PA P E R
Sport ITW DANIEL RIOLO CHILDHOOD LUC ABALO
Musique GUCCI MANE NIRO
Cinéma SUPER-HÉROS LA RENTRÉE DES SÉRIES COVER.
Mode
PAT R I C E Q U A RT E R O N .
DOLLY COHEN PA R A D E
GRATUIT
N°2
« EN BOXE, PERSONNE NE M’EST SUPÉRIEUR. »
O N E YA R D . C O M
GERRY DEVINE, KEVIN HADDOW ET ANDREW McCULLOCH ÉLABORENT LE BLENDED SCOTCH WHISKY DANS LA PLUS PURE TRADITION DU CLAN CAMPBELL.
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L’A B U S D’A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É. À C O N S O M M E R AV E C M O D É R AT I O N. CLAN_ABRIBUS_ARBRE_270x350.indd 1
13/06/2014 15:21
« L A B A N L I E U E A S E S Q U A L I T É S E T S E S D É F A U T S , P E U P L É E D ’ A R T I S T E S E T D E S P O R T I F S D E H A U T N I V E A U »
Cette phrase tirée du morceau Les Princes de la Ville du 113 a quinze ans mais elle conserve aujourd’hui encore toute sa substance car elle surligne les deux volets majeurs de notre culture trend urbaine : la musique notamment par la voix du hip-hop et le sport naturellement universel. Ces deux branches se sont toutes les deux fortement enracinées dans un ciment populaire immuable au point qu’aujourd’hui les productions de chacune sont l’objet de : débats, blogs, émissions radio… YARD Paper. Cette culture vient du peuple et elle y retourne par un effet boomerang d’une violence constructive. C’est cette ferveur populaire du hip-hop et plus largement de la musique dont nous avons fait l’expérience lors de la CLOSING BLOCK PARTY, le dimanche 18 septembre. Une programmation qui rassemble une vingtaine d’artistes différents, certains forts d’une dizaine d’années de carrière et d’autres seulement d’une dizaine de titres. Mais ensemble, ils forment une image actuelle de ce mouvement et prouvent son éternelle fraîcheur.
Redacteur en Chef Julien Bihan Direction Artistique Arthur Oriol Yoann "Melo" Guérini Directeurs de publication Tom Brunet Yoan Prat Cover Photo de Yoann "Melo" Guérini Retouches de Marie Brisse
Contributeurs Bardamu Nina Kaufmann Justine Valletoux Thomas Babeau Lenie Hadjiyianni Karima Hedhili Lenny Sorbé Audrey Michaud-Missègue Terence Bikoumou Olivier Oriol Raida Hamadi Sanaa K Lazy Youg
Ce trend urbain se nourrit autant de cet engouement massif que de la singularité de ses acteurs qui bâtissent par leur personnalité, tout le caractère de cette culture. Le boxeur français de muay-thaï, Patrice Quarteron, incarne à lui seul la définition de ce que dégage ce nouvel élan culturel. Le 16 octobre prochain, il affrontera à Dubaï, Badr Hari, l’une des figures emblématiques du K-1 ayant ses entrées dans le cercle, pas si fermé que ça, du show-biz. Sûr de sa force, le Grignois s’inscrit dans la lignée de ces grands boxeurs rivalisant d’arrogance, d’insolence, d’impétuosité, de talent et de travail. Des traits de caractère qui lui permettront, peut-être, de faire tomber son adversaire mais qui nous permet, avec certitude, de témoigner de toute la grandeur de notre culture. Finalement le 113 avait déjà tout dit, « On est jeunes et ambitieux, parfois vicieux », et incontestablement nous sommes tous ensemble encore aujourd’hui et pour longtemps « les Princes de la Ville ». Julien Bihan, Rédacteur en Chef
Production Yoann "Melo" Guérini Samir Bouadla Jesse Adang Eriola Yanhoui Caroline Travers
Remerciement Nike & Kevin Couliau Nous Production À tous les artistes et DJ présents à notre Block Party
Imprimeur Sib Distribution Le Crieur
#YARDPAPER www.oneyard.com
SOMMAIRE G U C C I M A N E : L A M O R T O U G U C C I ? E X P L I C A T I O N D E T E X T E A V E C N I R O
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O N E D AY : M I C H A E L J A C K S O N & F R E D D I E M E R C U R Y
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P O R T R 4 I T S : G R A D U R / M Ø / PA R T Y N E X T D O O R / VA L D
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I N T E R V I E W PAT R I C E Q U A RT E R O N
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T O P 5 : L E B A D A S S F I G H T I N G C L U B
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LES SUPER-HÉROS AU CINÉMA
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R E P O R T : C L O S I N G B L O C K P A R T Y
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INTERVIEW LOOM
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I N T E R V I E W D O L LY C O H E N
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S H O P P I N G : S T I L L L I F E - FA L L S E T U P
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S É R I E M O D E : P A R A D E R E P O R T : S N E A K E R B A L L M A D R I D
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INTERVIEW DANIEL RIOLO
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C H I L D H O O D : L U C A B A L O
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B A R D A M U : L E V E R S À M O I T I É V I D E
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ÉPIPHANIE EN SÉRIE
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S A F I A B A H M E D - S C H WA R T Z : S A C R É C O R P S
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L A M O R T O U G U C C I ? Il y a bien longtemps, un jour de juillet, en l’an 1054, l’Église de Rome et l’Église de Constantinople décidèrent de se séparer après de légers différends. Par la suite, cette scission balisa l’inimitié de deux civilisations en plein essor, mais aussi le début d’une série de batailles sans précédent entre les mondes latin et grec. Cependant, il existe des exemples de schismes beaucoup plus contemporains à étudier. Déliquescence d’un art pour les uns, prophète pour les autres, Gucci Mane est le genre d’individu à avoir le dos assez musclé pour incarner ce point de rupture. Mais discutons avant qu’il ne soit trop tard.
BIENVENUE DANS LA ZONE 6 « A-Town » est une ville divisée en six zones disparates correspondant aux patrouilles de la police d’Atlanta. Dans les quartiers les plus pauvres, les décrets de l’US Housing Authority, mis en place par le représentant démocrate Henry B. Steagall et son collègue sénateur Robert F. Wagner en 1937, étaient censés favoriser la mixité en facilitant la location d’appartements pour les faibles revenus. Malheureusement, les classes moyennes — majoritairement blanches — fuiront, et ces lotissements deviendront infréquentables.
UNE FAMILLE DÉSUNIE Jeune fille, Sylvia Vanderpool arpenta les scènes à peine âgée de quatorze ans en tant que vocaliste. De cette expérience, un amour indéfectible pour la musique naquit. Mais l’industrie du disque n’a que faire des sentiments et la demoiselle connut une carrière teintée de frustrations. Dans l’ombre de la lumière, Little Sylvia, devenue femme, assouvit ses fantasmes d’adolescente avec son mari en créant sa compagnie, All Platinum Records, en 1969. Dix ans plus tard, en signant trois pseudo-rappeurs surnommés The Sugarhill Gang, la réalité dépassa son imagination grâce au hit Rapper’s Delight. Par la suite, rien ne fut plus pareil. Les labels fleurirent à New York, dictant les tendances de la décennie suivante. Quant à Sylvia, l’histoire retiendra son nom comme celui de la mère du hip-hop.
Gucci se retrouve précisément parqué à Sun Valley. Jugé comme l’une des zones les plus pauvres, ce dernier confesse ne voir aucun habitant avec un travail régulier. Qui plus est, à onze ans, son cartable n’est pas rempli de livres, mais plutôt d’une arme blanche pour éviter les désagréments à la récré. Pragmatique, deux ans plus tard, un 9 mm vient se loger autour de sa taille, un avantage non négligeable dans son quartier. Toutefois, l’apparition subite de son beau-père entraîne des changements majeurs dans sa vie. En premier lieu, un sentiment d’équilibre le borde, celui d’une famille « nucléaire » lui assurant amour et tendresse. Mais cet homme dont la réputation rayonne au-delà des limites d’East Altanta 6, est connu et craint pour ses activités illicites et son goût prononcé pour les couturiers italiens : « Mon père est arrivé, le vrai Gucci Man ; c’est ainsi que les gens l’appelaient dans le voisinage et c’est de là que je tiens mon nom. À partir de ce moment, j’ai grandi avec un père hustler et une mère enseignante ; le meilleur des deux mondes, car j’étais doublement instruit .» Dès lors, fini les moqueries sur ses chaussures, Radric aura les dernières Nike. Son patois sudiste n’est plus un problème puisqu’il reconnaît être le seul à l’école avec une « dopeman rope » — une chaîne en or de dealer — le plus grand signe possible de considération.
Malheureusement, Gucci Mane, ou plutôt Radric Davis, vu son jeune âge, naît dans le Sud, sous la ligne Mason-Dixon, une frontière autrefois érigée pour séparer les États abolitionnistes des États esclavagistes. Installé à Birmingham, dans l’Alabama, il grandit sans père mais avec une mère professeure des écoles, s’efforçant péniblement de maintenir les revenus du foyer. Dépourvu des dernières baskets à la mode et privé d’un langage bien châtié, il connaît une vie scolaire ponctuée à la fois des railleries de ses camarades et des critiques du corps pédagogique envers son patois sudiste. Les bagarres et les premiers larcins commencent et, à seulement neuf ans, Gucci évacue la pression en sirotant du sizzurp. Cependant, sa vie change dramatiquement quand il déménage dans la Zone 6 d’Atlanta… Coïncidence, à ce moment-là, en 1989, l’industrie musicale commence à s’intéresser au marché « vierge » du Sud à travers la ville d’Atlanta. Les premiers gros investissements sont réalisés par deux migrants, Antonio « L.A. » Reid et Kenneth Edmonds, qui établissent LaFace Records et signent OutKast, le premier visage du « South » à l’échelle nationale. Or, ce snobisme exacerbé a décuplé un esprit de débrouillardise dans cette région. Du coup, les premiers grands labels indépendants se fondent ici, avec Master P (No Limit Records), les frères Williams (Cash Money Records) ou encore James Prince (Rap-A-Lot Records), et le Sud peaufine ses normes en dehors des codes traditionnels du Nord. Néanmoins, un soir d’été 1995, au Source Awards, le Madison Square Garden — temple sacré de New York City — réserva des sifflets au moment où OutKast reçut sa récompense de « meilleur nouvel artiste ». Un choc culturel au sein d’une même famille, auquel André 3000 répondra : « Le Sud a quelque chose à dire. »
« À LA MANIÈRE DE MACHIAVEL, BIG GUCCI MANE CHOISIT SES SUJETS MÉTICULEUSEMENT POUR SE METTRE EN VALEUR. » Cependant, le temps de l’assistanat touche bientôt à sa fin, et Guwop prend conscience qu’un jour lui seul subviendra à ses besoins. Du coup, à quatorze ans, le bonhomme connaît sa première arrestation pour possession de stupéfiants. L’âge de l’innocence s’achève en même temps que la scène d’Atlanta entame sa révolution. 6
PA S S E À L A T R A P Par tradition, le son de la « Black Mecca » puise dans la Miami bass, un mélange d’électronique couplé aux boîtes à rythmes de la Roland TR-808, que les DJs jouent fréquemment en soirée. Fatalement, cette affinité pour la musique de club fabrique de nombreux « one-hit wonders », à l’image de Kris Kross qui, en 1992, vendra plus de deux millions de singles du tube Jump. Or, pendant que l’âme de New York City s’éteint progressivement, « Hotlanta » manifeste toujours son engouement pour le hip-hop au milieu des années 2000. Les clubs — voire les strip-clubs — sont témoins de l’émergence d’une multitude de sous-genres, tels le crunk, le snap ou l’auto-tune. Ces styles enjoués, contradictoires aux bases posées à NYC, séduisent désormais les majors du Nord, et Def Jam, pourtant indissociable de Big Apple, ouvre sa filiale Def Jam South en enrôlant Ludacris puis Young Jeezy. En revanche, la discorde s’accentue un peu plus avec l’émergence de la « trap music ». Dérivé de l’argot, le mot « trap » désigne les coins où la drogue est vendue. Le mot « music », lui, englobe des basses lourdes agrémentées d’histoires de cocaïne coupée au bicarbonate de soude. Réappropriée massivement par toute l’industrie, la hiérarchie supposée entre le Nord et le Sud se fragilise, et Radric trouve enfin la plateforme pour conter ses histoires.
« À ONZE ANS, SON CARTABLE N’EST PAS REMPLI DE LIVRES MAIS PLUTÔT D’UNE ARME BLANCHE POUR ÉVITER LES DÉSAGRÉMENTS À LA RÉCRÉ. »
D E L’ I C Ô N E A U C Ô N E ? Pour ne pas finir comme son beau-père, harassé par la pression journalière de ses affaires, Radric aperçoit une porte de sortie licite grâce à sa mère. Reconvertie dans le domaine du social, Vicky Davis a fait la connaissance de Debra Antney, une femme omniprésente dans le tissu associatif d’Atlanta, notamment par le biais de son association Rah Rah's Village of Hope qui se charge d’assurer tendresse et présents pour chaque enfant dans le besoin durant les jours de fête. Ce côté bienveillant, Deb le doit à son enfance désastreuse — mère battue, père accro aux narcotiques, overdose d’héroïne à neuf ans par manque d’attention de son pater — et souhaite offrir ce qu’elle n’a pas eu. Du coup, sa firme de management d’artistes Mizay Entertainment est un prolongement de ce trait de personnalité, car « Miss A » assiste chacun dans ses démarches quotidiennes. Initialement, Gucci rencontre Mrs. Antney pour participer à ses œuvres de charité. Néanmoins, ce dernier joue la carte de la sensibilité et réussit à l’amadouer pour apprendre une grande partie du business. Alors, quand il crée sa première compagnie, So Icey Ent., cela lui permet de garder le contrôle sur ses œuvres. Puis Radric abrite de nombreux artistes biberonnés par Debra depuis le berceau — ses fils Nyquan et Juaquin font partie de l’agence. À la manière de Machiavel, Big Gucci Mane choisit ses sujets méticuleusement pour se mettre en valeur. Il se met à traîner avec les deux garçons, leur cousin de cœur Frenchie et le rappeur OJ Da Juiceman. Au-delà de la complicité sincère qui s’installe, « Mr. Zone 6 » façonne une équipe selon ses goûts : il baptise Juaquin en Waka Flocka Flame, puis évince OJ — rappeur le plus expérimenté de la troupe — pour devenir le leader des Icey Boyz. Atypique — si l’on s’attarde sur l’apparence — cette bande pourrait avoir des traits folkloriques du pianiste Liberace. De surcroît, leurs styles vestimentaires fantasques et leurs paroles entrecoupées d’onomatopées les positionnent en rupture complète avec les normes morales ou techniques généralisées par le New York traditionnel. Malgré ça, Radric mène sa formation en haut des marches grâce à un nombre incalculable de mixtapes, une manière d’inonder le marché — peut-être emprunté à la vente maximum de dope — qui polarise les regards sur sa personne. Dès lors, 2009 concrétise ses ambitions avec son deuxième album solo en major, The State Vs Radric Davis, une première place au Billboard Top Rap Albums, un single, Lemonade, double disque de platine, mais surtout le gotha de l’industrie de Rick Ross à Lil Wayne, en passant par Usher pour changer son statut de phénomène marginal à icône nationale.
« DÉLIQUESCENCE D’UN ART POUR LES UNS, PROPHÈTE POUR LES AUTRES, GUCCI MANE EST LE GENRE D’INDIVIDU À AVOIR LE DOS ASSEZ MUSCLÉ POUR INCARNER CE POINT DE RUPTURE. »
Or, un mois avant la mise en rayons de son disque, Radric file en prison pour un an. À sa libération, il se sépare de Debra pour développer son propre label, 1017 Brick Squad. Mais seul sur la route, Guwop se trompe de voie pour arriver dans un cul-de-sac le 14 janvier 2011. Ce jour-là, Radric sort tout juste de l’hôpital psychiatrique — son avocat plaide l’incompétence mentale pour justifier le non-respect de ses périodes de probation — et ne cesse de remplir les colonnes de faits divers à cause de ses déboires judiciaires. Cependant, pour démontrer toute sa lucidité, il décide de se faire tatouer. À sa sortie, Gucci a la joue droite entièrement tatouée d’un cornet de glace à trois boules. Une marque symbolisant un geste absurde pour les uns, ou audacieux et provocateur pour les autres. Mais, plus que cela, ce geste interprétable de mille et une façons scellera à jamais la plus grande scission de notre période contemporaine.
Texte de Sébastien Darvin
EXPLICATION DE TEXTE #3 NIRO – VIVA STREET Les paroles dans le hip-hop constituent la sève – de la force ou des carences – du message d’un artiste ; la musique jouant, elle, le rôle de son embellissement et de sa digestion par les auditeurs. Afin de mieux saisir toutes les subtilités de cette écriture chaque numéro de YARD reviendra sur l’un des morceaux les plus marquants de ces derniers mois, décrypté par son auteur lui-même. Niro se revendique comme un enfant de la rue et, forcément, son art y reste attaché viscéralement. Venu de la banlieue de Blois, le rappeur a conclu cet été la trilogie musicale qu’il avait initiée avec Paraplégique en sortant son dernier album en juin dernier, Miraculé. De ce tout nouveau projet émerge Viva Street, un titre fort dédié à son amour pour la rue ainsi qu’à l’impact de sa notoriété. L’un des hymnes urbains les plus forts de 2014.
“ TA BOUCHE ME PARLE MAIS TON CŒUR ME MENT / J’ARRIVE PLUS À FAIRE DE DISCERNEMENT / Y A QUE LES ENFANTS QUI SONT INNOCENTS / QUAND J’Y PENSE MON PETIT FRÈRE ME MANQUE ”
“ L’ANCIEN MARI DE MA DARONNE A COUPÉ UNE JAMBE / J’AVAIS MÊME PAS DOUZE PIGES, JE REVOIS LE SANG COULER SUR SON SABRE ” « C’est un vrai truc que j’ai vécu, un acte de barbarie pur et dur qui s’est passé sous mes yeux. En disant ça, je ne le valorise pas. Je connais la famille de la personne concernée à qui je transmets tout mon respect, c’était même un peu déplacé de ma part de rapper ça. Pour moi, j’ai écrit cette phrase pour exprimer qu’il ne faut pas s’étonner de la folie des gens, je dis après : « Nous, on s’en bat les couilles de ta légende. » On a assisté à ça alors qu’on était des gamins, cousin. J’ai vu d’autres scènes plus hardcores les unes que les autres. Un mec de ma cité a voulu baisser l’arme d’un gars qu’il pointait sur une autre personne et, en faisant cela, le coup est parti vers sa jambe. Je l’ai vu ramasser son mollet qui traînait par terre avec la poussière. »
“ QUELLE IRONIE, Y’A DIX PIGES / CETTE PUTE FAISAIT LA BELLE DEVANT NOUS / MAINTENANT ELLE SUCE TELLEMENT MON ÉQUIPE / QU’ELLE EN A DES CROÛTES SUR LES GENOUX ”
« Les gens ne sont pas sincères globalement dans la vie. Pour moi, mon petit frère symbolise l’innocence à l’état brut, il a sept ans, il est haut comme trois pommes et intelligent comme jamais. Il n’y a que chez les enfants où tu ne trouves pas de vice ou ils sont petits et mignons. En gros, cette phase signifie que j’ai confiance en personne. Puis la musique m’a écarté de ma famille, même si je passe régulièrement, je suis parfois débordé entre la tournée, le studio, la promo… Du coup, mon frère me manque à mort, je l’ai vu naître j’avais vingt ans et, pour moi, il est presque comme mon fils. »
« Avant, on n’avait pas la cote. Quand t’es petit tu veux serrer des meufs, mais elles ne te calculent pas et font les belles. Quelques années et quelques CD vendus plus tard, elles sont maintenant prêtes à se plier en mille. Ce n’est pas qu’une image, c’est du vécu. Certaines s’approchent même de mes amis pour être plus près de moi, mais ça, c’est encore autre chose (rires, ndlr). »
“ ON EST DEVENU CE QU’ON VOULAIT PAS ÊTRE / À FORCE DE MISER SUR LE PARAÎTRE LES VRAIS DISPARAISSENT / ON N’A PAS LA MALADRESSE DE S’ALLONGER COMME ENORA MALAGRÉ DEVANT PHARRELL ” « Les vrais disparaissent car on ne s’allonge pas, on n’a pas cette maladresse ou plutôt cette adresse-là (rires). T’es pas forcé de sucer dans le rap, mais tu ne seras jamais aidé comme ceux qui le font. Nous ne sommes pas avantagés, même aujourd’hui je ne suis pas bastonné partout en playlist. Et j’ai réussi sans avoir fait comme personne, car à aucun moment je n’ai fait de la musique de récréation. Dans aucun morceau je n’ai essayé de duper les gens, je prends des sous avec ce qui me ressemble. Je n’ai mis aucune douille. Malgré mon succès, je suis toujours le rappeur le plus boycotté. En ce moment, je suis au cœur d’une polémique à cause du maire de Fleury. Il a annulé mon concert dans sa ville car il trouve que mes morceaux sont sexistes, la presse a relayé, donc les maires des autres villes veulent faire la même chose. »
Texte de Julien Bihan, photo d 'Eriola Yanhoui
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O N E D AY I N 1 9 8 3 THE KING AND THE QUEEN
Michael Jackson et Freddie Mercury sont irrémédiablement ancrés dans l’histoire de l’industrie musicale comme de véritables showmen et faiseurs de tubes intemporels. Le premier est, après une longue carrière, intronisé « Roi de la pop », tandis que le second règne en maître sur la musique, dans un genre rock inclassable mais terriblement populaire avec son groupe Queen. Évoluant à la même époque, ces deux montagnes se sont un jour croisées. Une rencontre de choc qui aurait pu générer des morceaux à la hauteur du statut de ces monuments. Mais…
Durant les années 70, le groupe anglais Queen se rend aux ÉtatsUnis. C’est à ce moment que son leader, Freddie Mercury, se passionne pour les clubs et l’ambiance follement hédoniste qui atteint son apogée à l’époque. De ce nouvel intérêt, il conserve les influences du disco et de la musique noire en les imposant à son groupe dans la conception de l’album Hot Space, sorti en 1982. Bien que cet opus soit reconnu comme le plus faible de la carrière du groupe, il lui attirera au moins un nouveau fan : Michael Jackson. Le jeune roitelet de la pop assiste alors à quelques concerts du groupe jusqu’à finir par accéder aux coulisses. Très vite, Freddie et Michael s’entendent et se comprennent. MJ, en pleine préparation du futur Thriller, propose alors une collaboration. L’enregistrement se passe en 1983 dans le studio de Michael, à Neverland, son ranch. Le travail avance mais est interrompu au bout de quelques jours par la présence incongrue du lama domestique du chanteur, Louie. Le manager de Queen, Jim Beach, confie à ce sujet : « Ils s’entendaient bien. Et j’ai soudainement reçu un appel de Freddie me disant : " Mon cher, tu peux venir me chercher parce que je dois absolument quitter ce studio ". Je lui ai demandé quel était le problème, et il m’a répondu : " J’enregistre avec un lama. Michael l’emmène tous les jours et je n’ai vraiment pas envie d’enregistrer avec un lama. J’en ai assez, je veux partir. " »
Mais l’artiste sous-estime l’importance du travail nécessaire pour produire un projet au moins équivalent à Thriller. Derrière ce nom se cache un budget de 750 000 dollars, 300 chansons élaborées pour seulement 7 retenues, des musiciens renommés et toute une équipe au service de la créativité de Michael. Quant à Freddie, il travaille seul, pour la première fois. À sa sortie, Mr. Bad Guy ne rencontre pas le succès escompté et sera même un échec commercial aux États-Unis. Des résultats qui jetteront un froid sur ses relations avec CBS et de facto sur sa collaboration avec Michael.
Freddie quitte alors Neverland, un départ qui se traduit par l’inachèvement de trois morceaux : Victory, There Must Be More In Life Than This et State of Shock. Après la sortie de Thriller, l’album le plus vendu de l’histoire de la musique, le leader de Queen exprime quelques regrets lors d’une interview au micro de Lisa Robinson : « Je pense que l’une des chansons aurait été sur l’album si je l’avais finie. Mais j’ai manqué mon coup. »
Leurs duos sont pourtant conservés et certains sont réadaptés : There Must Be More In Life Than This apparaît dans sa version solo sur Mr. Bad Guy, State of Shock est repris sur l’album des Jacksons Victory, mais le titre est enregistré avec Mick Jagger. MJ lui-même aurait contacté Freddie Mercury pour l’en avertir. À ce sujet, le leader des Queen explique à Rudi Dolezal, réalisateur de Freddie Mercury, The Untold Story : « Une chanson est une chanson. Tant que notre amitié continue, nous pouvons écrire tous les genres de chansons ». Une note d’amertume dans une partition magistrale. Comme l’explique un autre lama appelé « dalaï » : « Plus nous aurons donné de sens à notre vie, moins nous éprouverons de regrets à l'instant de la mort. » Parfois, malheureusement, ça ne suffit pas.
Pourtant, même si l’anecdote du lama reste amusante, elle n’explique pas tout. Après la sortie de Thriller, Freddie s’attelle, lui aussi, à la réalisation de son premier solo. Un véritable défi qu’il s’impose pour prouver sa valeur sans son groupe, afin d’évaluer seul son talent et sa popularité. Le succès de Thriller devient pour lui un objectif à atteindre, voire à dépasser. D’autant plus que les deux albums sont produits par le même label, celui qui lui donnera sa première chance aux États-Unis : CBS.
Texte de Raïda Hamadi 10
PORTR4ITS Texte de Raïda Hamadi
GRADUR
MØ
PARTYNEXTDOOR
VALD
C’est à vingt-trois ans que Gradur, soldat de profession, se lance dans la musique. Surfant sur la vague trap qui déferle sur le rap français, le Roubaisien diffuse au début de l’année 2014 une série de freestyles tous intitulés Sheguey. Sous son bob, il confectionne des métaphores percutantes et visuelles puis les déclame avec charisme. Depuis ses apparitions sur quelques compilations et ses street vidéos postées sur YouTube, le succès de Gradur ne cesse de grimper et lui permet de franchir les frontières du rap local.
La Scandinavie s’impose aujourd’hui comme un vivier incontournable d’artistes en ce qui concerne la pop (Lykke Li, JJ, Little Dragon…). Ses influences sont larges (électro, r’n’b, hip-hop, pop rock…) et les adjectifs qu’on lui attribue sont « aérienne » et « éthérée ». Un nouveau talent est en train d’y éclore, MØ (prononcé « mouh »), une Danoise de vingt-cinq ans.
PARTYNEXTDOOR sait entretenir le mystère autour de lui. Découvert par Drake, le premier artiste signé sur October’s Very Own (OVO) aime rester secret. Moins dolent et plaintif que The Weeknd et plus hip-hop que le duo Majid Jordan, il maîtrise avec finesse les codes artistiques déployés par le label. Une musique enivrante et hypnotique qui touche un public éclectique.
Depuis 2012, elle sort des singles empreints d’une énergie portée par sa voix à la fois candide et puissante. Plus tard, c’est une reprise de Say You’ll Be There des Spice Girls qui finira d’installer son univers pour donner toute l’ampleur de sa musicalité. En 2014, elle offre enfin son premier album, No Mythologie To Follow, où nous retrouvons comme unique invité le producteur Diplo.
Le Canadien à qui l'on doit le titre Make A Mil apparaît sur le dernier opus, Nothing Was The Same, de Drake. Après une tournée aux côtés de son mentor, ainsi que Future et Miguel, il délivre fin juillet un premier album studio, PARTYNEXTDOOR TWO, faisant suite à une première mixtape éponyme qui connaissait déjà un succès unanime.
C’est un peu sur le tard, à l’âge de dixsept ans, que VALD découvre le hip-hop. Celui qui voulait alors devenir comédien finit par se lancer en écrivant ses premiers textes. Avec son acolyte AD, il diffuse dès 2012 deux mixtapes : NQNTMQMQMB et Cours de rattrapage. Très vite, son rap anxiogène et totalement névrosé attire les fans. Sa musique intrigue aussi par la richesse de ses écrits et la sélection de ses productions, un travail qu’il met en scène par des vidéos dont il est le propre réalisateur.
Dernièrement, le Nordiste démontre également toute la palette de son talent dans un freestyle posé sur F.U.T.W, de Jay-Z. Si lui seul connaît les chemins qu’il finira par emprunter, une chose reste certaine : son avenir est prometteur. Les frémissements qui entourent son nom ne font que le confirmer.
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Après une première partie pour Seth Gueko, VALD signe avec la maison de disque Universal et annonce la sortie de NQNT, son premier EP prévu pour le 27 octobre. Il en révèle déjà un premier extrait, le controversé Autiste.
I T W PAT R I C E Q U A R T E R O N «EN BOXE, J’ESTIME QUE PERSONNE NE M’EST SUPÉRIEUR.» L’un s’affiche avec les joueurs du Real Madrid comme Cristiano Ronaldo et se fait nominer par Karim Benzema au Ice Bucket Challenge pendant que l’autre continue de s’entraîner dur dans sa salle à Grigny. Le premier est Badr Hari, athlète marocain, tout récent champion de monde de GFC et l’une des figures emblématiques du K-1 à travers le monde ; le second est Patrice Quarteron, athlète français, plusieurs fois titré en boxe thaïlandaise ainsi qu’en kickboxing. Il y a trois mois qu’ils s’affrontent à coup de posts sur les réseaux sociaux et de déclarations mais le véritable combat aura lieu le 16 octobre prochain à Dubaï. Patrice, 1 m 98 pour 117 kilos de muscles, revient sur sa carrière pleine de crochets et sur cette actualité bouillante. Un entretien fort sur l’un des sportifs les moins estimés des médias français.
Quand est-ce que tu t’es mis à la boxe et pourquoi ?
À quel moment es-tu monté sur le ring pour la première fois ?
À quatorze ans tout simplement car j’étais une petite victime, et un jour j’ai regardé le film Kickboxer. Une révélation. Il y avait des entraînements à côté de chez moi et j’y suis allé pour prendre un peu confiance. Mais rapidement, je n’en ai plus eu besoin car à quinze ans je faisais déjà 87 kilos. Au départ, la boxe et la violence n’étaient pas vraiment mon créneau, je ne m’en servais pas, sauf quand je n’avais pas le choix. J’allais à l’entraînement juste pour le plaisir.
Onze ans plus tard car je savais que j’avais un certain niveau. Avant en France, ce n’était pas la mode des poids lourds, ça n’existait pas, on parlait seulement des Thaïlandais. C’est arrivé avec le K-1 et je me suis dit : « Mais attends, je peux les démonter ces mecs-là » dont un certain bad boy à deux francs… Je me suis dit que j’allais le démonter. Je demande à mon entraîneur de me trouver un premier combat et au lieu de choisir un adversaire à mon niveau, il m’envoie face au champion de France. Ça a été un K.O dramatique et en plus ce fils de pute m’avait fait un bisou sur la bouche… Excuse-moi du terme. À la fin j’ai juré sur la tête de ma mère que quoi qu’il arrive dans ma vie : « Je vais te niquer ta mère. » Trois ans plus tard, je l’ai retrouvé et je lui ai fait faire un bisou sur mon genou. C’est comme ça que j’ai commencé la boxe, juste pour régler un petit compte. Puis en même temps on m’aime et on me paye bien, c’était bien mieux que la sécu.
« JE CROYAIS QUE LA BOXE C’ÉTAIT COMME ROCKY À COUP DE "TIENS, JE TE DÉFIE" ET ON SE TAPE AU PROCHAIN ROUND. » 12
Il y a onze ans entre ton premier entraînement et ton premier combat, quel a été le déclic ? Mon père a eu un grave accident, du jour au lendemain, il ne bougeait plus. C’était un grand sportif et ça m’a fait chier. J’ai pris conscience que j’étais un gars avec d’énormes capacités et tout le monde savait que je frappais très fort. Je me suis dit : « Arrête de parler et bats-toi maintenant ! » J’avais la chance d’avoir mes pieds et mes jambes alors que mon père ne bougeait plus. Quelle est ta première approche du milieu de la boxe ? Je me souviens d’un événement à Bercy où j’étais déterminé à affronter Cheick Kongo à l’époque. Je le voulais lui spécifiquement et je savais qu’il était dans la salle. Je combats face à un mec qui s’appelle Nash, je lui casse la mâchoire, je finis le combat, je prends le micro et je crie : « Maintenant je veux Cheick Kongo. » J’étais content, je pensais que tout le monde allait en parler mais il a refusé.
Comment s’est mis en place ce combat face à Badr Hari ?
J’ai commencé à défier tout le monde car ce qui compte pour moi c’est de bien foutre la merde. Je pensais que ça fonctionnait à la Rocky à coup de « Tiens, je te défie » et on se tape au prochain round. Non non, ça ne se passe pas du tout comme ça. J’étais convaincu que ça allait générer quelque chose de positif et d’ailleurs le public en banlieue a kiffé. Mais les journaux, qui ont leurs chouchous, n’ont pas apprécié que je défie la Terre entière comme ça, notamment un particulièrement. À partir de là, ils ont commencé à vouloir me boycotter. Je n’ai jamais compris car on est tous là pour boxer, il n’y a pas de différence.
Je reçois un coup de fil de Dubaï et on me demande : « Hello Patrice… » On connaît mon number, on me parle correctement : « Are you ready for the fight ? Superstar marocco… » Je réponds : « Yes ok, no problem. » Puis je me suis dit, c’est l’heure de foutre la merde et de faire un grand combat. Mais les oppositions entre Noirs et Arabes n’intéressent personne en France à part les banlieusards. Tous les jours ce sont eux qui m’en parlent. Les médias préfèrent leur superstar de quarante-quatre ans qui fait des combats truqués à la télévision.
« EN TURQUIE, LA FOULE POUSSAIT MON BUS EN CRIANT "KAMIKRAN", ÇA SIGNIFIE "CASSEUR D’OS". »
« SI JE LE FAIS TOMBER, RIEN NE VA CHANGER CAR EN FRANCE, ON S’EN BAT LES COUILLES. »
J’imagine que ça t’a déçu du monde de la boxe en France non ? J’ai été plusieurs fois en Turquie pour boxer et j’y allais avec le drapeau français en disant : « Je suis là et je suis le plus fort. » Au fur et à mesure, je leur ai forcé le respect. En France, tu combats et personne ne te reconnait dans la rue à part les connaisseurs. Le jour où j’arrive à Ankara, je suis dans le car et je sens qu’il bouge. Je me demande : « C’est quoi ça ? » C’était la foule qui poussait le bus en criant « kamikran », ça signifie « casseur d’os ». Ils ont mis le ring en pleine rue, l’équivalent de Bastille à Ankara et ils me ramènent 100 000 personnes. D’ailleurs il y avait le maire, tu imagines Delanoë dans un tel événement à Paris. C’est là que je me suis rendu compte de la différence avec la France, ça m’a fait un choc. Quand je vais dans des pays étrangers j’y vais avec le drapeau tricolore et je me suis rendu compte que lui ne me le rendait pas. Donc à partir de 2009 avec l’aide de Serge Dassault, que je ne remercierai jamais assez, j’ai arrêté de boxer pour les autres et j’ai crée ma propre organisation de combat. Un peu à la manière de Dieudonné, j’ai affirmé que je les emmerdais tous. C’est à l’étranger que je me suis rendu compte que j’étais Français.
J’ai cru comprendre que tu avais rebondi à un commentaire de Badr Hari sur une photo de Booba sur Instagram ? C’était un prétexte, au moment du clash de Booba et La Fouine, Badr Hari a commenté une photo en défiant Booba. C’est là que j’ai déclaré : « On va faire de la boxe thaï ensemble si tu veux. Au lieu de parler de Booba affronte un boxeur. » À ce moment, Dubaï m’a appelé, c’était le 15 juin et on a signé dans la foulée. Donc quand j’entends que j’ai fait le buzz pour avoir ce gala ce sont des conneries. Quand tu dis le 27 juin dernier à Lyon, « Badr Hari, c’est fini », c’était pour attirer son attention ? N’importe quoi ! Le contrat était déjà signé mais les gens croyaient que j’avais peur de lui. Mais j’ai peur de qui moi ? C’est pour ça que j’ai dit : « Le 16 octobre, c’est fini ! » Tu crois que je la sors d’où la date ? D’ailleurs c’est moi qui ait déclaré juste après : « Je vais arrêter la boxe. » ? Non c’est lui ! Et d’ailleurs tu ne vas rien arrêter du tout, c’est signé le papelard. Le 16 octobre, l’un de nous deux va tomber, fin de l’histoire. Pour tous ses fans : « Niquez tous vos mères bande de suceurs de bites ! » (rires, ndlr)
Quand tu dis sur Instagram que tu vas envoyer Badr Hari à l’hôpital puis que tu vas le tuer sur le ring, était-ce de la mise en scène ? Bien sûr, moi j’ai signé le papier. Après peut-être que lui n’était pas au courant car avant il était dans un système qui s’appelle le K-1 qui est un grand tournoi de grandes putains. Médiatiquement c’est comme The Voice, on leur dit deux mois à l’avance qui ils combattent. Mais dans la boxe normale, en dehors de cette organisation privée, ce n’est pas toi qui décides. Leur truc a coulé lourd et ils n’ont plus aucun pouvoir de décision. Il croyait que je ne le ferai pas et que je le craignais ; mais c’est ton fan club qui te gonfle le cul mon frère moi je n’ai pas peur de toi. Seul le ring montrera qui est le plus fort. C’est un combat où on va se taper fort, il gagne : « Bravo ! » Mais ça va être très dur parce qu’on va se donner comme des chiens. Le pire c’est que si je le fais tomber rien ne va changer dans ma vie car en France, on s’en bat les couilles. Pourquoi parler autant avant le combat si tout est signé ? J’aime la pression, j’aime le bordel, j’aime quand mes rebeus et mes renois se tapent et qu’ils en parlent toute la journée. Ça m’amuse quand les blédards viennent me voir pour me dire, « Chef tu vas combattre Badr Hari », ou quand les renois me prennent pour leur frère et me parlent de Black Power. Ils sont tous dans leur délire mais c’est le bordel et je me nourris de ça. Ce qui m’insupporte c’est qu’un combat se passe sans qu’il n’y ait de réelle embrouille. Je suis comme ça et je ne changerai pas, j’ai 35 ans et ça fait des années que je n’ai pas autant kiffé. D’ailleurs je vais peut-être aller au Maroc faire un tour (rires).
« J’AIME LE BORDEL, J’AI 35 ANS ET ÇA FAIT DES ANNÉES QUE JE N’AI PAS AUTANT KIFFÉ. » N’as-tu pas peur d’avoir trop parlé en cas de défaite ? Je n’ai pas de carences affectives mon frère ! Il y a des gens qui idolâtrent autre chose que Dieu et ça me choque. En boxe, j’estime que personne ne m’est supérieur donc je ne baisserai pas la tête et je ne te baiserai pas les pieds. J’assume tout ce que je dis et si demain je perds, je resterais droit dans mes bottes… Mais je ne perdrai pas ! Comment tu te prépares physiquement et mentalement à ce combat ? Comme tout le monde le sait j’étais aux Antilles et je suis revenu hier (Patrice a posté une photo de vacances feignant de se reposer au lieu de se préparer). Non je rigole. Je m’entraîne très dur, je suis à la salle six jours sur sept, j’y passe ma vie. Concernant le mental, la boxe ce n’est pas fait pour tout le monde donc le mental tu l’as ou tu ne l’as pas. Je suis arrivé sur les rings à vingt-cinq ans et des gens combattaient quinze ans avant moi et je leur ai cassé la mâchoire. Pourquoi ? Car la différence entre eux et moi c’est que je suis déterminé. Quand je rentre sur le ring je suis là pour te massacrer et ce depuis le début. Est-ce que les commentaires disant que tu n’as aucune chance t’affectent ? Je ne lis pas Facebook, Instagram, je n’avais pas de compte il y a six mois. Ce sont des gens qui gèrent tout ça pour moi. Regarde mon téléphone et tu verras qu’il n’y a pas d’applications de réseaux sociaux. Le problème c’est que pour que ça m’affecte, il faudrait que je sache ce qu’ils disent mais je ne m’y intéresse pas. En plus je sais que la personne qui commente va insulter bêtement mais ce n’est pas lui que je combats. Je ne combats pas YouTube, Facebook ou Instagram. As-tu quelque chose à ajouter ? Je voudrais passer un message à tous mes frères Benetton (marque de vêtements qui joue sur une image marketing métissée). Il faut prendre l’avion pour Dubaï et venir m’encourager. Sortez tous les drapeaux parce que vous allez voir un vrai bordel, c’est la guerre. Je vais être tout seul dans un pays d’Arabes donc venez m’aider bande d’enfoirés. J’ai besoin de vous ! Venez gueuler sur le ring que j’entende trois Français avec moi pour que je ne sois pas tout seul… Je rigole, j’ai l’habitude, j’en ai rien à foutre. Si vous êtes là c’est bien, si vous n’êtes pas là, allez vous faire enculer. Bonne soirée.
« J’ASSUME TOUT CE QUE JE DIS ET SI DEMAIN JE PERDS, JE RESTERAIS DROIT DANS MES BOTTES… MAIS JE NE PERDRAI PAS. »
Propos recueillis par Julien Bihan, photos de Yoann « Melo » Guérini
JACK JOHNSON
MIKE TYSON
LA PUNCHLINE : J’AI FAIT BEAUCOUP D’ERREURS EN DEHORS DU RING, MAIS JE N’EN AI JAMAIS FAIT AUCUNE DESSUS.
LA PUNCHLINE : JE SUIS PRÊT À BATTRE N’IMPORTE QUEL HOMME, N’IMPORTE QUEL ANIMAL. SI JÉSUS ÉTAIT ICI-BAS, JE LE COMBATTRAIS ÉGALEMENT.
À l’époque où Jack Johnson grimpe sur le ring — au tout début du XXème siècle — son combat dépasse allègrement les frontières du sport. Premier homme noir à obtenir le prestigieux titre de Champion du monde poids lourd, il remet instantanément en question la supposée suprématie de la race blanche, tant et si bien que le New York Times est amené à faire un appel public afin de lui trouver un adversaire susceptible de « tout faire rentrer dans l’ordre ».Une lutte qui aurait pu l’ériger en icône mais Johnson adopte pour sa part le lifestyle du parfait « P.I.M.P. ». Il possède notamment une boîte de nuit au cœur d’Harlem, quartier dans lequel on pouvait par exemple l’y voir promener son léopard de compagnie. Amoureux de bling-bling et de femmes voluptueuses, on lui prête entre autres des liaisons avec Mata Hari ou encore la star du Moulin Rouge, Mistinguette. Jack Johnson fut également fugitif pendant près de sept années, après avoir été accusé d’infraction envers le Mann Act, une loi interdisant le transport de femmes entre États à des fins sexuelles.
MUHAMMAD ALI
LA PUNCHLINE : JE SUIS TELLEMENT MÉCHANT QUE JE RENDS LA MÉDECINE MALADE. Plus qu’un simple athlète, Muhammad Ali fait figure de véritable icône tant par ses prouesses sportives que par son activisme dans la lutte pour l’égalité des droits civiques aux États-Unis. Un combat illustré notamment par son refus d’aller servir l’armée américaine au Vietnam, prétextant « qu’aucun Vietnamien ne [l’a] jamais traité de sale nègre ». Mais avant tout, celui que l’on appelait Cassius Clay est un boxeur, et en tant que tel, il s’est également prêté à certaines démonstrations égocentriques et autres « pressions » sur ses adversaires. Dans le cas d’Ali, il n’hésite pas à pousser l’intimidation à son paroxysme, et ce n’est pas son célèbre opposant Sonny Liston qui dira le contraire. À peine leur affrontement officiellement arrangé, ce dernier subit les provocations incessantes de son challenger, qui va jusqu’à se déplacer au domicile de Liston à 3 heures du matin, en lui ordonnant de sortir de chez lui pour se faire « botter le cul sur-le-champ ».
À l’instar de nombreuses autres disciplines sportives, le monde de la boxe se mue régulièrement en une vaste guerre d’égos. Un affrontement significatif dans une pratique où « être le meilleur » implique de terrasser son opposant en le rouant de coups. Cette insatiable lutte narcissique donne souvent lieu à des scènes surréalistes où les plus caractériels tentent de s’intimider mutuellement au rythme de mises en scène spectaculaires et de phrases incisives. Là où beaucoup seraient tentés de définir cet aspect de la boxe comme « la part d’ombre » de ce sport, YARD a décidé d’honorer ces combattants qui écrivent à chacune de leur démonstration de force la légende de leur art, dans un TOP 5 regroupant les boxeurs les plus « badass » de l’histoire.
Texte de Lenny Sorbé
S’il y a bien un nom qui surgit de l’inconscient collectif à la simple évocation du profil d’un « sportif au caractère bien trempé », c’est à n’en pas douter celui de Mike Tyson. Plus jeune boxeur de l’histoire à obtenir un titre mondial, Tyson aura en effet acquis, au cours de ses vingt ans de carrière, le surnom évocateur de « The Baddest Man of The Planet ». Cette réputation débute à douze ans en maison de correction, et il l’entretient aussi bien par son attitude sur le ring qu’en dehors. Car lorsqu’« Iron Mike » est lâché sur son terrain de jeu favori, il n’est ni plus ni moins qu’un monstre. Une image qu’il théâtralise dans ses entrées sur le ring de la manière la plus intimidante qu’il soit en usant d’agressivité, dans le bon comme dans le mauvais sens du terme. Un « fighting spirit » qui atteint son apogée un soir de juin 1997, lorsque Tyson, lassé de devoir subir les coups de têtes répétés d'Evander Hollyfield, mord l’oreille de son adversaire — lui arrachant au passage une partie du lobe — avant de récidiver quelques minutes plus tard. Un geste qui lui valut un an de suspension et près d’un million de dollars d’amende.
FLOYD MAYWEATHER JR. PRINCE NASEEM HAMED
LA PUNCHLINE : CERTAINS PAIENT POUR ME VOIR GAGNER, D’AUTRES PAIENT POUR ME VOIR PERDRE, MAIS QUOI QU’IL ARRIVE, ILS PAIENT TOUS. Unanimement considéré comme l’un des tout meilleurs artificiers de l’histoire, Floyd Mayweather en demeure paradoxalement l’un des plus détestés. Flirtant avec la quarantaine, le « Pretty Boy » détient encore aujourd’hui les titres de champions du monde WBA & WBC et ne compte pas la moindre défaite en dix-huit ans de carrière. De ce fait, il figure en tête du classement des sportifs les mieux payés de la planète. Une belle revanche pour celui qui, enfant, était contraint de dormir avec ses sept frères et sœurs dans la précarité la plus totale. Un changement radical qui lui aura fait développer une soif d’argent immodérée, ainsi qu’un goût prononcé pour l’exubérance. Ouvertement cupide, Floyd Mayweather exhibe à outrance sa fortune et aligne des sommes astronomiques en pariant sur différentes rencontres sportives, sans pour autant perdre le moindre denier selon ses dires. Un rapport démesuré à l’argent que l’on prête habituellement aux rappeurs, et qui l’amène logiquement à les côtoyer, voire même les affronter. Ce fut le cas récemment avec T.I. auquel il assena un cinglant « Control your bitch ! » après que la femme de l’artiste ait essayé de rendre son mari jaloux en tournant autour du boxeur.
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LA PUNCHLINE : AS-TU DÉJÀ VU UN SPORTIF ENTRER SUR LE RING COMME À UN CONCERT, SUINTANT LA CONFIANCE, AVANT DE PULVÉRISER SON ADVERSAIRE ? SANS ME VANTER, J’ÉTAIS CARRÉMENT BON LÀ-DEDANS. Contrairement à la plupart des noms cités dans ce classement, Prince Naseem Hamed s’est peu fait remarquer pour ses frasques en dehors du ring. Si l’on excepte un penchant pour la conduite à risque, avec une condamnation en 2006 suite à la collision de trois véhicules qu’il a lui-même provoquée, peu de véritables vices sont à compter à son actif. En revanche, le constat est radicalement différent lorsque l’on évoque l’aspect sportif. Arrogant au possible, Naseem Hamed, qui s’est auto-proclamé « Prince », a défrayé la chronique du monde de la boxe au milieu des années 90, par son style aussi atypique que provocateur : entre ses entrées plus que culottées et son attitude virevoltante au combat. En ce sens, le « Prince » ne manqua pas de se moquer ouvertement de son compatriote britannique et ex-champion du monde Chris Eubank, à qui il rappela ironiquement — ceinture ajustée autour de la taille — la perte de son titre, provoquant ainsi une altercation avec ce-dernier.
« Le cinéma est une industrie et les films sont des produits de consommation de masse, mais pour que ce produit de consommation fonctionne, il faut qu’il rende un service spirituel .» C’est avec l’appui de cette réflexion du philosophe Ollivier Pourriol que nous mettons le doigt sur les contradictions qui résident dans le genre cinématographique des super-héros. Nous les connaissons tous, ils nous rappellent l’enfance ou nous font encore rêver, ils nous ont lassés ou nous font juste rigoler. Mais nous défions quiconque de trouver quelqu’un qui vous réponde un jour : « Superman ? C’est qui lui déjà ? » Le cinéma, moyen d’expression artistique emblématique de notre siècle, a permis à cette famille de nouveaux héros de s’universaliser. Mais le grand écran, ça coûte cher, surtout quand il s’agit de filmer un énergumène qui se balance d’immeuble en immeuble avec des toiles d’araignée. Alors, nous associons bien plus naturellement la bande de justiciers masqués à l’argent qu’à l’art. Dans les discussions de comptoir, ces deux notions sont facilement mises en opposition ; une trop grande influence de l’argent empêcherait à l’art de s’exprimer. Les films de super-héros font le pari fou de faire cohabiter les deux en empruntant un chemin quelque peu tortueux.
UNE FAMILLE EN OR Au début des années 2000, le cinéma de super-héros prend un tournant décisif qui lui permet de connaître aujourd’hui un état de grâce avec en moyenne trois ou quatre films sortis par an depuis 2011. À cette époque, les techniques cinématographiques évoluent et permettent de passer des effets spéciaux mécaniques aux numériques. Concrètement, cela supprime le fil un peu trop voyant qui suspend Superman dans les airs dans le film de Richard Donner de 1978. L’imaginaire mirobolant, autrefois expérimenté sur des planches de comics devient crédible. Maintenant, tout est possible car auteurs et dessinateurs ont laissé à la postérité des planches de péripéties à ne plus savoir qu’en faire. Contrairement au Seigneur des anneaux ou à Matrix, il y a de la matière pour adapter les super-héros à l’écran pour encore quelques décennies. C’est Isaac Perlmutter, un des hommes les plus mystérieux au monde, aussi absent des médias que Kubrick et aussi riche que Crésus, qui a identifié la poule aux œufs d’or. Car, avec le succès d’X-Men en 2000 (296,3 millions de dollars de recettes) puis de Spiderman en 2002 (821,7 millions de dollars de recettes), le CEO de Marvel ne lâchera pour rien au monde l’un des plus grands puits de pétrole du cinéma américain. Le public s’en prend plein les yeux et en redemande, pourquoi s’en priver ? Archétype du blockbuster, le film de super-héros, qu’il soit étiqueté Marvel ou DC Comics, est conçu selon une logique commerciale. Il faut beaucoup d’argent pour rendre les super-héros crédibles et, une fois qu’ils volent convenablement, c’est également beaucoup d’argent à
encaisser. Il est trop tard pour fermer les yeux sur cet aspect du genre, c’est une histoire de gros sous, c’est avant tout un projet économique. Et avec 1 4 83 noms au générique de Captain America : The Winter Soldier, Marvel nous signifie qu’autant de chèques de salaires et de contrats de travail ont été signés.
RETOUR SUR INVESTISSEMENT Comme tout produit économique, il y a échange de biens et de services et, comme toute entreprise économique, il faut convaincre pour en tirer un quelconque bénéfice. C’est ainsi que notre ami Isaac Perlmutter et ses homologues de DC Comics se voient dépendants de millions d’individus à travers le monde lorsque ces derniers acceptent de se déplacer pour aller voir des toiles d’araignée ou des chauves-souris. À leur tête, il y a ceux qui sont là depuis le début ; ceux qui ont réussi à comprendre la profondeur de Superman lorsqu’il était fait de papier et se baladait en slip ; ceux pour qui la passion est tellement vive qu’ils parviennent à obtenir des places pour le Comic-Con de San Diego au cours des 94 premières minutes de leur mise en vente. Hier fidèle loser, aujourd’hui cool et privilégié, le public des Comic-Con, c’est un peu les actionnaires des films de super-héros. Pour que l’entreprise perdure, ils doivent pouvoir y croire. Grâce à cette organisation, on offre au cinéma la possibilité d’avoir un lien direct avec son public, comme peuvent le faire les musiciens en live ou les sportifs dans les stades. Une interdépendance entre les franchises et ces célèbres conventions existent désormais dans le monde entier, avec 27 Comic-Con officiels, dont 14 aux États-Unis, un 17
en Inde et un aux Émirats arabes unis. Le plus important reste bien sûr le premier d’entre eux, créé en 1970, celui de San Diego. Ne vous y trompez pas, derrière ses airs de carnaval et de course à l’autographe, cette convention est prise très au sérieux par les producteurs de films de super-héros. Kevin Feige, directeur des studios Marvel, s’y déplace chaque année et répond aux interviews, non pas en costume mais en t-shirt et casquette, tout près du reste de la foule. Au micro d’une journaliste d’IGN, il explique que le travail de Marvel durant toute l’année s’organise en fonction du Comic-Con de San Diego. Six mois avant l’échéance, ils établissent un bilan sur les avancées des films en production et organisent la suite des échéances en fonction de ce qui devra être révélé aux fans six mois plus tard. Pour lui, San Diego permet d’organiser le point de départ de tout projet Marvel. L’étape se révèle essentielle, et l’on s’y fait d’ailleurs la guerre entre Marvel et DC Comics par une chasse à la révélation la plus attrayante pour les fans. En 2013, quand DC Comics annonce le projet d’un film réunissant Batman et Superman, Marvel offre une multitude de détails sur le retour des Avengers. Une relation inédite se crée entre les personnes qui fabriquent le film et celles qui le regardent. Des studios qui pèsent des milliards de dollars doivent impressionner et être validés par 130 000 fans dans un rapport de respect et d’humilité face à ceux qui les ont toujours soutenus. C’est ainsi que Joss Whedon, chouchou de l’édition 2013 et réalisateur du premier Avengers, explique que, lorsqu’il passe devant les 5 000 personnes qui l’acclament lors de sa conférence, c’est tout sauf de la gloire qu’il ressent, mais un tête-à-tête privé et intimiste avec les fans.
LE RESPECT DES ANCIENS Les millions de personnes qui payent une place de cinéma engrangée par Marvel ou DC Comics se comptent effectivement en dollars. Mais elles sont aussi le reflet de la dimension populaire du genre. Derrière les dollars, il y a des gens. Devant l’état d’esprit des Comic-Con et face au nombre faramineux d’entrées vendues à chaque film, les superhéros représentent une culture qui s’intéresse avant tout à son public. X-Men : Days of Future Past enregistre le meilleur score de toute la franchise, alors qu’il a déjà sept films derrière lui. L’argument de la redondance n’est donc plus valable, les super-héros savent se réinventer car ils incarnent notre histoire moderne. En guise d’héritage, ils empruntent les motifs des différents mythes de l’humanité. Tout comme Ulysse, Captain America se trouve coupé de sa terre natale et essaye de se construire malgré cela ; tout comme Moïse, Batman veut libérer son peuple et s’interroge sur les moyens pour y parvenir ; tout comme Hercule, Spiderman doit apprendre à composer avec les responsabilités que lui offrent ses capacités exceptionnelles.
À l’aide de personnages et de situations extraordinaires, les films de super-héros nous parlent de nos peurs collectives, de nos failles, mais surtout de nos idéaux. Ce sont ces rêves fondateurs que les gens se délectent de voir et revoir sans cesse.
FRICTIONS ET A U T R E S I N C O M PAT I B I L I T É S Plus l’envol est beau, plus le retour à la réalité est difficile. Rappelons simplement que les super-héros ne sont pas seuls dans le paysage cinématographique, bien au contraire. Le septième art est un monde complexe organisé autour d’une histoire, de codes et de règles. Nos personnages costumés dépassent largement le cadre du cinéma traditionnel et perturbent quelque peu ses membres habituels. Que penser d’un genre qui rafle toutes les parts de marché et qui privilégie l’avis de ses fans plutôt que celui des critiques ?
Les questionnements moraux forgent la base des récits de super-héros et les nuances entre le bien et le mal leur permettent de prendre de la hauteur. Grâce à ces métaphores en cape et en masque, elles sont compréhensibles par tous. À cela s’ajoute une perspective de modernité : ces nouveaux mythes se calquent sur des problématiques collectives renouvelées au cours des deux derniers siècles. C’est par exemple toute la dimension sociale des mouvements des droits civiques afro-américains que l’on peut déceler au travers de la saga X-Men. Quand Charles Xavier et Martin Luther King tentent de trouver un consensus pacifique face à la population oppressante, Magneto et Malcolm X ne voient que l’emploi de la force comme réponse efficace à l’injustice subie.
Les franchises jouent bien sûr le jeu de la promotion avec les médias, mais elles s’organisent plutôt en fonction des geeks du Comic-Con que par la tournée des festivals. Un état d’esprit qui ne lui attire pas les faveurs du monde de l’art cinématographique. Au cours de l’histoire des Oscars, 1 276 films ont été récompensés d’au moins une précieuse statuette ; parmi eux, on compte seulement deux films de super-héros : le Batman de Tim Burton pour le meilleur décor et The Dark Knight de Christopher Nolan pour le meilleur acteur dans un second rôle (Heath Ledger) et pour le meilleur montage sonore. Sous-représentés, ils se voient en plus octroyer des prix qui ne font pas particulièrement rêver. Contrairement à Cannes, les Oscars comprennent pourtant la possibilité d’une démarche artistique pour un blockbuster (Titanic, Gladiator, Rocky, etc.), mais ne semblent pas encore prêts pour les héros volants.
La question des médias est elle aussi caractéristique de toutes les histoires de nos héros. Superman et Spiderman travaillent au cœur de rédactions lorsqu’ils tombent leur costume de justicier, tandis que Batman et Iron Man se servent constamment de la presse pour dissimuler ou dévoiler leur identité. Les médias jugent sévèrement ou soutiennent, mais ils représentent un des nouveaux piliers du fonctionnement de notre vie en communauté, ils sont donc centraux dans la réflexion du genre.
L’exploitation des franchises jusqu’à l’os des suites, prequels, reboots et autres joyeusetés apparaît comme trop mécanique et entache les œuvres qui ont du mal à être considérées comme artistiques par le corporatisme du cinéma. Comment une machine de guerre pourrait-elle avoir une âme ? Faute de comprendre cette jolie contradiction, on la met de côté. Le Masque et la Plume, émission de débats de critiques sur France Inter, n’a sélectionné, parmi les films à discuter chaque
semaine, aucune des quatre œuvres signées Marvel et sorties en 2014 (Captain America : The Winter Soldier, The Amazing Spiderman 2, X-Men : Days of Future Past et Les Gardiens de la galaxie), elles ne font pas partie des priorités. Émission de débats, cette fois télévisée, Le Cercle a fait l’effort de traiter la sortie d’Amazing Spiderman 2, mais en ponctuant les interventions de quelques petites phrases cinglantes qui font bon genre : « Le reboot consiste, je vous le rappelle, à reprendre une histoire qu’on connaissait déjà par cœur avec un autre acteur moins cher » Frédéric Beigbeder. Dans Télérama, Frédéric Strauss dénonce X-Men : Days of Future Past en expliquant que « ce voyage dans le temps est d'abord un tour de passe-passe commercial permettant de réunir la distribution d’origine et celle, rajeunie, de X-Men : le commencement (2011) ». Avant de parler du film lui-même, on rappelle que la logique mercantile de ce cinéma n’est pas compatible avec l’idée noble du Cinéma avec un grand C. « Ce film est plus sombre que tous les précédents. En fait, je n’ai pas fait un film de super-héros. J’ai tenté de raconter une histoire extraordinaire. Et j’avais besoin de me sentir libre de le faire, donc d’élargir la focale ». Même Christopher Nolan se défend de réaliser un film de super-héros, comme si cela représentait une sorte de plaisir coupable. Cette déclaration pousse à son paroxysme l’ambiguïté de la perception de ce genre. Avec un succès commercial exemplaire et une démarche artistique aussi intéressante sur le fond que sur la forme, la trilogie Batman de Nolan doit pourtant passer son temps à justifier son genre cinématographique. Les super-héros au cinéma ont indiscutablement contribué à pénétrer l’inconscient collectif. Quand Nike utilise le personnage de Hulk dans sa pub pour la Coupe du monde, tout le monde comprend. Les super-héros sont l’expression de notre culture mondialisée. Quelle idée étrange d’avoir honte de sa propre culture !
Texte de Nina Kauffmann
Cet été, le Wanderlust a accueilli tous les mardis la YARD SUMMER CLUB, une soirée qui s'est vite imposée comme une référence pour les amateurs de hip-hop. C’est dans un cadre idéal qu’une quarantaine de DJs ont enflammé les 1 6 00m2 du lieu parisien pendant cette belle période estivale. Après trois mois de plaisir, il nous était indispensable de boucler la boucle par un show aussi inédit qu’inattendu pour célébrer cette clôture. L'idée de la CLOSING BLOCK PARTY est née.
À cette occasion, la totalité des DJs ont été rappelés mais c’est surtout une vingtaine de rappeurs qui ont été conviés pour offrir une série de concerts sur les bords de Seine. Au menu, un plateau éclectique comptant : des jeunes talents comme la MZ, Luidji ou Dinos, des pointures confirmées comme le 113, Ärsenik ou Mac Tyer, et qui réserve même des surprises comme le passage du phénomène Gradur.
BÊTE DE SOIRÉE : BONNE AMBIANCE, PUBLIC ACCUEILLANT ET CHALEUREUX, CONNAISSEUR DE HIP-HOP. C’EST ÇA QUI FAIT PLAISIR. 113
C’EST BIEN, IL Y A DE L’AMBIANCE. J’AI BIEN AIMÉ LA CONFIGURATION, C’ÉTAIT UNE BONNE BLOCK PARTY HIP-HOP COMME À L’ÉPOQUE DU WU-TANG. Mac Tyer
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LE LINE-UP MULTI-GÉNÉRATIONNEL CRÉDIBILISE LE TRUC. TU SAIS QUE DANS CET ÉVÈNEMENT LE PUBLIC SERA DIVERSIFIÉ ET QU’IL Y’AURA FORCÉMENT DES CONNAISSEURS.
IL N’Y A PAS D’ÉVÈNEMENT AUSSI COSTAUD À PARIS. Espiiem
Tito Prince
C’EST BIEN QU’EN FRANCE ON FASSE CE GENRE DE PROGRAMMATION QUI RÉUNIT TANT D’ARTISTES DE GÉNÉRATIONS ET D’HORIZONS DIFFÉRENTS. S.Pri Noir
MÊME SI LE PUBLIC NE CONNAISSAIT PAS MES CHANSONS, IL ÉTAIT QUAND MÊME LÀ : IL CRIAIT, ME VALIDAIT ET HOCHAIT LA TÊTE. Odjee
C’EST PAR DES MANIFESTATIONS COMME CELLE-LÀ QU’ON ARRIVERA À CONSTRUIRE QUELQUE CHOSE DANS LA CULTURE HIP-HOP EN FRANCE. Zekwe Ramos
JE SENS QUE DANS 10 ANS, ON DIRA À NOS PETITS : MAIS TOI T’AS PAS CONNU LES YARD SUMMER CLUB AU WANDERLUST !
ON A BESOIN DE CE GENRE D’AMBIANCE POUR CÉLÉBRER LA FIN DE L’ÉTÉ. Pink Tee
Dinos Punchlinovic
ON A PRIS DU PLAISIR CAR QUAND LE PUBLIC EST AU RENDEZ-VOUS COMME CE SOIR, ON A ENVIE DE LEUR RENDRE. MZ
ÇA FAIT 4-5 ANS QUE JE RAPPE ET JE N'AURAI JAMAIS PENSÉ PARTAGER LA SCÈNE AVEC MAC TYER, RIM-K OU ÄRSENIK QUE J’ÉCOUTE DEPUIS TOUT JEUNE. Luidji
LE MOT DE LA FIN ? C’EST QUE LE DÉBUT. Lino
Photos de Marie Brisse
ITW LOOM P H Y S I O D U YA R D S U M M E R C L U B
« P O U R M O I C E S O N T L E S P L U S G R O S S E S S O I R É E S H I P - H O P D E F R A N C E V O I R E D ’ E U R O P E . » Malgré la centaine de personnes mobilisées pour mettre en œuvre les trois mois de YARD SUMMER CLUB, Loom reste certainement le visage le plus connu du public. Premier contact d’un lieu de fête, le physionomiste - ou physio - est chargé de laisser passer les (bons) fêtards, de les protéger et devient le garant de l’esprit de la clientèle qui doit coïncider à celle recherchée par les organisateurs. En définitive, une mission indispensable et difficile qui incombe à celui qui l’occupe. Comme le disait l’oncle de Peter Parker, « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », on a donc laissé à Loom le soin de nous présenter son aventure.
Comment définirais-tu ton style en tant que physio ? Je suis humain et cool. Je ne suis pas le genre de mec qui se déguise en fait. Tu vois, beaucoup de physios changent et s’habillent d’une certaine manière, ils jouent un rôle et en font trop. Cette catégorie finit toujours à un moment par se cacher derrière le videur. Les soirées YARD sont des soirées hip-hop ouvertes à tous, pas seulement pour les « blacks », les hipsters ou telle et telle clientèle. On voulait vraiment qu’il y’ait un melting-pot, donc j’ai bossé de cette manière. Qu’est-ce qui te pousse à dire non à certains et oui à d’autres ? L’état d’esprit des personnes. C’est difficile de jauger, mais quand t’es bon tu sais le faire. À force de travailler dans différents endroits, tu commences à voir les mêmes choses, c’est souvent répétitif. Être physionomiste, c’est se souvenir des visages mais aussi déceler dans le regard et dans l’attitude le mec cool. Je cherche avant tout le bon esprit, la bonne énergie mais pas spécifiquement des gars qui ont de l’argent ou qui sont ultra-lookés. Donc celui qui est dans un mauvais délire, je le capte et c’est non. Arrives-tu à déceler la dangerosité d’une personne, ton travail est aussi d’assurer la sécurité de tout le monde ? Clairement. C’est la particularité de notre métier, c’est la où nous devons être compétents et vigilants car l’ambiance qui va régner dépend de nous. Il suffit d’un branleur, d’un fouteur de merde et c’est foutu. Quand tu fais des soirées à 4 000 personnes, tu as peu de marge d’erreur. C’est pour ça que tu as une équipe de sécurité à l’intérieur pour gérer ces situations.
« QUAND TU FAIS UNE SOIRÉE À 4 000 PERSONNES, TU AS PEU DE MARGE D’ERREUR. »
Est-ce que comprends-tu la frustration des personnes refoulées ? Tout à fait. Tu sais, je dis souvent à mes gars : « Mets-toi dans la tête que tu as été client et que tu l’es encore. » Et quand tu es amené à dire non, il faut essayer de le faire avec le plus de précaution possible. Les gens viennent pour s’amuser dans un endroit où la musique jouée représente leur culture, mais parfois on les refuse. C’est dur ! Je suis humain, j’ai un cœur comme tout le monde et ça ne me fait jamais plaisir de dire non. Excepté aux branleurs qui me sortent une American Express noire et une Gold lorsque je leurs demande s’ils sont accompagnés. Ah ouais ? Alors prends tes deux copines et va voir ailleurs !
Justement quelles sont les phases les plus insolites que tu as entendues ? À part celle-là, un mec m’a dit en arrivant, « Bonsoir, ça ne va pas être possible », puis il continue en me répétant : « Non, ça ne va pas être possible. » Moi je suis bon joueur, et même si le mec n’a pas le look, le fait qu’il m’ait fait une blague drôle me pousse à le laisser entrer. Les gars deviennent créatifs. Un jour quelqu’un vient me voir à l’entrée et m’interpelle : « Bonsoir, on est les cousins de Loom et il nous a dit qu’on pouvait venir – Mais vous êtes quel genre de cousins, parce que je le connais bien Loom ? – Nos mères sont sœurs c’est tout – Les gars vous avez entendu ? C’est des cousins de Loom ! Mais c’est bizarre car Loom, c’est moi ! » Ces mecs-là, je ne les ai pas laissés entrer par contre. C’était trop, tu parles de la famille quoi ! Mais cette phase nous a fait rire toute la soirée. Un jour un mec arrive en Ferrari, me passe les clés en me disant : « Va me la garer !» Je lui ai répondu : « Je ne vais pas la garer, je vais la garder en fait. »
« LA SOIRÉE N'AVAIT LIEU QU’UN JOUR PAR SEMAINE, MAIS J’EN METTAIS DEUX OU TROIS À M’EN REMETTRE. »
Quand quelqu’un te propose de l’argent pour entrer, comment tu réagis ? Les premières fois où l’on m’a fait ce genre de proposition, ça m’a fait réfléchir. Je me dis que si je prends l’argent, ça signifie que je suis un vendu. J’ai de l’égo, de la fierté et puis ce n’est pas juste pour les mecs qui me paient et qui m’ont engagé. Les gens de chez YARD, ce sont des potes avant d’être des gars avec qui je bosse. C’est une relation de confiance, c’est comme si je volais mes potes. Et la deuxième chose, c’est que si tu acceptes et que la personne que tu as laissé entrer fout le bordel et te balance, tu es définitivement cramé et décrédibilisé. Parfois, ça peut aller jusqu’à 500 euros mais personne ne me mettra un prix sur la tête. La première soirée a été particulièrement agitée à différents niveaux avec la release party de l’album de Joke. Comment l’as-tu vécu personnellement ? C’est la première fois que j’ai vu autant de monde se présenter devant une boîte. À l’intérieur c’était noir de monde, il devait y avoir 2 500 personnes ; et dehors, la queue allait jusqu'à la gare d’Austerlitz. Surréaliste ! J’avais un sentiment de fierté car quelque part tu te dis que tu as fait du chemin depuis les petits bars. Après vient une impression de peur, car si tout le monde décide de rentrer, personne ne pourra les empêcher. Là tu commences à flipper et plein de choses entrent dans ta tête. 22
Dans ton expérience de physio à Paris, as-tu connu d’autres événements comparables à celui-là ? Pour moi, c’est la plus grosse soirée hip-hop de France, voire d’Europe. Je n’ai jamais eu à gérer ça car même au Zénith, lors de concerts, tu as beaucoup de monde mais c’est différent car c’est une configuration simple pas comme celle du clubbing. Je n’ai jamais vu ça, je pense même que je peux rentrer dans le livre Guinness des records en étant le mec qui a recalé le plus de monde en une soirée. Es-tu déjà allé trop loin dans ta manière de recaler ? Ça m’est arrivé en début de carrière, mais plus maintenant. Comme je le dis souvent, il ne faut jamais s’habituer à une porte. Puis quand tu montes une échelle, fais bien gaffe à dire bonjour à tous les étages car un jour tu vas la redescendre. Et quand ce sera le cas, tu reverras les mêmes personnes et elles ne t’oublieront pas. Quand tu tiens une porte à la mode, beaucoup veulent être ton ami, mais c’est souvent de l’hypocrisie, parce qu’ils savent que t’as du pouvoir. Le jour où tu n’as plus de porte, fais gaffe, tu peux vite te retrouver seul. Donc c’est essentiel de respecter tout le monde et de ne jamais avoir de sentiment de supériorité. Quel est le truc le plus fou que tu ais vécu dans la YARD SUMMER CLUB ? Il y en a eu plusieurs. Mais quand tu rentres à l’intérieur et que tu vois 2 000 personnes danser, c’est fou. La release party de Joke et la CLOSING BLOCK PARTY avec tous les rappeurs, c’était du délire. Voilà, c’est plein de bons moments. J’ai vraiment senti que les gens attendaient cette soirée tous les mardis, c’est devenu l’incontournable de l’été. Ce fut vraiment une expérience de fou. Je suis content parce que j’ai fait l’entrée d’un lieu qui prenait 4 000 personnes. La soirée n'avait lieu qu’un jour dans la semaine, mais j’en mettais deux ou trois à m’en remettre à chaque fois. Ce fut mortel, un pur délire ! Merci ! Propos recueillis par Julien Bihan, photo de Marie Brisse
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I T W D O L LY C O H E N «LE JOUR OÙ J’AI POSÉ UN AK-47 DANS LA BOUCHE DE RIHANNA, J’AI FLINGUÉ LA TERRE ENTIÈRE.» Il y a deux façons d’exploser une bouche : celle d’Edward Norton dans American History X ou celle de Dolly Cohen. Prothésiste dentaire devenue « grillz designer » depuis une dizaine d’années, elle est aujourd’hui une référence dans son métier et des monuments de la culture pop se l’arrachent : d’A$AP Rocky à M.I.A. en passant par Rihanna. Cette autodidacte démarre la vente de ses pièces simplement pour mettre « un peu de thune de côté », mais l’am-
Le grillz n’est-il pas l’expression ultime de la différenciation identitaire par le style ?
pleur grandissante du phénomène lui permet maintenant d’en vivre pleinement. Du bouche à oreille qui l’amène à mettre un AK-47 sur les dents de Rihanna, elle nous éclaire dans les
Si tout le monde s’habillait pareil, c’est à ce moment-là qu’on aurait un vrai problème. Et même si tu décides de porter un uniforme, je trouve que cette pièce révèle ton identité, celle du hip-hop. Cette culture ne cesse de m’influencer.
cavités du monde du grillz.
Estimes-tu avoir créé un véritable marché à Paris ? J’ai pourtant l’impression que la clientèle évolue et qu’il ne s’agit plus seulement que d’amoureux de hip-hop…
Le grillz à Paris et en Europe n’était pas exploité, il y en a toujours eu, mais ça restait très underground. J’étais la seule et je n’avais pas de concurrence. J’ai donc voulu pousser l’idée car nous n’avons pas de Johnny Dang chez nous et aucune référence locale représentative de cette culture grillz. J’ai clairement créé l’offre et la demande. J’ai toujours cru en ce projet, dur comme fer, dur comme mes grillz. Puis Paris a une signature au niveau de l’artisanat, c’est une ville référence, notamment en matière de joaillerie. Il y a un respect mondial pour cette ville à ce niveau et ça m’a beaucoup aidé. Je suis fière d’être parisienne et de pouvoir représenter ma ville dans mon métier.
Avec Internet, il n’y a plus aucune frontière géographique et culturelle, le monde appartient à tout le monde. Cette force, je la ressens avec mes clients, car j’ai des personnes de tous les horizons et de tous les âges. Récemment j’ai fait une femme d’une soixantaine d’années qui n’avait rien à voir avec le hip-hop. Puis je pense que j’ai un peu cassé les codes en faisant des pièces plus délicates et suggestives. Ça m’a permis de m’ouvrir des horizons, mais cette nouvelle forme peut aussi permettre à cette culture de perdurer.
Qu’as-tu cherché à apporter dans ce nouveau secteur ?
Où en sommes-nous dans l’histoire du grillz ?
Nous sommes à un moment où il faut avoir le choix dans le grillz, car tu l’as partout. Par exemple, dans les bijoux, tu peux avoir envie d’une petite bague un jour et le lendemain de porter un gros truc. C’est cet élargissement des choix en bouche que je veux proposer, entre une petite pièce comme un interstice (grillz se logeant dans l’espace entre deux dents, ndlr) ou un huit dents haut et bas. J’ai l’impression qu’auparavant il n’y avait pas suffisamment d’options dans ce milieu. J’avais envie d’apporter ma signature. Maintenant, je l’ai.
On verra comment cela évoluera, mais il y a encore du temps. Ce qui est sûr, c’est qu’on est encore loin d’être au stade du tatouage, qui était une identification culturelle forte qui s’est dissoute progressivement. Aujourd’hui, tu as vingt piges et tu as des manchettes. Pour moi, si tu portes un grillz, pour le moment tu as des cases en plus. Ce n’est pas encore banalisé, sinon tu verrais toute la terrasse du café dans lequel on est avec. C’est encore très avant-gardiste. Pour moi, l’histoire du grillz est au commencement.Par contre, demain, j’aimerais que les portes s’ouvrent et que ce soit un peu plus commun pour devenir un bijou du XXIe siècle à part entière. Il faut que cet objet entre dans les mœurs
Justement, qu’est-ce qui caractérise ta signature ? Quel est, selon toi, le futur esthétique du grillz ?
Je pense être la seule à proposer quelque chose d’aussi fin, d’aussi délicat. Tu vois, les interstices, personne n’avaient jamais vu ça avant. J’ai vraiment voulu apporter un souffle nouveau au grillz avec toutes ces petites pièces pour qu’il puisse être suggestif et fin. Avoir une signature, c’est le plus important pour moi, car le grillz existe depuis trente ans maintenant, donc je n’ai rien inventé, j’ai simplement appris à en faire. Au final, j’aimerais que ce monde ressemble vraiment à celui de la joaillerie. Des enseignes comme Cartier ou Dior ont leur marque de fabrique, et tu peux faire la différence au premier coup d’œil. Aujourd’hui, chaque créateur de grillz doit trouver sa griffe, j’essaie d’affiner la mienne.
Je pense qu’on est dans une période où on a envie d’avoir des pièces uniques, dans un esprit de différenciation. J’aimerais bien me dire que plus tard les gens auront des prothèses dentaires qu’ils « pimperont ». C’est-à-dire des grillz fixes que l’on pose directement sur les dents et qui ne peuvent plus être enlever : tu manges avec, tu te brosses les dents avec… Je pense que c’est ça, le futur. Puis celui qui porte des grillz depuis plusieurs années, quand il aura besoin de se faire soigner les dents, il préférera un implant en or plutôt qu’en céramique. C’est une pratique assez ancienne qui devrait revenir. Il aurait également la possibilité d’envisager quelque chose de différent : « Quitte à changer mes dents, je veux quelque chose d’unique ! » Un interstice, par exemple…
N’as-tu pas peur que ce soit un phénomène tendance qui s’essouffle avec le temps ? Finalement, qu’est-ce qu’une bouche ?
La mode et les vêtements sont des éléments qui restent dans l’éphémère, alors que la joaillerie et la bijouterie vont au-delà. Tu ne t’achètes pas un bijou en or, fait main et sur mesure, pour ne plus le mettre dans six mois. Tous mes clients veulent un grillz depuis plusieurs années et, pour la plupart, ça représente une partie de leur jeunesse. S’ils en rêvent petits et qu’ils viennent me voir quand ils sont adultes, ça montre bien qu’on n’est pas dans un phénomène passager. C’est un cycle de vie qui se calque à celui du grillz, ça fait trente ans que ça existe et, dans trente ans, il y en aura toujours. Ça ne relève pas de l’éphémère.
Je ne vois pas une bouche, je vois un lieu de travail (rires). Il y a toute la vie qui passe par là, le bien comme le mal, les déclarations de guerre comme de paix commencent par une bouche. Mais c’est aussi la préservation de la vie, se nourrir ou se reproduire, pour cela tout commence par une bouchée et un baiser. D’ailleurs, pour représenter cette idée en France pour les personnes qui ne connaissaient pas les grillz, je disais que c’était un bijou « Art Dent », comme un baiser ardent. Au final, tout vient de la bouche : tu embrasses, c’est la bouche ; tu manges, c’est la bouche ; tu souris, c’est la bouche.
Le religieux A$AP Rocky
L’explosive Rihanna
La subversive M.I.A.
« C’est un ami qui lui a parlé de moi juste avant qu’il ne vienne à Paris. Dès qu’il est arrivé, il a voulu me voir dans l’heure, car A$AP est friand de grillz. Je lui ai montré pas mal de pièces et il a directement craqué sur les interstices avec la croix. Je me suis mise au taquet et je l’ai fait en 48 heures pour lui livrer avant son concert au Bataclan : un grillz huit dents, interstices, canines. Il l’a vu, il a jeté celui qu’il portait pour mettre le mien, puis il m’a prise dans ses bras. »
« Quand elle l’a vu sur A$AP, elle a cherché à me contacter sur Instagram et, un jour, j’ai reçu ceci : "Je veux travailler avec toi le plus rapidement possible." J’ai pété un plomb. On commence à prendre contact toutes les deux et Rihanna me dit : "Viens en Finlande !" Au fil de notre conversation, elle m’explique clairement qu’elle veut "une arme dans la bouche". C’est une pièce qui a permis de montrer au monde ce que j’étais capable de faire, ce jour-là j’ai flingué la terre entière. »
« Je trouve que ce grillz la représente vraiment bien, elle l'a entièrement pensé. C’est une grande artiste qui reste entière de A à Z et elle savait qu’elle voulait des chaînes pour matérialiser une prison de bouche. Je trouve que cette pièce représente le sens de son message artistique : on est dans une société où on ne peut pas tout dire. »
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Propos recueillis par Julien Bihan, illustration Sanaa-K
FALL SET UP Réalisation : Audrey Michaud Missègue Photo : Eriola Yanhoui
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PA R A D E Comme un uppercut bien placé à la mâchoire, les tendances de l’été prochain viennent tout juste de tomber alors que nous n’avons toujours pas enfilé celles de l’hiver. Chaque chose en son temps, la fin du round de la saison estivale laisse place à l’automne et on vous prédit déjà : des cols montants, des manteaux XXL, des matières techniques et des couleurs flashs. Un retour immédiat aux seventies ! Photos : Thomas Babeau Réalisation : Audrey Michaud-Missègue
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SNEAKERBALL MADRID
#SEARCHFORTHEBADDEST
Après un premier événement réussi l’an dernier au centre Pompidou à Paris, c’est dans le prestigieux Palacio De Cibeles de Madrid que la deuxième édition du Nike Sneakerball s’est déroulée. Organisée en plein championnat du monde de basket — le jour de la demi-finale opposant la France à la Serbie — cette manifestation est définitivement placée sous le signe de la balle orange. Une atmosphère consacrée par le tournoi #SearchForTheBaddest qui réunit des équipes venues de toute l’Europe (Amsterdam, Paris, Madrid, Londres) dont une française emmenée par le photographe Kevin Couliau.
A P R È S L E T O U R N O I , D J C L A R K K E N T. DANS SES ŒUVRES..
L’un des points d’orgue de ce rendez-vous est l’exposition « Genealogy of Basketball » qui retrace par le biais d’une des collections les plus complètes au monde, quarante ans d’histoire de la chaussure Nike. Après la victoire de l’équipe hollandaise Oqium et un surprenant concours de dunks, la belle soirée s’est clôturée par les DJ sets animés de DJ Clark Kent et de Boys Noize. Retour en images sur cet événement.
QUARANTE ANS D’ÉVOLUTION DE BASKETS NIKE E X P O S É E S A U S E I N D U PA L A C I O D E C I B E L E S .
U N D E S PA R R A I N S D E L’ É D I T I O N M A D R I L È N E , M A R C O M AT E R A Z Z I .
L’ A R T I S T E S H A N E G R I F F I N A CRÉE CE BALLON INCRUSTÉ D’UNE AIR FORCE ONE, D’UNE AIR JORDAN ET D’UNE BLAZER. NIANGMANE (À GAUCHE). ET BEHIND THE SCENE (ASSIS) EN . D I S C U S S I O N AV A N T L E T O U R N O I . .
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L’ É Q U I P E F R A N Ç A I S E E M M E N É E PA R L E P H O T O G R A P H E K E V I N C O U L I A U .
AMBIANCE DÉTENDUE DANS LES VESTIAIRES DU CAMP FRANÇAIS
ITW DANIEL RIOLO « E N F R A N C E , O N N E FA I T Q U E PA R L E R D E D I V E R S I T É . L E PAY S VA É T O U F F E R AV E C Ç A . » Polémiste à la plume avec son ouvrage Racaille Football Club, sorti en mai 2013, Daniel Riolo l’est aussi au micro à l’After Foot, sur RMC. Une émission référence dans le milieu footballistique, qui rassemble chaque jour près de 400 000 auditeurs. Quotidiennement, il crée le débat à l’antenne par des positions tranchées et clive autour de ses idées et de son arrogance entre pro et anti-Riolo. À l’issue de la Coupe du monde 2014, nous avons décidé de prendre le rythme cardiaque de l’équipe de France cliniquement morte en 2010 et ressuscitée quatre ans plus tard au Brésil, nous choisissons sa voix pour stéthoscope.
En août dernier, la sélection a enregistré les retraites internationales de Samir Nasri, Franck Ribéry et Éric Abidal. Quelle est ta lecture de ces trois départs consécutifs ?
Est-ce ce désamour qui les a chassés ? Ils l’ont bien cherché, ce désamour. En même temps, ce sont des mecs qui ont fait des choses pour ne pas être appréciés. Après 2010 (participation à la déconvenue de la Coupe du monde en Afrique du Sud, ndlr), Ribéry devait se comporter en patron en équipe de France, mais il ne l’a jamais fait, il n’a jamais été assez bon pour ça. À partir de là, comment veux-tu que le public s’attache à ce gars ? Le public pardonne. Quand il était dans sa grande campagne de communication, il y a eu un moment où on sentait que le peuple se disait : « Allez à la Coupe du monde, si tu participes à une belle aventure, on oublie tout ». Mais ça ne s’est pas passé comme ça.
Ça me semble être trois cas assez différents. Pour Nasri, il s’agit de la fin de quelque chose d’attendu, à partir du moment où il n’est pas pris par Deschamps, car des joueurs ne veulent plus de lui. Je ne sais pas pourquoi on a voulu en faire des débats, lui-même a expliqué que c’est pour cette raison qu’il n’est pas à la Coupe du monde. Finalement, c’est un règlement de comptes interne. Tu as trois-quatre mecs dans le groupe qui le rejettent, le sélectionneur ne peut pas prendre le risque de foutre la merde. Après, qu’il se retire… Qu’est-ce qu’il pouvait faire d’autre ? Tant que Deschamps est en place, il ne sera pas appelé, donc c’est foutu pour lui. Autant prendre les devants et s’en aller. Pour Ribéry, je suis un peu étonné. Après, pourquoi il arrête ? On ne sait pas trop, en fait. Je pense que c’est un bien pour un mal, ce départ n’a aucune incidence sur l’équipe de France car Ribéry n’a jamais été important pour les Bleus. Il a raté son histoire avec la sélection alors qu’elle avait plutôt bien démarrée en 2006. Et puis Abidal, c’est normal. Il est vieux, blessé, et il a une vie à mener. Donc, ce sont trois cas différents.
« RIBÉRY DEVAIT SE COMPORTER EN PATRON EN ÉQUIPE DE FRANCE, MAIS IL NE L’A JAMAIS FAIT, IL N’A JAMAIS ÉTÉ ASSEZ BON POUR ÇA. »
Sa blessure est quand même un peu louche, il balance un peu sur le staff médical, puis il s’en va. On sait bien qu’il est très heureux au Bayern et moins en équipe de France, il n’a jamais vraiment manifesté un véritable amour pour ce maillot. Donc, ce rejet s’explique. Ce ne sont pas les médias qui l’ont inventé, c’est plutôt tout le contraire. Pour le faire aimer du public, les médias ont joué à fond le jeu de la communication autour de Ribéry. C’est bien la preuve que chacun est libre de ses choix.
« LE PUBLIC NE SE RECONNAISSAIT PLUS DANS L’ÉQUIPE DE FRANCE : LES DÉGAINES DES JOUEURS, LEUR FAÇON DE PARLER… »
Peut-on voir un lien entre les trois ou sont-ils vraiment différents ?
Et Nasri, malgré 2012 (insulte un journaliste lors du Championnat d’Europe), je vois les unes de France Football et les bons articles sur lui. Quand Canal l’interviewe, on lui cire les pompes ; chez nous, quand il va à Luis Attaque, ils mettent en place une grosse opération avec Bernès (l’agent de Samir Nasri), et tout se passe très bien. Le public est libre et, s’il n’accroche pas avec ces mecs, ce n’est pas pour rien. Les gens voient les faits et jugent que ces joueurs n’aiment pas venir en équipe de France.
Ce serait quoi ? Ils se sont mis d’accord et quittent les Bleus, cette équipe qui n’a jamais voulu d’eux, ce public qui ne les aime pas… C’est une chose qui peut exister mais qui reste différente selon les joueurs. Mais une fois que t’as analysé les trois situations, la question est : « D’après toi, est-ce qu’ils vont être regrettés ? » Non, le public ne les aimait pas, les Français ne les aimaient pas. 36
Penses-tu que la Fédération cherche à redéfinir la diversité après avoir longtemps prôné le « Black-Blanc-Beur » de 1998 ? Je ne comprends pas qu’on insiste sur la différence. C’est un truc qui me dépasse : qu’estce que j’en ai à foutre, moi, que tu sois noir, jaune ou autre ! Le problème en France, c’est justement qu’on ne fait que parler de diversité. Nous allons étouffer avec ça ! Le mec gagne et donne une belle image du pays parce qu’il a porté ses couleurs. Tant mieux, on est tous contents. Pourquoi j’ai besoin de savoir d’où vient le gars ? Dans ce pays il n’y a plus qu’un thème, la diversité : dans les médias, les discussions et chez les politiques. Cette saturation génère un repli sur soi généralisé et ghettoïse le pays. En 1998, on a inventé le « Black-Blanc-Beur » au lieu de dire que c’était une victoire de la France républicaine composée de joueurs qui venaient de tous les milieux. À partir du moment où tu expliques que cette performance est due seulement au fait que l’équipe soit « Black-Blanc-Beur », si elle ne gagne plus, tu dis aussi que c’est à cause de ça qu’elle a perdu. Effectivement, en 2010, les mecs font grève et se comportent mal, mais l’origine des joueurs n’a aucune importance. Ce n’était pas de bons comportements, on est d’accord, mais c’est tout. Comment analyses-tu ce regain de sympathie du public pour cette nouvelle équipe de France ? Elle vient surtout du terrain, les mecs se sont battus. Ils ont joué avec leurs moyens, ils n’étaient pas brillants, mais ils ont eu un bon parcours. Maintenant, qu’ils continuent en 2016 (prochain Championnat d’Europe en France) et les Français les soutiendront, tout va bien.
« À UN MOMENT LA FÉDÉRATION FRANÇAISE A DÉCIDÉ DE BLANCHIR LES PHOTOS POUR LES CAMPAGNES PUBLICITAIRES. »
Crois-tu que l’absence de Nasri et de Ribéry ait apaisé l’opinion publique ? Globalement, les Français ne se reconnaissaient pas dans cette équipe : les dégaines des gars, leur façon de parler… Il y a une forme de cassure par rapport à l’opinion, car les mecs représentent une culture qui ne fait pas l’unanimité. C’est juste un constat. C’est d’ailleurs pour ça que la Fédération a vachement travaillé dessus. Ils sont allés très loin, notamment dans les affichages en faisant attention aux joueurs mis en avant sur les affiches. Le but était de donner une autre image pour aller à la rencontre d’un public en rupture avec l’équipe de France. Mais quand je dis qu’ils ont blanchi les photos, c’est vrai.
As-tu l’impression qu’il y a un retour au patriotisme de la part des supporters ? Mais partout, tu ne crois pas ? Tu as vu la Coupe du monde ? Tu as vu toutes les équipes, la façon dont elles chantaient leurs hymnes ? Il y avait une revendication d’une vraie identité nationale que tout le monde souhaitait mettre en avant. En France, c’est un gros mot quand tu en parles, car ce sont des thèmes qui ont été abandonnés au FN. Aujourd’hui, dès que tu abordes cela, tu as l’impression d’être un affreux facho : chanter la Marseillaise, revendiquer ton appartenance à ton pays, affirmer ton identité, c’est un vrai problème. Pourtant, il y a visiblement une véritable attente. Le problème, c’est qu’à un moment tu avais l’impression que les joueurs s’en foutaient de l’équipe de France. Comment définis-tu cette rupture culturelle dont tu parles ? À un moment il ne faut pas se mentir. La fédération devrait expliquer clairement qu’il y a certains joueurs qui sont issus de l’immigration et qui ne se sentent pas investis à 100 % pour la France et son maillot. Parce qu’il y a un problème sociétal profond dans les banlieues françaises par rapport à ce pays. Tu ne te voiles pas la face et tu en fais le bilan. Donc si tu prends Benzema, tu lui demandes : « De quelle façon tu es investi en équipe de France ? Pourquoi tu ne chantes pas la Marseillaise ? » Lui s’explique une bonne fois pour toutes et, à la limite, il décide d’avoir un geste politique fort en disant : « Je me sens porte-parole de ces mecs de banlieue qui en ont ras-le-cul de ne pas être traités comme des Français ». Ce serait un vrai geste de sa part. En ce moment, il continue de venir et, quand t’en a dix qui chantent la Marseillaise et que lui ne bouge pas les lèvres, forcément tout le monde le remarque et il continuera d’y avoir un problème. C’est une réalité aujourd’hui. Dans mon bouquin, j’avais rencontré beaucoup de spécialistes qui font des études en banlieue. Et quand tu interroges une classe de gamins d’origine étrangère sur leur appartenance à la France, même s’ils sont issus de la deuxième ou troisième génération, ils vont te dire qu’ils se sentent plus proches de leurs racines.
« JE NE PEUX PAS PARLER DE BENZEMA, NASRI OU DE N’IMPORTE QUEL JOUEUR REBEU SANS ÊTRE TRAITÉ DE FACHO. »
Comment vis-tu ces tensions en tant que journaliste ? Avec France-Algérie au Stade de France, le passage de Le Pen au second tour en 2002 et le débat sur l’identité nationale, ce thème a submergé l’actualité française. Cela a atteint l’opinion, qui place énormément de ces crispations et de ces soucis là-dessus. Donc, encore aujourd’hui, je ne peux pas parler de Benzema, de Nasri ou de n’importe quel joueur « rebeu » à l’antenne sans être traité de facho sur Twitter. Je critique. Quand je dis que Benzema fait un mauvais match en sélection et qu’au Real ça se passe mieux car il est entouré de vedettes… Bah, je suis facho ! Qu’est-ce que tu veux faire ? Je trouve ça tellement con que ça me dépasse, c’est le communautarisme des crétins. Aujourd’hui, en France, tout tourne autour du racisme. Si tu ne supportais pas l’Algérie pendant la Coupe du monde, tu étais raciste. J’ai assisté à des scènes délirantes. Les médias ne savaient plus comment traiter cette équipe. J’en ai rien à foutre, moi, ça me touche autant que si l’Allemagne ou le Costa Rica jouent bien. Je dis ça et j’entends : « Ah, mais non. Ce n’est pas comme ça… » Pourquoi ce n’est pas comme ça ? L’Algérie est un pays indépendant depuis 1962, nous avons des liens, mais ça ne va pas plus loin. Dans les médias, tu ne peux pas savoir à quel point c’était la panique : « Comment on traite les résultats de l’équipe ? » Ils en faisaient des tonnes comme s’ils commentaient un match de l’équipe de France. Si j’avais été Algérien, j’aurais rigolé. Est-ce qu’il ne faut pas comprendre de la même façon les personnes qui souhaitent ce retour au patriotisme et les enfants d’immigrés qui se sentent marginalisés depuis les années 2000 ? Mais évidemment. Comment veux-tu ne pas comprendre certaines choses, certains ressentiments ? La politique d’intégration a totalement foiré depuis les années 80, c’est la merde. Je comprends les deux côtés. C’est pour ça que je te dis qu’on est dans des formes de ghettos aujourd’hui, où chacun se regarde avec méfiance. Je ne vois pas de solution pour qu’il y ait un rapprochement, tout est super tendu. Du coup, ça expliquerait une forme de communautarisme chez les Bleus ? Ça a existé ! Initialement les joueurs se rapprochent selon leurs affinités et l’endroit où ils jouent. Les mecs se regroupent entre eux, notamment dans les années 90 entre les joueurs du PSG et de l’OM qui ne pouvaient pas se blairer. Le problème de 2010, c’est que certains ont créé un petit clan et ont pris les commandes. Puis ils organisent la grève, ce qui a donné ce positionnement de Bachelot sur les « caïds ».
Qui a pris le pouvoir aujourd’hui en équipe de France ? Personne, c’est dirigé par un boss qui est Deschamps. J’ai l’impression qu’il y a une bonne ambiance et, même s’il y a des bandes, les mecs s’entendent mieux, il n’y a pas véritablement de clan dominant. Ça s’est assaini. Un autre point de crispation reste l’Islam et les nombreuses polémiques qui ont égrainé la sélection. Le truc, c’est que Nasri n’avait jamais montré d’appartenance à la religion, il s’en foutait et s’en fout toujours complètement, je pense. Ce n’est pas vraiment un religieux et c’était une véritable provocation d’avoir levé son maillot avec ce message pour la fin du Ramadan. Mais globalement, c’est la perception du public qui est intéressante. S’il voit que dans l’équipe de France il n’y a aucun mec qui fait le signe de croix, hormis Matuidi, et deux qui font une invocation, un signe d’appartenance à une autre religion, l’opinion se dit : « Attends, c’est l’équipe de France ? » Historiquement, la France est un pays chrétien, donc si une religion doit être mise en avant, c’est normal que ce soit celle-là. Et je ne vois pas ce qu’il y a de choquant, après tout.
« NASRI N’AVAIT JAMAIS MONTRÉ D’APPARTENANCE À LA RELIGION, IL S’EN FOUTAIT ET S’EN FOUT TOUJOURS COMPLÈTEMENT JE PENSE. »
Trouves-tu gênant que des joueurs expriment leur appartenance religieuse ? Moi, ça ne me pose pas de problème. Mais si l’opinion apprend que Domenech a demandé un buffet exclusivement halal et que ça a été accepté, c’est choquant. La Fédération est une institution qui dépend du ministère et qui se doit d’être laïque. Après, si tu fais un aménagement pour les joueurs, il n’y a aucun problème. Plus largement, le foot est devenu un fait culturel. À travers ce sport on perçoit en grande partie les problèmes de la société française. Donc, l’opinion est très sensible à ce qui se passe en sélection.
Penses-tu qu’avec la sélection, les Français projettent une image de la banlieue ? C’est le foot qui est devenu totalement banlieusard ! Aujourd’hui, 70 % des joueurs en France viennent des quartiers. Donc, cela rejaillit sur les Bleus actuellement et c’est un véritable décalage avec les sélections françaises passées. Par exemple, je me souviens qu’en 1998 chaque joueur était retourné dans sa région d’origine : Petit en Normandie, Barthez et Deschamps dans le Sud-Ouest et Thuram en Guadeloupe. Chacun pouvait donc se sentir représenté : « Lui, il vient de chez moi ! » Il y a une projection, une forme de représentation nationale à travers chaque joueur de l’équipe. Si les mecs qui jouent dans l’équipe de France viennent tous du même endroit, parlent de la même façon, ont la même tronche, puis qu’ils jouent mal et foutent la merde ; le gars qui habite à Limoges ne se reconnaît pas en eux. Généralement, tu soutiens des mecs qui sont comme toi. Et dans tous les pays c’est comme ça. En Sicile, ils cherchent le Sicilien de l’équipe, et ça va devenir le chouchou. Le repli identitaire est partout. Comment analyses-tu ce repli identitaire ? Dans le monde du foot, tu as les beaux discours sur la dénonciation de la discrimination, mais l’un des clubs que les passionnés admirent le plus, c’est Bilbao. L’équipe la plus nationaliste au monde : si tu n’es pas Basque, tu n’y joues pas. C’est quand même énorme, ça ! On tourne en rond. Aujourd’hui, la plus grande fierté des supporters de Lyon, c’est que les joueurs viennent principalement du centre de formation. Ce sont des gars du cru. Au PSG, t’as la moitié des supporters qui font la gueule parce que le président est Qatarien et qu’il fait venir des stars alors qu’ils préféreraient que Chantôme, Rabiot, Sakho jouent, car ils viennent d’ici. Le repli est partout, donc c’est la même chose pour l’équipe de France. Dans cette radicalisation omniprésente, je dirais même qu’on est le pays le plus ouvert. Allez en Italie ou en Espagne, vous allez voir. Depuis dix-quinze ans, les gens ont peur de tout ce qui n’est pas comme eux, ça me semble super simple à comprendre.
Propos recueillis par Julien Bihan, photos de Yoann « Melo » Guérini
CHILDHOOD
LUC ABALO « QUAND J’AI VU LUC JOUER POUR LA PREMIÈRE FOIS, JE ME SUIS DIT : "HEUREUSEMENT QU’IL JOUE POUR IVRY". »
L’histoire du sport est composée de plusieurs rôles : les secondaires que l'on voit à l’écran sans se rappeler de leur visage et les principaux qui marquent les esprits par leur jeu. Puis il y a les réalisateurs, qui écrivent cette histoire par leur vision et la mettent en scène par leur talent. Luc Abalo est de cette trempe-là, ses roucoulettes et son palmarès parlent pour lui : triple champion d’Europe, double champion du monde et olympique. Mais ce type de destin ne se construit pas seul, la famille, les entraîneurs et les amis se révèlent autant d’atouts essentiels à la stabilité de la carrière d’un sportif de haut niveau. Un entourage que l’Ivryen conserve depuis l’âge de seize ans, ses tout débuts en professionnel avec le club de sa ville. C’est à travers leur voix que nous avons retracé ce moment charnière de sa vie, ce moment où pour la première fois Luc trouve sa voie.
U N E F O R C E D E L A N AT U R E « Quand je l’ai vu pour la première fois, je me suis dit : "Heureusement qu’il joue pour Ivry." » Tel est le premier souvenir de Stéphane Imbratta, son coach au centre de formation. À l’époque, il avait seulement quinze ans, mais « respirait déjà le hand et avait des qualités naturelles incroyables ». Cette précocité caractérise le lien qui unit Luc au hand, car c’est à treize ans et sous les conseils d’un ami qu’il décide de troquer le terrain de football pour le gymnase. Bien que l’âge où l’adolescent a touché pour la première fois la résine du handballeur soit tardif, la vitesse à laquelle il a gravi les échelons est impressionnante. En moins de trois ans, l’Ivryen passe de débutant à joueur de l’équipe première de sa ville, pour un match de Ligue des Champions face à Moscou. C’est la première fois que Kouev Abalo, grand frère de Luc, se rend compte de l’étendue de son talent : « J’étais choqué, il avait l’air facile autant au niveau mental que technique. » Pendant ces trois années, Luc devient une véritable légende urbaine dans son sport et à Ivry, comme se le rappelle Rémy Gervelas, un ancien adversaire devenu coéquipier et ami : « C’était la première fois qu’on me parlait autant de quelqu’un, on me disait qu’il faisait des bonds de quatre mètres. » Malgré cette effervescence, Luc reste serein et à l’entraînement, il préfère mettre l’accent sur ses points faibles. « Quand il était au centre de formation, mon frère me disait tout le temps qu’il était le plus naze à l’entraînement. En fait, tout ce qu’il savait bien faire, il le mettait de côté pour se concentrer sur la manière dont il allait créer de nouveaux mouvements. » Un trait de sa personnalité dont se remémorent Kouev et Rémy, lequel explique, que grâce à ça, « son jeu est en constante évolution ». Mais forcément ce talent attire le monde professionnel, et notamment Bhakti Ong, l’agent incontournable du handball français, qui, dès son premier match avec l’équipe une, tente d’attirer Luc Abalo dans ses filets. Des avances que le futur joueur du PSG préfère repousser pour travailler en famille avec son frère aîné et son ami Pascal Grambin. La base de son équilibre personnel commence à se mettre en place. 40
« C’ÉTAIT LA PREMIÈRE FOIS QU’ON ME PARLAIT AUTANT DE QUELQU’UN, ON ME DISAIT QU’IL FAISAIT DES BONDS DE QUATRE MÈTRES. »
L’ A RT D E L’ É Q U I L I B R E Pour un jeune sportif de seize ans aspirant au professionnalisme, cet âge est un moment déterminant empli de contradictions, car il engage le joueur à s’impliquer pleinement dans son sport, mais aussi à envisager l’éventualité d’un échec ou d’une blessure. Une situation pesante pour Luc : « Il lui fallait un plan B, explique son frère, donc il s’est porté sur un BEP vente ». Mais son entraîneur de l’époque se souvient que « ça le gavait, parfois il n’allait pas ou esquivait certains cours ». Il se retrouve coincé dans les méandres de la scolarité française comme des milliers d’autres adolescents. Mais, animé par une curiosité insatiable et porté par son goût pour la photo, le cinéma et même le rap — « Tu as entendu ces sons ? » taquine Rémy — c’est pour le dessin que se passionne le handballeur. Une attirance qui coïncide avec la rencontre de Fifi, « notre deuxième maman, explique son pote, elle travaillait pour le club et, quand on avait besoin de conseils et même quand on n’avait pas à manger, c’est vers elle qu’on allait ». Cette Fifi a poussé Luc à s’inscrire dans une école d’art, une étape déterminante pour l’équilibre du joueur : « Je crois que c’est là qu’il a trouvé une harmonie personnelle et sportive. Après ça, il a vraiment éclaté », analyse Stéphane. Mais au pinceau comme à l’entraînement, Luc reste perfectionniste, comme l’explique l’actuel gardien d’Ivry : « Pour qu’il décide de nous montrer quelque chose qu’il a produit, c’est dur, car il est très exigeant avec lui-même. » C’est cette même pudeur qui l’a conduit à patienter jusqu’à ses dix-huit ans avant d’inviter sa mère à voir un de ses matchs pour la première fois. Une manière de montrer assurément mais avec humilité ce qu’il était devenu.
SANS SORTIR « On est des enfants d’Ivry, mais pour nous les gens de la cité étaient des riches, car on dormait à sept dans un studio ». Simplement, Kouev raconte ses conditions de vie, convaincu que la force de son frère est d’avoir réussi une carrière « dans un sport réservé aux "fils de" ». Une situation qui ne l’a jamais poussé dans le misérabilisme, selon Rémy, car « ce n’est pas un revanchard, c’est juste quelqu’un qui a faim à tous les niveaux ». C’est cette faim qui a fait de Luc Abalo le sportif qu’il est aujourd’hui, au point de devenir un véritable monument à Ivry, une ville qui restera de manière indélébile « chez lui », même si aujourd’hui il porte le maillot du PSG. « Par rapport à ce qu’il a vécu, à son enfance et à son parcours, les petits des quartiers s’identifient à lui. C’est une source de motivation », poursuit son ancien coéquipier. Plus qu’une envie de s’en sortir, sa carrière contribue à populariser le handball dans les quartiers, et notamment ceux de sa ville natale. Bien que ce soit un sport scolaire, cela n’a jamais été véritablement suffisant pour en faire une activité populaire, en particulier à Ivry. Une donne qui est en train de changer, selon Kouev : « Les mecs de la cité s’intéressent au hand à travers Luc et, quand ils le voient remporter des titres, c’est comme si c’était eux qui gagnaient. À chaque fois qu’il porte le maillot bleu, ils se sentent tous représentés. » Texte de Julien Bihan
« LES MECS D’IVRY S’INTÉRESSENT AU HAND À TRAVERS LUC ET QUAND IL PORTE LE MAILLOT BLEU, ILS SE SENTENT REPRÉSENTÉS. »
LE VERS À MOITIÉ VIDE Il est 3 h 30. Le cadavre du dimanche est encore chaud, le lundi existe avec difficulté. Je regarde le live de Michael Jackson à Bucarest. Pédophile peut-être, impressionnant surtout. Ma peau est recouverte d’une épaisse strate de sueur qui refuse de sécher. Je ne me suis pas douché depuis samedi soir… À quoi bon quand on passe toute sa foutue journée à se branler et à faire de la spéléologie dans le frigo. Je suis étendu de tout mon long sur mon sofa dans une tenue idéale pour la dépression : vieux teesh, pas de peusli, pas de chaussettes. Artistiquement, je suis triste et sublime, un parfait tableau Degas 2.0 ou le vers à moitié vide d’un jeune rimbaldien.
Michael attaque Man In The Mirror. La morale du morceau est tout à fait louable et l’emballage scénique en met plein les yeux. La vague culpabilité qui flotte dans l’air vicié de mon deux-pièces ne pèse pas bien lourd face au bonheur gras de n’être qu’un corps. Le DVD du King of Pop s’achève et je prends conscience soudainement de ma médiocrité à l’aune de son excellence. « MJ est un artiste extraordinaire qui marquera l’histoire à tout jamais », me dis-je en roulant une crotte de nez entre le pouce et l’index pour la déposer, parfaitement cylindrique, dans un pot de Petits Filous vide. L’ensemble de mon hygiène est celle d’un SDF prometteur. Une haine étonnante de clarté monte soudainement en moi et décide de s’attarder sur les célébrités. Ces fils de putes peuvent stopper toutes leurs activités et rester à péter dans un fauteuil en cuir jusqu’à ce que leurs vaines pulsations s’arrêtent. L’énumération des particularités détestables qui expliquent leur gloire n’apaise pas vraiment mon agacement : Michael s’est vu propulser au-devant de la scène par cette cougar de Diana Ross, Rocco Siffredi a le bras long et A$AP Rocky a pompé son flow sur Bone Thugs-N-Harmony. En quel honneur devrait-on se prendre en permanence la farandole de ces bolosses qui gagnent en deux jours ce que je gagne en deux ans ? Encore que… je viens de toucher un petit héritage de ma grandmère Colette, donc ça va. Je salue sa mémoire au passage. Au-delà du respect qu’elle mérite, on a toujours une affection particulière pour les gens qui nous ont torchés.
"MJ EST UN ARTISTE EXTRAORDINAIRE QUI MARQUERA L'HISTOIRE À TOUT JAMAIS" ME DIS-JE EN ROULANT UNE CROTTE DE NEZ ENTRE LE POUCE ET L'INDEX POUR LA DÉPOSER, PARFAITEMENT CYLINDRIQUE, DANS UN POT DE PETITS FILOUS VIDE.
J’ai soif de reconnaissance comme n’importe quel connard qui prend sa plume. Mon anonymat est un vieux roquet pelé que je traîne depuis trente-cinq ans. J’existe péniblement au croisement de mes numéros de Carte Bleue et de Sécurité sociale. Cette convergence de matricules donne mon positionnement exact sur la carte de l’humanité. Déprimant… Bien sûr, je fais des efforts du côté du verbe, je tente d’échafauder une petite musique de consonnes et de voyelles. Mais à quoi bon ? Le public est un troupeau de bovins qui n’entend rien à la Beauté. Deux secondes, j’arrête d’écrire, mes bourses sont désagréablement collées à mon adducteur gauche. Je les sépare d’une main paresseuse.
SANS DOUTE VAIS-JE FINIR VIEUX CON SANS FEMME NI ENFANT DANS UNE MANSARDE EN DÉSORDRE, MAIS AU MOINS IL N'Y AURA PERSONNE POUR ME FAIRE CHIER AU MOMENT OÙ JE ZAPPERAI ENTRE YOUPORN ET LA LIGUE 1.
Le public… une belle bande de fomblards qu’on voit aux premières loges des comédies musicales flinguées. Je n’en ai vu aucune, mais je m’en fous, les extraits suffisent à mon effroi. Sans doute vais-je finir vieux con, sans femme ni enfants, dans une mansarde en désordre, mais au moins il n’y aura personne pour me faire chier au moment où je zapperai entre YouPorn et la Ligue 1. À ce titre, je suis le digne représentant de l’humanité : inutile, sans talent et gaspilleur de matières premières. Tout le monde cherche des preuves de notre filiation divine, mais je ne vois que les signes de notre nature pernicieuse. L’essentiel de l’activité de notre espèce se résume à des machines de linge sale, des rêves tétraplégiques et des orgasmes solitaires. 95% d’entre nous s’échinent à mener à bien une toute petite fonctionnalité gratifiante et rémunératrice. Mais qu’on soit trader ou magasinier, la récolte de bien-être est ridicule : un virement mensuel et une tape sur l’épaule. C’est triste à en crever… Et on en crève, d’ailleurs, bien plus que du cancer ou de l’infarctus. Ça nous use en profondeur, cette ritournelle inutile, ça nous creuse les joues et ça éteint l’étincelle du début. Peu nombreux sont les forçats qui parviennent à garder la curiosité mutine de l’enfance. Dès l’adolescence, on vire sapins, convenus et plaintifs, prudents mais sans lumière, incapables du dépassement de fonction si cher à Dugarry.
Normal que la vie des célébrités nous en impose… Mais qu’elles ne s’y trompent pas, ces petites salopes, elles ne sont que les bubons visibles de nos désirs de faste et de reconnaissance, les manifestations médiatiques du pas beau qu’on a dans l’bide. Tout n’est pas à jeter, évidemment. Un peu comme la chair d’une pêche oubliée au soleil, il y a toujours un croc salubre dans un coin. Moi, par exemple, je suis rigolo, de bonne compagnie, habile dissimulateur de mes frayeurs et de ma lassitude. C’est précieux pour durer un peu en société et pour se mettre une ou deux assemblées dans la poche. Le ravalement du mensonge est bien fignolé, j’offre un indéniable standing de façade. Ça ne suffit pourtant pas, j’aimerais exister plus fort et qu’on me regarde jouer dans le bac à sable. J’envie le tapage creux des starlettes, j’envie les toges homo des empereurs romains, le rayonnement des chanteurs et des auteurs immortels. Une sorte de dignité gênante m’empêche de m’inscrire aux détections télévisées qui élisent l’abruti du trimestre. Quant à l’autre solution, le Génie, c’est une maladie que je ne contracterai jamais parce que j’ai perdu à la loterie comme presque tous les autres.
J'ENVIE LE TAPAGE CREUX DES STARLETTES, J'ENVIE LES TOGES HOMO DES EMPEREURS ROMAINS, LE RAYONNEMENT DES CHANTEURS ET DES AUTEURS IMMORTELS. Confiné dans la cellule de mon anonymat, je rêve sans honte du biff et de la renommée de Kanye West pour exploser dans une gerbe de drogues et de MST. Le cuir usé du canapé me colle aux fesses. Scellé symboliquement, je ne peux rejoindre ma haute destinée ni même me brosser les dents. Et puis, me lever romprait le silence par un bruit de déchirement ridicule. Trop fébrile psychologiquement pour supporter ce stigmate sonore de ma condition humaine, je décide de m’endormir avec les dents sales et d’oublier mon destin. Texte de Bardamu, illustration de Lazy Youg 42
C’EST L’HEURE. Les fanatiques les plus avertis de la télévision trustent les news et les teasers des nouvelles séries à la recherche de shows cultes, comme tout bon chrétien attend la béatification papale du 31 décembre.
FR F RES E SH HO OFF FF TH E B O THE B OAT AT
Chez les toutes-puissantes chaînes, on part en guerre sainte où évangéliser est le mot d’ordre. Ils le savent et à chaque rentrée, la faucheuse coupe la tête d’un grand nombre de séries (rappelez-vous Flash Forward, Trophy Wife, Bad Teacher, Hostages, The Tomorrow People). Ceux qui y auront réchappé pourront alors bénéficier d’un laps de temps supplémentaire, ne devant leur Salut qu’à leurs bons scores de part de marché et/ou aux feedbacks positifs des critiques. En attendant que la messe soit dite, YARD Paper, adepte du culte cathodique, a déniché pour vous cinq séries qui mériteraient votre attention.
Pays Pays :: USA USA Chaîne Chaîne :: ABC ABC
.KI .KINGDOM. NGDOM.
Résumé : Résumé : Une Une famille famille d’origine d’origine taïwataïwanaise quitte son cocon de Washington naise quitte son cocon de Washington DC DC pour pour poursuivre poursuivre son son rêve rêve américain américain àà Orlando. Un voyage qui navigue Orlando. Un voyage qui navigue de de façon façon humoristique, humoristique, voire voire satyrique satyrique autour autour de de la la double double problématique problématique de de l’intégration l’intégration dans dans un un nouvel nouvel environnement environnement géographique géographique et et culturel. culturel.
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Point Point fort : fort : La La comédie comédie s’inspire s’inspire de de l’enfance l’enfance d’Eddie d’Eddie Huang, Huang, un ancien dealer de beuh et avocat, fan de hip-hop, écrivain un ancien dealer de beuh et avocat, fan de hip-hop, écrivain et et désormais désormais chef chef cuisinier. cuisinier. Un Un puits puits sans sans fond. fond. Chiffre : Chiffre : 11 Une Une seule seule comédie comédie aa été été portée portée par par un un casting casting asiatique, asiatique, elle elle était était diffusée diffusée sur sur un un network network américain américain en en 1994. 1994. IlIl s’agissait s’agissait de de All All American American Girls. Girls.
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Résumé : Résumé : Une division de police est chargée Une division de police est chargée d’enquêter d’enquêter et et d’arrêter d’arrêter les les stalkers stalkers les plus dangereux. La série est portée par deux inspecteurs les plus dangereux. La série est portée par deux inspecteurs au au passé passé trouble trouble et et qui qui prennent prennent très très àà cœur cœur cette cette mission. mission.
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S A F I A – B A H M E D S C H WA R T Z SACRÉ CORPS
Maîtresse du dessin de fesses, Safia Bahmed-Schwartz attire l’œil en mettant le doigt sur les traits, risibles, d’une société à l’image mitraillette. Boîte à musique s’ouvrant sur une petite danseuse de pole dance mécanique. Safia Bahmed-Schwartz, c’est l’infinie sensibilité sous des images qui claquent comme une gifle, comme une paluche sur un derrière sexy. Ça fait rire et pleurer à la fois quand on ne s’y attend pas. La jeune artiste pave sa route de créations foisonnantes, denses, toutes à la fois sulfureuses et délicates sous une épaisse couche d’humour, qu’elle malaxe généreusement. Une touche-à-tout, tous supports, tous médias, qui manœuvre aussi bien le tattoo que l’infographie, les textes, l’édition ou la peinture. Mais qui chérit son art de prédilection, le dessin, érotique de préférence, avec une productivité nymphomane. Safia manie tout. Surtout les croupes, les seins, les Vénus d’aujourd’hui qui n’ont « rien à cacher », surtout pas leur sexualité. D’encre et de papier, elle trace d’un trait des extraits de corps nus, gironds, sailor tattoos modernes estampillés de punchlines en forme de doigts d’honneur moqueurs à son éducation stricte, aux rapports humains maladroits, à nos vies modernes, discutables. On l’imagine trash et débridée, mais sous des airs calculés de diva cash, c’est la surprise. Une surprise que l’on découvre par strates, mais qui avant cela se débat bien pour perdre l’observateur dans des dédales d’absurdités fantasques. Non pas une, mais sept bios pour sept vies sont disponibles sur son site (safiabahmed-schwartz.net). « Le storytelling me fascine. Cette façon dont, à notre époque, on raconte une histoire pour mieux la vendre. Pour les besoins d’une expo à Milan, j’ai pensé à ces bios. Une première est sortie, complètement mytho et invraisemblable. La psychologie considère que nous avons sept personnalités. À chaque projet dans des pays différents, je donnais donc une bio différente ». La réalité c’est que Safia Bahmed-Schwartz est née d’une mère allemande et d’un père algérien, « devenu musulman extrémiste ». Elle va à l’école coranique, porte le voile, claque la porte du domicile familial, quitte le 91 pour le 75, fait des sous, beaucoup, peu classiquement, s’en sert pour découvrir l’art et fait un enfant. Acte de création ultime. Aujourd’hui, elle a vingt-sept ans.
BOUTS DE FESSE Ongles longs, affutés, cils épais et robes cintrées. Pas un jour ne passe sur Facebook sans qu’elle se grime en star sexy, ridicule et critique. Pourtant, rien ne laisse entrevoir une histoire passée sous tabous. « Cette fascination pour le sexe, pour l’érotisme, doit venir de mon éducation, de l’interdit. Et en même temps, la grâce des corps humains me fascine, c’est beau. Le plus beau, ce sont les strip-teaseuses, les danseuses de pole dance autour des barres. Cela équivaut à une peinture de la Renaissance ! Tellement de grâce se dégage de ces corps qui se meuvent ». De cette éducation qui lui refuse le droit de dessiner des visages, elle tire un travail en effet loupe sur les corps explorés : bustes travaillés, faits de seins moelleux et pointus aux pouvoirs amplifiés, fesses charnues, dos cambrés. « Les fragments, c’est ce qui fait mon travail. Ils forment un tout, pour un ensemble cohérent, telle une grande mosaïque. J’extrais les fragments qui me semblent les plus poétiques pour suggérer. C’est ça que j’aime faire, la suggestion, là où tout nous est imposé ». Des corps sans tête auxquels chacun peut s’identifier, « une sorte de random content », spécifie-t-elle. Ils reniflent le coït, pourtant la jeune artiste se défend de vouloir créer du désir. Le sexe et ses tensions, les rapports troublés entre les êtres, le cocasse dans ce charnel très pris au sérieux, sont autant de prises saillantes sur un thème omniprésent qui amuse Safia. « Il y a six ans, un mec m’a envoyé un mot pour me dire qu’il s’était branlé sur l’un de mes dessins. J’ai trouvé ça trop chouette, alors que ce n’est qu’un trait noir sur fond blanc. »
CETTE FASCINATION POUR LE SEXE, POUR L’ÉROTISME DOIT VENIR DE MON ÉDUCATION, DE L’INTERDIT. ET EN MÊME TEMPS, LA GRÂCE DES CORPS HUMAINS ME FASCINE, C’EST BEAU.
Aujourd’hui, nous sommes envahis d’images, elles n’ont du coup plus vraiment d’impact, tout semble disposé sur le même rang. » Une liberté de thème, de forme, de style, qu’elle déplore n’avoir pas toujours pu exploiter. Une certaine censure pudibonde sévissant sur Myspace boutait alors ses dessins coquins hors du réseau social.
C’est bien l’exercice de style qui motive cette étudiante des Beaux-Arts de Paris, une virgule drôle et insolente, prétexte à mettre en valeur ces formes à la William Bouguereau, qu’elle adule. Pas de revendication féministe derrière ces traits, un simple amour des jeux sexy sociaux qui nous régissent. « Petite, en Algérie, je passais mes étés torse nu, sans comprendre pourquoi cela posait problème, je m’estimais l’égal des hommes. J’ai réalisé cette différence à la puberté, quand il a fallu que je porte le voile. » Malgré des idées tranchées, Safia n’est pas dans le combat.
Aujourd’hui, les envies changent et les corps déshabillés sous crayon font fureur chez les esprits jeunes. Notamment chez les femmes. Et si l’artiste a toujours fait du nu, ses dessins, aujourd’hui reconnus, participent à l’émergence du genre. Elle en profite, creuse la brèche et teste de nouveaux supports pour graver ses formes sur des corps vivants. Le tatouage compte parmi ses nouveaux terrains d’expérimentation. « Je me fous de marquer les gens, mais c’est beau que certains me fassent confiance pour faire mouvoir mes corps sur leur corps. Il a d’ailleurs fallu que j’adapte mes dessins à ce "medium"-là. » Là aussi, c’est le rapport humain qui l’anime, la rencontre avec le tatoué, plus qu’avec le tatouage. Les histoires partagées, les instants de vie gravés, c’est personnel, impliquant, la fusion d’un moment, marquant des deux côtés. Un moyen de gagner la postérité ? « Je m’en fous. Google Images le fait pour moi, au moins pour un temps. Mais si j'ai réussi à faire réfléchir, sourire, et ravir le plus de personnes possible, alors j'en serai suffisamment heureuse ».
Mais plus question pour autant de se laisser couper la chique ou de se voir brider ses fantasmes. L’artiste ultra productive qui avoue avoir commencé ses sessions de dessins érotiques par du nettement plus hardcore, sourit toujours plus fort quand on mentionne certains de ses photomontages, visibles sur Internet. « Je réfléchis à tout ce que je fais, mais j’y vais. C’est une question d’équilibre, je peux donc faire Hitler comme Nicki Minaj.
CORPS À CORPS
Texte de Justine Valletoux 46
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