure, replante, se modernise. Le mouvement coopératif prend de l’ampleur et favorisera l’émergence des vignerons « récoltant manipulant » dans les années 70. C’est le moment d’une croissance presque ininterrompue des expéditions, accompagnée d’une expansion du vignoble : de 11 400 hectares dans les années 50 à 25 000 dans les années 80 et, pour finir, 34 000 en 2010. La première centaine de millions de cols par an est passée en 1970. La deuxième centaine en 1986. Le pic date de 2007 : 337 millions de cols. La Champagne, qui cherche à donner de la valeur à ces volumes, met en place une nouvelle stratégie, encore à l’œuvre aujourd’hui, joue sur les codes du luxe et privilégie l’export. Malgré le chaos du Covid, la croissance persiste. Le vin des rois est devenu le vin des stars. Les Champenois, jamais avares d’habileté, s’adaptent encore au goût du jour.