P A P ER
Musique ALPHA 5.20 PNL
Cinéma éRIC CANTONA G A S PA R N O é S T R A I G H T O U T TA C O M P T O N
Mode E VA N F O U R N I E R SKINHEADS
Sport SERGE AURIER
GRATUIT
N°6
o n e ya r d . c o m
ALASDAIR GRAHAM, DAVID PETTIGREW ET GRAHAM LORIMER ÉLABORENT LE BLENDED SCOTCH WHISKY DANS LA PLUS PURE TRADITION DU CLAN CAMPBELL.
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LE CLAN CAMPBELL.
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
« A u village , sans pr é tention , j ’ ai mauvaise r é putation » Quand on décide de réunir en un numéro Éric Cantona, Guillaume Sanchez, Alpha 5.20, Gaspar Noé et même Jim Morrison, on s’entend sur un profil de personnage singulier. Puis arrive le moment de réunir tout ce monde derrière un seul étendard, un seul concept… On sèche. Il y a bien « rebelle », mais aujourd’hui tout l’est : Zaz, les jeans troués, les cheveux. Même Marie Claire et ses semblables demandent régulièrement à leurs lectrices, lors d’un énième « test psycho » : « Êtesvous rebelle ? » Pas la peine de poursuivre le questionnaire, Canto en donne déjà la réponse lors de notre entretien : « Un rebelle, c’est quelqu’un qui a des actes forts, c’est quelqu’un qui met sa vie en
danger. » Alors, pour éviter de galvauder un peu plus l’idée, de la rendre encore plus marketing, plutôt que de définir toutes ces entités, nous avons décidé de nous concentrer sur ce qu’elles ont pu générer. Des tonnes de discussions moralisatrices, de regards inquisiteurs, de plumes journalistiques assassines… Ils ont tous eu, à un moment, mauvaise réputation. La « mauvaise réputation », telle que la considérait Brassens, c’est cette capacité individuelle à transcender les codes imposés par la société. C’est certainement ça qui lie toutes ces personnalités, la force de « suivre son chemin de petit bonhomme », malgré tout. Pour Georges,
c’était notamment son refus du militarisme ; pour nos protagonistes, c’est autre chose, tout en persistant dans cette volonté d’aller au bout de ce qu’ils veulent être. Quand Éric, footballeur hors-norme parfois reconverti en ninja sur les terrains, veut devenir acteur, Ousmane choisit la formation street pour être rappeur sans passer par les maisons de disques ; quand Guillaume, jeune effronté tatoué, veut prendre son fouet pour devenir pâtissier, Gaspar choisit de briser des tabous à coups de caméra ; peu importe le regard des gens et de la bien-pensance. Il s’agit seulement de ne pas abandonner celui qu’on a envie d’être. Finalement, c’est ça être rebelle. Julien Bihan, Rédacteur en Chef
Directeurs de Publication Tom Brunet tom.brunet@oneyard.com Yoan Prat yoan.prat@oneyard.com Rédacteur en Chef Julien Bihan julien.bihan@oneyard.com Directeur Artistique Arthur Oriol arthur.oriol@oneyard.com Conception Graphique Yoann Guérini yoann.guerini@oneyard.com
Rédacteurs Terence Bikoumou Nina Kauffmann Raïda Hamadi Bardamu Contributeurs Justine Valletoux Marine Desnoue Sébastien Darvin Lenny Sorbé DJ Pone Photographes / Illustrateurs Lenie Hadjiyianni Alexandra Czmil Igor Geneste Stéphane Nam Kunn Lazy Youg Stella Lory
Production Caroline Travers Jesse Adang Samir Bouadla Eriola Yanhoui Remerciements Mk2 & Cinema Paradiso Le Grand Palais
Publicité Quentin Bordin quentin.bordin@oneyard.com Imprimeur Sib Distribution contact@lecrieurparis.com
Rick Owens Paris Paris Saint-Germain Nutmeg Issa Mboh Cover Vincent Desailly
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S OMMA I RE i n f o g r a p h i e : S U PERHEROES
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ONE DAY I N 1 9 6 3 : N I NA S I MONE
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L ES S K I NHEADS : I C ô n e s MOD e
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L'HISTOIRE d'ALPHA 5.20
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T OP 5 : C a ï d s v s G AM I NS
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PORN AR T : FA F i
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S T I L L L I F e : RE B E L W I T H AT T I T U DE
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S é rie M ode : E V A N F O U R N I E R
B ARDAM U : RE Q U I N P L AT I NE
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Cinq ans après son arrêt en 2010, Heroes revient cette saison sous une nouvelle appellation. Heroes Reborn, qui a débuté en septembre dernier, vient rebooster un paysage audiovisuel héroïque déjà bien garni. Panorama de l’univers télévisuel pour ceux qui portent la culotte rouge et parfois la cape sur nos petits écrans. Texte du Terence Bikoumou et Nina Kauffmann
1966-1968
2009-2013
À visionner aujourd’hui, la série est une véritable blague. On est très loin du Batman de Nolan. Ici, l’humour ne se camoufle pas, c’est même la carte maîtresse du programme. Du générique aux bruitages en passant par les scènes de combat, tout ou presque prend une intonation absurde et burlesque. Une autre époque. Dans la même famille : Fantômette, The Green Hornet
Super-héros à la sauce british. Aucune ambition de sauver le monde ici, juste une bande d’ados liés les uns aux autres malgré eux et soucieux de rester en vie. L’exemple parfait pour démontrer qu’une série sur les super-héros peut proposer un ton fun tout en restant de qualité.
2015
Dans la même famille : The Tomorrow People, Mutant X
Dernière-née d’une dynastie télévisuelle de femmes héroïnes, l’agent Peggy Carter se distingue de ses consœurs en sortant du combo classique costume-pouvoirs. Elle redore le blason des super-héroïnes, même si on émet une réserve sur l’utilité de la série dans l’immense univers Marvel. Dans la même famille : The Bionic Woman (1976),The Bionic Woman (2007), Wonder Woman, The Secret World of Alex Mack, Dark Angel, Buffy the Vampire Slayer
2014 Le Flash nouveau est fantasque, plein d’autodérision, mais sans grande profondeur. Des personnages irritants, des schémas répétitifs, des tournures scénaristiques douteuses : Barry Allen est surtout rapide pour nous ennuyer. Une première saison qui laisse un goût amer.
1977-1982 La saveur vintage. De la cohérence, moins de folklore qu’en 1966 (Batman), pour l’époque L’Incroyable Hulk est une très bonne série. Lou Ferrigno aka Géant Vert pose les bases du superhéros tourmenté, et montre la voie à ses successeurs : Eric Bana, Edward Norton, et Mark Ruffalo.
Dans la même famille : Flash Gordon, Doctor Who
Dans la même famille : The Six Million Dollar Man, The Sentinel, Manimal
2001-2011 Le personnage de Superman (adulte, petit, ado ou femme) n’a jamais donné naissance à une vraie série digne du héros en slip rouge. Même la longévité de Smallville sur le sujet n’est pas gage de qualité. La véritable kryptonite de la série de super-héros, c’est Superman. Dans la même famille : Lois & Clark : The New Adventures of Superman, Superboy, Supergirl
2006-2010/2015 Réinterprétation d’un monde moderne où certains humains développent des facultés extraordinaires, Heroes Reborn reprend le flambeau d’une série prometteuse dont l’élan a été brisé par la grève des scénaristes de 2007. Ce reboot permettra peut-être de relancer une franchise qui participa au nouvel essor de la série télé il y a une dizaine d’années. Dans la même famille : Heroes, The 4400
2012 L’archer à la capuche verte est la plus belle réussite de DC Comics à la télévision. Trois ans avant Matt Murdock, Oliver Queen démocratise le rôle du « veilleur de nuit » sur nos petits écrans. Sur le point d’entamer sa 5e saison, Arrow prouve que DC a encore beaucoup de flèches à son arc.
2013
Dans la même famille : The Cape, Highlander
Autre spin-off de la saga Avengers, Agents Of S.H.I.E.L.D. fonctionne comme un cross-over lié aux intrigues des films de Marvel. Malgré un gros potentiel dû à la quantité des personnages, à l'image de l’agent Carter, Agents of S.H.I.E.L.D. peinera encore à imposer la patte Marvel à la télévision. Dans la même famille : Hero Corp
2015 La « sombritude » à son paroxysme. Surfant sur la vague de The Dark Knight, le Daredevil de 2015 bénéficie d’une profondeur scénaristique et d’un réalisme étouffant, parfaitement illustrés par les scènes de combat notamment. Certainement l’une des meilleures séries consacrées à un super-héros à ce jour. Exactement ce qu’il fallait pour effacer de nos mémoires l’échec Ben Affleck. Dans la même famille : The Crow : Stairway to Heaven, Gotham
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hit the road
PNL
Entre adulation et répulsion incrédule, le duo PNL divise tout un public. Injustement comparé à Fauve par ses détracteurs et mis en parallèle avec Lunatic par ses admirateurs les plus zélés, le tandem émerge dans le paysage du rap français à la lueur d’un premier projet novateur : Que la famille. Avant la sortie de leur album Le monde chico, retour sur les étapes qui ont fait leur succès et qui les mèneront, peut-être, au bout d’un rêve américain direction Miami.
PREMIER SHOWCASE
Texte de Raïda Hamadi
@YOYO
31 OCTOBRE
PREMIER ALBUM
LE MONDE CHICO
En dehors de la musique et des réseaux sociaux, la fratrie et leurs compères cultivent le goût de l’omerta. Ils refusent toutes les interviews, les signatures de label et les showcases et préfèrent se concentrer sur la confection de leur album, Le monde chico. Mais avec ce projet mené à bien sorti le 30 octobre et une première performance live annoncée le lendemain pour en fêter la sortie, PNL fait tomber un premier mur et entre officiellement dans l’arène.
30 OCTOBRE
12 JUIN Le monde ou rien 1er million de vues. Le clip est tourné à la Scampia, le décor de la série italienne Gomorra.
Le premier projet du duo Que la famille, martelé par l’acronyme QLF, est un concentré des valeurs qu’ils défendent ensemble : un « no new friend » du 91 sur fond de bicrave et de séjours en prison. Nulle gloire dans leurs récits, plutôt un seum permanent qui les mène parfois à des sommets de fragilité.
2 MARS SORTIE DU PROJET
que LA FAMILLE 2015
DIFFérents 10 AVRIL Premier clip sous l'entité PNL.
2014 PASSAGE Présumé dans la salle du temps
13 JUIN JE VIS, JE VISSER Pour la première fois dans un clip, le tandem s’efface pour mettre en scène des personnalités de son entourage. Elles occupent les premiers rôles de véritables fictions réalisées par le collectif Kamerameha. Le premier de toute une série.
Au vu des progrès rapides et fulgurants produits par la fusion des deux frères, nombreux sont ceux qui ont spéculé sur leur possible passage dans cette faille spatio-temporelle d’où Sangoku et Végéta tirent leur force. Leur sens de la mélodie s’est affûté et leurs voix, portées par un usage adroit de l’auto-tune, brodent leur univers et l’authenticité de leur storytelling. Tout porte à croire que durant ces six mois de silence ce sont bien quelques années qui se sont écoulées pour eux. Ceux qui savent se taisent.
27 SEPTEMBRE HOMME DU PréSent
2013 une chaise au fond d'un hall 6 octobre
Dernier track posté sur la channel YouTube baptisée « Ademo Zoo ». Désormais l'homme sera l'artiste du futur.
Dernier morceau ajouté sur la chaîne YouTube du rappeur.
2012 25 AVRIL DU CHIFFRE
LADIF 27 NOVEMBRE Au crépuscule de l'année 2011, N.O.S se donne un an pour faire sa place dans le rap. Ses projets ont apparement changé.
N.O.S
Premier clip d'Ademo.
2011
ADEMO
INTERVIEW
SERG E AU RIER « L e s
clashs
m ’ o nt
un
peu
éloigné
du
r a p. »
À l’heure où Matuidi est devenu « charo », qu’en est-il de Serge Aurier ? Titulaire au PSG, lui aussi a sa petite histoire avec le rap français. Quelques mois avant sa signature dans le club de la capitale, le latéral est interpellé dans un morceau de Gradur qui culmine aujourd’hui à plus de treize millions de vues. Suffisamment impressionnant pour partager un écouteur avec l’international ivoirien.
Propos recueillis par Yoan Prat Photo de Stéphane Nam Kunn
Première question un peu basique : qu’est-ce que le rap pour toi ? Le rap, ça vient de la rue, souvent les mecs qui le font ont vécu des choses fortes dans leur vie, petits ils n’avaient pas ce que d'autres avaient, ils trimaient. Du coup, c’est leur poésie à eux. Le rap a une histoire, je n’étais pas encore né que c’était déjà une musique qui faisait partie de la culture aux States, mais aussi en France. Aujourd’hui, ici, il y a une nouvelle génération qui commence à mettre un peu d’ambiance positive. Le problème, c’est qu’il y a eu beaucoup de clashs, et pour ma part ça m’a un peu éloigné du rap. Tu ne sais plus qui écouter, pour qui prendre parti. Dans Sheguey 8 – Dani Alves, à la fin du freestyle, Gradur dit : « Serge Aurier, j’suis avec ton frelon, y a rien. » Comment tu apprends ça ? Sincèrement, il l’a fait de lui-même, on n’en a pas parlé. C’est un très bon ami de mon petit frère, il l’accompagnait toujours à ses showcases un peu partout, ils se connaissent bien. C’est un petit clin d’œil qu’il a voulu me faire, ça m’a fait plaisir. On s’est vus une fois à une de ses prestations, on est entrés en contact, et c’est parti de là. Je sais que c’est un mec qui a la tête sur les épaules, qui est tranquille. Quand tu es avec lui, il reste vraiment posé. Pour moi, il incarne cette nouvelle génération, il est dans le rap pour ouvrir les portes à d’autres personnes. Du coup, dès qu’il y a un rappeur qui poste un son qu’il aime bien, il le partage. C’est comme ça qu’il faut se donner de la force.
« pour moi Rohff reste l’un des meilleurs rappeurs en France. »
Tu trouves justement qu’il contribue à changer les mentalités ? J’ai l’impression que tout le monde veut être le boss. Gradur arrive à redonner une définition au rap qui ressemble à celle des États-Unis. Là-bas, dès qu’un nouveau sort un son que tout le monde kiffe, les artistes confirmés le poussent : ils font des remix, ils le font venir en concert… Un vrai esprit collectif. Ce qui fait avancer le rap ici, c’est que les mecs s’en battent les couilles, on va dire. C’est du business. Du coup, en France, la nouvelle génération doit apporter un autre délire. Quels artistes de la génération précédente tu écoutais ? J’ai grandi en écoutant Rohff, ce sont des sons qui me parlaient. Dans ses albums, il y avait beaucoup de textes dans lesquels je me reconnaissais. J’ai connu le rap à cette époque-là, quand il a commencé à être actif artistiquement, et tout ce qu’il disait, j’avais l’impression de le vivre automatiquement. Il a des classiques, pour moi ça reste l’un des meilleurs rappeurs en France. Aujourd’hui, quels sont les artistes que tu écoutes le plus ? Ton top 5 ? Young Thug, Future, Kaaris, Gradur et Ixzo. Mais dans le vestiaire, avant d’entrer sur la pelouse, c’est soit Gradur, soit Kaaris. Ce sont des paroles qui me donnent la patate. 10
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#CHOISISPARIS
MAU V A I S Es r é p u t a ti o ns
On e d ay in 1 9 6 3 N ina et le putain de M ississi P p I Texte de Raïda Hamadi
À la lueur d’un talent précoce, c’est dès le plus jeune âge que Nina Simone entreprend d’emprunter la voie qui devait la mener à devenir la première pianiste classique noire des États-Unis. Mais dans l’Amérique des années 30 où elle grandit, rien dans le contexte de forte discrimination raciale ne joue en sa faveur. Ce sera finalement dans la lutte que s’accomplira son destin. Plus le morceau avance, plus Nina se fait virulente. Et lorsque, en 1963, elle se produit à nouveau sur la scène du Carnegie, Eunice Waymon n’hésite pas à l’interpréter devant un public majoritairement blanc, chantant à son intention : « Oh, mais le pays entier est plein de mensonges Vous allez tous mourir et tomber comme des mouches. »
Dès 1959, à la suite du succès de sa reprise du titre I loves you, Porgy, Nina Simone devient la nouvelle tête d’affiche d’une scène noire endeuillée par la perte de Billie Holiday. Pourtant, le jazz n’est pas la seule sonorité dont joue Nina. Dans sa musique l’artiste la mêle, dans un genre inclassable, à du blues et du classique, nourris par une voix grave reconnaissable entre toutes et par ses talents de pianiste. C’est au piano que la native de Tryon s’était toujours destinée, portée par un don qu’elle n’a eu de cesse de parfaire. Malgré tous les succès, la prospérité matérielle et une vie de famille en apparence accomplie, Nina sent en elle grandir le besoin de réaliser son rêve d’enfant : être la première femme noire à se produire sur la scène du Carnegie Hall. Avec le soutien de son époux et agent, Andy Stroud, elle y parviendra finalement, le 12 avril 1963. Ce soir-là, à la fin d’un concert historique, la jeune femme recevra un appel de son amie Lorraine Hansberry, écrivaine. Pourtant, celle-ci ne souhaite pas la féliciter. Au contraire. Ce soir-là, Martin Luther King Jr. a été une nouvelle fois arrêté. « Où étais-tu ? »
Une position claire qui la rapproche de Stokely Carmichael, instigateur de la formule « Black Power », ou encore de Malcolm X, notamment quand elle écrit : « Vous n’êtes pas forcés de vivre à mes côtés. Donnez-moi seulement mon égalité. » Le titre sera interdit dans plusieurs États du Sud et certains disques seront renvoyés au label, brisés en deux par les radios. Nina confiera même à sa fille Lisa que, depuis Mississippi Goddam, sa voix s’est irrémédiablement brisée, trouvant une nouvelle tessiture. Dès lors, son engagement dans la lutte pour les droits civiques opère un tournant. L’artiste multiplie les titres engagés, tels que Backlash blues ou To be young gifted and black, ses concerts deviennent de plus en plus politisés, et elle s’attire le désamour des médias qui l’invitent de moins en moins. C’est ce que révèle Andy Stroud dans le documentaire What happened, Miss Simone : « Elle rabaissait les Blancs en aboyant comme un chien, mais elle voulait quand même continuer à avoir la belle vie. Quand elle voyait Aretha Franklin, Gladys Knight et tous ces gens dans les émissions télé, ça la contrariait beaucoup bien sûr, car elle n’y avait pas accès à cause de sa réputation. » Néanmoins, elle deviendra l’un des porteétendards de la lutte pour les droits civiques. « C’était une vraie rebelle. Elle ne rentrait pas dans le rôle de femme noire révolutionnaire qu’on lui offrait. Elle pouvait éviter l’hypocrisie prétentieuse et trouver plus de profondeur dans une chanson. C’était une sainte patronne de la rébellion », explique le critique Stanley Crouch.
Jamais encore Nina n’avait exprimé une véritable conscience politique ; qu’il s’agisse de rappeler comment elle s’était vue refuser une bourse d’étude pour la prestigieuse Curtis Institute of Music parce qu’elle était noire, ou encore d’évoquer son enfance dans un État ségrégationniste, à l’heure où elle n’était encore qu’Eunice Waymon. Mais pour passer de la sage Nina Simone à l’irascible révolutionnaire, il aura fallu un tout autre événement, qui donnera un véritable tournant à son engagement politique, à sa carrière et à sa vie toute entière. Il aura fallu une explosion. Celle d’une église baptiste à Birmingham, le 15 septembre 1963, emportant dans sa déflagration quatre petites filles. Choquée, révoltée, l’artiste écrira en une heure le titre Mississippi Goddam. Un brûlot assassin contre cet État du Sud où sont alors perpétrés des attentats et des crimes racistes.
Aux côtés de Langston Hughes, James Baldwin, Sidney Poitier, Harry Belafonte ou encore Bill Cosby, Nina participera aux fameuses marches de Selma à Montgomery, en Alabama, le 25 mars 1965. Elle y chantera Mississippi Goddam et sera pour la première fois présentée au Docteur King. Sans lui laisser le temps de la saluer, la chanteuse lui annonce : « Je ne suis pas non violente. » À quoi le leader du mouvement lui répond en riant : « Ce n’est rien ma sœur. Tu n’es pas obligée de l’être. »
Sur un rythme enjoué aux allures de jingle de show télé, Nina, sans en avoir l’air, pointe du doigt les persécutions et la discrimination dont sont victimes les Noirs du Mississippi, d’Alabama et du Tennessee. Jamais elle ne mentionne explicitement les événements de Birmingham. Mais quand, après son premier couplet, le rythme du pont imposant une nouvelle cadence, mime presque un personnage qui, se voulant discret, progresse à petits pas, elle développe son récit avec plus de détails.
Jusqu’au bout, Nina Simone défendra ses valeurs. Mais chacun leur tour, les leaders du mouvement disparaissent, assassinés ; puis sa vie personnelle et son état psychologique s’étiolent. Prise d’excès de violence, elle souffre de crises de plus en plus fortes et, à la lecture de son journal, on lui découvre un état profondément dépressif. Eunice fait ses valises pour le Liberia et ne remettra plus les pieds aux États-Unis, vivant la fin de ses jours dans le sud de la France. Mais chacun de ses titres résonnent encore et gardent toujours en eux son rêve d’égalité, de liberté et de sécurité pour les Afro-Américains dans leur propre pays, portés jusqu’à aujourd’hui par un mouvement de lutte qui n’a jamais faibli et redouble même de force.
« Des chiens de chasse sur ma trace Des enfants en prison Un chat noir a croisé mon chemin Je pense que chaque jour qui passe va être mon dernier Seigneur aie pitié de cette terre qui est la mienne Nous la rejoindrons tous quand sonnera l’heure Je ne suis pas d’ici Je ne suis pas de là Je ne crois plus en cette prière. »
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MAU V A I S Es r é p u t a ti o n S
INTERVIEW
Éric C antona « A u j o u r d ’ h u i , v o u s m e tt e z u n p e u d e g e l d a ns l e s c h e v e u x , v o u s f a it e s d e u x t a t o u a g e s , e t v o u s ê t e s u n r e b e ll e . »
« Tu » ou « vous » ? Parfois la question se pose. Faut-il tutoyer le « chef » du grec d’à côté ou la populaire boulangère du quartier ? Il faut dire que c’est agréable, le tutoiement, ça simplifie, ça fluidifie. Généralement chez YARD, comme ailleurs, on ne s’encombre pas du vouvoiement lors d’un entretien, mais là, il faut dire qu’il s’est imposé tout seul, le « vous ». Interviewer Éric Cantona, ça en impose et ça peut se comprendre. On le surnomme « The King » à Manchester, où il laissera la trace d’un enchantement indélébile, ailleurs aussi. Canto, c’est des buts par dizaines, c’est des passes décisives flamboyantes, mais Canto, c’est également des frasques : un tacle mi-cuisse à Der Zakarian, joueur, un tacle mi-front à un supporter de Crystal Palace, humain, un tacle verbal à la finance, rebelle ? Ça fait presque vingt ans qu’il a délaissé les caméras oppressantes de la presse footballistique pour celles de Hervé-Pierre Gustave, Ken Loach et plus récemment Laurent Laffargue. Libéré, l’homme nous fait partager quelques éclats de ses carrières, de ses idées, de sa vie, avec une justesse saisissante.
Propos recueillis par Julien Bihan Photos de Vincent Desailly
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MAU V A I S Es r é p u t a ti o ns
Vos carrières de footballeur et d’acteur prennent toutes les deux racine dans votre enfance, l’une en tapant le ballon au SO Caillolais et l’autre en vous amusant à jouer aux cow-boys et aux Indiens avec vos potes. Comment vous expliquez ce besoin de retrouver ces sensations originelles ? C’est un peu ce que disait Picasso, non ? « J’ai mis vingt ans à devenir un adulte et soixante ans à redevenir un enfant. » J’aime beaucoup le mouvement de peinture CoBrA avec Karel Appel, Corneille, Alechinsky et tout le reste. Ils essaient de retrouver cette spontanéité de l’enfance. Voilà, ça c’est une chose.
C’est à eux que vous devez votre insoumission, ce refus de baisser la tête ? Je pense que ça a énormément participé, ouais. Après, ce n’est pas dû qu’à nos parents (Éric intègre sûrement ses frères Jean-Marie et Joël avec qui il est très proche, ndlr), on grandit, on va à l’école. Finalement, on passe presque plus de temps avec des gens qui ne sont pas de notre famille. On hérite aussi de l’histoire d’un quartier, des gens que l’on rencontre… Bien que vous veniez de Marseille… (Il me coupe.) À Marseille, il n’y a pas que des gens insoumis hein.
C’est beaucoup d'implication, mais moi, c’est le jeu qui m’intéresse. C’est cette dimension de travail, qui nous amène à la confiance puis ensuite au plaisir, qui nous permet de dégager une certaine spontanéité : en échangeant avec l’autre, en jouant, en interprétant. C’est uniquement ce qui me plaît, ça crée une excitation et de l’adrénaline, parce qu’on ne sait pas vraiment où on va, même si on est cadré. Ça serait un peu comme du jazz, on a une partition et à l’intérieur on peut interpréter dans l’instant tout en ayant des limites. C’est de cette manière que j’ai envie de faire ce métier et c’est de cette manière que je le fais.
…vous semblez être irrésistiblement attiré par le nord, Auxerre puis l’Angleterre pour vous reconstruire ? D’où vient cette attirance ? J’aime aller à l’entraînement le matin quand il pleut, j’aime jouer sur des terrains glissants, mouillés, où le ballon va vite. D’ailleurs Johan Cruyff — qui est une légende et qui a construit Barcelone, aujourd’hui ce ne sont que ses enfants, du système de formation qu’il a créé, les Guardiola et tous les autres — quand il était entraîneur pendant une décennie, il faisait arroser le terrain quelques minutes avant le match et à la mi-temps pour que le ballon aille très vite. J’étais attiré par ça.
Finalement dans l’idéal, à 20 ans il faudrait retrouver cette innocence, cette spontanéité qu’on avait enfant. Comment faire pour la retrouver ? Le jeu nous permet ça, l’art nous permet ça, c’est pour ça que je parlais de peinture, de cinéma, de théâtre. Même sur un terrain de football. Jouer comme si on était enfant. Quand on voit Messi, on se dit qu’il joue dans la rue et quand je jouais, c’est ce que j’essayais de garder. Pour la beauté du jeu. Se battre et être gagneur, oui, mais comme on se battait et qu'on essayait de gagner dans la rue. Pareil.
Le soleil, Marseille et tout ça (il cherche ses mots)… Je trouve qu’on va plus volontiers à l’entraînement quand il pleut que quand il fait soleil, machin… On peut avoir d’autres attirances. Pour moi, ma priorité, c’était le football et c’était la meilleure façon d'y jouer. J’avais envie de me dépasser quand il pleuvait. Je n’aime pas le vent, je n’aime pas le mistral qui sèche les pelouses.
Votre famille pose vraiment les bases de tout ce que vous êtes aujourd’hui, entre votre père gardien de but et peintre, et votre mère dont les parents se sont battus contre le franquisme en Catalogne. Je crois qu’on hérite tous de nos ancêtres, on grandit et on se construit avec ça. Après, il faut voir comment on utilise cet héritage. Dans une famille avec plusieurs enfants de mêmes origines, tous sont différents alors qu’ils ont eu la même éducation. Après, tout dépend de la façon dont on perçoit les choses aussi. Regardez par exemple, on est en train de discuter : vous, vous avez une vision ; moi, j’en ai une autre. Moi, je vois de la lumière et des gens qui passent dans la rue, un taxi qui roule. J’aurai un souvenir différent de cet instant-là, alors qu’on parle de la même chose à un mètre l’un de l’autre au même moment. On ressent tout ça différemment. Mais je pense que oui, j’ai hérité de l’histoire de ma famille.
« J’aime aller à l’entraînement le matin quand il pleut, j’aime jouer sur des terrains glissants, mouillés, où le ballon va vite. »
Avant de faire le choix d’Auxerre, il y a eu une offre de l’OGC Nice et, à la visite des installations, vous avez demandé un maillot du club qu’on vous a fait payer. Vous auriez fait la même demande à Guy Roux, qui aurait mis dans votre sac tout un jeu de maillots avant de rentrer à Marseille. C’est ce qui aurait fait pencher la balance. C’est ça ! Puis Auxerre, c’était la Bourgogne et Nice, c’était le soleil, quoi… La Côte d’Azur… J’avais envie d’Auxerre.
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« Je ne suis pas un rebelle. Un rebelle pour moi, c’est quelqu’un qui accompliT des actes forts, c’est quelqu’un qui met sa vie en danger. »
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Il y a aussi le choix de partir en Angleterre, toujours dans l’esprit de rejoindre un football encore plus proche de votre conception ? À cette période, j’avais plus envie de jouer un football méditerranéen, voilà. D’ailleurs, j’avais arrêté depuis trois mois avant de partir en Angleterre. Ce n’était plus le football dont je rêvais. C’est Platini (à ce moment sélectionneur de l’équipe de France) qui a eu cette idée. à l’époque j’étais international, il m’a dit : « L’Angleterre, ça peut être un endroit pour toi. » Donc je le remercie, quoi. Je suis allé là-bas et il s’est passé ce qu’il s’est passé.
j’aimerais la recevoir. Après, ça ne se passe pas toujours comme prévu, mais parfois oui. Et là, cette passe, c’est un geste particulier (elle lobe toute la défense pour atterrir dans les pieds d’Irwin). Ça fait écho à ce que vous dit votre père après une défaite lors de votre jeunesse : « Il n’y a rien de plus bête qu’un footballeur qui prétend être plus indispensable au jeu que le ballon ! Plutôt que de courir avec la balle, faisla courir, donne-la, regarde plus vite. » C’est toujours resté dans votre philosophie. C’est ce que disait mon père quand j’étais gamin, les entraîneurs que j’ai eus aussi. C’est ce qui fait que j’étais sensible au football de Johan Cruyff, puis à sa philosophie de jeu quand il est devenu entraîneur. On grandit avec tout ça. Si mon père m’avait dit autre chose, j’aurais sans doute été un autre joueur.
Vous considérez-vous comme rebelle ? Évidemment que non. Rebelle dans quoi ? Dans notre société de bourgeois ? Non. Un rebelle pour moi, c’est quelqu’un qui accomplit des actes forts, c’est quelqu’un qui met sa vie en danger. Dire oui ou non pour un poste ou risquer sa place dans une équipe, c’est quoi ? Il est où le danger ? Heureusement, on n’est pas dans un pays en guerre, on ne vit pas sous une dictature. Un vrai rebelle, c’est Carlos Caszely qui refuse de serrer la main de Pinochet, lui met sa vie en danger, du coup sa mère est torturée. Ça, c’est un rebelle. C’est Rachid Mekhloufi qui est international français à l’époque parce que l’Algérie était française, qui est un dieu à Saint-Étienne, qui du jour au lendemain quitte la France en passant la frontière, et qui arrive en Algérie avec d’autres joueurs pour créer l’équipe du FLN. Ça, c’est un rebelle. Ceux-là se mettent en danger. Qu’est-ce qu’on fait, nous ? Qu’est-ce que je fais, moi ? Je ne sais pas. Puis aujourd’hui, vous mettez un peu de gel dans les cheveux, vous faites deux tatouages et vous êtes un rebelle. Non. Il faut que le mot rebelle garde ses lettres de noblesse.
« Quand on voit Messi, on se dit qu’il joue dans la rue et quand je jouais, c’est ce que j’essayais de garder. »
C’est votre carrière de sportif qui vous a permis de faire du cinéma ? C’est grâce à ma carrière qu’au début on m’a proposé de faire du cinéma. En fait, c’est grâce à ma carrière de footballeur que j’ai pu faire des publicités qui ont pu inspirer ou donner envie à certains réalisateurs de tourner avec moi. Maintenant, ça fait dix-huit ans que je fais ça, donc j’espère que c’est de film en film qu’on a envie de travailler avec moi. Je dépends du désir des autres quand même. Ma carrière au cinéma et au théâtre est plus longue que celle de footballeur. Aujourd’hui, on me propose de faire des films car on pense juste que je suis l’acteur qui peut interpréter ce personnage. Enfin j’ai envie d’y croire.
En revanche, j’ai le sentiment que ce qui vous qualifie le mieux, c’est votre faculté à savoir toujours prendre un maximum de risques dans ce que vous faites ? Ouais, j’ai ce courage (il s’interrompt, cherche ses mots une nouvelle fois puis reprend)… Encore une fois, des risques par rapport à quoi ? Mais il faut prendre des risques dans le jeu, ouais. Il faut s’exprimer. La spontanéité, c’est le risque. La spontanéité, c’est un risque non calculé. Dans le film de Ken Loach, Looking for Eric, vous dites que votre action préférée est la passe décisive que vous faites pour un but de Denis Irwin contre Tottenham, alors que vous avez marqué plusieurs dizaines de fois pour Manchester United. C’est vrai ou c’était simplement pour le besoin du film ? Non, c’est vrai. J’aime l’idée de jouer juste, c’est-à-dire que si j’ai 51 % de chances de marquer, je vais marquer, mais si j’en n’ai que 49 %, je vais donner la balle à un autre. Et je vais essayer de lui donner de la façon dont
Cette vie qui vous a fait gagner beaucoup d’argent doit vous offrir une réelle liberté dans le choix de vos films ? Bien sûr, mais même si j’avais besoin d’argent, je ne ferais jamais ce que je n’ai pas envie de faire. En tout cas, aujourd’hui ça me permet de ne pas me poser la question.
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Vous incarnez naturellement cette figure d’homme à la fois fort et sensible… Vous êtes attiré par ce genre de rôles ? Pas forcément. Dans Les rencontres d’après minuit, de Yann Gonzalez, je me retrouve dans une orgie en train d’embrasser un homme ; dans Les mouvements du bassin d’HPG, je suis avec un travesti. Ce sont des films plus intimistes, mais ce sont des films qui existent et ce sont de grands films pour moi. Souvent on me propose ce rôle de dur au cœur tendre. Par exemple, il y a un long métrage que je viens de faire en Croatie où je suis un orphelin, puis une fille se retrouve là, au milieu. Au départ je ne veux pas trop lui parler, puis finalement je m’attache à elle. C’est un peu ça qu’on recherche chez moi. Dans Les rois du monde, vous jouez le rôle de Jacky, un boucher qui vit à Casteljaloux. On a l’impression que ce personnage aurait pu être Éric des Caillols s’il n’y avait pas eu ce ballon dans vos pieds ? C’est ce qui est beau dans le cinéma, de pouvoir analyser des personnages comme ça. Mais ce qui me plaît, c’est que ce qui se passe dans ce village, c’est ce qui se passe partout : au niveau régional, national, international. Ce sont les êtres le problème. Qui on est ? Comment on peut vivre ensemble ? Comment on peut résoudre des conflits ? Tout ça prouve que c’est vraiment très difficile. On fait ce qu’on peut, quoi. Depuis votre plus jeune âge, votre expression artistique prend différentes formes : poésie, peinture, photographie… Pourquoi communiquez-vous très peu là-dessus ? J’ai toujours essayé de trouver un moyen d’expression, j’ai ce besoin de m’exprimer. Après, il y a des choses qui se partagent plus ou moins. Le cinéma, le théâtre, évidemment ça se partage avec le public. La peinture, on n’est pas obligé. Je les montrerai sans doute un jour, si vous le voulez absolument je le ferai (rires). Mais pour l’instant, ce n’est pas une priorité. Le cinéma et le théâtre, ça coûte cher à fabriquer, donc il faut qu’il y ait du public. La peinture, je suis seul chez moi et j’ai la chance de ne pas avoir besoin de vendre ce que je fais pour vivre. J’ai aussi écrit les paroles du premier album de ma femme (Rachida Brakni), la musique était de Cali.
La preuve, c’est que vingt ans après je ne m’en souvenais pas, et je ne l’avais même pas vu. Bon, ce n’est pas quelque chose que je regarde toutes les dix minutes non plus. Je n’avais pas fait gaffe. Peut-être qu’inconsciemment ça voulait dire ça. Après l’interprétation…
« Souvent on me propose ce rôle de dur au cœur tendre. » Comme celle de votre fameuse phrase prononcée en conférence de presse à la sortie du jugement de cette affaire : « Si les mouettes suivent un chalutier, c'est parce qu’elles pensent que des sardines seront jetées à la mer. » Je crois que le vrai sens c’était : « Vous voulez absolument que je vous parle messieurs les journalistes. Je vais vous parler, je vais vous dire n’importe quoi. Je vous ai parlé…
Pour conclure, je voulais revenir avec vous sur l’incident de Crystal Palace (voir Top 5, p.38). Après votre expulsion et avant de vous jeter sur ce supporter, vous baissez votre col… Je rebaisse mon col ? J’ai pensé à ça (surpris) ? …Comme si vous sortiez de votre rôle de footballeur : « Maintenant, ce n’est plus Cantona, c’est Éric. » Dans tous les cas, ça s’est fait de façon inconsciente.
…À la prochaine. » Voilà (rires).
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L es skinheads
I c ô nes mode j usqu ’ au bout des poings
À la fin des sixties, Londres se débride, s’enfièvre et se colore sur une bande-son pop-rock lorsque les skinheads, jeunes prolos amateurs de sapes et de musique noire, pointent le bout de leur crâne tondu dans les quartiers crasseux de la ville. Tour à tour, le mouvement rayonnera, s’émoussera, renaîtra, se radicalisera et se divisera. Au panthéon des têtes brûlées, ces figures mythiques de la voyoucratie blanche, souvent portées sur la castagne, trônent en maîtres. Mais avec leur dégaine unique brassant des influences jamaïquaines, britanniques, ouvrières et militaires, les skins se posent surtout, bon gré mal gré, en icônes de mode.
Texte de Marine Desnoue Photos de Alexandra Czmil
S a l e m e nt c h i c Tout commence à l’orée des années 60 avec les mods, ces ados britanniques de la classe populaire qui se bouffent le nez avec les rockeurs. Dandys des faubourgs, les mods se réapproprient les codes vestimentaires bourgeois en portant polo Fred Perry, pantalon ajusté, costume trois pièces et chaussures italiennes. Leur motto : « Clean living under difficult circumstances ». Si le portefeuille n’est pas épais, le look se veut en revanche léché. Les hard mods, leurs rejetons mal élevés et bagarreurs, s’affranchiront de leur élégance compassée en adoptant un style suintant davantage la misère ouvriériste. De ses aînés, cette nouvelle génération garde le polo couronné mais crie ses origines roturières avec des chemises Ben Sherman bon marché, des jeans et des Dr. Martens. La clique traîne dans les rues de Brixton et frétille dans les clubs sur des rythmes reggae, ska et rocksteady avec les rude boys, ses voisins jamaïcains. À force, les hard mods se mueront en « skinheads », un sobriquet propulsé en septembre 1969 à la une du Daily Mirror. Bâtards culturels, les skins ballottent entre le populisme blanc des hard mods et l’élégance noire des rude boys, auxquels ils empruntent notamment le cheveu ras et le pantalon serré « feu de plancher ». « Leur style devait marquer une appartenance revendiquée au monde du travail tout en suscitant, par son aspect soigné, une certaine forme de respect », précise Gildas Lescop, sociologue spécialiste du sujet. Le jean s’agrémente de bretelles fines longeant le dos et se retrousse au-dessus de la cheville pour révéler des boots à bouts coqués bien cirées. La chemise, unie ou quadrillée, se boutonne et se rentre dans le pantalon, comme l’incontournable polo Fred Perry. Les « têtes de peau » chérissent la couronne de lauriers brodée sur 20
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leur poitrine comme nos scarlas français le crocodile. Sur leurs épaules, une veste en jean, un crombie, une « donkey jacket » (chère aux dockers) ou un « sheepskin » (veste en peau de mouton retournée). « Reste que si l'intention initiale des premiers skinheads était de communiquer via leur style vestimentaire, une identité prolétarienne , leur perception restera équivoque. Les lourdes chaussures et le crâne rasé étant également des attributs militaires », ajoute Gildas Lescop. Cette allure martiale, les « bootboys » l’assumeront et la cultiveront de plus en plus au fil du temps. Le bomber et le treillis, symboles guerriers, intègrent leur garde-robe en même temps qu’ils se radicalisent et emplissent les stades de foot, leur nouveau terrain de jeu. Et plus les médias en parlent, plus ils enchérissent. Passer pour des durs les gargarise. En réaction, la police durcira ses contrôles, forçant les skins à se faire plus petits. Parallèlement, la scène reggae se rapproche du rastafarisme et égare ses adeptes tondus à blanc. Nous sommes au début des seventies et la culture skinhead s’essouffle. Il faudra attendre presque dix ans avant qu’elle ne s’exhume, sous l’impulsion du punk.
R a d i c a l e m e nt t r a s h Lorsqu’il reprend son souffle dans les années 80, le mouvement crache sa propre musique, la bruyante oi!, et se fait plus trash, l’allure plus menaçante. « C’est une nouvelle génération qui emprunte à la fois les codes initiaux des skins des années 60 et ceux du punk-rock », commente Maître Madj, ancien teddy boy et cofondateur du label hip-hop indé Assassin Productions. Bomber, motifs camouflage, imprimés Union Jack, bretelles tombantes, jean délavé relevé jusqu’à mi-mollets et boots hautes composent le look de ces francs-tireurs. « Ce passage du dressing smart au dressing hard marque un glissement de sens : il ne s'agit plus tant d’inspirer le respect que de susciter un sentiment de crainte », note Gildas Lescop. Il poursuit : « La figure de l’ouvrier modèle est désormais masquée derrière celle du guerrier urbain. » Maître Madj se souvient encore des premiers skins croisés à Paris en juin 1980 au Palace, lors d’un concert bouillonnant de Sham 69. « Ces mecs habillés comme des militaires avec des bombers verts » font tache d’huile dans la salle ; ils intriguent et inquiètent. Nazis ? Soldats ? Petites frappes ? Madj s’en fera finalement des potes. L’adage veut que l’habit ne fasse pas le moine, même s’ils aiment musarder en s’enfilant des bières et en provoquant les passants. Ironie de l’histoire, l’hyper-virilité de l’armure skinhead séduit aussi la communauté gay parigote, celle qui tient désormais le pavé dans le Marais, alors encore en friche. Du skin devenu objet de fantasme, elle se réapproprie le style qu’elle contribuera grassement à populariser.
« Être un "vrai skin", c’est savoir se conformer à toutes les normes vestimentaires définies par le dress code » Gildas Lescop, sociologue spécialiste de la culture skinhead Outre-Manche, alors qu’ils fulminent contre la politique d’austérité de Margaret Thatcher et la crise économique qui frappe le pays, les « baldies » apparaissent comme des cibles faciles pour l’extrême droite. C’est parmi ces laissés-pour-compte aux poings faciles que le National Front recrutera en masse. La mouvance skinhead se droitise sur fond de racisme. Elle prend à partie et passe à tabac Noirs, Arabes et Pakistanais. Sans pitié ni ménagement. Elle y prend goût, en redemande même. Et puis, une flopée de militants nationalistes s’empare du dress code skin en en forçant le trait pour se donner des airs patibulaires. Les médias s’empressent de faire leurs choux gras de ces néo-hitlériens à grands coups de reportages glaçants. Les « naziskins » affolent l’opinion publique et s’imposent bientôt comme l’archétype de la subculture skinhead. Le phénomène précipite les scissions au sein de la tribu et la constitution de groupuscules aux idéaux différents : entre trojans, skins oi!, boneheads ou redskins. Pour se différencier et se reconnaître, on choisit une couleur particulière de lacets ou de liseré de polo, on s’épingle un pin’s ou on se colle un patch. Des variations, l’uniforme skinhead en admet en réalité très peu. Passée l’effervescence stylistique des premières années, le look se fige et se standardise. Lescop : « Être un " vrai skin ", c’est savoir se conformer à toutes les normes vestimentaires définies par le dress code, c’est accepter de se plier à une esthétique très réglée et préconstruite. Toute la garde-robe skinhead est soumise à une sorte de 21
réglementation définissant quelles chaussures, quels vêtements, quelles marques peuvent et doivent être portés en étant correctement agencés. » Les bretelles, par exemple, doivent se mettent aux épaules et ne mesurent pas plus d’un centimètre de largeur. La liste des marques autorisées est, elle, bien maigre. Elle se borne aux quelques Fred Perry, Ben Sherman, Lonsdale et Dr. Martens. Ceux qui s’avisent de se soustraire au protocole risquent un coup de batte. Une contre-culture paradoxalement muselée, coercitive. Cette normalisation rigide à l’excès sert l’identification et la reconnaissance, elle permet de se signaler et de s’affirmer en tant que skinhead. En fait, elle modèle des clones. Aujourd’hui, la codification est d’autant plus prégnante chez les skins 2.0. « Internet a permis une diffusion des marques composant le style skinhead tout en transmettant également le " mode d’emploi " avec ses nombreuses pages consacrées à sa culture », nous explique Gildas Lescop. Entre la foultitude d’images que déversent Google, Tumblr, Facebook et Pinterest, les tutos YouTube et wikiHow ou les forums, la Toile est un mood board gigantesque. Maître Madj confirme : « Les skins d’aujourd’hui sont plus pointus et bien mieux habillés que ceux du début des années 80. En France, par exemple, c’était la croix et la bannière pour avoir une paire de Doc, fallait aller en Angleterre. Maintenant, grâce à Internet, on peut assimiler les codes en trois clics. »
M a l e n c o nt r e u s e m e nt p o p En vulgarisant jusqu’au plus petit des épiphénomènes, le Web tue en vérité les contre-cultures. Il les diffuse à une échelle démesurée, les démocratise, les dévore. Alors on n’invente plus rien, on recycle, on copie. On ne marche plus à contresens. La surmédiatisation des « naziskins » avait su étouffer pendant un temps une éventuelle récupération du mouvement par la mode. Mais comme toute subculture, du rock au hip-hop en passant par le punk, le mouvement stylistique skin a fini par se faire happer par le mainstream. L’odeur de soufre attire et excite. Dès 1982, le photographe Nick Knight capturait en noir et blanc des têtes d’œuf de l’East End londonien pour son livre Skinhead. Derek Ridgers, célèbre pour ses clichés du gratin mondain, s’est prêté au même jeu au même moment. Puis les skins ont foulé les podiums de JeanPaul Gaultier et Alexander McQueen et infusé, maculé leurs collections. Phillip Lim exaltait à son tour en janvier 2012 la culture suedehead, dérivé policé des skinheads, pour son défilé masculin. L’esthétique skinhead a aussi inspiré des éditoriaux aux magazines Out, WAD ou T du New York Times. Les marques grand public, elles, et donc les masses, ont mis le grappin sur les boots lacées, le jean à revers, la chemise à carreaux, le polo ou le bomber vert. Ce dernier, devenu indispensable pour quiconque suit un tant soit peu la mode, habille d’un esprit rebelle tout en gardant ce qu’il faut de conventionnel. La tendance est à l’encanaillement. On veut se salir, se barbouiller d’aspérités. On veut puer l’underground. Aussi, les griffes cultes des skins, qui ont perdu de leur identité subversive en entrant au vestiaire de monsieur et madame Tout-le-monde, cherchent à réhabiliter leur « street credibility ». Elles veulent garder ce goût aigre, « montrer qu’elles ont une histoire associée aux mouvements issus de la rue », analyse Gildas Lescop. Leur héritage, elles ne le renient pas, le célèbrent même. Dr. Martens la première. Pensées au départ pour travailler sur les chantiers, ses boots phares, massives et résistantes, se sont posées rapidement en objet-totem pour les skins. « Même si Dr. Martens a été associé pendant un bon moment au mouvement d’extrême droite skinhead, aujourd’hui on a le courage d’assumer d’avoir une relation avec la culture initiale.
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Pour nous, il n’y a pas de honte à ça, il faut juste rééduquer les gens », confie Sébastien Duffait, responsable marketing de la marque. Ce travail de rééducation se fait notamment par le biais d’une collection-hommage à l’uniforme skinhead, baptisée Spirit of 69, et d’un court métrage signé Mike Skinner aka The Streets. « C’est risqué, mais il ne faut pas s’en cacher, soutient Duffait. C’est toujours un sujet très tendu, encore plus aujourd’hui avec la montée de l’extrême droite partout en Europe, donc je pense que c’est important de bien expliquer aux gens ce qu’est la culture skinhead pour éviter les amalgames. » Dr. Martens a aussi consacré un ouvrage aux street cultures anglaises qui ont pavé son histoire, dont la mouvance skinhead. Tout comme Ben Sherman. Pas frileuse pour un sou, cette dernière reprend régulièrement des éléments de cet imaginaire à travers ses publicités. Au printemps 1997, la marque osait même une campagne drôle et gonflée, satirisant la figure du skin à travers une série de visuels. L’un d’entre eux opposait un crâne rasé à la moue enragée à un bouledogue anglais, légendé « séparés à la naissance ». De son côté, Fred Perry revendique plus timidement ce pan de son patrimoine. La griffe avait malgré tout réalisé il y a trois ans un mini-documentaire décryptant le mouvement skinhead, diffusé sur Channel 4 dans le cadre de son projet Fred Perry Subculture. En revanche, l’affaire Clément Méric, jeune antifasciste parisien battu à mort par des skins lors d’une vente privée Fred Perry, ne lui aura pas fait bonne presse.
Mais Dr. Martens, Ben Sherman ou Fred Perry ont la chance d’avoir émergé dans le milieu skinhead au moment où celui-ci était encore cosmopolite et apolitique. Ce n’est pas le cas de Lonsdale, qui préférerait le rayer de sa biographie. C’est dans les années 80, en pleine droitisation du mouvement, que la popularité de la marque de boxe a largement enflé. Le truc des jeunes fafs, c’était de porter leur blouson ouvert sur un sweat ou un t-shirt estampillé Lonsdale, ne laissant apparaître que les lettres « NSDA ». Un clin d’œil au NSDAP, le parti nazi allemand. Une association d’images évidemment embarrassante. Pour s’en détacher, la marque avait livré en 2003 une campagne antiraciste, portée par le slogan « Lonsdale loves all colours ». À vrai dire, les skins se moquent d’être dans les bonnes grâces des marques qu’ils affectionnent. Ils se dressent par nature contre tout ce qui relève du conformisme et des tendances commerciales fugaces. « Être skinhead, ce n’est pas une mode, c’est un mode de vie. » Gildas Lescop a le sens de la formule. « La mode skin actuelle, on lui chie un peu dessus », renchérit sèchement le groupe Oi! Traître, avant de refuser de répondre à nos questions. Récemment, c’est Beyoncé qui s’est attiré les foudres de la communauté. Dans le clip Flawless, un bataillon de figurants déguisés en skins s’agite entre les murs de la Maison de l’architecture. Parmi eux, quatre vrais « neuskis » parisiens. Très vite, la nouvelle se répand et les acteurs d’un jour, accusés de « vendre l’âme du mouvement », essuient une giclée de critiques sur les forums et réseaux sociaux. Il ne fait pas bon fricoter avec la culture dominante. Les skins refusent en bloc la dilution de leur sousculture dans la sphère pop. Ils se doivent d’emmerder le système coûte que coûte, même s’il les allèche avec de gros billets. C’est viscéral, indiscutable. Les skins sont devenus « overground » malgré eux. Ces affranchis qui s’étaient créés une panoplie à contre-courant des tendances et des conventions font paradoxalement la mode d’aujourd’hui. Une mode qui se nourrit en permanence des déviances, qui engloutit les cultures marginales, l’anticonformisme. « Ce n’était pas ce qui était prévu au départ », ironise Maître Madj. Reste à savoir si, désormais empoigné par le mainstream, le mouvement skinhead a toujours un sens, une essence. Âpre et piquante. 22
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Jim Morrison au Père -Lachaise la vie après la mort Il l’a payée sa cotisation pour rentrer dans le club des 27. Le samedi 3 juillet 1971, le groupe très fermé des stars décédées lors de leur 27e année a accueilli en son sein Jim Morrison. Chanteur ultra charismatique des Doors, auteur et poète de la modernité américaine, il était connu dans l’intimité pour réfléchir, beaucoup. Donc la mort, il y avait pensé, elle le fascinait, il a voulu la tester pour finir par lui succomber. Il a laissé derrière lui très peu de proches éplorés que compense une foule d’inconnus désespérés. Aujourd’hui, quarante-quatre ans après sa mort, il aura eu bien plus de spectateurs depuis son cercueil au Père-Lachaise à Paris que sur scène partout dans le monde.
Texte de Nina Kauffmann Photos de Igor Geneste
Ilaria, 17 ans, Italie.
Un samedi de septembre, le XXe arrondissement de Paris, de grosses averses et une température suffisamment élevée pour avoir oublié de se munir d’une veste. C’est presque instinctivement que l’on se dirigerait vers le Père-Lachaise. Le cimetière est un lieu qui rime avec ce climat typiquement parisien, lorsque l’on pleure les morts, on aime que le ciel les pleure avec nous. Ouvertes depuis 8 h 30, les portes majestueuses du 8, boulevard Ménilmontant nous renseignent sur la stature du site pleinement intégré dans la Ivy League des monuments de la Ville lumière. La pluie fait luire les pavés sur lesquels quelques badauds, la tête baissée pour ne pas glisser, arborent fatalement un air triste, recroquevillés sous leur parapluie. La fortune ou leur Guide du routard les conduisent vers la seule tombe du cimetière punaisée par Google Map, celle de Jim Morrison. Que fait-il ici ? L’atmosphère qui imbibe le calme mortuaire de ses voisins inanimés dénote avec l’image que l’on se fait du Lizard King qu’on imaginerait plus méditant en plein cœur de la sécheresse du désert américain, sous substances hallucinogènes.
Oscar, 54 ans, Mexique.
C’est l’incompatibilité des deux univers qui fait que cette tombe a toujours été perçue comme un élément perturbateur à l’égard de toutes les autres. Depuis la mort de la star des Doors, en 1971, de folles anecdotes immorales et bien trop vivantes hantent l’histoire du Père-Lachaise. Petites culottes, plants de marijuana, préservatifs et flots d’alcool semblent avoir un temps cohabités aux alentours de sa sixième division. Pourtant, ce matin bruineux de 2015, quarante-quatre ans plus tard donc, on semble loin de la légende urbaine. Un petit délit de faciès aiderait à imaginer l’allure d’un fan de Jim Morrison. À sa place, aux abords des restes du poète encerclés de caveaux bien plus « fancy » que le sien, c’est le cliché du touriste qui nous accueille.
S e l f i e av e c l a m o r t Les premiers arrivés sont une famille d’Italiens avec deux enfants pas même âgés de 10 ans et quatre parkas Queshua. Le père aimait beaucoup les Doors étant 23
Iker, 35 ans, Turquie.
jeune, apparemment pas assez pour transmettre son enthousiasme à sa progéniture qui ne jure que par One Direction. Le défilé est lancé. Après leur départ, Jim ne se retrouvera plus jamais sans visiteurs. Contrairement à la plupart des cimetières souvent désertés par les vivants, qui se donnent bonne conscience une fois par an à la Toussaint, le Père-Lachaise a la particularité de rendre ce lieu macabre attractif. Comme au musée Grévin, on va prendre une photo devant sa star préférée. La sacralité de la mort rencontre celle de la célébrité et offrent des comportements parfois déroutants. Sorti de nulle part, le gardien assigné aux 43 hectares pendant quelques heures interrompt volontiers sa ronde pour partager son vécu aux côtés de la personnalité la plus visitée du parc : « On est dans une culture du tourisme fast-food, les gens viennent prendre une photo et s’en vont, ils ne profitent pas de l’endroit. J’ai aussi travaillé dans des musées. Un jour, j’ai demandé à un monsieur qui avait fait le tour d’une exposition en 10 minutes pourquoi il allait si vite. Il m’a répondu qu’il prenait tous les tableaux en photo et qu’il les regarderait chez lui en rentrant. »
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J’irai cracher sur les autres tombes
Beaucoup viennent convaincus de se rendre sur un lieu incontournable de la capitale mais sans avoir réellement révisé. « De quoi est-il mort déjà ? » questionne timidement en anglais une quinquagénaire dans son poncho imperméable et transparent acheté 5 euros devant l’entrée du cimetière. « D’une overdose, sûrement. », lui répond son mari habillé de la même façon mais en XL. Certains écoutaient les Doors quand ils étaient jeunes, beaucoup sont surpris par la sobriété de la sépulture, tous ont une manière mécanique de rendre hommage au cadavre. Des flashs, des perches à selfie, des smartphones, parfois même avec de la mise en scène. Une petite dame aux cheveux grisonnants rassemblés en catogan a même apporté une bouteille de Jack Daniel’s, puis s’est mise à poser en train de la boire derrière l’objectif d’une acolyte.
L’environnement de la tombe indique lui aussi qu’il n’a jamais été pensé pour être visité. Jim se trouve coincé entre de multiples autres caveaux, dont son voisin le plus proche se trouve être ironiquement l’inventeur de la taxe sur l’alcool et le tabac. L’accès est peu visible, mais une fois que l’on arrive à entrevoir les couleurs des fleurs déposées pour la star, des barrières délimitent un périmètre de sécurité empêchant de s’en approcher. Les visiteurs express restent sagement derrière, jonglant maladroitement entre les différentes sépultures, les flaques d’eau et un immense platane qui était là bien avant toute cette agitation. Pas un écart de conduite, pas un mot plus haut que l’autre, le comportement général est exemplaire. La fantaisie viendrait peut-être des différents guides qui encadrent tous ces touristes. C’est le gardien qui les évoque en premier : « J’espère que vous allez voir des guides, mais attention parce qu’ils sont rivaux, chacun prêche pour sa paroisse, ils sont marrants. C’est un peu la guerre des guides. »
« Les tickets de métro sur lesquels les gens laissent des messages c’est la nouvelle mode sur les tombes. » Patrice, un gardien du Père-Lachaise
Mais au second plan qu’y a-t-il réellement à immortaliser ? Bien qu’il y ait eu une évolution, la simplicité de la tombe ne correspondra jamais à la force médiatique déployée par Jim Morrison de son vivant. Vingt disques d’or pour quatre ans de carrière et seulement cinq personnes pour assister à son enterrement, dont aucune ne faisait partie de sa famille. Jusque dans les années 90, c’est donc la plus grande sobriété qui a été choisie pour la sépulture, un simple tas de terre délimité par des coquillages. Puis l’influence des fans a commencé à se manifester avec l’apparition d’un buste du chanteur réalisé par l’artiste croate Mladen Mikulin, volé, puis re-sculpté pour se faire dérober à nouveau. Vingt ans après sa mort, le père de Jim Morrison prend enfin les choses en main et installe la stèle que l’on peut voir aujourd’hui, toujours sobre, avec son nom complet, ses dates de naissance et de mort, et une expression en grec signifiant« Fidèle à son esprit » sur une plaque de bronze.
Même si des preuves d’affrontements verbaux comme physiques sont difficiles à trouver, on constate bien différents types de personnages. Le plus excentrique d’entre eux a les cheveux longs et bouclés, presque tout droit sortis de l’époque du vivant de Jim. Dans un anglais proche de l’incompréhensible, il apostrophe toutes les cibles qui pourraient se laisser entraîner dans son petit jeu d’acteur et lui donner un bon pourboire à la fin.« Look ! The daughter of Jim Morrrrison ! » hurle-t-il en montrant une jeune fille pensive appuyée contre le platane. Dès qu’il réussit à attraper une ou deux personnes dans ses filets, il leur promet la tombe d’Oscar Wilde en les invitant à le suivre, « Come on… Baby, light my fire ! » Les touristes s’exécutent avec en prime un petit rictus. Il laisse alors la place à son exact opposé, un Britannique en trench et parapluie au manche doré, attendri, devant son audience, par le dévergondage des jeunes fans des années passées. Sans se croiser, lui succède pour finir un francophone, bedonnant et pressé, répétant une demi-douzaine de fois en moins de cinq minutes que, malgré la popularité de l’endroit, « il n’y a vraiment pas grand-chose à voir ». 24
Aurait-il raison ? Notre soif pas toujours saine d’anecdotes croustillantes et de sensationnel n’arriverait donc pas à être étanchée par le comportement de fans d’un des plus grands anticonformistes du siècle passé ? « Avec la pluie, vous ne verrez certainement pas d’énergumènes », affirme le gardien en endossant lui-même le rôle de l’indiscipliné et en s’en grillant une petite devant les vieux os de Jim. Pourtant, il y a seulement un peu plus de dix ans, pour les trente ans de la mort de l’artiste, toute la presse française relatait l’attrait mystique que suscitait la présence du cadavre de Jim Morrison au Père-Lachaise. Télérama s’amusait de l’histoire de « cet Australien venu pour être photographié nu sur la tombe » ou de « ce jeune couple venu juste après l’horrible film d’Oliver Stone sur les Doors. Ils ont voulu échanger leur sang, comme dans le film, mais ils n’avaient pas de couteau. Alors, la fille a commencé à mordre le bras du garçon, puis à sucer, sucer encore. Mais rien ne venait. Quelqu’un a demandé un couteau pour que la fille arrête. C’était abominable. » Moins trash mais plus visuelles, des vidéos YouTube prises par des amateurs montrent des images de jeunes en 1990 assis sur la tombe, sous substances plus ou moins licites, crier la gloire de leur idole. Des émeutes avaient même eu lieu, lors des vingt ans de sa mort, quand le personnel du cimetière avait décidé de fermer les portes durant cette journée si importante pour les fans. « J’ai toujours été attiré par tout ce qui parlait de révolte contre l’autorité. J’aime les idées qui parlent de détruire ou de renverser l’ordre établi. Je m’intéresse à tout ce qui traite de la révolte, du chaos – et surtout aux activités qui semblent n’avoir aucun sens. » Ce pur état d’esprit transgressif, pensé par Morrison lui-même, a poussé des admirateurs à agir à son image des années durant, et sur sa propre tombe. « Jusqu’à la fin des années 90, cette petite portion du Père-Lachaise était surtout connue pour être l’un des endroits de Paris où l’on pouvait acheter et consommer sur place de la drogue. Les récits des plus anciens travailleurs et habitués du cimetière parlent de dealers mêlés aux fans de Jim (parfois eux-mêmes passionnés par la musique des Doors) en train de vendre haschisch, marijuana et drogues synthétiques, dans une ambiance qui rappelait beaucoup plus celle d’une rave party que celle d’une nécropole. » D’après Michelangelo Giampaoli, un universitaire qui a travaillé sur la sépulture de Jim Morrison, il y a eu une réelle période de troubles, toujours avec cette volonté de respecter l’esprit de l’idole.
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Croisé plus tard dans la journée, un homme originaire du sud de la France raconte qu’il est déjà venu, il y a trentecinq ans : « C’était seulement quelques années après sa mort. On est venu très tôt parce qu’à l’époque Morrison, c’était Morrison, et ça le restera. La tombe était un peu isolée, il n’y avait pas toutes ces barrières. C’était une grande fête, il y avait des haut-parleurs, des gens qui mettaient de la musique, qui plantaient du shit, qui en fumaient, qui prenaient des cuites. C’était une vraie cohésion, il y avait l’esprit Morrison qui était là. » Et lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de l’endroit aujourd’hui, il répond d’un air désolé : « Il n’y a plus tout ça, mais ils font ce qu’ils peuvent. Ils protègent les édifices aux alentours parce que c’est sûr qu’il y aurait des détériorations, malheureusement. » L’espace était si démesurément petit, comparé au besoin d’expression des fans, que les graffiti se répandaient sur les tombes voisines, desquelles on piquait au passage les fleurs pour les offrir à Jim.« L’idée est de protéger les tombes alentour, que les fans de Jim Morrison ne respectaient plus », confirme le gardien. Des mesures ont donc été prises pour contenir le phénomène : des CRS les jours d’anniversaire de sa mort et de sa naissance dans les années 90, un gardien spécialement assigné à la sépulture de Jim Morrison dans les années 2000 et l’installation d’un faux lampadaire dans lequel étaient placées deux caméras. Un subterfuge qui faisait d’ailleurs la risée des habitués et des plus malins. Toute l’année, l'endroit ferme ses portes avant le coucher du soleil. Bien qu’a priori il s’agisse d’un élément passepartout, les autorités ont donc choisi pour camoufler leur surveillance la seule installation absente de tout le reste du cimetière. Sherlock Holmes se serait retourné dans sa tombe si elle avait été au Père-Lachaise.
Aujourd’hui, le lampadaire est toujours là, mais sans caméra, et les gardiens, faute de budget, ne sont absolument plus mandatés pour surveiller particulièrement cet endroit. Aucun incident n’est à déplorer depuis un moment, mais des bracelets fleurissent depuis peu sur les barrières métalliques. D’un comportement transgressif on est passé au mimétisme, à l’image des centaines de chewing-gums collés sur le platane qui n’avait décidément rien demandé. Difficile d’attribuer une symbolique claire à ces démarches.« Il y a les tickets de métro aussi, sur lesquels les gens laissent des messages, précise le gardien. C’est sur plusieurs tombes et c’est la nouvelle mode, je dis que c’est un phénomène de« panurgie ». C’est surprenant, ça a commencé on ne sait comment et puis voilà, tout le monde fait pareil derrière. »
poser sa bière sur le caveau voisin. On comprend qu’on est désormais loin de la débauche des années 70. Les deux hommes s’expliquent et Oscar revient vers les barrières. Il semble peiné : « Au Mexique, on rit de la mort et on danse sur les tombes. Je n’ai rien fait pour manquer de respect à qui que ce soit. » La petite assemblée lui assure qu’elle le comprend et que son« agresseur » était un« moron ». La (non) rébellion atteint son climax quand Iker enjambe les barrières pour prendre une photo tout prêt de Jim. Il est suivi par quelques-uns qui attendent sagement que la personne avant eux ait fini. La bonne humeur et la cohésion ressemblent à celles que l’on retrouve à la sortie d’un stade après une victoire : profondément liés par une cause commune, tous ces gens savent pertinemment qu’après ce moment de partage aucune de leur vie ne se recroisera.
« Il y a 35 ans, quand je suis venu pour la première fois, c’était une grande fête, il y avait des haut-parleurs, des gens qui mettaient de la musique, qui plantaient du shit, qui en fumaient, qui prenaient des cuites. Il y avait une vraie cohésion. » Franck, un visiteur régulier de Jim
Esp r it , e s - t u là ?
Le ticket de métro, dernière tendance
Si plus personne ne prend de cuite sur la tombe de Jim Morrison, il y a toujours jusqu’à 10 000 visiteurs par jour qui passent, pour 80 % d’entre eux, par la dernière demeure du rockeur. Tout est une question de timing. Le magnétisme du chanteur opère encore et pas seulement sur les selfie sticks. Cette fois-ci, c’est la fin d’après-midi qui est plus propice à déclencher l’étincelle d’une rencontre de vrais passionnés. Entre Iker, Oscar ou encore Ilaria, les conversations se font plus drôles : « Je viens parce que Jim Morrison était mon grand-père », explique très sérieusement l’ami d’Iker ; ou plus profondes : « Jim Morrison est clairement la personne qui m’a fait devenir un homme », déclare d’une voix émue Oscar, la cinquantaine, accompagné de sa jeune femme. Depuis le début de la journée le lieu semble être l’un des endroits les plus cosmopolites de Paris : des groupes de touristes polonais,« ceux qui ont tous des oreillettes rouges », souligne le gardien ; Iker, venu en vélo de Turquie ; ou encore Oscar, arrivé spécialement du Mexique pour rendre hommage à son idole. À cela s’ajoutent deux jeunes Italiennes qui rejoignent l’atmosphère plus détendue et authentique de cette fin de journée. Pas plus haute que 17 ans, l’une d’elles, Ilaria, chante sans complexe le morceau The end devant la dizaine de personnes présentes. Les portables prennent le relais pour diffuser la musique du groupe, des bières s’échangent. Bien que venus à deux, les amis stambouliotes en avaient apporté pour tout le monde. La discussion glisse sur le versant poétique du musicien : « J’aime beaucoup sa musique mais sa philosophie et sa poésie sont vraiment différentes des autres artistes, c’est autre chose. Ses mots sont parfaits. » Pour ensuite s’aventurer vers des débats plus sombres : « Pour moi, sa mort est une tragédie, ils ont dit qu’il avait fait une overdose, mais c’est faux. Il a été tué par la CIA parce qu’il en savait trop. Son père était un militaire, vous savez. » Un trouble-fête interrompt Oscar pour lui expliquer sèchement qu’il n’a pas à 25
La guerre des guides, ici le camp britannique
En 2015, la transgression est devenue moins violente, plus estompée. Mais si presque chaque jour de petites étincelles de ferveur éclatent accidentellement entre quelques admirateurs d’un feu qui a démarré il y a plus de quarante ans, on reste bien dans le domaine de l’insolite. Les médiators, cigarettes, bouteilles et même les bracelets ou chewing-gums laissés là sont autant de traces de quelques fidèles qui veulent continuer à faire revivre les morts. « Au fond, Jim Morrison n’est pas mort, révélait Ray Manzarek, le pianiste des Doors en 2001. Je ne l’ai pas vu depuis trente ans, c’est tout. »
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Explication de texte
Jason Mitchell O’Shea Jackson Jr &
Avec
Bien avant sa sortie en salle, tout le monde en parlait déjà. Straight Outta Compton, biopic inspiré de l’épopée du groupe revendiqué comme le plus dangereux du monde N.W.A, est sans aucun doute le film événement de la rentrée. De passage à Paris, Jason Mitchell et O’Shea Jackson Jr., incarnant respectivement Eazy-E et Ice Cube sont certainement les deux révélations du long métrage. Ils s’expriment sur quelques sujets d’actu en relation plus ou moins directe avec le film. Les propos, tout comme l’attitude, seront gangsta ou ne seront pas.
Texte de Terence Bikoumou Portraits de Yoann Guérini
0 4 . 0 4 . 2 0 1 5 . M eurtre de W alter S cott , les violences raciales de la police am é ricaine Jason : La France a une version de Fuck the police, donc ce n’est pas juste un problème américain. La violence raciale des forces de l’ordre occupe une importante partie de l’histoire américaine, de l’histoire du hiphop, de l’histoire des Noirs. Tout le monde ne fait pas de mauvaises choses, donc tout le monde ne devrait pas souffrir pour ceux qui sont malhonnêtes. Les policiers sont en guerre contre les gangs qui sont habillés comme les jeunes Noirs, mais ils ne font pas la différence entre les deux, du coup ils sont en guerre contre tout le monde. Et c’est devenu la norme. Désormais quand tu vois un flic derrière toi, tu te demandes si tu es en règle, tu palpes tes poches, tu n’as jamais pris de drogue mais tu vérifies si tu n’en as pas sur toi, tu t’assures d’avoir ton permis… Pourquoi ? On ne devrait pas avoir à se sentir comme ça quand on rencontre la police. O’Shea : La police est censée être un service, elle est supposée travailler pour les citoyens. La raison pour laquelle on n’entend pas « Nique les pompiers », c’est parce qu’ils rendent vraiment ce service. Les policiers devraient être des individus que l’on considère comme des héros dans nos quartiers, mais ils ne le sont pas. Il y a des problèmes qu’ils ont besoin de régler en interne, ensuite, peut-être que les gens cesseront de dire « fuck the police » et de les diaboliser.
Le cortège accompagnant les funérailles de Walter Scott quelques jours après sa mort.
Straight Outta Compton n’est pas un film anti-forces de l’ordre mais un film anti-mauvais flics visant ceux qui rendent le mot « policier » péjoratif. Quand tu portes le badge, tu fais un serment, il n’est pas possible que le mauvais flic le respecte. À Los Angeles, il est écrit sur leurs voitures « To protect and serve », mais protéger et servir qui en fait ? Ils doivent se poser des questions avant de pointer le doigt sur nous. C’est arrivé à un point où quand ils t’arrêtent, la première chose à laquelle tu penses, c’est comment tu vas rentrer chez toi. Que doisje faire, à quoi dois-je obéir pour être sûr de voir ma famille à nouveau ? J’irais en prison tout de suite si cela me garantissait de ne pas être tué. Je préfère me battre aux tribunaux, juste pour revoir ma famille. C’est dans ce genre de monde que l’on vit aujourd’hui. Jason : On ne dit pas qu’il ne faut pas traiter un criminel comme un criminel. Si quelqu’un s’introduit chez moi, me vole, je veux pouvoir appeler la police. Mais je veux aussi être en confiance quand je le fais. Aujourd’hui, je n’ai pas envie de me retrouver seul avec eux. J’ai besoin d’avoir quelqu’un avec moi, ou une caméra, je ne sais pas.
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1 4 . 0 8 . 2 0 1 5 . S ortie de S t r a i g h t O u t t a Comp t o n , le succ è s du film au bo x - office 2 9 . 0 7 . 2 0 1 5 . S ortie de B a c k To B a c k , le beef D rake vs . M eek M ill O’Shea : Dans un sens, les rappeurs sont supposés rapper. En temps normal, quand tu commences un battle tu te dois de le terminer, mais c’est censé se dérouler au micro. Quand tu t’en éloignes, c’est là que ça devient dangereux. Gardez ça entre votre stylo et votre feuille, gardez ça sur les ondes et tout devrait bien se passer. Laissez Twitter tranquille. Qui l’a gagné ? Voyons, gars ! Je pense que c’est unanime, c’est un combat contre Mike Tyson !
0 7 . 0 8 . 2 0 1 5 . S ortie de Comp t o n , le nouvel album de D r . D re Jason : J’adore l’album ! Le truc avec Dr. Dre, c’est qu’il n’a pas peur de mettre en avant un artiste. Pour lui, il s’agit simplement de faire le meilleur son qui soit, c’est tout simplement un grand fan de musique. Il sait tirer le meilleur des personnes qui l’entourent, juste en les écoutant une idée peut lui venir. Tu nous imagines six ans auparavant (début de la production du film, ndlr) si on avait dit à Dre : « On aurait besoin d’un autre album ! » Je ne l’aurais pas imaginé s’asseoir et répondre : « Tu sais quoi ? Je crois que je vais retourner en studio ! » (Rires.) C’est incroyable, on n’aurait jamais pensé lui inspirer ça.
O’Shea : Il nous a expliqué que de nous voir sur le tournage l’avait inspiré. Ça montre qu’on l'a vraiment marqué ! Donner envie à Dre de revenir en studio pour nous bénir avec un nouvel album, c’est lourd. Je me sens lié à chacun des morceaux, ils me rappellent automatiquement Straight Outta Compton. Les gens me demandent de le comparer à The Chronic 2001, Compton a Ice Cube (père d’O’Shea Jackson Jr) dedans, donc Compton est meilleur !
O’Shea : C’est rafraîchissant ! Quand tu es dans ta bulle, tu ne sais pas vraiment comment le monde extérieur va recevoir ce que tu vas proposer. Nous connaissons la quantité de sueur, de sang et de larmes que nous avons investie dans ce projet. Que les gens apprécient le film, qu’ils acceptent ce qu’on a fait, c’est ce qu’on souhaite en tant qu’artiste. On ne peut pas être plus heureux de la façon dont les choses se passent : du hashtag « #straightoutta » que tout le monde utilise sur les réseaux sociaux, à l’amour que l’on a reçu sur Twitter de la part de Magic Johnson, Oprah… être placé au box-office est une bonne chose pour ce genre de film, les studios arrêteront peut-être d’être frileux.
« Straight Outta Compton n’est pas un film anti-forceS de l’ordre mais un film anti-mauvais flics. » Jason : Les studios ne font pas trop confiance aux jeunes Noirs pour faire des longs métrages. Alors, pour nous, représenter un casting de nouveaux acteurs sur une grosse production d’Universal qui casse le box-office… Qui aurait pu penser ça ? Déjà, on se devait de faire un film authentique, car il y a un tas de gens qui ont vécu à travers cette époque. Lors d’une session de questions-réponses à Detroit, un gars nous a dit qu’il était au fameux concert de N.W.A à Detroit, lorsque tout est parti en sucette et que les flics ont rappliqué. C’est fou ! Imagine si on était dans le faux, certains pourraient dire : « Ils mentent, j’y étais ! » Alors que nous ayons fait un bon score au box-office et que le public aime ce film, c’est fou. On a espéré ce succès, tout le monde y a pensé. O’Shea : Quand on parlait de box-office, je voulais juste qu’on arrive à 35 millions de recettes. Tout le monde aurait eu un peu de sous, on aurait été bien. Et ça a atteint 50 millions ! De 50 on passe à 60 et maintenant on est au-dessus de la centaine, tu ne peux rien me dire ! Je peux faire des pompes tous les matins en me disant : « Je suis un gagnant, je suis un gagnant. » (Rires.)
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INTERVIEW
G aspar Noé « J e n e p e ns e p a s q u e l e s b o u r g e o is s o i e nt pi r e s q u e l e s p a u v r e s , c ’ e st j u st e q u ’ ils o nt l e s m o y e ns d ’ ê t r e p u a nts . »
Pour Gaspar Noé, les rebelles, ce sont ses parents. Fils d’exilés politiques argentins dans les années 70, Gaspar, l’adolescent, découvre une France « ouverte » sous Valéry Giscard d’Estaing. Le cinéma comme automédication pour traverser les divers déracinements, il le consommera jusqu’à l’overdose pour engendrer lui-même quatre longs métrages. Seul contre tous, Irréversible, Enter The Void et Love sorti cet été, ont tous été aussi polémiques les uns que les autres. Gaspar, l’homme, a contracté la maladie de la rébellion passive. Il ne vote pas aux élections républicaines ni ne se rend aux Césars, il se laisse paisiblement oublier à la marge pour être sûr de pouvoir faire vraiment ce qu’il veut.
Propos recueillis par Nina Kauffmann Photos de Lenie Hadjiyianni
« J’ai grandi au milieu des filles nues et des peintures, c’était les années 70 quoi. »
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« Quand je regardais les César avec Vincent Cassel et Monica Bellucci, on se disait clairement : " Ah putain, j’aimerais pas être parmi eux. " »
Peux-tu résumer ton enfance avant d’arriver en France ? Mon père est un artiste peintre dont la carrière a commencé dans les années 60 en Argentine. Il faisait partie d'un groupe de quatre peintres très transgressifs qui étaient un peu les Beatles de la peinture argentine. Ensuite, il a eu une bourse Guggenheim (qui finance artistes et chercheurs sur le continent américain depuis 1925, ndlr) pour continuer à faire des tableaux aux États-Unis. Quand je suis né, ils y sont partis et j’ai grandi à New York en pleine période pop art, avec tout ce que ça a de meilleur et de pire. Quand j’ai eu 5 ans, mes parents sont retournés à Buenos Aires, où j’ai donc vécu jusqu’à mes 12 ans. Là-bas, ma mère était assistante sociale, elle avait travaillé aussi à NY avec des Portoricains, à leur contact elle était devenue de plus en plus politisée. Quand j’avais 12 ans, il y avait une dictature (à la suite du coup d’État de 1976, la dictature militaire argentine engendrera entre autres 1,5 million d’exilés) qui a poussé mes deux parents à se casser du pays, et c’est comme ça que je me suis retrouvé en France. Tu as donc été élevé dans un univers très culturel… Oui, très cultivé et politisé. Par exemple, mon père donnait des cours de peinture quand j’étais en Argentine, il faisait venir des filles nues pour les peindre. Donc j’ai grandi au milieu des filles nues et des tableaux, c’était les années 70 quoi.
Il y avait très peu de limites ? Si, il y avait des limites. Mes parents n’étaient pas du tout portés sur la drogue. Jusqu’à la fin, ma mère pensait que la drogue était malsaine et me disait que je pouvais tout à fait avoir une vie de réalisateur sans avoir recours à ces produits-là. Kubrick considérait que son meilleur ami était son cerveau, donc qu’il ne pouvait pas se permettre de jouer avec. Pourtant il a fait un des plus grands films psychédéliques de tous les temps. Mes parents c’était pareil, il y avait des choses qu’ils considéraient valables et d’autres non. As-tu vécu les différents déplacements de tes parents avec toi entre New York, l’Argentine, la France comme des déracinements ? Non. Tu n’es pas déraciné si tu es avec tes parents que tu aimes et qui t’aiment. Mon père était parti six mois plus tôt en France, quand on l’a rejoint avec ma mère j’étais trop heureux de le retrouver, en plus dans un pays qui était bien plus libre que l’Argentine de l’époque. Je pouvais acheter des BD tous les jours, voir des super films tout le temps à la télé ou au cinéma. C’était l’époque de Giscard, où bizarrement tu pouvais regarder Délivrance (de John Boorman, connu pour la violence et le pessimisme de son cinéma) à la télé à 20h30 sur une chaîne publique. On avait la naïveté de penser que les Français étaient assez intelligents pour interdire à leurs enfants de regarder la télé quand il y avait un petit rectangle blanc. Tu répètes souvent que 2001 : l’odyssée de l’espace de Kubrick est ton film préféré. Que représente-t-il pour toi ? Pour le premier de l’an tu as tous ces trucs où les gens dramatisent : « Tu le fais avec qui ? Tu fais quoi ? » Tout le monde devient fou. Donc moi, il y a un rituel que j’aime bien, tous les 31 décembre je suis enfermé dans ma grotte en train de regarder un film pour me recentrer le cerveau. Je vais mettre La nuit du chasseur ou Querelle, mais celui que j’ai regardé le plus souvent, c’est 2001, pour avoir la garantie de bien commencer l’année. Qu’est-ce qu’il a de plus pour toi ? Il est tellement en avance sur son temps concernant la prévision d’un monde futur. Kubrick avait beaucoup collaboré avec la NASA à l’époque. Des films qu’on appelait futuristes et qui sont encore valables, il n’y en a pas beaucoup. Bien sûr il y a des choses un peu pop art, notamment la manière dont les hôtesses de l’air sont habillées, qui sont un peu désuètes. Mais dans toutes ses prédictions sur l’avenir de l’intelligence artificielle, des communications sur Terre, ça pèse plus lourd que n’importe quel film. 29
Le mec a fait une grande œuvre, il a accompli quelque chose de magistral. Ça me fait penser à l’architecture où tu as des temples, des églises, et tu te demandes comment les gens ont fait ça à l’époque. Les pyramides d’Égypte, ça fait à peine deux ans qu’ils ont découvert comment elles avaient été construites. Dans le même esprit, Kubrick, c’est un gars qui s’est mis en tête de faire quelque chose de plus grand que le cinéma. Metropolis était bien plus grand que son époque, King Kong aussi… Mais je n’ai pas la sensation que Star Wars entre dans cette catégorie, 2001 oui. En science-fiction il y a beaucoup de films, mais pour faire monter le cinéma à un niveau supérieur, il est tout seul. C’est juste un long métrage plus grand que tout ce que j’ai vu au cinéma. Kubrick était athée et il avait dit qu’avec 2001 il avait fait un grand film religieux athée. Il ne vend pas de dieu, il n’est pas associé à une quelconque doctrine. Je suis un athée convaincu, mais c’est vrai que les mystères de l’univers sont immenses et Kubrick a réussi à faire un film sur ce sujet. C’est fabuleux, tu as envie d’y croire comme à une messe ou à un discours religieux. Ça rentre quelque part dans ton système mental d’une manière abstraite, peu ont réussi à y parvenir.
« Je suis désengagé politiquement, je n’ai jamais voté de ma vie. »
Un réalisateur doit-il montrer des engagements idéologiques, politiques ? Je suis désengagé politiquement, je n’ai jamais voté de ma vie. Mes parents, ma mère encore plus que mon père, étaient très politisés. J’ai grandi dans un climat de vraie gauche, ce qui a quand même eu comme conséquence pour notre famille la nécessité de quitter le pays. Je ne me suis pas forcément opposé à cet héritage politique, c'est juste que je n'y crois pas. Mes parents avaient des convictions plus liées aux idées communistes qu’aux idées occidentales et mon père a travaillé à l’avenir de Cuba. Récemment j’y suis allé et je lui ai raconté ce que j’ai vu. Il m’a dit : « Oh putain, quand je pense que toute ma vie j’ai cru que Cuba pouvait devenir l’utopie qui arrive à terme, aujourd’hui on en est tellement loin. »
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On constate pourtant que dans tes films les questions de la classe sociale et celle de la domination bourgeoise reviennent souvent. Je ne pense pas profondément que les bourgeois soient pires que les personnes des classes moyennes ou des pauvres, c’est juste qu’ils ont les moyens d’être puants. Le prolo rêve d’être bourgeois justement pour pouvoir être puant avec les autres. C’est Buñuel qui disait ça quand il faisait la promo de Los Olvidados : « Il faut arrêter de dire que les pauvres sont mieux que les riches. » À l’arrivée, l’espèce humaine reste toujours la même. Tu as le même code génétique, il n’y a pas une couleur de peau qui est plus ou moins raciste, tu as juste des gens qui ont les moyens d’afficher leur racisme. Tu as créé très jeune ta société de production, Les cinémas de la zone, pour être indépendant. Penses-tu que la relation avec un producteur est problématique ? Quand tu crées ta boîte de prod, ce n’est pas parce que tu aimes être producteur, c’est juste que tu te mets dans une situation où tu veux avoir le dernier mot par rapport aux prises de risques. Mais si tu trouves un mec un peu blindé qui a de l’argent de famille et qui peut s’associer avec toi sans être stressé s’il perd 10 000 euros, autant faire ça. La plupart des gens qui ont de l’argent de famille sont éduqués depuis leur plus tendre enfance à ne pas le dépenser, si ce n’est pour s’acheter de la coke. J’en connais très peu qui ont le pouvoir d’agir et qui font vraiment autre chose que des plans narcissiques. Comme disait Pasolini dans Salò : « Les gens dédient toute leur vie à obtenir du pouvoir, mais quand ils l’ont, ils ne savent pas quoi en faire. À part se prouver qu’ils l’ont en forçant d’autres personnes à faire des choses contre leur volonté. » Tu as pourtant déjà remercié des producteurs pour les risques qu’ils avaient pris… Quelques-uns, pas tous. Je trouve que Wild Bunch a pris des risques pour moi avec Enter The Void. Au niveau commercial, le long métrage n’a pas bien marché et ils ne me l’ont pas reproché. C’est là que je les ai trouvés glorieux, quand tu crois à un truc, tu continues à y croire. C’est bizarre, tu as souvent ça aussi avec les attachés de presse ; quand ils sont sur un film et que la presse est bonne, ils te disent que c’est grâce à eux ; quand la presse est mauvaise, c’est à cause de toi. Je n’ai pas du tout eu ce genre de rapport avec les gens de Wild Bunch et je les en remercie. Considères-tu faire partie d’un cinéma français ou au contraire te sens-tu à part ? Je fais partie du cinéma français. Après tu as un cinéma commercial français, les César, c’est quand même systématiquement des films commerciaux. Je ne sais même pas si Irréversible avait postulé… Je m’en fous en fait, je n’aimerais pas être inclus dedans. Pour rigoler, pourquoi pas ? Mais avoir un César, je ne sais pas si c’est un cauchemar ou un rêve. Ce qui est sûr, c’est que ça ne m’a jamais obsédé d’en avoir un. Être en compet’ à Cannes, oui, mais l’intérêt, comme ça a été le cas pour Love, c’est d’être diffusé dans la grande salle avec 3 000 lunettes 3D. Tu ne peux souhaiter un meilleur accouchement que d’introduire le film dans cette clinique-là. L’ambiance est super bonne. Les gens étaient bourrés, j’étais bourré, c’était super festif.
as envie d’être à un endroit et pas à d’autres. C’est bien de mettre en valeur le cinéma français. Mais quand on y réfléchit, on pense à celui des années 30, puis à celui des années 60-70. Aujourd’hui, il est super éclaté. D’ailleurs le système français produit énormément de films étrangers. Par exemple, 2046 de Wong Kar-wai est un long métrage français parce que l’argent est français. Enter The Void, c’est de l’argent français mais tourné par un réal étranger, par un chef op' belge au Japon en langue anglaise : alors, est-ce qu’il est français ? Pour moi les fonds qui financent un film n’en font pas sa nationalité. Mais la vraie question est : est-ce que tu dois forcément mettre un film dans une case ? Au-delà donc d’un cinéma français, te sens-tu proche de personnalités du monde du cinéma ? Je suis ami avec Alain Cavalier, Jan Kounen, Alfonso Cuarón, Darren Aronofsky… Tu as tout un ensemble de gens que tu aimes parce qu’ils sont barrés. Et j’apprécie parler de cinéma avec des réalisateurs parce que tu en discutes de manière pratique. Même si chacun suit son chemin, tu as des situations récurrentes dans le métier. Tu peux par exemple te retrouver en embrouille avec des festivals qui te demandent des modifications avant de projeter ton film, tu peux te retrouver face à des producteurs qui ne font jamais remonter les recettes, tu peux te retrouver avec des comédiens complètement chiants. Tu as besoin dans ton système de survie de prendre des infos et de donner des conseils aux autres pour que chacun sache comment s’en sortir dans cette jungle. Discuter avec des réalisateurs, ça te rend plus fort. Irréversible était taxé d’irresponsable par Télérama en 2002, la condamnation de l’immoral a-t-elle évoluée depuis ? Je fais ma route, je préfère ne pas faire attention à ce que l’on dit sur moi. Je lisais récemment un tout petit bouquin sur Clouzot, il disait que pendant toute sa carrière la moitié de la presse était haineusement contre lui et l’autre moitié favorable, et que souvent ça s’inversait. Il faisait son film et des gens comme François Truffaut, par exemple, racontaient des horreurs sur lui parce qu’ils pensaient qu’il était collabo. Et du jour au lendemain ils commençaient à le défendre et ses anciens amis, qui étaient plutôt liés à la droite française, considéraient soudainement qu’il faisait des films de merde. Donc il ne faut pas trop faire attention à ce que les gens disent, tu fais attention à ceux dont l’avis t’importe vraiment. Et souvent ce ne sont pas du tout des personnes liées au cinéma. Mais que les autres parlent en bien ou
Peut-on parler d’une résistance assumée d’un certain cinéma français ? Mathieu Kassovitz ou Vincent Cassel, par exemple, sont anti-César. Je me souviens très bien du jour où Vincent avait été nominé pour le film d’Audiard, Sur mes lèvres. On était ensemble chez lui avec Monica, on regardait la cérémonie à la télé et on rigolait. On se disait clairement : « Ah putain j’aimerais pas être parmi eux. » Bien plus tard, pour Mesrine, il en a vraiment reçu un et il a été super classe quand il l’a eu, il l’a dédié à son père. Mais il y a des moments dans la vie où tu 30
en mal au moment des polémiques, ça les concerne plus eux-mêmes que le film. Au-delà des critiques, ce n’est pas frustrant de voir que le public n’a pas compris ce que tu as voulu faire ? Non. Dans le lot de ceux qui voient ce que tu fais, tu te dis que le message passe. Irréversible, je ne l’ai pas revu depuis super longtemps, je ne sais pas si je le modifierais, mais en tout cas le film est là. Tu ne peux pas changer l’objet. Il y a une citation d’Hitchcock que beaucoup reprennent : « Si j’ai un message à envoyer, je vais à La Poste. » Tu fais des films, pas des messages, c’est une perception d’un truc précis. C’est aussi un « roller coaster » que tu fabriques pour faire peur au public ou pour l’émouvoir. Les messages sont de l’ordre du verbal, avec un film tu transmets des émotions, des frissons ou du désir. Tes films montrent que tu éludes le tabou du sexe. Il y a un tabou du sexe ? Tu ne trouves pas ? Bah, pas pour moi. Les gens en parlent partout. Maintenant que tout le monde a un téléphone portable et Internet, on n’arrête pas de regarder des images de cul et de s’en envoyer. Il n’y a pas de tabou par rapport au sexe, il y a juste des tabous de diffusion sur les chaînes d’État ou privées. Il y a des commissions de classification qui appartiennent à un autre temps. Tout à coup tu classifies des films en sachant qu’à partir du moment où ils vont se retrouver téléchargeables, ou chez les Pakistanais qui le vendent dans la rue, n’importe qui peut les voir. Aujourd’hui les gamins de 10-12 ans ont tous déjà vu des images pornos parce qu’ils ont un portable, ils ont l’ordinateur de leurs parents, ils ont Google. Je ne trouve pas que les images sexuelles soient les choses les plus choquantes que l’on puisse montrer à des enfants, un mec qui se fait décapiter à coups de machette en Afrique, c’est différent. Le truc, c’est comment la société occidentale a pu expurger la représentation de l’acte amoureux de la société civile comme si c’était sale. Au contraire, à la base, c’est juste un acte génétique de reproduction de l’espèce. Qu’après tu mettes des capotes, que tu le fasses avec quelqu’un de ton propre sexe, que tu le fasses de manière non reproductive, c’est autre chose. Mais au départ ça reste un truc pur d’affirmation de la vie de l’espèce humaine ou animale. On devrait au contraire le valoriser, l’exacerber.
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Tout commence par la lettre alpha L ’ h ist o i r e o r a l e d ’ O u s m a n e B a d a r a
Une faille spatio-temporelle. Les mots sont maladroits, mais la percée d’Ousmane Badara dans le paysage rap pourrait être comparée à une anomalie. À quinze ans, il quitte la terre chaude du Sénégal pour la Champagne-Ardenne. Par la suite, ce sont les murs effrités de la cité d’Orgemont, un quartier populaire d’Épinay-sur-Seine, qui l’accueilleront de manière définitive. Au départ les études sont envisagées, mais les business licites et illicites prennent le dessus sur sa bonne volonté, puis le rap se transforme en une activité à temps plein. Désormais, Ousmane se prénomme Alpha 5.20, et son premier projet sort en 2001. À mi-chemin entre la compilation, le « bootleg » et la mixtape, Rimes & Gloire vol. 1 devient la carte de visite d’un rappeur à l’accent du bled, qui rappait avant tout pour manger.
Propos recueillis par Sébastien Darvin Illustrations de Stella Lory
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Shone : « Alpha, c’est un hustler. Avant d’être rappeur, il a commencé par vendre des cannettes à Clignancourt. » Diomay : « Moi et Alpha 5.20, on a commencé très jeunes. À l’époque, tu avais encore la notion de grand et de petit, et nous, d’une certaine manière, on était sous la tutelle du groupe La Brigade. D’ailleurs, dans notre bande, c’était le seul jeune que La Brigade songeait à mettre sur son album. » Fredo : « Je me baladais à Châtelet, lui était vendeur dans un magasin de vêtements, et il m’a reconnu par rapport à La Brigade. Directement, il m’a demandé de faire un morceau avec lui. »
Shone Ami, rappeur et héritier du Ghetto Fabulous Gang
Diomay Premier collaborateur d’Alpha et rappeur
Fredo Premier mentor et rappeur (La Brigade)
K-fEAr Fréquent collaborateur et rappeur (La Brigade)
Pheno Venom Producteur (Pop mon hood, Gangsta gangsta)
Shone : « Je ne vais pas te mentir, la première fois que j’ai entendu Alpha rapper, c’était nul. » Fredo : « Au-delà de l’artistique, c’est l’humain qui m’a plu chez lui. Je l’ai toujours poussé parce qu’il avait quelque chose. Mais j’ai aimé son flow, son concept, même s’il a évolué par la suite car au départ il avait une approche moins gangster. Les premiers titres que j’ai écoutés d’Alpha, tu sentais son côté du bled… Pas dans le mauvais sens, c’est quelqu’un qui a des valeurs du Sénégal, des valeurs qui sont universelles. C’est pour ça que j’ai voulu l’inviter sur l’album de La Brigade. » Diomay : « Alpha avait beaucoup de famille aux États-Unis, donc il avait la possibilité d’y faire des allers-retours. Làbas, la communauté sénégalaise est très présente, c’est elle qui vendait les mixtapes de DJ Clue à New York. Du coup, il avait déjà cette culture des tapes, de prendre des morceaux par-ci, par-là, puis de les rafistoler. »
Jack S Producteur (Boss 2 Panam, Regrets, Les larmes du soleil)
Le.C Directeur du label Banque de Sons
Primo Producteur (Un monde tout blanc)
Juliette Fievet Attachée de presse du film African Gangster
Mehdi Maizi Journaliste (Abcdrduson)
Genono Journaliste (Captcha Mag/Noisey/Le Mouv’)
« G h e tt o F a b u l o u s » Pour se faire une place dans l’univers « rapologique », Ousmane Badara choisit son modèle économique dans le sud des États-Unis, où Master P, un rappeur-entrepreneur, brasse des millions en totale indépendance. Pour matérialiser ses idées, Alpha 5.20 crée son unité, le Ghetto Fabulous Gang, une bande composée de quatre rappeurs tous issus de quartiers différents : Shone, O’Rosko Raricim, KER et Malik Bledoss. L’une des marques de fabrique de la clique, c’est d’abord une hyper-productivité et des sonorités doublées d’une imagerie très française. Casquette Lacoste, Air Max, lunettes Cartier, boubous. Ensemble, ils embarquent l’auditeur dans leurs histoires de « tess », le plus souvent avec une écriture vindicative. Un détail qui les contraint à se marginaliser, même si, en 2005, la famille signe son premier album commun, Gangsters avec de grands boubous. Shone : « Alpha a vécu plusieurs mois aux États-Unis. Il suivait ce qui se faisait là-bas avec Master P, Eazy-E, Cash Money… Des mecs qui autoproduisaient, fabriquaient et vendaient leurs propres CD depuis leur camion. Je n’en avais pas conscience à l’époque, mais
Fifou Graphiste et photographe pour l’album Scarface d’Afrique
Julien Kertudo Directeur de Musicast
Jean-Pascal Zadi Scénariste et réalisateur d’African Gangster
maintenant je me rends compte qu’il avait vraiment réfléchi à un tas de choses. C’est la première personne à m’avoir appris à réinvestir. Par exemple, après la mixtape Boss 2 Panam, on avait écoulé près de quinze mille exemplaires, et il nous a directement proposé de réinvestir notre argent. Quand j’étais jeune, je sortais, je claquais mes thunes, mais lui, c’était vraiment la première personne à me conseiller. J’irais même plus loin, je pense que c’est son ADN du Sénégal. Là-bas c’est comme ça, les Sénégalais sont divisés dans les quatre coins du monde, et peu importe ce
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qu’ils font, ils essaient toujours de faire de l’argent pour la famille restée au pays. » Mehdi Maizi : « On a souvent dit que le rap français ne prenait du rap américain que l’attitude et les dernières tendances à la mode, et pas forcément la productivité, mais eux l’ont prise. » Shone : « On était obligés d’être hyper-productifs pour exister. » Pheno Venom : « Être crédité, ça a toujours été le fruit de longues discussions avec Alpha. Je voulais être remarqué pour mes morceaux, mettre un jingle au début de chaque production, or, lui ne voyait pas l’intérêt. Parfois, je pensais même que c’était une des particularités du rap français. Quand les rappeurs trouvaient un producteur qui sortait du lot, c’était comme s’ils voulaient se le garder. Mais travailler avec lui, ça a toujours été un plaisir malgré les engueulades. En plus, ce qui me saoulait, c’était quand il me disait : " Ghetto Fab t’a mis sur la carte du rap français. " » K-Fear : « Quand je suis allé dans le quartier de Shone à Forest Foss (La Forestière, Clichy-sous-Bois, ndlr), j’étais impressionné. J’ai grandi en cité à Ivry-sur-Seine, mais Forest Foss, tu arrives, tu n’as pas d’ascenseur, les tours sont immenses, les bâtiments sont brûlés. Tu as l’impression d’être coupé du monde. J’étais choqué. Et à partir de là, il y a eu une sincérité à laquelle j’étais sensible. »
« Avant d’être rappeur, Alpha a commencé par vendre des cannettes à Clignancourt. » Shone Shone : « J’ai rencontré Alpha grâce à Fredo, il était plus âgé et connaissait déjà O’Rosko. Moi j’avais mon groupe Holocost et 93 Étendard, mais ce qui nous unissait, c’était plus que le rap, c’était le tiers-monde. J’étais du Burkina Faso, KER était Cambodgien, réfugié politique, O’Rosko était Haïtien. Quant à Malik et Alpha, eux, ils venaient du Sénégal. Je pense que la pauvreté nous a liés. » Mehdi Maizi : « Dans les années 2000, il y a eu un durcissement du rap avec plusieurs rappeurs qui étaient à la mode. Je pense à Alibi Montana, LIM, Sefyu, l’âge d’or de Rohff. Même si c’est réducteur d’évoquer un rap de rue, dans l’imagerie qui était véhiculée à l’époque, on parlait comme ça. Par exemple on disait " street CD ", aujourd’hui on parle d’EP, pourtant les formats sont les mêmes. Je pense qu’Alpha 5.20 était l’un des porte-étendards de ce style. Après, quand on y regarde de plus près, on remarque que ce n’était pas si binaire, pas si simpliste, il y avait une vraie identité. »
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Shone : « Gangsters avec de grands boubous représentait un aboutissement, c’était notre premier album pour nous tous. Une époque où on écrivait sans arrêt, on était des machines. Lorsqu’on rentrait en studio, on ne perdait aucune minute. On avait réussi à être signés en distribution chez Sony BMG. On avait un morceau (Tous les quartiers) pour plaire à un plus large public. Christophe Neny (ancien directeur de la radio Générations) nous avait même accueillis dans ses locaux. Sauf qu’au moment d’être joué en radio… Rien. On avait essayé de discuter, de lui proposer des sous, mais il était catégorique. On était furieux. Après ça, l’album est sorti puis on est revenu à la charge pour lui mettre un coup de pression. Au final, il a accepté de nous jouer, tout en n’oubliant pas de prendre notre argent. Mais pour la première fois qu’on était placé dans les bacs, l’album a très mal marché. Du coup, sur dix mille disques pressés, on a pu en récupérer la moitié pour les écouler aux puces. »
Shone : « Quand on a commencé le textile, les sweats Mafia K’1Fry étaient sur la fin. Tu n’avais pas beaucoup de personnes placées sur le marché, et surtout qui avaient compris l’importance des vêtements. Avec Alpha on a mis nos thunes dedans, conçu notre logo, un peu usé comme à l’image du tiers-monde, et c’était parti. »
« J ’ a i f a i t l e c a u c h e m a r français » En 2005, en pleine visite dans le quartier de La Courneuve, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, se fendait d’une diatribe désormais célèbre pour « karcheriser » la mauvaise graine française. Quelques années plus tôt, les paroles de rap suscitaient débat à l’Assemblée nationale : Sniper fut poursuivi pour propos racistes et antisémites et La Rumeur assigné en justice pour « diffamation publique envers la police nationale ». Quinze ans après, la République française, laïque et indivisible, ne semble toujours pas bercer tous ses concitoyens dans le même landau « Liberté, Égalité, Fraternité ». Sans papiers, migrant, et avec un discours à contrecourant, Ousmane Badara incarnait plutôt la figure de fils illégitime. Un portrait qu’il s’est fait un plaisir d’interpréter dans ses interludes devenus célèbres.
« L’argent c’est rien, l e r e s p e c t c ’ e s t t o u t » Une maxime omniprésente sur chaque livret d’Alpha. Plus que cela, cet adage a régi la carrière du rappeur puisqu’il ne s’est jamais réellement préoccupé d’être disponible à La Fnac et consorts. Bien au contraire, sa réputation s’est forgée hors des réseaux traditionnels, aux puces de Clignancourt. Dans ce marché populaire, Alpha y fait sa promotion et s’en sert pour vendre ses projets et produits dérivés. Un point stratégique, sans intermédiaire, directement connecté à son public.
« Il a rendu Clignancourt noble. Je n’ai pas la prétention de connaître toute l’histoire du rap français, mais personne n’y avait pensé avant, pas à son échelle en tout cas. » K-Fear Jack S : « La phrase d’Alpha, " L’argent c’est rien, le respect c’est tout ", nous est venue en tournée pendant qu’il repassait ses affaires. On a commencé à déconner en disant " Alpha, c’est le genre de rappeurs qui fait tout ", puis on a dérivé sur la notion de respect. C’est à ce moment-là qu’il a surenchéri : " Si je laisse ma voiture dehors, les portes ouvertes, personne ne me la volera parce que les gens me respectent. " Au départ, c’était un délire. Au final, il a gardé cette phrase : " L’argent c’est rien, le respect c’est tout ". »
Le.C : « Ses interludes m’ont fait penser au délire des Américains, ce n’était pas un morceau, un morceau, puis encore un autre morceau. Au contraire, son album vivait, il avait capté qu’il fallait parler aux gens. » Shone : « On s’est installé aux puces purement pour le business. Pour nous, c’était vital. Réduire les coûts. Maximiser les gains. » Genono : « Alpha 5.20, c’était le fer de lance de l’indépendance. » K-Fear : « Il a rendu Clignancourt noble. Je n’ai pas la prétention de connaître toute l’histoire du rap français, mais personne n’y avait pensé avant, pas à son échelle en tout cas. J’ai eu mon stand par la suite, et j’en ai vu des rappeurs défiler. » Julien Kertudo : « Vers 2011, on a réédité un coffret Boss 2 Panam et Rimes & Gloire, le succès nous a complètement dépassé. Il y a une vraie estime d’Alpha sur le terrain. Il a toujours tourné avec sa camionnette dans les cités ou les marchés pour partir à la rencontre de son public. Du coup, quand on dit Alpha, c’est une marque hyper-identifiée. » Mehdi Maizi : « Les puces était une manière de montrer qu’on pouvait commercialiser le rap autrement et qu’on pouvait construire des carrières différentes du format : " Je sors un premier album, je fais mon Planète Rap. " » K-Fear : « Les gens préféraient se déplacer aux puces pour parler un peu à Alpha, acheter ses albums et ses t-shirts Ghetto Fab. »
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K-Fear : « C’était l’un des premiers à avoir apporté ça. Ses interludes étaient presque aussi intéressants que ses sons. » Jack S : « Sa façon de parler, d’introduire les titres, c’est une des choses qui fait que je l’ai trouvé différent de tous les autres artistes. »
« La phrase d’Alpha, "L’argent c’est rien, le respect c’est tout", nous est venue en tournée pendant qu’il repassait ses affaires. » Jack S Genono : « Peine Noire. Celle où il dit : " On sera toujours là, comme des putains de cafards à Hiroshima. " Ce titre m’a marqué parce que l’outro (une lettre ouverte au président Nicolas Sarkozy en réponse à son discours de Dakar) est plus longue que le morceau lui-même. Je crois que c’était la première fois que j’entendais ça. Ensuite, son discours est extraordinaire. Je n’ai jamais entendu un rappeur tenir ce genre de propos avant Alpha. " Il y a des pays en Afrique mon pote, presque vingt-cinq pour cent des mecs ils ont le SIDA, mais on est là cousin.
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En Europe, un mec il a le SIDA, il crève tout de suite. On ne meurt pas cousin. Envoie la putain de bombe nucléaire, on sera comme des putains de cafards à Hiroshima, mais on ne meurt pas cousin ! " C’était incroyable ce qu’il racontait. Il n’y avait aucune victimisation. »
« G h e tt o F a b Fil m s . G h e tt o F a b D V D » L’univers cinématographique s’est greffé naturellement sur la vision artistique d’Alpha 5.20. En 2010, il produit son premier film, African Gangster, épaulé par JeanPascal Zadi à la réalisation. L’histoire : un migrant sénégalais débarque à Paris pour travailler clandestinement, mais ses plans capotent avec l’assassinat de son cousin. Un long métrage dans lequel Alpha se mue en acteur. Une ligne de plus à son curriculum. Shone : « Je pense qu’avec ça il nous a montré qu’on pouvait faire autre chose que du rap. Des choses qui peuvent paraître inaccessibles, lui, il les a rendues réalisables. » Jean-Pascal Zadi : « La promotion a été très galère. Comme Alpha avait une espèce d’aura, que les gens l’aimaient bien, on a eu une attachée de presse qui s’appelait Juliette Fievet. À l’époque, on ne savait même pas à quoi ça servait. Elle est venue spontanément et nous a dit : " Je veux travailler avec vous. " Par la suite, elle nous a amenés dans plusieurs stations radio. Je me rappelle qu’on avait fait la nocturne de Skyrock. D’ailleurs, vu que c’était pour un film, Alpha 5.20 se posait la question de savoir s’il devait venir ou pas, car à l’origine il n’aimait pas la politique de Skyrock. Il m’a appelé et je lui ai dit : " Non ce n’est pas la peine, comme ça tu rentres dans la légende. " (Rires.) »
« L a m o r t a v a nt l e d é s h o nn e u r » Dans Scarface, Brian De Palma enrôle Al Pacino pour incarner le personnage de Tony Montana. Excommunié du régime de Fidel Castro, ce jeune Cubain atterrit à Miami pour vivre le rêve américain. D’un job dans une friterie à la profession de narcotrafiquant, Tony a une vie de rêve avant de finir consumé par l’avarice. Des parallèles criants avec le parcours d’Alpha. Ousmane, le migrant sénégalais, a concrétisé ce qui paraissait impossible pour une partie des siens. Pour éviter le même sort que Tony, le rappeur a orchestré son dernier tour de piste le sourire aux lèvres et un revolver sur la tempe. Un homme serein avant sa mort, comme la pochette de son dernier album Scarface d’Afrique. Une image marquante. Un clin d’œil à Takeshi Kitano. Sombre et apocalyptique, cet opus, qui devait s’intituler Ben Laden d’Afrique mais qui, pour des raisons évidentes, changea de nom, faisait état d’un monde décadent, nihiliste, dirigé par l’impérialisme américain. Sorti le même jour qu’African Gangster, ce projet est un dernier point pour mettre fin à un personnage rocambolesque qui souhaitait à présent trouver sa quiétude dans la religion, dans ses principes, et surtout loin du rap.
Juliette Fievet : « J’ai toujours managé des artistes, déjà à cette époque j’aurais aimé signer Alpha en distribution. Quand j’ai entendu qu’il projetait de produire un film, je lui ai tout de suite proposé mon aide sans aucune contrepartie. Plus que le long métrage en lui-même, c’était la démarche qui était importante. J’ai pris tous les numéros de mon téléphone et j’ai appelé tous mes contacts. On a réussi à faire Libé, Canal+, Trace TV, Skyrock et un tas d’autres radios. Dans un sens j’ai créé le plébiscite, mais je l’ai fait car j’avais un profond respect pour d’où il vient. »
Mehdi Maizi : « C’est le discours d’un homme déçu, dégoûté de la société dans laquelle il vit et de l’hypocrisie des gens. Ce disque-là, c’est son testament. » Shone : « Je ne garde pas un bon souvenir de Scarface d’Afrique. Je me souviens d’une époque où on avait beaucoup de problèmes en dehors du rap. Des personnes avaient essayé d’emmerder Alpha, donc on leur avait vite réglé leur compte, mais malheureusement, après cette histoire, Alpha est allé en prison. Même si pour lui ce n’était pas vraiment important, je me rappelle que dans son attitude quelque chose avait changé. Ce n’était vraiment plus pareil, il n’était plus là pour rigoler. Même avec moi, je le sentais différent. Deux semaines après sa sortie de prison, il m’a dit : " Écoute, j’ai réalisé mon dernier album. " » Primo : « J’ai eu une grosse période Three 6 Mafia et, quand je composais, je faisais des sons qui étaient sombres. Je produisais vraiment des instrus dans l’ambiance, sans me dire que quelqu’un rapperait dessus. Je m’imaginais même composer des musiques de film. Du coup, il a pris beaucoup de mes productions qui étaient faites comme ça, dans mon délire. Des boucles de seize, vingt-quatre mesures, alors que les sons n’étaient pas terminés. Sur Un monde tout blanc (premier titre de l’album), il y a juste une boucle tout le long puis un refrain. En 2010, j’avais déjà arrêté de produire et c’est mon frère (Le.C), il y a trois ans, qui a découvert qu’Alpha avait utilisé cette composition. »
Juliette Fievet : « Au début, ils ont eu peur de mon aide. » Jean-Pascal Zadi : « L’indépendance, c’était la seule manière qu’on avait d’exister. On ne s’est pas demandés si on allait faire la même chose au cinéma ou pas. On s’est dit qu’on allait réaliser un film dans la rue, pour nos frères. Aujourd’hui ça va un peu mieux, mais à l’époque j’étais en marge, lui était en marge, c’était notre discours d’être dans la marge. C’était notre manière de faire. »
Genono : « Scarface d’Afrique est un album grandiloquent. Le dernier de sa carrière. Le thème " La mort avant le déshonneur " imprègne l’album. Tu sens qu’il part sans aucun regret, qu’il dit tout ce qu’il a à dire, sans se soucier de ce que les gens vont penser. Et musicalement, c’est son œuvre la plus aboutie. Aucune collaboration, uniquement Alpha du début jusqu’à la fin, la somme de toutes ses connaissances acquises dans le rap pendant une dizaine d’années. »
« Pour le pistolet, il est plus gros que dans le film car avec le Ghetto Fab on a toujours fait des séances photos avec de vrais flingues. » Fifou 34
Fifou : « Pour la pochette, c’était son idée à la base. Il lit beaucoup de bouquins, regarde énormément de films et a toujours été un grand fan de ceux de Kitano. Alpha a constamment ses concepts en tête. D’ailleurs, ça faisait des années qu’il me parlait de cette image. Il est venu en bas de chez moi, je l’ai pris en photo, puis on est remontés pour finir dans la foulée. En deux heures, c’était bouclé. Pour le pistolet, il est plus gros que dans le film car avec le Ghetto Fab on a toujours fait des séances photos avec de vrais flingues. Et là, on n’avait que ça sous la main ». Julien Kertudo : « En indépendant, sans média, sans promotion en radio, sans rien ; Alpha faisait partie de nos quatre ou cinq plus gros vendeurs. Il s’est arrêté quasiment au sommet de sa gloire personnelle en terme de ventes. » Diomay : « Alpha aimait la musique, mais le but du jeu, c’était quand même de s’en sortir. C’est-à-dire qu’il était en France mais que des gens dépendaient de lui au Sénégal. C’était l’un des moteurs d’Alpha. Son but n’était pas d’être une star, il s’en foutait. »
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INTERVIEW
Guillaume S anchez « C e q u i e st c o o l , c ’ e st q u ’ a u j o u r d ’ h u i t u p e u x o u v e r t e m e nt d i r e " j e s u is pâtissi e r " e t e n ê t r e f i e r . »
On dit qu’il n’aime pas le sucré, on dit qu’il ne goûte pas ses pâtisseries, on dit qu’il s’est auto-tatoué… Fantasme journalistique, réalité ou entre les deux ? Laissons tout ça de côté, l’essentiel est ailleurs. À peine 25 ans, Guillaume Sanchez traîne déjà derrière lui une carrière bien remplie et même, selon lui, quelques casseroles. Mais aujourd’hui, il est surtout à l’aube d’une nouvelle vie avec son restaurant fraîchement baptisé le Nomos. Discussion matinale avec Guillaume Sanchez, le « pâtissiey tatouey de la tête aux piey ».
Propos recueillis par Julien Bihan Photos de Lenie Hadjiyianni
La pâtisserie peut-elle s’apparenter à un art ? C’est la grande question. Pas vraiment, c’est juste un métier qui essaie de planquer tous ses défauts par une seule qualité, la créativité. C’est tout. Le reste, c’est de l’artisanat, un taf lourd physiquement et psychologiquement. Tu refais les mêmes choses tous les jours. Alors, comment tu conçois tes pâtisseries ? J’ai un point de vue un peu particulier sur le sujet, étant donné que j’essaie de créer des choses très éphémères. Je ne supporterais pas de me dire que chaque semaine je dois revenir au taf et faire la même merde, donc j’essaie d’être créatif et éveillé dans ma façon de penser.
En plus, je m’intéresse franchement à tout, tout va très vite dans ma tronche et j’arrive à imaginer des parallèles entre des choses qui ne vont pas ensemble à la base. D’où ce style différent. De manière plus pratique, comment tu élabores tout ça ? ça se fait vraiment à l’instinct, ou alors c'est juste une idée qui apparaît et je la fous sur papier tout simplement. Je vais créer une âme. En fait c’est un peu ça le truc, je vais raconter une histoire. Mais l’histoire dans ma tronche, elle se fait toute seule. Je n’ai pas besoin de me poser devant une feuille pendant six heures, il me faut approximativement 45 secondes.
As-tu des cycles de création ? Ouais, clairement. Je suis un peu monomaniaque, du coup, quand je trouve un truc cool, j’ai tendance à le presser jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. Ça m’arrive de rester « qué-blo ». Le noir, par exemple, c’est parti de je ne sais où et pendant un an toutes mes pâtisseries étaient black. Ça t’aide de créer sous la contrainte ? Tu es plus créatif quand tu es sous la contrainte d’un thème. Ça demande d’aller chercher plus loin. À l’instinct, c’est plus facile, tu as une idée, tu la balances ; quand tu te donnes une thématique et que tu ne veux pas refaire la même chose, tu es obligé de réfléchir. C’est là que ça devient compliqué.
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Quelle rigueur tu t’imposes dans ton métier ? Il faut s’imposer un peu de culture tout simplement, juste rester éveillé dans le monde dans lequel tu vis, après tout le reste est cool. Au final, ce qui tue un artisan aujourd’hui, particulièrement en cuisine quand tu restes dixhuit heures au même endroit, c’est qu’il rentre direct chez lui sans s’intéresser à ce qu’il y a à côté. En fait, tu te butes, dans tous les sens du terme. Tu ne comprends plus le monde dans lequel tu vis. Comment tu veux être créatif dans un monde que tu ne comprends plus ? Comment tu veux être en adéquation avec ton époque quand ton époque tu n’en connais que dalle ?
Mais au départ, je devais partir en prépa de droit militaire à Saint-Cyr. Et puis du jour au lendemain, j’ai pété un câble. Je suis allé à une réunion sur les Compagnons du Devoir en médiathèque à la place d’un cours de maths. Je suis tombé sur des guignols qui chantent et qui taffent toute la journée. Je me suis foutu de leur gueule pendant deux heures et le soir même j’ai expliqué à mon père : « En fait je ne vais rien faire de ce qui est prévu, je vais aller chez les Compagnons. » Il m’a répondu : « Tu veux faire le malin, mais dans quel métier ? » Et j’ai choisi la pâtisserie. Il m’a dit : « Mais tu n’as jamais fait de crêpes de ta vie ! Arrête tes conneries. » Et voilà, c’est parti de là.
C’était il y a six ans, le Horror Picture Tea, donc j’ai eu le temps de maturer le truc. Ça ne m’intéresse plus. J’étais super jeune, j’avais 19 piges. Mes projets évoluent avec moi et c’était un peu une crise d’adolescence d’ouvrir le HPT. J’étais plus con et j’avais un agent qui me laissait faire tout et n’importe quoi. C’était drôle à l’époque. Sur Paris, c’était le début des magasins un peu fusion, il s’en est suivi huit bars où tu peux te faire tatouer. Aujourd’hui, j’en ai un peu honte en fait, je trouve que c’était un peu de la merde. Ce projet ne me ressemblait pas et de savoir que j’ai un truc comme ça dans mon passé, ça me fait un peu chier.
Je crois qu’au cours de ta jeunesse tes parents t’ont imposé un autre type de rigueur ? En gros, mon père était militaire, on a vécu en caserne pendant un bail. Ça fait tout déjà. Treize ans en caserne, je t’assure que ça change un gosse. Et à 13 ans, j’en ai eu ras-le-cul, je me suis barré et j’ai contré l’éducation militaire de mon père par un truc encore plus militaire qui est les Compagnons du Devoir. Donc de 0 à 18 ans, j’ai été dans une caserne quoi.
Qu'as-tu gardé de cette période ? Toute ma carrière est basée là-dessus. Chez les Compagnons, tu as déjà une formation de base qui tabasse, un truc un peu premium. Puis en plus de ça, j’en voulais vraiment, j’étais le plus jeune, j’ai toujours été un gros compétiteur et quand on m'explique : « Guillaume tu as accès H24 à un laboratoire pour t’entraîner, pour préparer des concours. » Ben, je me suis dit : « Tape dedans. » Au début j’ai pensé : « Tape dedans un an, comme ça tu auras des petits concours et ton diplôme, ce sera bon. » Au final, j’ai tapé dedans un an, deux ans, trois ans, six ans. Je suis sorti et je me suis dit : « OK, bon, est-ce que je peux avoir une vie maintenant ? » Pendant six ans j’ai juste oublié que j’étais un gosse. Je n'ai fait que ça. Je sortais du taf, j’allais au labo ; je sortais du labo, j’allais en cours et je retournais au taf.
Comment tu vois la pâtisserie en 2015 ? Je suis assez fier de ce qui se passe en ce moment. Il y a une vraie place pour la nouvelle génération. En fait, elle a pris la place qui lui revenait de droit. On a arrêté d’attendre l’aval de nos pères et puis on y est allé. Et je trouve ça assez chouette. Tous les chefs médiatisés en ce moment ont entre 25 et 35 ans, ce qui est super jeune dans le métier, étant donné qu’avant tu prenais une place de chef à 35 ans. Il y a eu un vrai déclic. Du coup, on a des pâtisseries beaucoup plus fines, beaucoup plus travaillées, avec une histoire et une esthétique à 1 000 bornes de ce qui se faisait en 2013. Tout est en train d’évoluer très vite. Et ce qui est cool, c’est qu’aujourd’hui tu peux ouvertement dire « je suis pâtissier » et en être fier. Ça aussi, c’est une nouveauté. Genre il y a dix ans tu disais ça, on te regardait en mode : « Ah… Je suis désolé (rires, ndlr). »
C’est chez les Compagnons du Devoir que tu décides de faire de la pâtisserie. Est-ce qu’il y a quelque chose qui t’a poussé en particulier dans cette direction ? À la base, non, il n’y a pas vraiment d’explication. D’habitude, ils créent des mecs qui répètent, répètent, répètent. Des types qui sont super droits dans leurs bottes, qui rentrent bien dans le moule et qu’ils peuvent vendre n’importe où. Parfois il y a des profils à part, soit ils arrivent à les formater et dans ce cas-là c’est bon, ils en font des moutons et tout va bien ; soit ils se disent que ce n’est pas jouable parce que les mecs ne sont pas assez rigoureux, du coup ils les virent. Après il y a des problèmes comme moi, des bugs. Ils se retrouvent face à un type qui n’est pas vraiment dans les normes, qui n’a rien à foutre là, mais qui est tellement rigoureux qu’on ne peut rien lui dire.
Quand tu crées le Horror Picture Tea en 2010, il y a cette idée d’avoir un établissement qui mêle la pâtisserie, le rock et le tatouage, les trois passions auxquelles on t’identifie. Tu continues de travailler dans cet esprit aujourd’hui ? Ah non ! Justement je rejette un peu tout le monde du tattoo, les miens me vont très bien, mais tous ces gens ne m’intéressent pas. Je considère que c’est un milieu qui est très crade avec des personnes très crades aussi qui n’ont rien à foutre avec moi.
« Ce qui tue un artisan aujourd’hui, c’est qu’il rentre direct chez lui sans s’intéresser à ce qu’il y a à côté. Comment tu veux être créatif dans un monde que tu ne comprends plus ? » Maintenant, tu es à la tête de ton établissement mais tu es passé par Ladurée, Fauchon, Dalloyau… Comment ça se passait avec ces maisons ? En fait, les mecs ne me disaient rien parce que j’avais un CV long comme le bras, et moi je ne leur disais rien parce que je m’en foutais. Je n’étais pas aussi passionné qu’aujourd’hui. Je m’étais tellement cramé que cette époque parisienne où j’ai fait des belles maisons était très chiante en fait. Je n’avais franchement pas envie. Je m’en suis rendu compte chez Dalloyau où, un matin, je suis arrivé au taf et j’ai fait : « En fait j’ai pas envie d’être là, j’ai pas envie de faire ça, j’ai pas envie d’être avec ces gens-là. » J’ai posé ma dem’ et j’ai arrêté la pâtisserie pendant six mois. Pendant six mois, j’ai fait l’inverse. J’ai été vendeur de fringues dans un magasin à la con, et je me suis rendu compte que c’était un peu chaud quand même. Là, par contre, je me faisais vraiment chier. Trente-cinq heures par semaine, avant je les faisais en deux jours, donc : « Donnez-moi un peu de taf. » Juste derrière j’ai été barman et c’est ce moment-là qui a tout changé. Primo, parce que j’ai réussi à m’amuser dans un autre métier que le mien ; et deuxio, parce que j’ai rencontré de nouvelles personnes qui n’avaient juste rien à voir avec moi et qui par la suite sont devenues mes agents, ma directrice de com’, la boîte de production qui investit sur mon projet, des gens de la presse.
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C’est ce qui t’a fait basculer vers ce que tu es aujourd’hui ? Ça m’a fait basculé, ouais. J’étais un gosse avec du talent, je suis tombé sur ces gens-là spécialisés dans la pub et le marketing et ils m’ont sauté dessus direct. Six mois après, on ouvrait le HPT. Un truc très marketé, avec un discours qui a plu direct aux magazines. En deux semaines, il y a eu 250 articles qui sont sortis, c’était n’importe quoi. Aujourd’hui, c’est un cas d’étude en master de communication et de psycho, ça fait deux ans de suite que ça tombe tellement c’est ridicule.
Tu as un truc contre Cyril Lignac ? C’est peut-être ce qu’il représente qui ne passe pas. Je n’aime pas sa façon de parler, il a une gueule de con, ça ne passe pas du tout. Vous vous êtes déjà rencontrés ? Mais oui, plein de fois. Au final, on s’en fout de savoir s’il est bon ou pas, c’est juste que ça a été le premier con à se lancer alors que personne ne l’avait fait. Est-ce qu’il a été plus chanceux ou plus intelligent que nous ? Je n’en sais rien. Pourtant, on peut dire que toi aussi tu as su jouer de ton image : tu as participé à une téléréalité culinaire, tu as tourné des pubs, tu as fait beaucoup de presse… Je ne fais que représenter les mecs qui sont nés dans les années 90. On est né avec Internet, on est né avec des moyens de communication, et avec une compréhension des choses en termes de marketing. Tout ça a juste sur-évolué par rapport à la génération précédente. Au final, il n’y a même pas à se dire : « Guillaume sait bien gérer son image… » Non, j’utilise juste les outils de mon époque. Aujourd’hui, on est tous journalistes, on est tous dans la com’ parce que tous les jours on est le D.A (directeur artistique) de notre Instagram, de notre Facebook. C’est la vraie différence.
Donc, j’ai bossé avec ces gens-là pendant cinq ans pour des marques, pour de l’événementiel, pour plein de trucs. Là je viens d’arrêter avec eux. On a mis fin à notre collaboration quand j’ai commencé le Nomos parce que je veux juste qu’on laisse cet endroit tranquille. J’ai envie d’un truc beaucoup plus « à la cool », authentique dans le discours sans en faire une énième pub. Donc, j’ai viré mon agent, ma directrice de com’, en me disant : « ça va être calme, on va pouvoir reposer le moteur. » Bon là-dessus, j’ai été un peu con, mais au moins je ne dois rien à personne. Je n’ai pas de temps à perdre avec des journalistes que je n’aime pas. Je ne vois plus les filles de Glamour débarquer, par exemple. Comment tu vois tous ces shows liés à la cuisine qu’on retrouve partout à la télévision ? C’est un peu cracher dans la soupe d’en dire du mal étant donné que, quand ils m’ont appelé sur France 2, j’ai dit oui (il a participé à l’émission Qui sera le prochain grand pâtissier ? ). Bon, je n’y suis pas resté super longtemps, ce qui n’est pas plus mal d’ailleurs. En fait, j’ai deux avis là-dessus qui sont complètement opposés. Ça a été génial pour le métier, on est passé de l’ombre à la lumière d’un coup. Mais vraiment d’un seul coup. C’est-à-dire que le lundi tu n’entendais pas parler de cuisine, le mardi c’était partout. Ça a permis aux chefs de se révéler, de se forcer à être créatifs et de communiquer sur leur job. Un autre point cool, ça a donné envie à des gosses qui ne sont pas forcément en difficulté scolaire ou à des gens qui se réorientent de se lancer dans la food. Un des points négatifs : l’excès de presse qui fait que les chefs passent plus de temps à répondre à des interviews qu’à créer des plats. Et le deuxième : ça a donné une idée biaisée de notre travail. Les gens voient sur Top Chef des mecs qui créent des plats en trois heures et qui s’en vont après. Alors que le taf, ce n’est pas ça ; le taf, c’est faire jusqu’à 200 couverts par jour pour les grands établissements. On est proche de la cantine quand même. Ce n’est pas seulement s’amuser avec de beaux produits, c’est aussi taper des produits de merde et essayer de les sublimer. On commence au bas de l’échelle, on fait la plonge, on grimpe petit à petit. Le job c’est ça, c’est mériter sa place.
Que penses-tu de la starification des chefs aujourd’hui ? On les voit partout, ils font des publicités, ils ont des chroniques dans de gros médias… Je trouve que ça me permet de gagner ma vie aujourd’hui (rires). Il faut savoir en profiter au bon moment parce que ce genre de truc ça n’existe pas toute une vie. Demain, ce sera les fleuristes, les mécaniciens ou un job à la con, tiens, banquier. Aujourd’hui, c’est nous, profitons-en. Prenons tout ce qu’il y a à prendre, montrons tout ce qu’il y a à montrer, allons-y à fond. Il faut juste réussir à perdurer après ça. C’est super cool de tomber sur une grosse vague, mais il ne faut pas se planter à la fin. Tu n’as pas le sentiment qu’on arrive à saturation ? Je pense juste qu’on ne peut plus en rajouter. Mais ça peut durer encore dix ans parce que les gens en ont besoin, ils veulent être rassurés par quelque chose qu’ils connaissent. Ce qu’on connaît en France, c’est la food. La France a tellement oublié la gastronomie pendant des années que ça devient carrément sociologique ce qui se passe. C’est un retour aux sources, un besoin de retrouver une éducation qui n’existait plus. On arrivera à saturation si on ajoute six émissions de plus, si on bloque toutes les chaînes avec Cyril Lignac… Il va y avoir des meurtres (rires). 37
Quel est l’œil des autres chefs sur ton travail ? Je ne sais pas, je crois que certains respectent ce que je fais, je crois que certains s’en foutent, je crois que certains me détestent, comme d’hab. En fait, je t’avoue que je m’en tape. Au début, je faisais des concours pour être reconnu par la profession, j’avais un profil particulier avec une gueule particulière, j’ai commencé à me tatouer à 15 piges. Donc, vraiment, je tapais dedans. Aujourd’hui, j’ai tellement essayé de me faire accepter par cette profession que si on ne m’aime pas, tant pis. Mes actes ne sont plus faits en fonction de ça. Si un jour le restaurant est étoilé, on sera super contents ; si un jour un mec veut nous remettre un prix de la plus belle porte d’entrée ou de la meilleure entrée, on prendra, mais on ne fait rien pour ça. Je dirais même qu’on va à l’encontre de ce qu’il faut faire. On sait exactement ce qu’il faudrait changer dans ce restau pour plaire aux autres. Il y a des trucs sur lesquels on essaie de faire un geste parce que tu ne peux pas non plus être associable à ce point. Tu ne peux pas autant leur cracher dessus si tu veux survivre, ce n’est pas possible. Tu viens d'ouvrir le Nomos, comment passe-t-on de la pâtisserie à la cuisine ? C'est comme si j’étais dans un groupe de musique à la batterie et que je passais à la guitare. Il y a une partition identique, c’est le même milieu, ce n’est juste plus le même instrument. J’ai les bases, je connais la partition, le solfège, donc tu te lances quoi. Tu deviens autodidacte. Enfin, est-ce que tu te considères comme un rebelle ? Non. Je paie mes impôts.
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CA Ï D S I MMA T URE S & GAM I N S A P EURÉ S
M AT T H E W S I M M O N S Victime d'Éric Cantona Le 25 janvier 1995, Matthew Simmons entre dans l’histoire malgré lui et contribue à écrire la légende d’un autre. Le jeune homme assiste, dans l’antre de Crystal Palace, à l’opposition de son équipe face au Manchester United de sa majesté Éric. Une rencontre âpre qui s’achève prématurément pour le Frenchy, exclu après avoir cédé aux provocations de Richard Shaw, le défenseur à son marquage. Survolté par la tournure du match, Simmons se fraye un passage jusqu’au premier rang, d’où il raille Cantona sur son chemin vers les vestiaires. Le « King », enragé par les propos qui arrivent jusqu'à ses oreilles, se jette violemment dans la foule et assène au supporter un « kung-fu kick » aussi soudain que mémorable. Suspendu neuf mois à la suite de cette affaire, Cantona accuse Simmons de xénophobie. Après le dévoilement de cette sombre facette de sa personnalité, l’Anglais affirme avoir perdu son job et avoir été rejeté par sa famille. Comble de l’histoire, il est lui-même condamné en 2010 pour l’agression de l’entraîneur du club de football de son fils. Karma is a bitch.
Mieux vaut être le bourreau que la victime, c’est certain. Néanmoins, dans leurs malheurs, quelques « victimisés » ont plus de chance que d’autres selon le statut de l’agresseur. En effet, se prendre un kick par Cantona a plus de swag que par Pierrot de la compta. S’il est coutume d’encenser ou de louer les méfaits des rebelles médiatiques, on en oublie souvent de rendre hommage à leurs cibles. Pour une fois, coup de projecteur sur cinq souffre-douleur pas comme les autres, cinq récits de victimes, anonymes ou non, qui ont eu la veine de tomber sur une trop forte tête. Texte de Lenny Sorbé
WHITNEY HOUSTON Victime de Serge Gainsbourg À en croire Michel Drucker, la rencontre entre Whitney Houston et Serge Gainsbourg n’aurait jamais dû avoir lieu. Celui qui s’est construit une réputation de personnage sulfureux, à force d’amoralités télévisuelles et artistiques, devait s’éclipser avant que la diva ne fasse son entrée sur le plateau. Il convaincra néanmoins Drucker de le laisser accueillir la chanteuse, excité par la perspective de croiser la route de ce joyau. Gainsbarre n’apparaît alors plus aussi sobre et fait preuve d’une galanterie surjouée, créant rapidement une situation inconfortable. Tandis qu’il bafouille des compliments, il transgresse la barrière de la langue pour affirmer son irrépressible désir : « I want to fuck her. » Choquée, l’Américaine repousse dès lors les caresses d’un Gainsbourg intenable. De retour sur ses terres, Whitney Houston concède au magazine Variety qu’elle n’imaginait pas « qu’un tel programme puisse exister ». Plus tard, c’est le présentateur qui confie à son tour : « Whitney était folle de rage. Dans la nuit, je suis même allé lui déposer des fleurs à son hôtel pour m’excuser. Cela n’a pas suffi. »
JACQUES SANTINI Victime de Nicolas Anelka
UN MACAQUE DE BARBARIE Victime de JoeyStarr S’il semble aujourd’hui assagi, JoeyStarr fut un temps le principal trublion de notre scène hip-hop, collectionnant les démêlés judiciaires tout au long de sa carrière. Des contentieux avec la justice qui répriment les mêmes excès : son incoercible agressivité, ses rapports avec les substances prohibées, les femmes et… les animaux. En 2002 intervient une affaire brutale, quand les caméras de M6 s’immiscent jusqu’au domicile du Boss Of Scandalz pour les besoins d’un reportage. Exaspéré par les cris stridents de son singe « domestique », JoeyStarr néglige la présence de l’objectif et s’en va « calmer » l’animal à coups de phalanges et de « Ferme ta gueule ! » Effroi dans les foyers français et à la fondation Bardot qui dépose plainte le lendemain. Pour ne rien arranger, il est avéré que le macaque en question est issu d’une espèce protégée. Malgré tout, JoeyStarr se défend et assure que la chaîne a monté la séquence en dissimulant que l’animal l’aurait mordu. En vain. Moralité : ce n’est définitivement pas au vieux singe que l’on apprend à faire la grimace…
Souvent, Zlatan Ibrahimovic est perçu comme le bad boy absolu du football moderne. Mais, au jeu du « footeur » de merde, le Suédois ne vaut pas notre Anelka national. Houllier, Jacquet, Del Bosque, Fernandez, Lizarazu, Grant… Le palmarès des accrochages du Trappiste est presque aussi étoffé que celui qu’il possède pour ses performances sur le terrain. Quelque temps après avoir refusé une sélection de dernière minute pour ne pas jouer « les bouchetrous », Nico fulmine contre Jacques Santini en déclarant son mécontentement lors d’une conférence de presse improvisée. « Qu'il s’agenouille devant moi, s’excuse d'abord, et après je réfléchirai. » Bien évidemment, le sélectionneur ne le fera jamais. La suite, on la connaît. Domenech le rappelle, puis quelques insultes, un bus et une Coupe du monde ratée. Cette déconvenue nommée Knysna inspirera à Roselyne Bachelot une envolée lyrique à l’Assemblée nationale : « Je ne peux que constater comme vous le désastre, avec une équipe de France où des caïds immatures commandent des gamins apeurés, un coach désemparé et sans autorité, une Fédération Française de Football aux abois. »
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ISABELLE ADJANI Victime de Niels Arestrup Trente ans de carrière et un César, c’est ce qu’il aura fallu à Niels Arestrup pour voir son talent reconnu par le grand public. Une consécration tardive pour cet acteur précédé d’une réputation d’ingérable, vieille de deux décennies entières. Et même plus. « Ça fait vingtcinq ans que ça dure, depuis Mademoiselle Julie, avec Isabelle Adjani. Depuis j'ai tout essayé, m’expliquer, me taire, mais rien à faire ça me colle à la peau », confie-t-il. Les deux comédiens se sont croisés sur les planches du théâtre Edouard VII en 1983. Après quelques représentations, Adjani quitte subitement la troupe en invoquant une grande fatigue. Officieusement, Arestrup l’aurait violemment giflée au cours d’une répétition. Sans nier les faits, l’acteur avance qu’il n’a fait que rendre une baffe précédemment reçue. Peu importe, sa réputation est faite et entachée plus tard lorsqu’il est à nouveau accusé de violences par la comédienne Myriam Boyer. Cette dernière est licenciée après avoir rudement répondu au jeu de l’acteur, lui reprochant de l’avoir serrée trop fort tandis qu’ils simulaient une scène d’étranglement.
Fa f i , G I R L F L O W ER À l’heure où chacune se dispute sa part de féminisme, l’artiste Fafi trace la voie du genre depuis vingt ans, tirant son art de super power girl à l’humour acide des expériences universelles de fille.
Texte de Justine Valletoux
C’est l’histoire d’une femme qui aimait les femmes. Et qui était l’un de leur meilleur symbole. Elle qui ne se sera jamais laissée enfermer par les clichés absurdes d’une société d’hommes. Ceux-là, elle les envoie bouler à coup de Fafinettes allégées du poids de leurs vêtements, collant leurs majeurs à la face des badauds qui aimeraient les juger. C’est l’histoire d‘une nana comme les autres, mais qui aura eu la justesse de puiser dans la matière donnée par sa vie faite de joies, de galères, d’intenses réussites, d’extrêmes tristesses, d’une famille de potes, d’histoires de mecs et d’amour maternel, pour bâtir sa vie d’artiste hors-norme. Le tout avec un flegme non feint, posé sur une épaisse couche de folie rieuse. Fafi, c’est la mère des bien nommées Fafinettes, ces peintures de meufs aux airs de pin-up kawaï, nées hypersexualisées et en toute illégalité dans les rues toulousaines des années 90. Des poupées envoyant des clins d’œil, cambrées, posées, aux milliers de fans, se reconnaissant toutes sous les traits colorés de ces femmes sauvages et libérées. « Pourtant, ça a commencé parce que je voulais draguer des mecs et attirer leur attention », raconte-t-elle amusée.
Force majeure « À 18 ans, je regardais le graffiti sans qu'il ne me fascine. Mais quand Kat et Van (les artistes Mademoiselle Kat et Miss Van, ndlr) ont commencé à peindre sur les murs de mon école, ça m'a parlé. Je prenais le bus en regardant les tags, les flops, et je me demandais si c’étaient des meufs qui faisaient ça ? Cette double vie me fascinait. » Kat et Fafi font le mur pour arroser de filles la Cité rose, chacune à leur manière, et apposent leurs pattes aux côtés de celles des garçons qui sévissaient déjà dans le milieu de manière plus installée. « À cette époque, des féministes re-taguaient sur nos peintures. Elles ont halluciné quand
elles ont su que c’était des femmes derrière tout ça. Mais, pour moi, c’était féministe de faire ça. Avec le recul, je peux comprendre que des filles à moitié à poil, qui posent simplement, ça puisse irriter. » Pas contrariant pour beaucoup d’autres qui voient dans ces clichés exacerbés de lolitas new style l’assurance d’une féminité qui ne demande qu’à s’affirmer. Le public la suit, l’aventure prend de l’ampleur. Début 2000, Fafi explose, expose dans le monde et les marques la convoitent, les Fafinettes affichent leur moue chez Adidas, Mac ou Colette, et, d’un coup de cul, envahissent les pages des magazines du moment : Vogue Japan, Elle, Wad, Nylon… L’œuvre de Fafi touche, la femme principalement, car elle met à jour les sentiments de l’une d’entre elles, au moment précis où elle les vit. Aujourd’hui, comme Fafi, les Fafinettes ont évolué. En 2012, elles trouvent un terrain de jeu à la hauteur de leur fantaisie dans The Carmine Vault, BD sci-fi complètement foutraque dans laquelle les sexy ladies se tapent sur la tronche à coup de battes de baseball. « Aujourd’hui, elles sont plus power girl, guerrières, nasty. Elles portent des cônes à la Jean Paul Gaultier et font des doigts d’honneur. Elles sont plus actives et sûres d’elles qu’il y a une dizaine d’années. » C’est qu’en parallèle l’artiste a muté, grandi avec les épreuves, le succès qui se joue des nerfs, va et revient pour des périodes indéterminées, la maternité, la disparition de son conjoint DJ Mehdi. Elle qui reconnaît avoir penché dans l’egotrip au climax de son succès s’ouvre aux autres aujourd’hui.
Nana shelter Aux femmes toujours, avec qui elle consolide une connivence artistique. « La rue est un endroit hyper agressif pour les filles. Les placer sur les murs et leur faire des clins d’œil est bénéfique. J’espère qu’elles y trouvent un refuge, 39
un repère rassurant. » Et pour les mettre à l’aise entre deux mots « doux » d’un dragueur de rue libidineux, elle recouvre les murs de fleurs romantiques pour mieux formuler cette punchline à laquelle chacune a déjà fait face : « Slut » ou « Salope ». « Je ne me sens pas militante, mais ma mission est de renforcer une confiance en soi que les filles n’auraient pas. Les rendre plus puissantes et les inspirer. » « Transmettre » est un verbe qu’elle citera plusieurs fois durant notre entretien. Tout dans son approche artistique va vers l’encouragement de sa semblable, casser avec humour le carcan de la nana passive. Être dans l’action. Sorte de brise-glace d’une génération que l’on retrouve même porté en étendard sur le t-shirt de la Badgalriri. Mais aussi dans la réalisation de clips, autre support artistique sur lequel Fafi partage sa vision de femme avec les femmes qui la touchent : Azealia Banks, M.I.A., Katy Perry, Alka… « Je fais un clip quand l’artiste correspond à mes dessins et pourrait être une Fafinette. Et, honnêtement, je ne saurais pas filmer un mec. Quand je vois les clips faits à 90 % par des mecs, je sais que j’ai mon truc à dire. Il y a des maladresses que nous ne ferions pas. » Self-made-woman, elle n’hésite d'ailleurs pas à sortir de son cadre pour s’aventurer sur des terres inconnues : ouvrir le restaurant Miss Banh-Mi avec son amie Heidi, créer le festival de street art WOPS!, premier de son genre à Toulouse… Sans oublier son univers propre, ses Fafinettes et leur Carmine Vault dont le tome 2 est en préparation avec l’écrivain Lolita Pille. « Elle m’a fait parler, m’a fait chialer, des choses occultées ressortiront sûrement dans le prochain. Car le scénario péchait dans le premier, il était chiant. Mais j’adore mes erreurs ! Se tromper, c’est enrichissant. Mes parents ne m’ont pas appris tout ça. J’ai tout fait seule, donc je considère que c’est quand même pas mal. »
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STILL LIFE R R E B E L W I T H AT T I T U D E R La mode est certainement le domaine dans lequel nous retrouvons le plus la volonté de sortir du cadre, de jouer avec les codes, les matières, les couleurs, les habitudes. Le style marque, et en assemblant quelques pièces il permet de révéler, en partie, qui l'on est. 40
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S é rie M ode
OFF CO U R T
«Off Court» — Photos : Lenie Hadjiyianni — Style : Tom Brunet Direction Artistique : Arthur Oriol Production : Quentin Bordin
Joueur NBA et international français à seulement 22 ans, Evan Fournier en impose déjà dans le monde du basket. Mais à la différence des impairs stylistiques de ses collègues comme un Jordan magnifique sur les parquets et affreux en civil, Evan se démarque un peu plus. Preuve à l’appui.
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Veste Nike Techpack T-shirt Balmain Jean Saint Laurent Baskets Nike Air Max 95
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Total look Rick Owens
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Total look Pigalle x Nike
R e q u in pl a tin e Le texte qui suit n’est pas fictif et toute ressemblance avec les auteurs n’est pas fortuite. Évidemment, il y a quelques arrangements de langage çà et là, mais il suffit d’un QI de truite pour démêler le vrai du faux. C’est finalement l’histoire d’un RDV Tinder rapologique entre un DJ inoxydable (DJ Pone) et un festivalier de la vie (Bardamu). À ce jour, aucune fracture n’est à déplorer ni de dommages définitifs de matériel, malgré les multiples confrontations. Et puisque l’entente sonore est incontestable, il nous fallait la sceller dans ce petit conte vigoureux construit sur le modèle d’un « back to back » entre deux DJs. Mes deux platines Larousse sont branchées, je commence... Texte de Bardamu et DJ Pone, illustration de Lazy Youg (d'après Martin Schongauer)
Il est 19 heures en ce vendredi printanier et le week-end entrouvre élégamment ses cuisses parfumées. Pourtant, une angoisse sourde contamine mon organisme… je l’identifie sans peine : DJ Pone. Il joue ce soir à La Bellevilloise et je compte bien m’y rendre en âme et inconscience. Son nom fait trembler les noctambules de l’Hexagone, ses galettes abrasives provoquent des guerres de tranchées et la carte Vitale est recommandée lors de ses prestations. Vous le suppliez de vous épargner en lui montrant votre moignon fraîchement coupé, et il vous achève avec Who got gunz de Gang Starr. Sa technique irréprochable est comme un costard qu’il revêt avec une élégance naturelle, mais il ne faut pas s’y fier : ses mp3 puent la désobéissance citoyenne et le punk à chien. Il est maintenant 20 heures… mon inquiétude monte graduellement, mais un sourire traîne comme une caillera aux corners de ma bouche ; je sais pertinemment qu’il me craint. Il provoque, je riposte. Avec lui, le plaisir musical est toujours très proche de l’hématome. Quant à la tenue vestimentaire, je ne me fais aucune illusion sur l’espérance de vie des textiles. J’enfile donc un t-shirt sacrificiel, un jean de déménagement et des Stan Smith du Jurassique. En temps normal, quand je prépare mon dossier de sons pour ma « prestation » du soir, je suis enjaillé, serein… « Tiens ! Je vais jouer ça, les gens vont kiffer, rrraaa, celui-là aussi, ça fait longtemps… » Bref, mon taf quoi, mettre des tracks. Faire danser ! Faire gueuler ! Transformer le dancefloor en arène où un raïa de petits agités sautent et se dandinent… J’aime aussi faire remuer les boulzers de mes copines et de leurs copines (qui sont plus bonnes que la plus bonne de vos copines). Bref, que du bonheur. Et pourtant. Depuis un moment, un gros nuage anthracite plane au-dessus de moi quand je joue à Paris, une masse sombre aussi inquiétante que celle d’un poiscaille quand tu nages dans un mètre de profondeur. Mais ce n’est pas d’un quinreu dont j’ai la pétoche, mais d’un gars avec une tête d’ablette et un corps de requinbouledogue. Juste un gars. Pas un mec dont j’ai maladroitement dragué la meuf, pas un mec à qui ma tête ne revient pas et qui voudrait y mettre son poing fermé bien au centre… non, un type qui aime mon travail, ma sélection, mes sets… Pourquoi suis-je inquiet à l’idée de voir sa casquette pas de son âge (celle de Tyler avec un motif tapis d’orient) s’agiter au loin ? Ma sélection est OK, il va adorer. Et quand il adore, il s’approche du DJ, le bouscule, le mord, lance des objets contondants ou tranchants. Il me veut du mal physiquement parce qu’il m’aime et que je lui apporte du bonheur. C’est un pédé musical. Ce soir, après avoir commandé une cotte de mailles sur le site de National Geographic en m’assurant qu’elle résiste à un croc de carcharodon carcharias, je pars relativement tranquille. Le risque, c’est de ne pas le voir arriver, il attaque en eaux troubles et se faufile rapidement entre les gens pour m’atteindre, non sans bousculer femmes et enfants au passage. Il est grand, cet enfoiré, souvent torse nu et humide… très agréable quand tu danses et qu’un buste dégoulinant et inconnu s’essuie sur toi en hurlant. Consternant ! Mais je sais comment le déloger de son rocher si jamais il s’y cache. Suffit juste de placer Stick to ya gunz, de M.O.P., et là, le mec réagit aussi vite qu’un toon avec le fameux « On rase gratis ! » Il est tellement prévisible. Une fois qu’il est débusqué, je peux me préparer au combat. Je suis déjà en route, la tête haute tenue, tel le chevalier Bayard, sans peur, sans reproche.
J’arrive à la soirée avec mon équipe. En club, nos péchés sont ceux des gens simples : une ivresse saupoudrée de concupiscence. On commence à s’ambiancer doucement… à dansoter avec un verre à la main… à reluquer les silhouettes. Nous sommes encore au petit trot, les ligaments croisés ne risquent rien encore. L’alcool atténue mon anxiété, j’attends Pone l’oreille ferme. L’Antéchrist du crossfader finit par apparaître. Il est abrité par une sorte de cabine de douche tandis qu’une cotte de mailles dernière génération remplace le polo habituel. Il déplie son ordi et s’installe avec assurance. Cet enculé a dû se préparer à Clairefontaine pendant toute la semaine avec un programme adapté : alimentation saine et balades en rase campagne qui lui ont donné une allure sereine et sans doute des cacas parfaits. Son set commence, la foule est tout de suite au diapason. Il commence par de l’électro comme le fourbe qu’il est. J’y vois comme un aveu d’impuissance, comme s’il me cédait quelques mètres carrés de territoire. Je m’autorise même la liberté d’aller au bar en dodelinant gentiment de la tête. Grand seigneur, je paie ma tournée dans un tintement de boyards, des filles inconnues rient à mes blagues humides, j’envisage même la possibilité de m’accoupler en fin de soirée avec cette petite brune électrisante… Et c’est évidemment pendant ce moment d’enchantement sexué que la saloperie derrière les platines décide de jouer du rap qui tache. Les deux MCs d’Heltah Skeltah sortent des douves de son disque dur avec des odeurs de vase. Je quitte ma brunette sans sommation et annihile par là même mes chances de coït. Non content de nuire à ma sexualité, Pone destitue mon langage puisque seuls des cris et des lyrics yaourtés sortent de mon œsophage bouleversé. Le catamaran de mon émoi musical cingle vers la scène et je m’arrime au DJ booth en un temps record. Je suis enfin derrière les platines, confiant. Je suis passé à Ménil boire quelques pintes de Brooklyn Lager pour me mettre sur orbite. J’ai mon équipe sûre avec moi, la liste de mes 48 potes est passée crème, j’ai distribué mes 4 tickets boissons… On est bien. Un ami métallurgiste hurlant m’a construit une cage façon Dôme du tonnerre pour me protéger des attaques sournoises de Barjabulle, mais la vérité, c’est qu’on est plus proche d’une douche portative que de la cage de WrestleMania, ce qui n’est pas safe du tout au final. J’appréhende déjà ses cris et sa salive qui finiront forcément par m’atteindre, ou du moins par humecter un peu le matos sur lequel mes mains s’agitent furieusement. Après avoir commencé de manière électronique, je lance timidement un p’tit Heltah Skeltah. Et j’ai direct Tyler la créature audevant de la scène, me demandant d’arrêter pour que je continue (???). Il vient de me jeter un gant au visage… C’est ma faute : un Dead wrong de Biggie bien amené. On oublie la Calypso et le champ lexical de Thalassa, là c’est clairement une ambiance Moyen Âge. Il vient me défier, alors j’attaque : Gunz come out de 50 Cent, Royalty de Gang Starr, puis une version edit des Beat Junkies qui déboîte sa mère… Notre Chevalier a vacillé, il est tombé de sa monture. Je l’achève ou pas ? « Je connaissais la réputation chevaleresque des hommes d’armes français et il me plaît, à mon corps défendant, d’en mesurer la justesse » (Victoria Abril). Alors, il est vaillant notre ménestrel ? Je vais le traîner dans 46
la boue. Le temps de chercher le track suivant et je le perds de vue. Où est-il, cet enfoiré ? Les personnes devant la scène sont soulagées qu’il ait quitté les lieux. Ses gestes, ses cris et son odeur ont fait le vide devant moi. Les meufs vont enfin pouvoir danser et les gars cesseront de croire qu’ils vont lui mettre un coup de pression du style : « La prochaine fois qu’il me bouscule, je le remplis. » Non, mec, Bardamu est une sorte d’Humungus, au mieux tu remplis ton verre, connard. Je décide de lâcher notre classico, DAAAM!, des Alkaholiks… mais au moment où la snare rentre, avant que la ligne de basse qui rend fou ne démarre, je sens déjà que j’ai commis une erreur. Deux grandes paluches moites et rugueuses sont sur mes épaules et un torse écrase ma nuque. J’ai le crossfader de la mixette sur le front et les oreilles pleines de ses beuglements de joie. Je suis un peu débordé, je jette quelques regards pour chercher de l’aide. Il me mord et évidemment se casse les chicots sur mon armure, mais le mal c’est le bien pour lui, donc il n’arrête pas. Il me supplie de jouer un morceau de Showbiz et A.G., je m’y refuse, le pousse violemment et lui envoie Return of the Crooklyn Dodgers. Il m’étrangle parce qu’il est heureux, ce golmon. Ce n’est plus une joute mais une mise à mort. La sécu a enfin compris l’urgence… ils interviennent. Le vigile m’attrape comme un maître-chien rappelle à l’ordre son rottweiler. J’écume de rage, mes yeux remplis de meurtre et mon haleine vodka-croquettes invectivent Pone avec des postillons venimeux. Ce dernier me jette un regard victorieux et soulagé pendant que le vigile me traîne à l’extérieur du club comme un sac poubelle. Il me faut une bonne demi-heure à l’air frais pour reprendre une sorte de contenance. Mon t-shirt est déchiré et constellé de liquides, mon avant-bras est égratigné. Je me dirige à pas précautionneux vers une borne et enfourche un Vélib’ très lentement, perclus des douleurs d’un retraité des bâtiments et des travaux publics. Je pédale dans un Paris ensommeillé avec un best of de France Gall en lecture aléatoire dans les oreilles. La voix cristalline et surmixée de France réactive quelques fonctions cognitives élémentaires. Exténué mais, je dois l’avouer, heureux, je m’écroule sur mon canapé comme un cheval mort destiné aux lasagnes Findus. Les tracks de la soirée perquisitionnent ma mémoire vive pour prendre des places assises le plus longtemps possible ; Pone avait bien fomenté son plan d’action. Malgré mon application à lui sectionner une artère, je crains que cette vieille chatte ne s’en soit tirée indemne. Alors, comme un enfant revenu de la guerre et enfin en sécurité, ma carcasse à la carrosserie rayée s’endort paisiblement. C’est la fin de la soirée, mon corps est en bon état, je n’ai aucune blessure apparente, pas de rendez-vous chez Manu, mon ostéo. Je vais rentrer dans mon XVIIIe, hashtag « au calme ». Je jette un œil en sortant avec mon équipe, au cas où, avant de m’engouffrer dans un taxi… Je connais l’impact rétroactif de certains tracks sur mon requin blanc de soirée, pas envie de me faire mordre bêtement alors que je n’ai plus de protection métallique. Au pire, un de mes potes forts en coups-de-poing dans la gueule peut gérer si je n’ai pas vu la bête arriver… mais bon… on va rester serein. Il ne reviendra pas… pas avant mon prochain gig. Mais je suis prêt, je l’attends, mon légionnaire.
Artistes : Mambo - Ceizer
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