P A P ER
Cinéma I T W TA H A R R A H I M LARRY CLARK & SPIKE LEE
Musique NICKI MINAJ SBTRKT CHILDHOOD RIM'K R E P O RTA G E .
Société CLIGNANCOURT MARCEL CAMPION
GRATUIT
N°3
é meutes F E R G U S O N . « Nous avons défendu des gens qui sont historiquement invisibles. »
o n e ya r d . c o m
GERRY DEVINE, KEVIN HADDOW ET ANDREW McCULLOCH ÉLABORENT LE BLENDED SCOTCH WHISKY DANS LA PLUS PURE TRADITION DU CLAN CAMPBELL.
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13/06/2014 15:21
A u creu x de la v ague
L’écume de la Nouvelle Vague française des Chabrol, Truffaut et Godard est aujourd’hui à peine perceptible. Pourtant, elle a intimement influencé les cinéastes les plus plébiscités actuellement. Tarantino, façonné par cette créativité, a nommé sa société de production « A Band Apart » en hommage au film de Godard. C’est d’ailleurs ce qui lui aura valu les foudres du cinéaste de la Nouvelle Vague, foudres qui ont secoué Tarantino, blessé d’être insulté par son père. Ce cinéma français a laissé une trace, mais qu’en est-il de celui d’aujourd’hui ? Le constat est amer, mais le cruel manque d’écoles de pensée empêche l’essor d’un nouvel élan qui rafraîchirait l’Hexagone. En effet, globalement, les codes esthétiques et scénaristiques se ressemblent terriblement, et finalement, dans les salles de cinéma, un film finit simplement par en chasser un autre en suscitant peu d’intérêt. Mais surtout ces longs métrages représentent rarement ce qu’est la France, ses particularités historiques et culturelles. Il y avait pourtant un espoir de représentation de cette créativité des banlieues portée à l’écran par
Kourtrajmé. Mais l’esprit s’est effrité pour le moment, en cause un manque de productivité et des propositions trop spécifiques pour le public. Bien sûr, il y a des artistes créatifs et talentueux à la filmographie redoutable, comme Jean-Jacques Annaud, Abdellatif Kechiche, Jacques Audiard et tellement d’autres. C’est d’ailleurs ce dernier qui a eu l’audace de lancer Tahar Rahim au cinéma dans l’excellent Un prophète, aux airs scorsésiens mais à l’influence profondément tricolore. En effet, c’est une histoire française que nous raconte Audiard : celle de l’immigration maghrébine avec le personnage de Malik, celle du régionalisme avec le Corse César. Cette identité fait ressortir les spécificités de notre pays, identité qui devrait être aussi celle de notre cinéma. Il faut forcer cette volonté et l’installer en écoles de pensée qui osent raconter une histoire sociale et esthétique pour réenclencher une spirale de créativité. Nous avons tous les éléments pour y parvenir, il ne suffit que d’y croire.
Julien Bihan, Rédacteur en Chef
Rédacteur en Chef
Contributeurs
Production
Julien Bihan julien.bihan@oneyard.com
Bardamu Nina Kauffmann Justine Valletoux Marguerite de Bourgoing Thomas Babeau Lenie Hadjiyianni Karima Hedhili Mathieu Vilasco Yannick Roudier Louise Erandez Audrey Michaud-Missègue Terence Bikoumou Olivier Oriol Raida Hamadi Mac Guffff Lazy Youg
Yoann « Melo » Guérini Samir Bouadla Jesse Adang Eriola Yanhoui Caroline Travers
Distribution Le Crieur contact@lecrieurparis.com
Remerciements
Cover Photo de Marcel Hartmann
Direction Artistique Arthur Oriol arthur.oriol@oneyard.com Yoann « Melo » Guérini yoann.guerini@oneyard.com Directeurs de publication Tom Brunet tom.brunet@oneyard.com Yoan Prat yoan.prat@oneyard.com
Les Lions de Savigny-sur-Orge Red Line Galerie Nicolas Hugo
Publicité Quentin Bordin quentin.bordin@oneyard.com
Imprimeur Sib
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SOMMAIRE L Y R I C S : M O B B D E E P
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SBTRKT
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P O R T R 4 I T S : T I N K / L O G I C / D E N A Ï M O O R E / M Z
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C H I L D H O O D : R I M ' K N I C K I M I N A J , le c u l s u r le tr ô ne
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I N T E R V I E W TA H A R R A H I M
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F O R E V E R Y O U N G : S P I K E L E E & L A R R Y C L A R K
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T O P 5 : C razy D irector ’ s A cademy
20
S O N S O F A N A R C H Y : R I D E O R D I E
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O N E D AY I N 1 9 7 7 : Q u e le meille u r gagne
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INTERVIEW ABD AL MALIK
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C L U B D U D I M A N C H E : B A S E B A L L
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INTERVIEW JANOSKI
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S é rie mode : W I L D B E H U N T I N G
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C H R O N I Q U E M O D E : N ote B ook
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S T I L L L I F E : W I N T E R S E S S I O N
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R eportage : F erguson v u par F erguson
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INTERVIEW MARCEL CAMPION
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D ans la P E A U d ’ u n vende u r de C lignanco u rt
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P O R N A R T : R E N H A N G
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B A R D A M U : C H U T E D E R E I N S
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Les paroles dans le hip-hop constituent la sève – de la force ou des carences – du message d’un artiste ; la musique jouant, elle, le rôle de son embellissement et de sa digestion par les auditeurs. Afin de mieux saisir toutes les subtilités de cette écriture, chaque numéro de YARD reviendra sur l’un des morceaux les plus marquants du genre, décrypté par son auteur lui-même. Une fois n’est pas coutume, mais nous quittons notre Hexagone pour nous rendre de l’autre côté de l’Atlantique.
PRODIGY
Explication de texte #4 MOBB DEEP – SHOOK ONES Pt.II Mobb Deep reste une référence du hip-hop East Coast, un monument du rap estampillé Queensbridge. C’est de cette terre, qui a vu grandir Prodigy et Havoc, que le titre Shook Ones Pt. II tient toute sa violence. Un morceau inspiré par leur quotidien sur deux couplets de lyrics bruts parfaitement habillés par la production irréprochable de Havoc. L’un des plus grands classiques du rap.
“ I'm only nineteen but my mind is old / And when the things get for real my warm heart turns cold / Another nigga deceased, another story gets told ”
« À l’époque, nous étions vraiment jeunes, vraiment fous. Beaucoup de gens ne comprenaient pas ce qu’on vivait, ce qu’on faisait, ni ce à quoi on faisait référence dans nos textes. C’est pour cela que je dis qu’on était jeunes, même si on vivait comme des personnes beaucoup plus matures. On avait quinze–seize ans quand on a commencé à faire de la musique, mais mentalement on était plus vieux et on faisait déjà du très bon son, tu vois ce que je veux dire ? »
“ Meanwhile back in Queens the realness is foundation / If I die I couldn't choose a better location / When the slugs penetrate you feel a burning sensation / Getting closer to God in a tight situation ”
« " Right ! Right ! " Si tu te fais tirer dessus, tu vas sentir que ça te brûle, tu vois ? Tu te rapproches de Dieu dans de telles situations. Vraiment ! Le Queens est notre maison, c’est là où toute ma famille a été élevée. Mais mes parents ont eu un peu d’argent, donc ils ont emménagé à Long Island, c’est pour ça que j’y suis né. Je suis revenu dans le Queens en grandissant, donc toute ma famille y appartient, et c’est de là que je viens aussi. J’y ai grandi depuis tout petit. We love Queens ! »
HAVOC
“ For every rhyme I write, it's 25 to life / Yo, it's a must the gats we trust safeguardin' my life ”
« En gros, dans mes rimes, je décris toutes nos conneries, tout ce qui se passait dans nos rues à l’époque où on y vivait. Certains agissements peuvent t’envoyer en prison à vie et, dans le quartier, avec toute cette folie qui t’entoure, la seule chose à laquelle tu peux te fier, c’est ton flingue. Tu te dois de garder cet " ami ". La plupart de mes gars de confiance protègent leur vie de cette façon. »
“ 13 years in the projects, my mentality is what, kid / You talk a good one but you don't want it / Sometimes I wonder do I deserve to live / Or am I going to burn in hell for all the things I did ”
« Quand tu repenses à toutes les choses que tu as faites, toutes les erreurs, tu te dis au bout d’un moment : " Putain, j’ai fait pas mal de conneries ! " Et si c’était à ton tour de partir ? Est-ce que Dieu va t’ouvrir ses portes aujourd’hui ? Tu vois ce que je veux dire ? Je reste conscient de mon karma. » Texte de Terence Bikoumou, photo d'Eriola Yanhoui 6
RECA P
S B TR K T S ur la sc è ne du T rianon a v ec S B T R K T
Sur la scène du Trianon, le 18 novembre, la voix de Yumiko Nagano (Little Dragon) surgit de l’obscurité, entamant a cappella le titre Wildfire sous la direction du chef d’orchestre de la soirée, le producteur anglais SBTRKT. Un chant envoûtant, qui flottait déjà dans l’air de notre été 2011. La réaction du public est immédiate mais ne durera que le temps d’un couplet. Le maître de cérémonie coupe alors la séquence et le silence se fait. En plein milieu de la scène, SBTRKT, accaparé par sa performance depuis une vingtaine de minutes, prend enfin le temps de regarder son public. Au centre, il nous toiserait presque, l’air satisfait. La salle est comble et la foule n’attendait que lui. Dans une lumière rouge vive, sa silhouette se dessine alors en contre-jour, et son masque lui confère une allure quasi–mystique. Ce dernier lui garantissait à ses débuts un parfait anonymat, donnant ainsi la part belle à sa musique. Mais, depuis, son talent a largement fait ses preuves et le masque s’est érodé, rétréci, brisé en deux. Il ne recouvre plus ce soir-là que la moitié de son visage. Depuis le succès de son premier album éponyme, on en aura appris beaucoup plus sur SBTRKT. Aaron Jerome, de son vrai nom, a grandi à la campagne, dans l’exploitation de sa famille. Loin des bruits de la ville, proche de ce fameux silence, il tisse ses premiers liens avec la musique grâce aux radios pirates qu’il réussit à capter. Un isolement qui fait sans doute aujourd’hui la force de son talent : sa créativité et sa musicalité semblent sans limites, loin des barrières des genres et presque universelles. C’est d’ailleurs à la campagne qu’il travaillera chacun de ses projets. Il y sera rejoint par ses chanteurs invités, qu’il inclut toujours pleinement dans le processus de création. Une grande maison, car la liste s’allonge encore avec la sortie de son second long projet, Wonder Where We Land : aux incontournables Yumiko Nagano, Jessie Ware, Roses Gabor, et Sampha s’ajoutent maintenant Raury, Ezra Koenig (Vampire Weekend), Caroline Polachek, Koreless, Drake, A$AP Ferg, Warpaint et Denai Moore. Mais le soir du concert, si ce n’est Denai Moore qui assurait la première partie, aucun d’entre eux n’était présent. Le show y perd peut-être en chaleur, mais l’accent est mis sur les talents de SBTRKT qui joue de leurs voix comme d’autant d’instruments, se dispersant dans la profusion de consoles qui l’entourent. Souvent recroquevillé sur elles, il nous rappelle ces figures tribales en pleine cérémonie, et toute la mise en scène prend des airs de rituel. D’ailleurs, l’artiste est encadré dans sa performance par un batteur et une percussionniste, aux joues barrées de peinture bleue. Et la musique nous conduit dans la même direction, du chant cosmique de Look Away aux percussions entêtantes de NEW DROP. NEW YORK, en passant par l’interaction entre les images et les lumières qui nous transporte tantôt sous un dôme de lasers, tantôt dans un nuage de fumée. Bien que les accents électro nous rappellent au monde réel, le public est en transe et en redemande. Il obtiendra ce qu’il attend lors de la seconde partie du concert, un rappel à rallonge sur lequel SBRTKT s’exprime autrement, se laissant aller à quelques passages improvisés, il se lancera même dans un remix de Lotus Flower, de Radiohead. Une première pour celui qui s’était promis de ne jouer que ses propres titres sur scène. Le show aura duré près d’une heure quand l’artiste prend le micro pour entonner le refrain de Never Never, très vite rejoint par le reste de la foule dans une communion totale. Une parfaite conclusion de la dernière date de sa tournée. L’une après l’autre, les séquences musicales prennent fin. Sur l’écran un message : « Wonder Where We Land ». On ne le sait toujours pas très bien… Texte de Raïda Hamadi, Photos de HLenie 8
P ORTR 4 ITS Texte de Raïda Hamadi
TINK
LOGIC
DENAI MOORE
MZ
À seulement dix–neuf ans, Tink a déjà tapé dans l'œil des plus grands et se retrouve maintenant sous l’aile protectrice de Timbaland. Rappeuse et chanteuse, elle compose des morceaux r’n’b qui semblent tout droit venus du début des années 2000. Encore dans l’ombre, elle prend le temps de préparer son premier album avec l'aide de celui qui façonna en partie le genre avec Aaliyah. Si le travail effectué sur son image nous parvient via son compte Instagram, on devra se contenter d’un name dropping forcené sur les possibles featurings que comporterait son album : Jay Z ou encore Andre 3000. Un casting assez impressionnant accordé à une jeune première qui n’a que trois mixtapes à son actif. En attendant la suite, on se repasse en boucle le catchy Don’t Tell Nobody, où on retrouve Jeremih, le langoureux Want It avec Kelela, mais aussi Sounds Good qui devrait apparaître sur son premier opus.
Après la sortie d’une série de mixtapes intitulées Young Sinatra, le jeune rappeur Logic dévoilait il y a quelques mois son premier véritable projet. L’album Under Pressure est conçu comme un départ de zéro, une nouvelle introduction à son public, un projet conceptuel dans la lignée de Good Kid M.A.A.D. City, de Kendrick Lamar. Inspiré de son propre vécu, il se nourrit de l’histoire et des blessures de sa famille, entre drogue et violence, pour faire de cet opus un sombre récit de son voyage vers le succès. C’est ce qu’il confirmera par des ventes impressionnantes (il rejoint T.I. et Taylor Swift dans le top 5 des entrées Billboard) et un bel enthousiasme de la critique.
Denai Moore, vingt ans, a déjà pu parcourir le monde grâce à sa musique. Un talent précoce qui dénote par la maturité de son écriture poétique et universelle. À douze ans déjà, alors qu’elle débute à peine et qu’elle maîtrise tout juste quelques accords de guitare, elle produit des textes si surprenants qu’on la soupçonne de les faire écrire par son père.
Virevoltant. C’est certainement le qualificatif qui colle le mieux à ce groupe de trois rappeurs du XIIIème arrondissement de Paris. Fort de quatre mixtapes, le collectif MZ est passé de huit artistes à un simple trio, Dehmo, Jok’air et Hache-P, mais affine son style au fil des projets. Les derniers volumes de leur saga MZ Music témoignent de leur constante musicalité et de leur faculté à déployer un éventail de sonorités : le festif Tiep Bou Dien, le sombre Bratatata, l’aérien Embrasse-moi ou encore l’enivrant Lune de fiel.
La jeune poly–instrumentiste brille aussi par une voix profonde qui nourrit la mélancolie de ses mélodies douces–amères. Son talent la conduit jusqu’à l’album Wonder Where We Land, de SBTRKT. Le point de départ d’une suite de concerts où l’on découvre une artiste dont la timidité renforce l’intensité. Si sa carrière en est encore à ses balbutiements, elle commence à briller en solo avec un premier EP porté par la ballade I Swore sorti en fin d’année. On attend déjà beaucoup de son premier album prévu pour 2015. 9
Reste maintenant une étape à leur progression : la sortie d’un album pour confirmer tous les espoirs placés en eux.
Karim au centre
Childhood
RIM ' K « D ans la v ie , seul tu n ’ y arri v eras pas , mais pour faire la guerre , tu n ’ as pas besoin d ’ ê tre mille . »
En 2000, la trop classique institution des Victoires de la musique voit débarquer la 504 break du 113 sur les rythmes chaleureux de la derbouka de Tonton du bled. C’est d’ailleurs ce surnom, « Tonton », qui ne quittera plus jamais Rim’K tout au long de sa carrière en groupe, tout au long de sa carrière solo, tout au long de sa vie tout court. Mais, au-delà de cette image pleine de fraîcheur qui fait honneur à une frange de la population régulièrement bannie de ce type de cérémonie, une autre marque la mentalité du groupe et de l’homme, Karim. Celle de la remise de la Victoire des mains de Jean-Luc Delarue, où ce n’est pas seulement le trio qui rejoint la scène mais toute une équipe qui déboule : des amis, un clan, une mafia même. Un état d’esprit qui se construit dès le plus jeune âge dans le hall 13 du 113, rue Camille Groult, à Vitry, à la MJC, voire à la patinoire. Pour revenir sur cette époque fondatrice pour Rim’K et pour le rap français, c’est naturellement vers ses proches que nous nous sommes tournés. Et dès qu’il s’agit de parler et de se rappeler du « Tonton », un grand sourire marque chacun de leur visage.
L es copains d ’ abord Plus de vingt ans après avoir été les enfants de cette commune, Vitry porte encore les stigmates de la Mafia K’1 Fry et du 113 un peu partout dans ses rues, elles prennent la forme de graffitis, de stickers, de gravures… Certaines sont infligées par la trace des protagonistes et d’autres par la fierté de toute une ville qui s’est sentie à jamais représentée par ces groupes et leur musique. Au-delà du rap, Rim’K est Vitriot, et c’est cette ville qui fait de lui à la fois un footballeur au « pointard » dévastateur, un rappeur aux phrasés crus et réalistes, mais d’abord un patineur. D’ailleurs, dès qu’on met les pieds dans la patinoire municipale, des posters de la Mafia K’1 Fry, du 113 et de Rim’K ornent les murs avec de petites dédicaces personnalisées. Comme des centaines d’enfants aujourd’hui, Karim et son pote Youssef ont fait des tours sur cette glace. Youssef, ancien hockeyeur professionnel (il illustre d’ailleurs les fameux « sportifs de haut niveau » dans le clip Les princes de la ville), n’a jamais quitté la patinoire depuis son enfance car il y est aujourd’hui employé. Il se souvient qu’à peine âgés de dix ans ils rentraient gratuitement grâce au voisin de palier de Karim qui y travaillait à l’époque. Cet endroit était un véritable lieu de rassemblement où tous les quartiers de Vitry se retrouvaient, notamment le dimanche.
Un jour qui donne lieu à des files importantes à l’entrée : « On n’attendait pas, on rentrait en VIP grâce au voisin de Karim, les petites meufs voyaient qu’on était " official ". C’était une période magnifique », se souvient Youssef. Mais c’est aussi en ce jour d’affluence massive que la glace ne suffisait plus à adoucir l’électricité entre les « grands » du quartier. « C’était tellement chaud qu’en 92 ils ont fermé le dimanche et, depuis, ça n’a jamais rouvert », conclut l’ancien hockeyeur. C’est sûrement cela qui marque la jeunesse de Rim’K, le paradoxe entre le bonheur du simple partage avec ses proches et un contexte où à n’importe quel moment, un regard, un geste, un mot peut tout faire dégénérer. Si cela est le cas à la patinoire, ça l’est encore plus au 113, rue Camille Groult, certainement l’adresse la plus célèbre du rap français. Mais avant tout, Camille Groult est le théâtre d’une amitié de près de vingt ans entre Abdelkarim, Rim’K et Yohann, AP. Ce dernier se souvient de sa première rencontre avec son ami d’enfance : « C’est la première tête que j’ai vue dans le quartier, j’avais dix ans, on s’est rencontrés en bas du bloc, il était au hall 11 et moi au 13. » Ensemble ils ont tout vécu. L’insouciance de l’enfance d’abord, des barbecues et des parties de 10
baby-foot organisés au pied des tours l’été : « On sortait les baby-foot qu’on avait eus à Noël et on pariait des 50 centimes… » Mais rapidement des galères, liées à la précarité de Vitry et même au traitement réservé à ses habitants, soudent les deux adolescents qui se sont retrouvés temporairement déscolarisés au lycée : « Avec Karim, lors d’une rentrée de septembre, aucun de nous deux n’avait d’école. On va à l’académie de Créteil pour faire des démarches, on se retrouve dans des manifestations à crier : " On veut un lycée ! " » Puis la réalité de l’existence d’un jeune de Camille Groult le conduit nécessairement à être en prise avec une vie de quartier parfois sombre, et ce très rapidement : « En bas, il y avait un tourniquet, et il se passait des choses vraiment sales. » Lorsqu’un tourniquet devient un endroit préoccupant, cela en dit beaucoup sur le caractère de cette banlieue.
« À Camille Groult, on sortait les baby-foot qu’on avait eus à Noël et on pariait des 50 centimes sur le vainqueur… » AP
Voyager a v ec la rue Oui, Rim’K et AP ont fait plus que les 400 coups ensemble, mais comme le résume Yohann, « malgré le mal qu’on a fait, on a quand même des têtes de gentils ». Ce que son pote de toujours baptise « la période délinquance » leur a paradoxalement permis de voyager. Car la seule finalité était de s’acheter le dernier survêtement, la paire de Reebok Classic à la mode ou de profiter entre potes de la dernière séance de cinéma au centre commercial Belle-Épine. Mais ces sorties étaient une manœuvre véritablement risquée : « Si on loupait le dernier bus, on était obligés de rentrer à Vitry à pied en coupant par le cimetière. Je peux te dire qu’on courait. », se rappelle Youssef, amusé.
« Malgré le mal qu’on a fait, on a quand même des têtes de gentils. » AP
A rtiste par accident Avant de devenir une place forte du rap français, Vitry était une ville de ragga : « Quand je suis arrivé, c’est la première fois que je voyais des Rebeus s’ambiancer sur du Buju Banton », plaisante AP. Mais les deux enfants de Camille Groult n’ont d’yeux que pour les États-Unis et son rap. Mais à une époque sans haut débit et avec seulement six chaînes de télévision il est difficile de se tenir au courant. Encore une fois, Rim’K et AP redoublaient d’inventivité : « À l’époque, tout se passait sur l’émission Yo ! MTV Raps, donc c’était une galère. Mais tu as toujours une petite meuf, elle habite à Créteil Soleil, elle a le câble, elle a tout, frère. Donc on demandait de nous enregistrer les émissions et avec Karim on se les faisait tourner. » C’est baigné dans cette culture qu’ensemble ils écrivent leur premier texte dans la chambre de Yohann et qu’ils " freestylent " dans le mythique hall 13. Lorsque AP se rappelle ce moment, il raconte au sujet de l’écriture de Rim’K que, « dès le départ, il avait sa patte et cette manière particulière de décrire les choses, et même s’il a évolué, il l’a gardée dans tous ses projets ». Au dernier étage, Mohamed, membre du groupe Système Créatif, repère cette doublette qui commencera à le suivre un peu partout et qu’il initiera au monde de la musique.
Rim’K est issu d’une famille nombreuse et, pour avoir accès à ces petits luxes, il fallait forcément dégoter les quelques combines pouvant rapporter un billet, et pour cela il fallait parfois savoir aller au casse-pipe. « On faisait des petits cambriolages, on volait des postes de radio, on forçait des caves… » se remémore AP, tout en rappelant la règle fondamentale : « On ne chie pas où on mange. » Et c’est à ce moment précis que cette idée de voyage prend concrètement son sens et que le duo devient trio. Le troisième sommet de ce triangle, c’est IZM, « quelqu’un qui a toujours été avec nous », affirme Yohann. « Tous les trois, on partait à Chartres, Orléans, Montpellier… » précise IZM, en ajoutant : « Ça nous permettait de faire nos petites affaires, de nous évader du 94 et d’apprendre à conduire. » Car c’est sans permis que Karim et ses complices sillonnaient la France, et parfois sans un sou en poche, ou du moins un vrai sou. C’est justement à ce sujet qu’AP raconte cette anecdote : « En 1996, je crois, Ideal J avait une tournée dans le Sud et ils avaient une date à Montpellier. Avec IZM et Karim, on est partis dans le train avec 50 francs dans les poches et des faux billets de 200. On s’en foutait de frauder : " Mets-nous même dix amendes, on veut aller à Montpellier. " On s’est retrouvés là-bas à payer avec nos faux billets. » Ce périple insouciant montre qu’il n’y a jamais eu de frontière entre la vie de jeunes de quartier et celle liée à l’artistique, à l’époque encore balbutiante pour Yohann et Karim. Le 113 et Rim’K ont toujours été au micro ce qu’ils étaient réellement dans la rue, sans aucune distinction entre les deux sphères.
« Si on loupait le dernier bus après la séance de ciné, on était obligés de rentrer à Vitry à pied en coupant par le cimetière. Je peux te dire qu’on courait. » Youssef Mais c’est véritablement à la MJC de Vitry que tout va basculer, un endroit que Youssef décrit avec enthousiasme : « C’était chez nous, on se retrouvait tous ensemble ; pour te dire, on appelait même au bled. » Deux jours par semaine, le mercredi et le vendredi, à la sortie de l’école, un ensemble de jeunes venus de Vitry, évidemment, d’Orly et de Choisy se donnent rendez-vous. C’est alors que Rim’K et AP se connectent avec Manu Key, le groupe Ideal J, Rohff et bien d’autres pour former ensemble la Mafia K’1 Fry. Mais cette fois c’est plus qu’un trio qui va se former, bien sûr, la rencontre de Mokobé, la troisième personnalité fondamentale du groupe, dessine un peu plus ce qui deviendra plus tard le 113. Mais c’est véritablement DJ Mehdi qui donnera sa chance à cette nouvelle entité : « Aujourd’hui, si le 113 existe, c’est surtout grâce à Mehdi. C’est lui qui a vu du talent en nous et qu’il y avait un truc à faire. Il avait une longueur d’avance sur tout le monde. Un jour, il est venu avec les gens d’Alariana (label indépendant, ndlr) et il nous a dit : " Il y a moyen de sortir un projet, mais il faut le plier en deux semaines. " C’est lui qui nous a poussés. » Cela donnera en 1998 Ni barreaux, ni barrières, ni frontières, le premier projet du 113 qui obtiendra un beau succès en indépendant. Sans cela, pas de Prince de la ville, de Tonton du bled, de Jackpot 2000 ou d’Au summum.
« Aujourd’hui si le 113 existe, c’est surtout grâce à DJ Mehdi. C’est lui qui a vu du talent en nous. » AP Youssef
Finalement, raconter la jeunesse de Rim’K seul est un contresens absolu, car c’est avec ses proches que son histoire s’écrit depuis le début. Logiquement, c’est AP qui résume parfaitement l’état d’esprit qui les unit : « Dans la vie, seul tu n’y arriveras pas, mais pour faire la guerre, tu n’as pas besoin d’être mille. » Quand on les regarde évoluer ensemble, toujours une vanne et une « clope aromatisée de shit » à la bouche, les mots ne servent plus à rien. La force de leur parcours commun parle pour eux.
Texte de Julien Bihan, Photos de Yoann « Melo » Guérini 11
N icki M inaj , le cul sur le tr ô ne Comment peut-on quantifier l’emprise d’une star médiatique sur l’ensemble de la planète ? Les magazines américains Forbes et Time tentent chaque année d’établir une liste des cent personnalités les plus influentes du monde. Malgré des approches différentes (chiffrées pour Forbes, subjectives pour le Time), Nicki Minaj n’a jamais fait partie de la bande, contrairement à Beyoncé, Rihanna, Taylor Swift, Katy Perry ou même Kim Kardashian. Le New York Times publie néanmoins un article en 2012, titré Nicki Minaj, une influence particulière, soulignant la difficulté de l’assimiler ou de la comparer aux autres célébrités tant elle reste un personnage à part.
Sa puissance est pourtant difficilement contestable : d’abord dans la musique, puis à la télévision (American Idol), récemment au cinéma (The Other Woman) et, bien sûr, sur Internet (le milliard de vues largement dépassé sur son compte YouTube). Elle est omniprésente dans la sphère de l’entertainment. Au cœur du système et hors norme à la fois, définir l’impact de Nicki Minaj est une tâche délicate. Accompagnés d’un philosophe, Vincent Cespedes, et d’un sociologue, Jean-Claude Kaufmann, nous avons sorti l’artillerie lourde pour tenter de comprendre cette marionnette qui tire ses propres fils.
« I am your leader , Y es , I am your leader » I A m Y o u r L e a d e r Comme Jay Z a repoussé les limites des champs d’action du hip-hop, comme Michael Jackson a repoussé les limites de l’apesanteur en dansant, comme George Lucas a repoussé les limites de la galaxie au cinéma, l’innovation culturelle est souvent portée par des personnalités capables de se projeter en dehors des cadres établis. Hors champ, Nicki l’est constamment, il n’existe pas de frontière entre la réalité et ce qu’elle invente. Elle explique dans une interview que tout ce que nous voyons d’elle est directement issu de son esprit : « Je suis quelqu’un qui vit dans l’imaginaire, je pense que si j’y crois assez fort les choses deviennent réelles. » Elle précise que c’est comme ça qu’elle crée son style vestimentaire, en transposant son imagination dans la réalité. Ainsi aucun obstacle n’est valable, tout est envisageable, mais ça reste elle qui choisit. Elle peut être Blanche Neige et la méchante belle-mère dans Va Va Boom, elle peut être le monstre et la Barbie dans Monster, elle peut faire le choix du hip-hop et de la pop sans les rendre incompatibles.
« T hey ’ ll ne v er thank me for opening doors » F REED O M Nicki Minaj se tient perpétuellement dans l’outrance, nous dit Vincent Cespedes. Cette absence de limites, elle la partage avec le capitalisme. Complètement ancrée dans une société où l’argent fait le pouvoir, elle assume jusqu’à l’extrême faire partie de cette grande machine occidentale. « C’est le capitalisme qui s’autocritique », explique le philosophe. Autoproclamée objet de consommation, elle vante constamment l’opulence dans laquelle elle vit grâce à son succès commercial. C’est d’ailleurs grâce à son aisance financière qu’elle peut se permettre de réaliser tout ce dont elle a toujours rêvé. Lorsqu’elle était enfant, Onika allait régulièrement voir sa mère pour lui demander le plus sérieusement du monde si elle pouvait se rendre au bal habillée en robe de princesse. La rêverie est pour elle quelque chose de sérieux, elle travaille avec précision sur son imagination. Ça n’est certainement pas un hasard si on la retrouve donc deux décennies plus tard au bras de Drake, dans Moment 4 Life, avec des airs de Cendrillon. À mesure que sa carrière avance, elle refuse de se satisfaire de ce qu’elle vient d’accomplir. Il faut toujours franchir l’étape supérieure. Jouer les princesses dans ses clips est une chose, mais le pouvoir est détenu par les reines, c’est donc ce qu’elle voudra devenir. C’est ainsi qu’elle est sacrée par MTV pour les EMA’s (European Music Awards) dans le teaser de l’événement où l’on découvre un monde dans lequel nous sommes tous des sujets à sa merci. 12
À prendre évidemment au second degré, ce coup d’éclat européen observé par le monde entier est le reflet de la démarche de Nicki Minaj. L’autocritique du capitalisme, c’est par la parodie qu’elle la construit, en récupérant de l’art contemporain la science de la provocation. En choquant, l’artiste force un regard sur le monde, à l’instar de Duchamp et son Urinoir, en élevant les objets du quotidien au rang d’œuvres d’art, Warhol et le pop art, en créant des œuvres reproductibles à l’infini, Murakami, en imposant une bimbo-bishojo ¯ à Versailles et la first lady de Young Money, en atteignant 310 millions de vues en montrant ses fesses. C’est d’ailleurs ce qu’affirme avec certitude Cespedes : « Nicki Minaj, c’est de l’art contemporain », à la différence près que l’œuvre d’art qu’elle modèle depuis des années n’est autre qu’elle-même. Le XXIe siècle, avec ses réseaux sociaux, sa téléréalité et sa surmédiatisation, apporte inconsciemment une nouvelle dimension à l’art. Avec Nicki, il devient avant tout l’expression d’une personnalité, d’un ego. Il est impossible de réduire la star au statut de rappeuse, elle présente beaucoup trop d’autres facettes. Lorsque Onika, encore lycéenne, perd sa voix pour les auditions de la Laguardia Arts School, elle change de discipline et est acceptée dans la filière dramatique. Dès le départ, le domaine artistique devient un support, selon l’humeur elle peut s’adonner à celui qu’elle souhaite, l’important reste qu’elle puisse exprimer ce qu’elle est.
Une façon très personnelle d’appréhender le processus créatif quand beaucoup de ses pairs se retrouvent dans une démarche artistique plus traditionnelle. Kanye West, en exemple significatif, subit sa personnalité avec des accès d’agressivité envers les paparazzi ou autres Taylor Swift. Une attitude qu’il met en opposition avec sa musique, expression d’un art qu’il veut universel et inaltérable. À la sortie de son album Yeezus, il se dit même prêt à ne pas passer en radio, préférant rester fidèle à un art au-dessus des problématiques commerciales. Pour Nicki Minaj, la musique est au contraire un laboratoire grâce auquel elle fait toutes les expériences qu’elle souhaite sans prendre pour un échec le rejet de certains morceaux (Massive Attack, Starships...) par une partie de son public. Avec ses tubes elle cherche à partager sa sensibilité en accord avec un moment précis de sa vie, quand Kanye et bien d’autres visent l’intemporalité absolue. La « générosité » est le mot qui revient le plus souvent lorsque les personnes qui travaillent avec elle vantent ses mérites. La star donne tant qu’elle craint qu’à mesure que son succès avance, il ne lui reste plus de secret à garder. Ce n’est pas anodin, son art consiste à s’offrir elle, au monde et tout entière.
Il faut composer avec la représentation esclavagiste d’un corps qui a été érigé en phénomène de foire, à l’image de la Sud-Africaine Sarah Baartman, vendue à Londres en 1810. Après avoir dû exhiber son postérieur proéminant lors de tous les grands événements de l’Europe du XIXe siècle, elle avait vu son anatomie disséquée à sa mort pour en extraire l’objet des fascinations. Une moulure de ses fesses a ainsi été exposée au musée de l’Homme de Paris, et cela jusqu’en 1974. Une nouvelle forme de mutilation du corps féminin est à prendre en compte dans la lutte féministe. Ce passé esclavagiste renvoie à ces femmes considérées, aux fondements des États-Unis, comme des tentatrices auxquelles ne peuvent résister les propriétaires des plantations, justifiant ainsi leur progéniture illégitime souvent issue de viols. Des traumatismes qui orientent la façon de revendiquer sa féminité aujourd’hui. Dans sa manière de se montrer au monde, Nicki Minaj porte inconsciemment cette histoire. Et grâce à sa logique de défense par l’attaque, elle reprend des codes physiques autrefois facteurs de souffrance pour les transformer en source de fierté, quitte même à façonner volontairement son postérieur. « Independent bitches only, thick bitches only », déclame Chris Brown dans Only.
En plein cœur du système et seulement en montrant ses fesses, elle rappelle à toute une génération que la silhouette squelettique des mannequins n’est pas la seule façon d’exprimer la beauté. L’idée est de créer un nouvel idéal du corps de la femme. Chaque mouvement effectué dans ses clips, chaque vêtement ou absence de vêtement sont là pour mystifier cette nouvelle image. Elle esthétise tellement sa différence qu’elle en devient fascinante pour le reste de la population terrestre. L’impact est incontestable, c’est l’une des premières qui, à l’image d’un Mohamed Ali ou d’un James Brown chez les hommes, complexe les Blanches de ne pas être Noires. Ce fessier, la plupart de ces dernières ne peuvent l’avoir. Si l’authenticité du postérieur de Nicki suscite quelques doutes, celui de Kim Kardashian manque cruellement de crédibilité. MJ s’est décoloré la peau, Kim s’est rembourrée les fesses, grâce à Nicki Minaj la balance est rétablie.
« Michael Jackson s’est décoloré la peau, Kim Kardashian s’est rembourrée les fesses, grâce à Nicki Minaj la balance est rétablie. »
« Y ou can be the king but watch the q ueen con q uer » Mo n s t e r Même pour l’amour du divertissement, se vendre corps et âme reste le plus vieux métier du monde. Pourtant, Nicki Minaj, première femme rappeuse cumulant autant de succès, semble sensible à l’avancement de la cause du genre féminin. Une belle émotion se dégage lorsqu’elle arrive en 2013 sur le plateau de Queen Latifah et souligne à quel point leur rencontre est un grand moment pour le hip-hop féminin. Plus récemment, elle s’investit bien plus que de coutume dans le remix de Flawless de Beyoncé et, une fois le résultat enregistré, elle affirme que « si l’on devait choisir un son pour représenter le Girl Power ce serait Flawless Remix ». Elle est fière d’être une femme et se bat ouvertement pour être aussi influente, si ce n’est plus, que ses collègues masculins. Alors, comment justifier sa vulgarité ? Beaucoup se demandent comment rendre crédibles des revendications en faveur des femmes lorsque l’on se présente comme objet hypersexualisé. « Dans la vulgarité de Nicki Minaj, il y a encore ce côté parodique qui sauve tout. Elle n’a pas un message féministe, elle joue juste sur les codes machistes. Quand vous êtes discriminé par un mot ou par quelque chose, vous en faites votre fierté. Les Noirs des ghettos qui s’appellent " Niggas ", c’est exactement la même chose », explique Vincent Cespedes. Selon lui, par un mécanisme de défense et toujours dans l’autodérision, elle défend très simplement que si on la traite de « pute » elle devient alors « la reine des putes », plus aucune critique n’est donc possible. Dans le remix de My Nigga, de YG, elle met d’ailleurs clairement en parallèle les « Niggas » de ses corappeurs avec les « bitches » de son couplet. Le sociologue Jean-Claude Kaufmann nous rappelle que dans les années 70 les mouvements d’émancipation des femmes occidentales affirmaient leur indépendance en cachant leur corps du regard masculin. Elles deviennent les plus minces possibles et portent des vêtements amples pour qu’aucune forme ne dépasse. Dans les années 2010, une nouvelle génération a émergé, plus métissée ethniquement et avec des horizons culturels diversifiés. Le bagage historique est lui aussi différent.
« O h my gosh , look at he R butt » A n a c o n d a Notre rapport au corps en dit long sur la géopolitique mondiale, comme le montre Jean-Claude Kaufmann : « Derrière une mise en avant des rondeurs et une aisance avec cette partie du corps que sont les fesses, c’est tout un rapport au monde contre la culture du Nord qui s’installe. » « Il est certain que le clivage ne se fait pas réellement entre grosses et maigres », ajoute Vincent Cespedes. Dans le paysage des canons de beauté, Nicki offre une alternative. Elle n’est certes pas la première, paix à l’âme de J-Lo, mais c’est la seule qui, comme dans tout ce qu’elle fait, pousse la démarche aussi loin. Sa plastique est pensée et modelée à la perfection et, en son honneur, elle rend virale une référence à Sir Mix-a-Lot et son Baby Got Back avec Anaconda. En sacralisant ainsi son « booty », la Barbie-bitch crie au monde sa fierté d’être Noire. 13
« T ell ’ em winning is my mother fuckin ’ protocol » F lawl e s s Aux échecs, la reine est la pièce qui a le plus de pouvoir. Si le roi est nécessaire pour gagner, il n’est qu’un témoin, et c’est la reine qui agit. Elle a la capacité d’effectuer absolument tous les mouvements qu’elle souhaite au moment où elle le décide. Nicki Minaj prend notre planète pour un grand plateau de jeu et, ayant bien sûr choisi les pions noirs, elle mène la danse, nous surprenant un peu plus à chaque coup. La partie, elle l’a déjà gagnée, mais on ne le sait pas encore.
Texte de Nina Kauffmann
Comment s’est déroulée ta jeunesse à Belfort ?
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Tu ne peux pas faire passer une petite ville pour une grosse ville. Mais mon enfance s’est super bien passée, ça reste certainement l’une des plus belles périodes de ma vie. Après, l’adolescence est arrivée. On le sait tous, ça te fait un peu changer : tu te poses des questions, t’as envie de t’évader, de voir le monde… Alors, quand tu vis dans une ville où le bus s’arrête à 19 heures, c’est un peu embêtant, quoi. L’endroit le plus proche où on pouvait accéder, de manière un peu populaire, à des expériences différentes, c’était Strasbourg. C’est une heure et demie de train, tu ne peux pas forcément te le payer et tu n’as pas le droit de partir toute une nuit. Du coup, le cinéma m’a beaucoup aidé.
« Sur le tournage d’Un prophète, pendant cinq semaines, j’avais peur qu’ils me jettent. Je me disais que j’étais sur un siège éjectable, il fallait vraiment que j’envoie. Alors que ça y est, ils ne peuvent plus, après ça te coûte de l’argent. »
Tu as vécu dans le quartier des Résidences à Belfort, comment as-tu appréhendé cette vie en cité ? J’étais au cœur du quartier, mais c’était une autre époque. Ça devient de pire en pire, avant il y avait des codes. Du coup, on s’éclatait grave : j’allais chez mes voisins Turcs, on croisait les Gitans, puis il y avait les Français, les Blacks et les Rebeus. Donc, vraiment, on était ensemble. Il y avait une forme de respect des aînés et des adultes. Par exemple, quand on était en bas de la tour en train de discuter et que je commençais à faire un petit peu trop de boucan, s’il y avait une maman ou un papa, je baissais le ton. Si quelqu’un portait des sacs, on l’aidait, tu vois.
Ta h a r R a h i m « L e cin é ma m ’ a permis de m ’ é v ader , de d é cou v rir le monde . » Propulsé par la force d’Un prophète en 2009, depuis quelques mois Tahar Rahim voit sa ganache envahir les infrastructures de vos transports en commun, vos magazines gratuits, mais surtout vos salles de cinéma. En effet, en peu de temps, l’acteur a enchaîné plusieurs longs métrages entre Samba, le Père Noël, et il sera à l’affiche de l’attendu prochain film de Fatih Akin, The Cut, en janvier 2015. Malgré toute cette effervescence, la simplicité de l’homme est déconcertante, le tutoiement instinctif et souriant, la conversation se fait naturellement comme avec un vieux pote qu’on n’a pas vu depuis des années et qu’on prend plaisir à redécouvrir. Cette humilité, il la doit sûrement à son parcours qui le conduit des quartiers de Belfort à Paris, des doublages de cassettes au festival de Cannes. Tahar Rahim se raconte avec sobriété et justesse, et c’est cette bouffée de fraîcheur qui fait du bien.
Photos : Marcel Hartmann Style : Audrey Michaud-Missègue Assistant Photo : Alexy Benard Make Up & Hair : Fatiha Maghraoui
Attention, je ne condamne pas tout le monde, ce serait servir un certain propos et ce n’est pas le cas. Mais il y a des endroits où tu as envie de dire : qui a abandonné le terrain ? C’est la vraie question, au lieu de reporter la faute sur les jeunes de « téci » ou sur les parents. J’aimais beaucoup être dehors. Dans ma chambre, le soir, je regardais par la fenêtre parce que je voulais encore être dehors. Comment as-tu réussi à faire ta place dans une fratrie de neuf frères et sœurs ? L’entente s’est très bien passée. J’ai reçu un héritage de mes frères, sœurs et parents qui est extrêmement positif. Après, quand on est beaucoup et que tu es le dernier, tu écoutes plus que tu ne parles. Donc, j’ai certainement eu le besoin de m’exprimer ailleurs. C’est aussi peut-être pour ça que je suis acteur aujourd’hui.
Ton père était professeur des écoles en Algérie et il a dû travailler à l’usine une fois en France, cela doit être important dans l’héritage d’une famille ? Être rétrogradé quel que soit ton domaine, c’est dur. Mais, parfois, ce sont des maux nécessaires et c’est pour ça que je lui rends hommage. J’ai énormément de respect pour lui parce qu’il m’a permis d’être là où je suis. À sa place, ça m’aurait fait mal, mais je sais que si un jour j’ai des enfants et que je dois faire des sacrifices je les ferais. La vie, c’est du partage et de la redistribution de toute façon. Tu ne peux pas profiter de quelque chose tout seul. C’est nul.
Quand as-tu commencé à devenir plus pointu dans ta passion ? Ça s’est fait avec le temps, à force de lire des choses, de découvrir des films, de connaître des gens. J’ai rencontré Cyril Mennegun, avec qui j’ai fait Tahar l’étudiant (premier rôle de Tahar Rahim dans ce docu-fiction en 2005, ndlr). C’est lui qui m’a fait découvrir Taxi Driver, qui est l’un de mes films références, définitivement dans mon top 3. On a beaucoup discuté ensemble pendant quelques années, jusqu’à arriver à ce documentaire. Donc, lui aussi a eu beaucoup d’influence. À quel moment décides-tu de devenir actif ?
Quand tu étais petit, quels étaient tes centres d’intérêt ? J’étais fan de Michael Jackson, mais c’est un fait de tout citoyen du monde, je crois. C’est vrai que j’ai eu une révélation Michael Jackson. À l’époque, les tubes, les films restaient quand même dans le temps, on ne chassait pas aussi vite l’information. Quand le clip de Bad est sorti, je faisais une sieste. Je me suis levé l’après-midi et il passait à la télé, j’ai tapé un fou rire au point que toute ma famille est venue me voir pour comprendre pourquoi j’étais en train de me marrer. Aujourd’hui encore, je ne peux même pas te l’expliquer, mais à partir de ce moment j’ai tout kiffé de Michael. Puis Dragon Ball, comme tous ceux qui ont vu ces personnages pendant leur enfance. C’était un truc de fou, à l’époque ça me faisait rêver. C’était nos héros, on n’a pas eu les Marvel, mais les mangas. Quand tu vois ça quand t’es gosse, franchement, ça fait voyager. J’ai dessiné ça pendant longtemps, mais aussi les Chevaliers du Zodiaque, Ken le Survivant. Le dessin, c’est ma première passion et tous les soirs je prenais mes crayons, je n’étais pas du tout organisé, mais j’en avais envie, j’en avais besoin.
Il me faut dix-douze ans pour me mettre dans le processus de traverser l’écran. À quinze-seize ans, je commence à voir le cinéma autrement et, à vingt-et-un ans, je décide de faire une école de cinéma et je tente pour de vrai. J’ai toujours su que je voulais le faire, mais à un moment tu te dis : « Bon, il est l’heure d’essayer. » J’ai fait une licence de cinéma à Montpellier et puis je suis allé à Paris. Tu es issu d'un milieu prolétaire, quand tu expliques à tes parents que tu veux devenir acteur, comment ça se passe ? C’est là où tout se joue. Mes frères et mes sœurs vont me dire : « OK, c’est très bien, mais décroche une licence parce que la vie est difficile. » Et c’est à ce moment que tu as quelqu’un de magique, et qui restera magique toute ma vie, ma maman, qui me dit : « Je crois en toi et tu le feras. Pas de problème. Fonce ! » Pour avoir l’inconscience de vouloir se lancer là-dedans, car c’est vraiment ça, t’as besoin d’avoir confiance. Ma mère le sait, donc elle me donne cette confiance.
« Mon premier casting, c’était un clip pour Sniper. Quand j’ai appelé ma mère pour lui dire que j’avais eu le rôle, elle a pleuré de joie. » Comment s’est passée ta rencontre avec le cinéma ? Par l’ennui, j’avais besoin de m’évader, de découvrir le monde. Et quand tu n’en as pas les moyens, tu passes par autre chose ; pour moi, c’était le cinéma. Quand tu y vas cinq fois par semaine, à un moment tu vois mieux un film. Je suis un gosse de la salle. Vraiment. On n’avait pas les dispositifs à la maison, mais il y avait quand même de vrais rendez-vous cinéma à la télé avec six chaînes, sans tout ce raz-de-marée d’émissions télévisuelles et de téléréalité. Le mardi soir, j’allais même sur la télé suisse romande pour la soirée cinéma. C’était aussi la grande époque du vidéoclub où, tout à coup, on a pu avoir le cinéma à la maison. Il y a même, des gens qui doublaient les cassettes et des vidéoclubs clandestins se formaient dans le quartier. Il y avait un mec qui avait fait son business comme ça, il avait 500 films et il les louait ; il nous disait : « Là-bas, on te le loue tant, moi je te le loue tant. » Mon frère s’était constitué une belle galerie de films. Donc, il y avait tout le temps du cinéma qui traînait. Ce sont toutes ces choses-là qui m’ont donné envie d’en faire.
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Tu pars à Paris à vingt-quatre ans avec ton sac sur le dos, c’est ça ? Texto ! J’ai travaillé deux mois dans le bâtiment, j’ai pris mon oseille et je suis allé à l’hôtel. Et là, il se passe quelque chose de providentiel, en une semaine tout s’installe. C’est-à-dire que je vais à Paris, je vais à l’hôtel, j’ai un rendez-vous pour intégrer un cours de théâtre le vendredi. Dimanche, j’apprends que je vais avoir un logement une semaine plus tard, mais il faut que je paie le loyer d’avance. Lundi, on me dit que je suis pris dans le cours. Mardi, je vais à la fac où normalement t’es censé avoir préparé un dossier de douze pages sur ton objet d’étude et une inscription administrative, mais j’avais rien fait de tout ça. Je ne voulais pas continuer la fac, mais c’était nécessaire parce que j’avais besoin de la bourse pour vivre. J’y suis allé au culot, j’ai pris le module qui me correspondait le plus, le western. Je croise des gens et je leur dis : « C’est où que ça se passe ? Où il est ce monsieur ? – C’est là, mais tu sais, d’abord, il y a la queue, et puis il fallait faire ça… » Pendant qu’on discute, je vois le type arriver et je vais lui parler. Tout au long de la file, on discute et ça se passe, quoi. D’un coup le mec me parle de ciné, je double toute la file avec lui, il m’installe à son bureau et me dit : « Tu as au moins tes douze pages. – Non, je ne les ai pas, j’ai pas pu. » Et là il me répond : « Écoute, prépare-les moi pour la semaine prochaine. » Il me tamponne mon papier et avec ça j’ai ma bourse. Et ma bourse me permet de payer mon loyer. Ça, c’est mardi, on est d’accord. Jeudi, je trouve un travail pour le loyer. Le samedi suivant, je trouve un deuxième travail pour vivre et, dimanche, je suis installé. Comment tu expliques qu’en une semaine tout se déroule comme ça ? C’est la providence. Évidemment, je me suis bougé le cul. Mais…
Deux ans et un long métrage plus tard, tu as Or noir, et là tu assistes à un moment de l’histoire avec le printemps arabe. Peux-tu nous raconter ? De manière professionnelle, c’est déstabilisant parce que, quand tu le vois dans la rue et qu’après tu vas sur le plateau, tout sonne tellement faux d’un coup. Le bluff est terminé, tout tombe : les décors, les costumes… Parce qu’il y avait un parallèle entre le film et ce qu'il se passait, le jour où Ben Ali a fui, je jouais une scène où je destituais l’émir. Mais la veille je suis allé dans la rue, c’était tellement plus important ce qui se passait dehors. T’es bousculé à l’intérieur. C’était interdit de sortir de l’hôtel, mais il fallait que je voie ça. Je pense qu’il fallait prendre le risque, je ne suis pas Tunisien, je n’allais pas manifester, ce n’est pas mon histoire. Mais je voulais être témoin, ce sont des expériences de vie qui te font grandir.
« Pour Samba, Eric Toledano et Olivier Nakache m’ont fait une blague : " On va leur montrer tes dents. " »
En novembre 2011 sort Love and Bruises, réalisé par Lou Ye, où tu interprètes le rôle de Mathieu, et tu dis : « Faut quand même qu’un réalisateur chinois vienne en France pour me proposer le rôle d’un mec français. Ça montre qu’il y a encore du chemin à faire. » Peux-tu nous expliquer ce qui t’as poussé à dire ça ? À l’époque, il y avait encore un questionnement autour de l’Arabe au cinéma et ça me fatiguait. Donc, on se demandait si je pouvais jouer des rôles de non-Maghrébin, et certaines personnes ont dit au réalisateur : « Le personnage s’appelle Mathieu et lui c’est Tahar. » Il avait répondu que ce qu’il voyait en France, c’était des mecs comme moi et que c’était ce qu’il voulait. Et, effectivement, je n’en ai absolument rien à foutre de jouer des Jean ou des Karim. Seulement voilà, quand j’ai entendu ces réactions, je me suis dit qu’il y avait encore du chemin à faire. Aujourd’hui, le problème est réglé pour moi, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde.
Tu penses qu’il s’est passé quelque chose de spécial ? Ouais. Vas-y, gars, tu arrives avec ton sac, t’as 1 500 ¤ en poche, il se passe un truc. J’en ai vu des mecs monter à Paris et revenir. Et je ne vois pas ce que j’ai de plus qu’eux, tu vois.
Tes rôles se sont beaucoup éclatés depuis, mais pour la première fois dans, Samba, tu es dans un registre comique. De quelle manière as-tu abordé ce nouveau genre ?
Peux-tu nous raconter ton premier casting ? Un clip pour Sniper, le titre c’était Fallait que je te dise. C’était lors de ma première année à Paris et une agence de pub m’appelle pour passer le casting. J’y vais et je le décroche. Je me souviens de l’instant où j’appelle ma mère pour lui dire, elle était aux anges. Elle a pleuré de joie. Et j’ai dit à un de mes potes : « Je peux mourir tranquille, ma mère a pleuré de joie. » Puis, personnellement, c’était Sniper, j’ai écouté Gravé dans la roche. Qui ne l’a pas écouté ? Il m’a marqué, cet album. Puis tu imagines avec toute l’envie d’acteur que tu as : tu te retrouves là, tu passes un casting, tu es pris et tu es dans un clip de rappeurs connus. Tu es super heureux. Et mes potes qui me disaient : « Dans le clip de Snip’, on t’a vu. » C’était chanmé ! Malgré ton expérience dans La Commune, ton premier film reste Un prophète. Comment as-tu appréhendé cette pression sur le tournage ? La pression ne se situait pas à ce moment-là, je n’ai pas eu de problème avec ça. Bien sûr, j’étais très intimidé par Jacques (Audiard, le réalisateur) parce que je rêvais de tourner avec lui. Niels (Arestrup, l’acteur incarnant César Luciani) m’intimidait aussi, mais différemment parce que c’est un grand acteur. Mais dans ma tête, c’est du jeu, donc c’est sûr que ça va bien se passer et ça a été le cas. Maintenant, j’avais beaucoup à apprendre et j’avais l’impression de ne pas réussir. J’étais sûr de moi au casting et après, quand tu démarres, tu te dis : « Oh putain, si je n’y arrive pas, ça ne va pas le faire du tout… »
Étais-tu angoissé que tout le film repose sur toi ? Ouais, mais je suis plus un challenger qu’un mec qui va flipper. C’est une peur qui me motive. Mon état d’esprit, c’est qu’il faut que je bastonne vraiment le truc, je ne pouvais pas me louper. Ça faisait douze ans que je me battais dans ma tête pour ça. Il fallait que chaque jour je décroche les scènes. Et pendant cinq semaines j’y connaissais rien, j’avais peur qu’ils me jettent. Alors que ça y est, tu ne peux plus, ils peuvent faire ça les deux premières semaines, après ça te coûte de l’argent. Je me disais que j’étais sur un siège éjectable, il fallait vraiment que j’envoie. Et à partir de la sixième semaine je me suis détendu… Comment as-tu vécu l’après–Un prophète ? C’est un tourbillon magnifique. C’est un bonheur extraordinaire, cette aventure est allée crescendo jusqu’à aujourd’hui. Ce qui est difficile, c’est d’enchaîner avec d’autres films, dans ta naïveté tu crois encore que tu vas retrouver le même état d’esprit, faire les mêmes rencontres… Mais non, ce n’est pas le cas. 16
J’avais envie d’explorer la comédie depuis un moment. L’humour est tellement singulier et personnel que tu ne peux pas dire si c’est une comédie de merde ou une bonne comédie quand tu reçois le scénario. Il faut juste que ça me corresponde, que j’y trouve une vérité. Éric Toledano et Olivier Nakache me connaissent sans le cinéma. Je me souviens, ils m’ont fait une blague : « On va leur montrer tes dents. » Donc, ils écrivent ce rôle en puisant dans ce que je suis aussi. Puis ils y amènent tout ce qu’il y a dans l’imposture du personnage : un accent, la danse, qu’il se fasse passer pour un Brésilien. J’avais un espace de création, d’acteur et de petite composition. C’est comme ça qu’ils m’amènent à la comédie car, sans ça, s’il n’y a pas quelqu’un qui te capte, c’est difficile d’être juste. Après, c’est une question de lâcher prise total, de faire confiance. Donc, j’y suis allé comme à l’école, c’est un genre que je ne connais pas et je vais chez les meilleurs. Dans l’évolution de ta carrière, tu arrives à un tournant amusant car tu retrouves le genre de la série qui t’avait lancé en 2007 ? Oui, une série européenne produite par Canal, Haut et Court et Sky Atlantic, sur trois mecs des Pink Panthers et la pègre à Marseille. La série a fait un bon depuis 2007 et ça me tombe dessus à un moment où j’ai un rattrapage addictif de celles que je n’avais pas vues. Du coup, je me fais six mois de séries tous les soirs, c’est dangereux. Pour moi, mon top 3, c’est The Wire, Soprano et Breaking Bad. Qu’on me propose ça maintenant, c’est vraiment le destin. Propos recueillis par Julien Bihan
« D o T he R ight T hing » / « K ids » F ore v er Y oung
On dit qu’au cinéma les villes ont des couleurs. En grande partie à cause des Experts et du cinéma de commande hollywoodien, notre œil est habitué à associer des teintes orangées à Miami, des couleurs criardes à Las Vegas, un léger sépia pour Paris et une ambiance bleutée pour Manhattan. Lorsque Spike Lee, avec Do The Right Thing, et Larry Clark, avec Kids, proposent de nous parler de New York, c’est le jour le plus chaud de l’été et l’image tire sur
DERRIÈRE LA CAMERA
Jeunes premiers Le premier a fait des jeunes le sujet de toute son œuvre. Le second les utilise pour pointer du doigt les failles de la société américaine. Larry Clark, malgré ses cinquantedeux ans, et Spike Lee, fort de ses revendications, ont offert au monde à six ans d’intervalle deux films qui transpirent la jeunesse. En osmose avec leur sujet, c’est surtout derrière la caméra que les deux cinéastes doivent affronter leur inexpérience. En 1989, Spike Lee n’a fait que deux longs métrages professionnels, et cette fois-ci on lui concède un budget un peu moins important que pour le précédent. Sur le plateau de Do The Right Thing, il se sent pour la première fois à l’aise avec ses comédiens, confie le réalisateur. Encore en phase d’apprentissage, il fixe les bases de son talent et de son engagement auprès de la cause afroaméricaine. L’artiste embrasse même les plaisirs de la polémique qui s’ouvraient à lui un an auparavant avec son film School Daze. Attaqué par sa propre communauté, notamment pour un usage abusif de « langage racial », le jeune cinéaste donnerait une image négative de la façon dont les Noirs américains s’exprimeraient. Quant à Larry Clark, aussi frais que vieux en 1995, il joue les débutants et s’essaie à la réalisation avec Kids en guise de premier film. Respecté pour ses séries photographiques Tulsa ou Teenage Lust dans les années
l’orangé. L’audace et la créativité se retrouvent jusqu’au plus petit grain de sel d’argent de leur pellicule. Un film culte est souvent l’adéquation parfaite entre le fond, la forme et un contexte propice à déranger le déjà-vu. Une volonté commune d’apporter un nouveau souffle à un genre qui avait besoin de respirer. Plus de vingt ans nous séparent de ces deux œuvres et leur fraîcheur est toujours là, intacte, apportant frissons et poésie aux films sur la jeunesse.
70 puis 80, il a révélé bien avant tout le monde le potentiel de la pornographie artistique et aurait inspiré le Taxi Driver de Scorsese. Plus grand-chose à prouver donc, mais fasciné, voire obsédé par la jeunesse, il plonge dans l’inconnu et repart pour une quête initiatique au sein du septième art. Les deux projets ne présentent donc pas assez de solidité pour s’offrir un quelconque soutien de la part des vieux de la vieille. Spike ne parvient pas à se payer De Niro pour le rôle de Sal et Larry engage un jeune inconnu un peu bizarre, âgé de dix-neuf ans, pour écrire son scénario. Il a eu du nez, c’était Harmony Korine, qui, une dizaine d’années plus tard, partagera aussi son regard sur la jeunesse, la nôtre, celle des années 2010, avec le novateur Spring Breakers.
Jeunes rebelles Ne leur jetons pas la pierre : qui aurait pu se vanter à l’époque de prévoir ces deux chefs-d’œuvre ? Mais qu’importe, être validé par une sorte d’instance cinématographique supérieure est l’inverse de leur démarche. Ils ne sont pas là pour prouver quoi que ce soit à leurs pairs mais plutôt pour dénoncer leurs lacunes. Pour nos auteurs, les idées du cinéma de l’époque sont bien trop à la traîne pour pouvoir exprimer leur réalité. La dynamique des deux réalisations est clairement dans l’opposition, la contradiction. Pour eux, la jeunesse sur le grand écran ne correspond en rien à ce qu’ils connaissent. 18
« La plupart des teenage movies n’utilisent jamais des jeunes du bon âge, ce sont toujours des acteurs qui jouent des personnages plus jeunes qu’ils ne le sont. Ça finit toujours en happy ending. Il y a toujours quelque chose qui sonne faux », explique Larry Clark. Quant à Spike Lee, sa réputation le précède, c’est évidemment la représentation cinématographique dégradante des jeunes Noirs aux États-Unis par le cinéma « blanc » qui lui pose problème. Cette volonté d’en finir avec les stéréotypes figure dans tous les recoins des deux films. Quand Kids mise sur des acteurs amateurs filmés comme dans un documentaire, Do The Right Thing démultiplie les personnages pour crier au monde qu’il existe bien plus qu’une seule facette au « jeune Noir des ghettos ». Ce n’est pas un hasard si la drogue est complètement absente du script du long métrage et si l’on voit pour la première fois dans Kids une bande de petits Blancs défoncés du soir au matin. Ils imposent des vérités sur les jeunes que les vieux n’ont pas envie de voir. Du scepticisme on passe alors à la censure. Kids, taxé de pornographie infantile, sera interdit au moins de dix-sept ans. Aux États-Unis, à ce moment-là, c’est une sanction directe qui réduit presque à néant le public potentiel du film. Quant à Do The Right Thing, c’est le président d’Universal, Tom Pollock, qui doit se battre pour faire sortir le film en été. On lui explique que c’est bien trop dangereux, l’œuvre pourrait provoquer des émeutes.
Jeunes sacrifiés
D E VA N T L A C A M É R A
Jeunes incompris La violence, ce n’est pas parce qu’elle est dans un film qu’on la retrouve dans la rue. Aussi évident que cela puisse paraître, on est toujours obligé de le rappeler dès qu’un film la montre d’un peu trop près, lorsqu’elle semble un peu trop vraie. Le Batman de Tim Burton sort au même moment que Do The Right Thing et Spike Lee confesse des années plus tard qu’il ne comprend pas pourquoi il y a eu tant de problèmes avec son film et aucun avec celui de l’homme chauve-souris. Un jeune Noir de Brooklyn qui balance une poubelle dans une vitre estil plus menaçant qu’un meurtre du Joker à Gotham City ? Le sujet de nos deux longs-métrages est pourtant loin d’être la violence. C’est là que s’unissent parfaitement les esprits de Kids et Do The Right Thing, la jeunesse est le prisme par lequel il faut lire tout le reste. Ce ne sont pas des films sur le Sida, la drogue ou la rébellion, ce sont des films sur des jeunes qui doivent composer avec ces réalités. Dans les années 90, la notion d’adolescence s’installe dans les esprits. On comprend que le passage entre l’enfance et l’âge adulte peut être délicat et qu’il est le lieu où l’on teste les limites de l’autorité familiale. Ce que nous montrent Lee et Clark, c’est que cette théorie ne peut s’appliquer à leurs univers. Comment jouer le rôle du jeune qui se confronte aux interdits de papa et maman quand la figure parentale n’existe pas ? Cependant, le but des deux réalisateurs n’est pas d’adopter une posture moralisatrice face au spectateur. Ils crient simplement qu’il existe autre chose et que cet autre chose est complexe. Comprendre la jeunesse dans Kids et Do The Right Thing, c’est comprendre que les adolescents à l’écran n’entrent pas dans les moules forgés par la société. Des émeutes à la suite de l’assassinat d’un jeune homme par la police ou des gamins de quatorze ans séropositifs sont des faits de journaux télévisés. Spike Lee et Larry Clark nous disent avec le cinéma qu’ils peuvent nous expliquer pourquoi on en est arrivé là. Dans les deux cas, l’action se déroule en une journée, un processus qui augmente la sensation de réalisme. Sans raccourcis, on suit détail par détail la montée en pression menant à l’élément qui relève du sensationnel. Exceptionnellement, ce qui compte, c’est la chute, pas l’atterrissage.
À aucun moment des deux journées racontées, on ne parle du lendemain. Mookie et Telly sont le symptôme d’une génération qui rejette son essence : la foi en l’avenir. Toute la narration est fondée sur l’instant présent et toute projection est impossible. Jennie court après Telly tout au long du film, car la moindre activité un tant soit peu organisée est remise en cause pour suivre l’envie du moment. Chez les deux cinéastes, la jeunesse ressemble au monde des enfants perdus de Peter Pan, avec le sexe, l’argent et la colère en plus. C’est un monde où l’adulte n’a plus de pouvoir, Telly se fout ouvertement de sa mère sans qu’elle ne le comprenne et l’autorité des anciens est constamment remise en cause dans Do The Right Thing, avec Sal ou Da Mayor. C’est un monde où rien ne semble avoir de conséquences : Mookie a un fils mais ne l’élève pas, Telly et sa bande tabassent un inconnu et ne sauront jamais s’ils l’ont tué ou non. Le pays imaginaire de Peter Pan est un conte. La jeunesse de Spike Lee et Larry Clark trouble parce qu’elle est réelle.
« Quand tu es jeune, pas grand-chose ne compte, quand tu trouves une chose que tu aimes, c’est tout ce que tu as. Quand tu te couches, tu rêves de chatte, quand tu te réveilles, c’est la même chose. C’est toujours là, tu ne peux pas y échapper. Parfois, quand tu es jeune, le seul endroit où tu peux aller, c’est à l’intérieur. C’est tout. Baiser, c’est ce que j’aime faire. Si on me retire ça, je n’ai plus rien. » Voix off de Telly à la fin de Kids
« Mookie est le fidèle reflet des jeunes garçons Noirs d’aujourd’hui, dont le souci principal est d’être payés, ils veulent avoir du liquide en poche, ne veulent pas assumer leurs responsabilités et vivent au jour le jour sans penser au futur. » Commentaire de Spike Lee dans le making of de Do The Right Thing 19
En une journée, les deux réalisateurs réussissent à retranscrire l’épaisse vérité d’une génération enchaînée à un lieu et à une époque. La distinction entre réalité et fiction est si floue que les deux notions semblent se confondre, même dans leurs aspects les plus sombres. Deux des acteurs de Kids meurent d’overdose ou de suicide quelques années après la sortie du film. Pas de débordements cependant pour l’après-Do The Right Thing, faisant ainsi taire les détracteurs qui craignent pour la sécurité de leurs villes prétendument au bord de la rébellion. Aujourd’hui étudié dans de nombreuses écoles de cinéma aux États-Unis, Spike Lee ne manque pas d’extrapoler ironiquement le rôle déterminant de son film dans l’Histoire. Pour leur premier rendez-vous, Barack Obama aurait emmené Michelle voir Do The Right Thing au cinéma. « Je pense que Barack Obama est un homme intelligent parce que s’il avait emmené Michelle voir Driving Miss Daisy (Oscar du meilleur film en 1990, ndlr), tout aurait été très différent : pas de Michelle, pas de président noir. Do The Right Thing a changé l’histoire du monde, and that’s the double truth, Ruth !
Texte de Nina Kauffmann
FRANCIS FORD COPPOLA
ABDELLATIF KECHICHE
Un seul film du réalisateur permet de se rendre compte de toute la démence du personnage. Sur le tournage d’Apocalypse Now (1979), adaptation d’un livre sur la guerre du Vietnam, on retrouve un cinéaste sous pression et hanté par une peur énorme de l’échec. Qu’à cela ne tienne, Coppola ne serait pas Coppola sans cette aliénation qui le pousse – malgré les consignes de George Lucas, l’un des producteurs – à aller tourner aux Philippines, un territoire alors en proie à des affrontements entre l’armée locale et des rebelles du sud de l’île.
Acteur de formation, Kechiche s’est rendu compte assez tôt qu’il serait plus doué pour la réalisation que pour l’interprétation. Adoubé par la profession pour ses premiers films, notamment La Graine et le Mulet, c’est avec La Vie d’Adèle, en 2013, qu’il connaîtra son premier succès grand public ainsi que la controverse. Une polémique qui intervient au moment de la présentation du film au festival de Cannes où le réalisateur se voit attaqué par ses techniciens, qui se plaignent des conditions précaires et des manquements au code du travail : prolongement de la période de tournage, ambiance de travail délétère, chèques et paiements oubliés. Le réalisateur symbolise à lui seul les problèmes des intermittents du cinéma français. Friand d’improvisation et du tournage « à l’arrache », le cinéaste réserve toujours un tas de surprise : il annonce pendant la nuit et par SMS l’heure de la reprise, il fait démolir le décor d’une scène une heure avant le tournage, insatisfait du plan… Une folie géniale et destructrice à la fois.
Un esprit farouche qui le motive à congédier l’interprète du premier rôle, Harvey Keitel, après une semaine de tournage, car le réalisateur est insatisfait de son jeu devant la caméra. Un dénouement qu’il n’aurait pas eu peur de reproduire, lorsque Marlon Brando, mécontent des modifications du scénario par Coppola, menace de quitter le tournage, après seize semaines. Sa mentalité jusqu’au-boutiste l’encourage à continuer de filmer le lendemain du passage d’un typhon sur l’île, à recruter une tribu de coupeurs de têtes comme figurants, ou encore à laisser ses acteurs jouer sous l’emprise de drogues.
« Il n’y a pas de génie sans un grain de folie. » Lorsque Aristote a formulé cette phrase, il devait sûrement avoir en tête les réalisateurs. Plus que tout autre élément d’un casting ou d’une distribution, ils sont les pièces maîtresses d’une production cinématographique. Quand il hérite des pleins pouvoirs, le réalisateur est maître du scénario, du casting, de l’interprétation, de la tenue du budget, mais également gardien du temps... Les cinéastes, dans leur processus de recherche de l’image parfaite et de l’interprétation impeccable, deviennent parfois des personnages incontrôlables. Voici une sélection de cinq d’entre eux tous aussi doués que délurés, qui auraient pu enseigner dans notre Crazy Director's Academy. Quand la folie et le génie se côtoient d’un peu trop près… Texte de Terence Bikoumou
Critiqué par les techniciens, donc, mais aussi par ses acteurs, comme Léa Seydoux qui reprochera au réalisateur des méthodes à la limite du harcèlement moral pendant les quelques mois de tournage du film. Kechiche répliquera, parlant d’une « enfant gâtée » et ajoutant : « Si Léa n’était pas née dans le coton, elle n’aurait jamais dit cela… Léa n’était pas capable d’entrer dans le rôle, j’ai rallongé le tournage pour elle. Léa Seydoux fait partie d’un système qui ne veut pas de moi car je dérange. »
LARS VON TRIER
STANLEY KUBRICK
Jean-pierre mocky
L’un des réalisateurs européens les plus estimés est aussi l’un des personnages les plus dérangés. Un dérèglement qui prend peut-être racine dans l’éducation libérale de parents nudistes. Le traumatisme continue quand sa mère, sur son lit de mort, lui annonce que l’homme qu’il pensait être son géniteur n’est en fait que son père d’adoption, et qu’il est le fruit d’une aventure sans lendemain.
Pour illustrer la détermination – ou la folie – du cinéaste, rien de mieux qu’un exemple concret. Sur le tournage de L’Ultime Razzia (1956), un de ses assistants modifie la distance et l’objectif de la caméra pour réaliser un travelling complexe. Quand le réalisateur s’aperçoit du changement, la foudre frappe son collaborateur, en dépit de ses explications. Kubrick « propose » au « coupable » de remettre la caméra où il l’a trouvée ou de partir du plateau immédiatement, et de ne plus jamais y remettre les pieds. Le réalisateur obtiendra, bien évidemment, gain de cause et n’eut plus jamais à se plaindre de son assistant caméra.
Jean-Pierre Mocky, c’est l’histoire d’une carrière remplie de péripéties pour cet oublié de la Nouvelle Vague des Godard, Truffaut et Chabrol. Très critiqué pour les thèmes explorés et ses méthodes, le cinéaste signera néanmoins une filmographie constituée de près d’une soixantaine de films en cinquante-cinq ans. Mocky ne recule devant rien pour les besoins de ses films, comme pour Les Vierges (1962) où le cinéaste fait publier un sondage dans un magazine pour savoir comment les lectrices ont perdu leur virginité. Parmi les milliers de réponses qu’il recevra, il en dégagera cinq catégories qui formeront les chapitres de son long métrage. Une audace qu’il associe à des coups de gueule phénoménaux. Il démontre son talent de réalisateur « casse-couilles » dans le making-of du tournage de La Candide Madame Duff (1999) où, pendant quinze minutes, on l’aperçoit au bord de la crise de nerfs, rappelant sans arrêt à son équipe combien elle est inutile. Son perchiste s’en souvient sûrement encore aujourd’hui…
Mais sa folie atteint son paroxysme lorsqu’il camoufle à sa production un arrêt cardiaque de son acteur principal, Martin Sheen, survenu le lendemain d’une scène émotionnellement éprouvante que ce dernier avait jouée… alcoolisé.
Paradoxal, il est d’une part maître dans l’art de se fixer des contraintes de travail pour manifester son amour au « vrai cinéma », comme lorsqu’il crée le Dogme 95, sorte de Dix Commandements du réalisateur. D’autre part, il n’établit aucune limite dans un tournage, allant jusqu’à faire tuer un âne pour le film Manderlay, ce qui fera démissionner l’acteur John C. Reilly. Une absence de limites qui le conduit à remettre au goût du jour le sexe non simulé dans ses films, il poussera même l’expérience beaucoup plus loin en réalisant plusieurs films pornos, récompensés par la critique. Mais l’un de ses coups d’éclat les plus délirants reste sa déclaration à Cannes en 2011, où il explique comprendre Hitler et être en empathie avec le personnage. Des paroles qui lui ont valu d’être longtemps persona non grata au sein du festival et lui auraient même coûté la palme d’or pour son film Melancholia.
Malgré une filmographie relativement pauvre en quantité, Kubrick conserve une très riche diversité de thèmes abordés, comme en témoignent les différentes polémiques dont il est l’objet. Le cinéaste se verra attaqué par l’Église pour son adaptation du roman de Nabokov Lolita (1962), ou critiqué par l’opinion publique pour Orange Mécanique (1971). Les événements tragiques qu’inspireront ce film en Angleterre et les menaces de mort qui lui seront adressées le forceront à le retirer des salles anglaises. Une requête que ses producteurs accepteront sans rechigner, conscients du pouvoir et de l’importance de garder le génie – et la poule aux œufs d’or – Kubrick dans leur écurie.
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Jean-Pierre Mocky est un personnage fabuleusement étrange. Nul besoin de connaître son œuvre pour se rendre compte de sa folie, ses interventions télévisuelles suffisent. Lors d’une émission, le réalisateur-écrivain est énervé par la prise de position d’un curé par rapport à son livre, il osera donc lui dire : « Le prêtre qui a été arrêté pour avoir enculé une chorale entière, ça ne vous est pas arrivé à vous, ça, non ? Eh ben, mon vieux, ça vous arrivera un jour ! »
Première diffusion de la série sur la chaîne FX.
Nombre moyen, en millions de spectateurs, par semaine lors de la troisième saison. Un chiffre dépassant des séries phares comme The Shield, Nip/Tuck ou encore Rescue Me.
L’effectif de l’équipe technique nécessaire pour faire tourner la série. Une grande partie des personnes travaillant sur le plateau sont d’anciens membres de l’équipe de The Shield (aussi sur FX). Une similitude qu’on retrouve dans le choix de certains acteurs dans les deux shows.
Le créateur de la série, Kurt Sutter, prend un malin plaisir à incorporer des invités prestigieux dans Sons of Anarchy, et ce depuis le début. C’est ainsi que vous avez pu voir : Lea Michele (Glee), Carmelo Anthony (basketteur), Stephen King (écrivain), Danny Trejo (acteur), Marilyn Manson (artiste rock), Courtney Love (chanteuse et ex-femme de Kurt Cobain)...
Afin de préparer son rôle lors de la sixième saison, Charlie Hunnam (Jax Teller) évita tout contact avec son partenaire à l’écran Ron Perlman (Clay Morrow) pendant six mois. L’objectif était de créer une tension réelle entre les deux personnages. Un sentiment nécessaire lors de cette saison.
ride or die Le nombre de gangs se déchirant pour défendre leurs intérêts durant les huit saisons de Sons of Anarchy : The Calaveras MC, The Devil’s Tribe MC, The Grim Bastards MC, The Russian Mafia, etc...
Il y a des séries qui vous prennent et qui ne vous lâchent jamais malgré le nombre de saisons qu’elles vous imposent. Si l’on m’avait dit un jour que je serai sur mon écran chaque lundi à apprécier les aventures d’un gang de motards californiens, j’aurais certainement ri. Oui mais, voilà, Sons of Anarchy n’est pas une série comme les autres. Le dernier épisode des aventures de la bande à Jax Teller a pris fin le 9 décembre, une occasion pour nous de revenir sur le phénomène en quelques chiffres.
Le pourcentage d’hommes regardant cette série par rapport à l’ensemble des spectateurs ; ils sont donc majoritaires, ce qui est assez rare pour une série télévisée américaine.
Texte de Mac Guffff
Les apparitions de Kurt Sutter au fil des huit saisons dans le rôle d’Otto Delaney. Un membre de SAMCRO qui se coupe la langue sur une table en prison.
Le créateur de Sons of Anarchy est en pourparlers avec la chaîne américaine FX pour créer un préquel de la série se situant dans les années 60.
Le budget en dollars pour un épisode de Sons of Anarchy.
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On e d ay i n 1 9 7 7 Que le meilleur gagne
À vingt-huit ans, le réalisateur Steven Spielberg dévoile son deuxième long métrage, Jaws, plus connu dans l’Hexagone sous le titre Les dents de la mer. Lorsque le long métrage déboule dans les salles le premier jour de l’été, l’industrie du cinéma prend un véritable tournant et assiste à la naissance du tout premier blockbuster estival. Le film se positionne instantanément au rang le plus élevé du box-office aux ÉtatsUnis et cumule aujourd’hui 260 millions de dollars de recettes grâce aux rediffusions dans les salles américaines.
À partir de cet été-là, seuls cinq films réussiront à s’emparer de la tête de ce classement : Star Wars, E.T., Jurassic Park, Titanic et Avatar. Étonnamment, ce classement ne concerne que trois réalisateurs, formant ainsi un club très fermé. Ses premiers membres sont de vieux amis, Steven Spielberg et George Lucas, unis dès le départ par les liens du cinéma. L’admiration du père d’E.T. pour celui de Dark Vador prend racine en janvier 1968, lors de la projection du court métrage Electronic Labyrinth : THX 1138 4EB présenté par Lucas dans le cadre d’un concours à l’université de UCLA. Longtemps, le réalisateur ignorera son admirateur, et ce n’est qu’à partir de 1971 qu’il s’intéressera à Spielberg lorsque ce dernier projettera son téléfilm Duel dans la demeure de Francis Ford Coppola, producteur d’Electronic Labyrinth. C’est alors que s’instaure entre eux une véritable compétition, interrompue par de nombreuses collaborations. Leur plus grand fait d’armes commun reste le personnage d’Indiana Jones, imaginé par Lucas et mis en images par Spielberg en 1981. C’est également ensemble qu’ils vivent le succès du premier volet de Star Wars. George Lucas, pessimiste quant à la réussite du film, préfère ne pas assister à l’avant-première et part en vacances avec Spielberg après un tournage éprouvant. Tous les deux, ils assistent au triomphe de ce qui deviendra plus tard Star Wars Episode IV : A New Hope. Une fois rentrés, le film dépasse le record établi par Spielberg avec Jaws. Bon joueur, celui-ci commande une page entière de publicité dans la Bible d'Hollywood, le magazine Variety, et publie une illustration de R2-D2 repêchant le terrifiant requin, avec ce message : « La semaine dernière, Star Wars a pris la tête du box-office devant Jaws. […] Félicitations à la Cantina et à toutes les forces de ton imagination qui ont permis à Star Wars de prendre le trône. Sois-en digne. Ton ami, Steven Spielberg. » Mais lorsque E.T. de Spielberg dépasse à son tour ce record, c’est George Lucas qui lui rend la pareille en faisant publier dans le même magazine un dessin où figure le casting de Star Wars portant l’extraterrestre sur leurs épaules. Le tout accompagné d’un mot signé : « Que la Force soit toujours avec toi. » Inévitablement, la couronne finit par échapper au jeu instigué par cette bromance lorsqu’elle est rattrapée par le paquebot de James Cameron, Titanic. Alors que Spielberg était encore détenteur du titre avec Jurassic Park, c’est Lucas qui se charge des félicitations avec une illustration impressionnante de ses personnages en perdition à bord du navire en plein naufrage. Depuis, même si Josh Whedon et Christopher Nolan sont en bonne place dans le classement des films les plus rentables, seul Cameron a su dépasser son propre record avec Avatar. La tradition n’ayant pu être perpétuée, le genre du blockbuster est maintenant à la recherche de son prochain héritier, à qui James Cameron devra certainement céder le trône et peut-être y dédier un croquis.
Texte de Raïda Hamadi 22
ABD AL MALI K « Qu ’ A llah b é nisse la F rance est le seul film fait par q uel q u ’ un q ui v ient v raiment d ’ une cit é . » Au micro et à la plume, Abd al Malik ajoute aujourd’hui la caméra. Le 10 décembre dernier, le rappeur est devenu réalisateur avec la sortie de son premier long métrage, Qu’Allah bénisse la France. Un film qui vient boucler la boucle d’un cycle de dix ans, car en 2004 l’écrivain publiait un livre autobiographique du même nom où il décrivrait la sinuosité de son parcours entre son quartier, ses études, la rencontre de la chanteuse Wallen devenue son épouse, et l’Islam. C’est naturellement que nous avons souhaité interroger cet artiste sur les différentes formes qu’il explore depuis plus de vingt ans, mais aussi sur le sens et la portée de son message à une époque où l’actualité politique et médiatique ne cesse de questionner son aspiration au vivre ensemble.
Artistiquement, tu restes extrêmement centré sur ton message, n’as-tu pas peur de rester circonscrit aux mêmes thèmes ? Parler de la vie, de l’amour, de l’acceptation, de l’identité, du vivre ensemble, je ne trouve pas que ce soit restreint. Au contraire. Quand tu prends Patrick Modiano, qui a eu le Nobel de littérature, il a un seul thème et les mêmes personnages qu’il a développés sur une trentaine de bouquins. En fait, ce qu’il faut voir, ce ne sont pas les thèmes, mais la nuance, il faut sentir comment j’évolue là-dedans et en quoi je suis lié à ça. Comment te vois-tu évoluer dans ce cadre ?
Pourquoi as-tu décidé d’adapter cinématographiquement cet ouvrage ? Quand j’ai terminé de l’écrire, je me disais que, cinématographiquement, je pouvais y apporter quelque chose de plus. Puis je me suis toujours dit que j’ambitionnerai d’écrire pour le cinéma. Pour moi, c’est une passion, au même titre que la musique et la littérature. Un jour, un ami, Matthieu Kassovitz, m’a appelé et m’a dit : « Franchement, tu devrais réaliser ce film. » Il m’a parlé longtemps et, à la fin, je me suis dit que j’avais la passion, l’expérience et les connaissances suffisantes pour le faire. Aujourd’hui, avec un peu de recul, qu’est-ce que tu te dis en étant confronté à ton long métrage ? Disons que j’ai fait le film tel que je le voyais à l’intérieur de moi. J’en suis donc totalement fier. Il y a certains plans que j’ai presque rêvés en fait. Et c’est assez troublant de les voir concrètement. Comprends-tu que certains puissent voir dans cette adaptation une démarche quelque peu narcissique ? Abd al Malik n’est pas important, Abd al Malik est prétexte à parler des gens dont on ne parle pas : des gens des cités, des gens des villages, des gens que l’on met en marge, des musulmans… Si je fais ça, ce n’est pas parce que je me trouve beau, merveilleux, intelligent, mais je pense que je suis au carrefour de plein de choses. Par exemple, on fantasme sur le rap, je peux en parler de l’intérieur ; on fantasme sur les cités, je peux en parler de l’intérieur ; on fantasme sur l’Islam, je peux en parler de l’intérieur. J’espère qu’à la vue du film on se rend compte que ce n’est pas un exercice hagiographique, je raconte vraiment quelque chose. Finalement, ce long métrage n’est-il pas un outil de plus qui sert ton idéologie et ton combat autour du vivre ensemble ? N’est-ce pas un peu trop didactique et démonstratif ? Je ne crois pas en l’idéologie, pour moi ça ne veut rien dire, on a tous un combat. C’est pour ça que, quand on parle d’art et d’engagement, ça ne veut rien dire en fait, car tu es forcément engagé. Mais les choses que tu nommes démonstration sont des choses que j’ai vécues. La réalité, c’est que je ne démontre rien, je montre, c’est différent.
L’idée, c’est une quête de la perfection. Par exemple, quelqu’un qui répète tout le temps la même chose, pour toi ce sera répétitif, mais il y aura des nuances, il se passe des petites choses qui évoluent. En réalité, quand tu regardes mon travail, depuis NAP jusqu’à aujourd’hui, ce que je dis a changé en rapport à ce que je suis maintenant, mes expériences de vie, le savoir acquis ; mais c’est fondamentalement la même chose. Au-delà de la forme, c’est le ton qui a changé, tu étais plus vindicatif à l’époque ? Bien sûr ! NAP, j’avais treize ans quand j’ai commencé, heureusement que tu es vindicatif quand tu es ado. Garder à quarante ans la rébellion d’un adolescent, c’est être une personne qui ne grandit pas. Je suis père de trois enfants, ce serait problématique. Et par rapport au rap cette fois, je ne relaie pas un cri, pour moi ce genre est une esthétique. Et j’irai même plus loin, c’est l’esthétique du XXIe siècle. Pour moi, un artiste hip-hop est aussi puissant qu’un Camus, qu’un Sartre, mais il doit le prouver sur pièce. Il doit apporter une complexité, de la nuance, de l’intelligence dans sa production artistique. Dans ce sens-là, je ne suis pas un rappeur conventionnel. Et aujourd’hui ce qui m’intéresse, c’est aussi d’apporter mon truc. À l’époque, tu avais NTM, IAM, MC Solaar, Assassin, ils étaient tous dans le hip-hop mais n’avaient rien à voir. Je trouvais ça fabuleux. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’artistes, mais ils sont tous semblables. Pas seulement en France mais dans le monde, que ce soit au niveau des flows, des sons, et je me dis : « Frère, quand même… » Mais tout le monde est libre, ce n’est pas une critique, c’est juste un constat. Ta consensualité actuelle n’est-elle pas en décalage avec la réalité ? Quand tu étais vindicatif avec NAP, les banlieusards et les musulmans n’étaient pas autant sur le devant de la scène médiatique qu’aujourd’hui, tu ne penses pas ? Je ne le faisais pas parce que je me disais que la société avait besoin que je sois vindicatif, je le faisais parce que j’étais jeune et blessé. Et quand tu es jeune et blessé, tu cries. Et en avançant je me suis pacifié, grâce au savoir et à l’Islam. Ce qui a changé, c’est qu’avant mon attitude était égotique, fondée sur une souffrance personnelle, maintenant j’essaie d’aller plus loin dans la notion de spiritualité et d’harmonie. 23
Ton message s’adresse maintenant à tout le monde, n’as-tu pas le sentiment de délaisser tes différentes communautés d’origine ? Mon peuple, ce sont les gens des cités, ma communauté, c’est l’humanité entière. Quand le prophète de l’Islam dit « Oummati », qui signifie ma communauté, il ne parle pas que des musulmans, mais de l’humanité dans son entier. Qu’Allah bénisse la France est le seul film fait par quelqu’un qui venait vraiment d’une cité, et où une bonne partie de la production, de la régie, vient des cités. En réalisant ce long métrage et avec toutes mes activités associatives, je me suis rendu compte que pour la première fois depuis longtemps j’avais galéré comme avant, en restant assis dans mon quartier. Je voyais des gamins, pas de ma génération mais suffisamment âgés, qui me sollicitaient pour me dire qu’ils faisaient des études universitaires, qu’untel était devenu avocat… Je me suis rendu compte qu’il y avait plein de gens du Neuhoff (cité de Strasbourg où Abd al Malik a grandi, ndlr) qui ont réussi leur vie. Évidemment, il y a toujours ceux qui sont dans les mêmes combines, mais beaucoup m’ont expliqué que, quand ils m’ont vu réussir, ils se sont dits à leur tour qu’ils pouvaient le faire aussi. D’ailleurs, que penses-tu de l’actualité médiatique en Syrie, où de jeunes convertis français partent au combat ? Moi, je suis musulman, je fréquente la communauté musulmane, et ça reste une minorité. Si c’était si problématique, les cités seraient à feu et à sang. Ce que je veux dire, c’est que ça existe, et il faut y réfléchir, mais il faut arrêter de mettre ça au centre. Combien de musulmans se convertissent à l’Islam et vivent leur spiritualité sainement ? Pourquoi ne parle-t-on pas d’eux ? Quand il y a eu le scandale pédophile chez les chrétiens, on n’a pas dit que tout le Christianisme était pédophile ? Le mal-être est autre, le vrai problème, c’est que la France n’est pas à la hauteur d’elle-même. Tu peux prendre les musulmans, mais tu peux aussi parler des Français qui vivent dans les villages, des jeunes des cités, il y a plein de gens qui sont exclus. Ils ne sont pas exclus par la France ou par un système, mais par des soi-disant représentants de la France et de ce système. Donc, la vérité, c’est que l’on doit s’approprier ce système, nous devons faire en sorte de devenir les décideurs et faire bouger les choses, pas seulement dans notre sens, mais dans celui de tous.
Propos recueillis par Julien Bihan
CLUB DU DIMA N CHE L E S L I O N S D E S AV I G N Y - S U R - O R G E Le sport est sûrement l’un des premiers vecteurs au monde de sociabilisation et son impact ne se cantonne pas seulement au Real Madrid, aux San Antonio SPURS ou aux performances de Rafael Nadal. C’est pour cela que le YARD Paper explore l’univers de l’amateurisme en vous livrant l’ambiance d’un match, l’anecdote incontournable du club et, enfin, un entretien avec des personnalités de cette structure. Loin de la MLB et de ses stars, les Lions de Savigny-sur-Orge errent dans les profondeurs du classement de la première division, pourtant, les Essonniens ont longtemps fait partie des toutes meilleures équipes françaises (cinq fois champions de France entre 1998 et 2004). Mais, il y a deux ans, les Lions se sont injustement fait expulser de leurs terres suite aux manœuvres politiques de l’ancienne maire, Laurence Spicher-Bernier, et l’équipe a dû quitter son terrain. Sans endroit pour s’entraîner, ils parviennent tant bien que mal à participer aux playoffs, mais cette carence d’infrastructures contraint certains joueurs à quitter le club, notamment pour les Templiers de Sénart. La saison dernière, c’est le maintien que visait Savigny-sur-Orge et celui-ci se jouait en partie sur ce match face au nouveau géant, la multinationale de Sénart.
L E M AT C H C’est sur les percussions aussi déroutantes que surprenantes d’un morceau de reggaeton que les deux équipes font leur apparition sur le terrain. L’œil du tigre des joueurs de Sénart tranche avec la décontraction des Lions, un contraste qui s’explique par la situation sportive des deux équipes. Alors que les Templiers jouent la première place du classement, déterminante pour les playoffs, les Saviniens tentent, eux, d’éteindre la flamme qui alimente la place de lanterne rouge qu’ils occupent. Malgré l’enjeu de la partie, aucun supporter des Templiers n’a fait le déplacement pour encourager les siens. C’est donc rythmé par la violence des impacts de balles sur les battes, mais aussi par les « Vamos ! » des joueurs de Sénart que le match se déroule. Un hispanisme anodin. Mais, en tendant l’oreille, les dialogues sont en fait parfaitement bilingues et Pierrick Lemestre, international français, échange en « frangnol » avec son manager, Rolando Merino, véritable icône du baseball cubain et médaillé d’argent aux Jeux Olympiques de Sydney et de Pékin. Entre les « C’est ça, Martinez », les encouragements en espagnol conclus par un prénom français et les très « cainris » « Get out of here » de la MLB, la ville de Savigny-le-Temple (terrain des Templiers) prend des airs de Miami. Face à cette multinationale et aux lancers déterminés des Cubains, les Lions rentrent vite dans leur cage, mais témoignent d’une belle solidarité. Malgré cela, le couteau suisse Guillaume Coste, président-coach-joueur de Savigny-sur-Orge, lâche à la fin du match à ses joueurs : « Bon, les gars, on s’est pris une belle fessée. » Le ton n’est pas grave pour autant. Dès la fin de la partie, les deux équipes se préparent chacune à sa façon pour le match retour qui se déroule vingt minutes plus tard : pendant que les très pros joueurs de Sénart retournent aux vestiaires afin de retrouver l’intégralité de leur chakra, les Lions font péter chips et casse-croûte et optent pour un pique-nique. L’opposition s’apprête à reprendre, mais un véritable déluge s’abat sur Savigny-le-Temple. Le match est interrompu.
L’ A N E C D O T E « Nous étions sur notre terrain d’entraînement et nous tapions des balles, mais nous sommes devenus tellement forts que certaines ont atterri sur les vérandas voisines. Après une pétition de cent personnes, nous avons reçu un arrêté municipal nous demandant d’évacuer notre base. Deux ans plus tôt, la maire nous accompagnait en Coupe d’Europe, et du jour au lendemain, elle nous arrache de notre terrain et nous ampute notre budget… Grâce à un partenariat avec Bondoufle, on arrive à récupérer un terrain de foot stabilisé et un court de tennis pour qu’on puisse s’entraîner. Mais on n’a plus de structure de baseball : plus de monticule pour lancer, plus de cages de frappe. On a donc dû en construire une avec un filet de pêche et des câbles car on n’avait plus de sous. On a réussi à bricoler trois couloirs pour que trois frappeurs puissent cogner en même temps. On n’avait tellement peu d’argent qu’on jouait avec des balles de tennis, car l’impact au sol abîmait les balles de baseball. Malgré tout ça, on a réussi à aller en playoffs. » Gédéon, lanceur des Lions de Savigny 24
Shu Sasaki et Daiki Wakushima
LA RENCONTRE Entre Secret Story et le Meilleur Pâtissier, le baseball peine à trouver sa place médiatiquement en France. Mais les Lions de Savigny jouent en D1 et, lorsqu’ils étaient au sommet, de nombreux joueurs professionnels étrangers débarquaient en Essonne pour prendre la batte ou chausser le gant. La restriction budgétaire et l’instabilité générale font de Savigny-sur-Orge un club nettement moins attractif que par le passé. Cependant, parmi tous les joueurs du coin, l’effectif compte deux Japonais, Shu Sasaki et Daiki Wakushima. L’occasion de partir à la rencontre du parcours de ceux qui ont un pied à Savigny et un autre Tokyo.
De quelle manière est vu le baseball au Japon ?
Pouvez-vous nous raconter votre carrière dans le baseball ?
D.W. : Pour ma première année en pro au Japon, la sélection nationale française est venue s’entraîner avec mon équipe. C’est comme ça que j’ai connu le baseball en France et que je m’y suis intéressé. L’année suivante, j’ai repris contact avec les joueurs français que j’avais rencontrés et je me suis dit : « C’est bon, allons jouer là-bas. »
D.W. : C’est vraiment dommage qu’on ne puisse pas représenter la ville dans son stade.
Comment avez-vous vécu votre intégration ?
D.W : Nous avons le même contrat, il est annuel. Après cette année, nous verrons, j’espère que nous serons toujours ici. Tu ne sais jamais ce qui va se passer…
Shu Sasaki : J’ai joué jusqu’au lycée au Japon et je suis ensuite allé a l’université de Boston, aux États-Unis, en Summer Baseball League. À partir de là, j’ai commencé à être payé pour jouer, j’étais professionnel. J’ai passé trois ans en Allemagne, c’est là où j’ai vraiment commencé ma carrière. Puis je suis reparti au Japon et, maintenant, je suis en France. Daiki Wakushima : J’ai commencé à jouer lorsque j’étais en maternelle et j’ai continué jusqu’à l’université. Pendant mon cycle universitaire, je suis devenu joueur de baseball professionnel dans la Kansai Independent Baseball League, au Japon. J’y ai joué pendant deux ans et cette année je suis ici.
S.S. : C’est le sport numéro un, tout le monde connaît le baseball, tu sais. Tu viens en France, on te demande « Tu fais quoi dans la vie ? » Tu réponds : « Je joue au baseball. » Les gens disent : « Mais c’est quoi, ça ? » (rires, ndlr). Au Japon tu n’auras jamais ce type de réponse. D.W. : C’est vraiment l’équivalent du football en France. Comment êtes-vous arrivés en France ? S.S. : Je voulais continuer à jouer, c’est la raison principale. C’est une chance que les Lions de Savigny m’aient choisi. C’est grâce au club que je joue encore.
S.S. : Le club est génial. Je n’ai aucun problème, on nous traite bien. Les Français sont plutôt cool. C’est une culture complètement différente, mais la seule difficulté c’est la langue. Je ne parle pas un mot de français ; si j’arrivais à mieux communiquer, je pourrais peut-être traîner plus avec eux. 25
D.W. : J’aime beaucoup vivre en France, au Japon les gens sont coincés, alors qu’ici c’est relax. C’est vraiment une grosse différence. Êtes-vous au courant de ce qui s’est passé avec l’équipe ? S.S. : L’histoire du maire et tout ? Ouais, j’en ai entendu parler, mais tu sais, je n’étais pas personnellement présent à ce moment, donc je ne sais pas exactement ce qui s’est passé. On a récupéré le terrain pour les entraînements mais on ne peut toujours pas l’utiliser pour les matchs. Je préférerais jouer ici, mais malheureusement nous ne pouvons pas. Peut-être l’année prochaine. Ça me rend un peu triste, mais bon, qu’est-ce que je peux y faire ?
Combien de temps allez-vous rester ici ? S.S : Ça se décide année après année, je compte en parler au président. Peut-être que je retournerai au Japon…
Texte de Julien Bihan, Photos de Yoann « Melo » Guérini
S t e fa n J a n o s k i « J e pr é f è re q u ’ on kiffe sur mes chaussures , plut ô t q ue d ’ ê tre reconnu dans la rue . » Stefan Janoski est une entité à double face. Skateur de légende, l’Américain s’est également affirmé depuis quelques années comme une référence de la chaussure de son sport depuis la création d’un modèle éponyme, en 2009, sous la bannière Nike SB. Deux faces complémentaires avec lesquelles il doit vivre un peu plus chaque jour et sur lesquelles on l’a interrogé, l’année du cinquième anniversaire de la Zoom Stefan Janoski.
La Janoski fête ses cinq ans d’existence, comment ressens-tu tout le chemin parcouru ? C’est passé extrêmement vite. C’est vraiment fou la façon dont ça a évolué, personne ne s’attendait à un tel succès. Le cinquième anniversaire est techniquement déjà passé, mais peut-être que l’on fera une célébration pour le sixième. On n’a rien planifié pour l’instant, mais on devrait penser à quelque chose, car cinq ans c’est fort. Nike SB est sur d’autres projets en ce moment, peut-être que l’on planifiera ça plus tard.
« Un tas de personnes me demandent où est-ce que j’ai eu mes shoes et parfois je ne leur réponds pas. » Quelle a été ta contribution concrète dans le processus de création de ce modèle ? J’ai commencé par apporter des croquis de chaussures et j’ai beaucoup communiqué avec les designers de Nike. Ça nous a pris près de deux ans pour concevoir le modèle tel qu’il est aujourd’hui. On est passés par plusieurs prototypes, différentes semelles… On a continué de créer jusqu'à avoir la bonne formule. Quand le dessin final a été fait, je me suis dit tout de suite que c’était le bon. Mais c’est à la production du sample que l’excitation est vraiment montée. Aujourd’hui, je ne travaille plus tant que ça avec Nike sur la chaussure, hormis sur les couleurs où je propose de temps en temps des idées. Mais maintenant un nombre important de personnes sont dessus, c’est devenu un gros projet. Mon quotidien est composé des mêmes choses : je skate et je fais de l’art. C’est la belle vie, en fait. La seule grosse différence, c’est que partout où je vais, je vois des gens porter mes chaussures. J’adore ça, c’est une belle sensation et ça confirme que je peux continuer à mener encore le même train de vie.
Qu’est-ce que ça fait d’être porté par un grand nombre de personnes dans le monde ? C’est trippant. C’est cool, les gens portent la chaussure car ils l’apprécient pour ce qu’elle est, sans même savoir qui je suis. J’ai rencontré un tas de personnes, certaines me demandent parfois où est-ce que j’ai eu mes shoes, et parfois je ne leur dis pas. Je n’ai pas envie qu’ils aient la même paire, alors je les renvoie juste à un skateshop ! Mais je prends comme un compliment le fait que les gens aiment le modèle pour son style et pas forcément pour moi ou pour le skateboard.
Donc, tu n’es pas attristé que des gens portent ta paire pour autre chose que le skate ? Non, je ne suis pas triste du tout. La Janoski était destinée à être lifestyle depuis sa création. Je l’ai créée de manière un peu égoïste, j’ai pensé à ce modèle comme j’aurais voulu qu’il soit pour moi : une chaussure faite pour le skate et que je puisse garder quand j’ai fini de rider. J’ai fait une paire que Nike n’avait pas dans son répertoire, et ça a marché. Donc, n’importe qui peut porter ce modèle, je ne vais pas être énervé parce que des gens portent ma paire, quand même ! (rires, ndlr)
« j’ai pensé à ce modèle comme j’aurais voulu qu’il soit pour moi : une chaussure faite pour le skate et que je puisse garder quand j’ai fini de rider. »
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«La reconnaissance est devenue un but en soi, alors qu’avant tu devais faire quelque chose pour devenir célèbre.»
Après toutes ces créations, que reste-t-il à faire ? Je ne sais pas, mais de nouvelles choses n’arrêtent pas d’arriver : Air Max, Lunarlon… Je suis sûr qu’il y aura de nouvelles matières techniques qui vont bientôt sortir. Il y a encore plein de possibilités à exploiter, comme une paire invisible ! Non, je plaisante, mais une chaussure transparente, peut-être bien… J’utilise énormément le système Nike ID avec ma femme, on se fait nos propres créations. Il y a par exemple un nouveau modèle en cuir rembourré qui sortira prochainement, ce qui n’avait jamais été fait : une Janoski en cuir noir, avec une semelle blanche Lunarlon, faite par le même designer qui a conçu la Janoski White Velcro.
« La Janoski est parfaite.Il n’y aura pas de deuxième version. » À la différence d’une Koston, qui a évolué au fil des éditions, la Janoski n’a jamais changé de forme,pourquoi ? C’est parce qu’elle est parfaite ! S’il y avait une deuxième version, c’est que la première n’était pas assez bien faite. Il n’y aura pas de deuxième version de la Janoski, point.
Photos : NIKE SB / DONGER
Quelle est ta Janoski favorite parmi toutes celles qui sont sorties depuis le début la première création, en 2009 ? J’adore les Velcro, elles sont incroyables ! Même si les gens ne les aiment pas, je pense que ce sont les meilleures : elles sont cools et ce sont les plus adaptées à la pratique du skate, avec l’absence de lacets… Elles te font des pieds d’enfer. Tout le monde pense qu’elles ont l’air de chaussures de grand-père ou de prisonnier, mais, pour moi, elles sont fantastiques.
« je skate et je fais de l’art. C’est la belle vie, en fait. » Ne ressens-tu pas une certaine frustration d’être plus connu sous le nom d’une chaussure plutôt que sous celui de skateur ? À un moment, ça m’ennuyait que mes chaussures deviennent plus célèbres que moi. Je voulais être aussi populaire qu’elles, mais a posteriori je n’en ai vraiment pas envie. La vie des célébrités est assez pénible, mon quotidien serait totalement bouleversé, alors qu’un bon produit à mon nom m’aide tous les jours. Et le fait qu’on me reconnaisse dans la rue ne sera jamais aussi cool que d’avoir des gens qui kiffent sur mes chaussures. 27
Justement, être skateur est parfait car la notion de célébrité y est assez ambiguë. La reconnaissance est devenue un but en soi, alors qu’avant tu devais faire quelque chose pour devenir célèbre. Le skate est particulier car ce n’est pas une discipline guidée par la célébrité, les fans sont des gens qui sont impliqués dans ce sport, qui voient les skateurs comme des modèles, mais qui peuvent devenir leurs pairs, ou leurs amis quelques années plus tard. Ça m’est arrivé, plus jeune, je regardais des vidéos pour ensuite me retrouver dans la même pièce que ceux que je matais quand j’étais petit, et devenir pote avec eux. Donc, je ne suis vraiment pas frustré par ce phénomène. Mes chaussures peuvent même faire des émissions de télé, en ce qui me concerne (rires). Quelle célébrité aimerais-tu voir porter des Janoski ? Larry David ou Jerry Seinfield. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est la première chose qui m’est venue en tête. Barack Obama ? Carrément, oui, je lui en enverrai, c’est sûr.
Propos recueillis par Terence Bikoumou
S é rie M ode
W ILD BE HU N TI N G Les saisons se suivent mais ne se ressemblent pas. C’est aux portes de Paris que nous sommes allés à la recherche de l’hiver, habillés par une mode couverte et colorée. Au programme des réjouissances, une chasse ouverte pour notre duo « t omboy & dandy chic ». Une mode qui s’assume, construite autour d’une vision indépendante et même un peu innovante.
Photos : Mathieu Vilasco Réalisation : Audrey Michaud-Missègue Image : Arthur Oriol
Carla : Chapeau Stetson Costume et body : AF Vandervorst Bottines Dr Marteens Erik : Chemise Carhartt Costume Missoni Brogues Coïncidence
Make Up & Hair : émilie Peltier Modèles : Carla chez Marylin Agency et Erik Sakai
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Erik : Ensemble Kenzo Carla : Robe Bimba Y Lola
Erik : Manteau Maison Scotch Sweat Nike Pantalon Melinda Gloss
Carla : Ensemble Kenzo Cuissardes What For Erik : Casquette Quiet Life Cardigan Uniqlo Chemise Libertine Libertine chez Démocratie Pantalon Lacoste Baskets Nike
Carla : Chapeau Stetson Trench Sonia By Sonia Rykiel Pull Uniqlo Jupe Ted Baker Chaussettes H&M Sandales Sandro
Carla : Chapeau Stetson Manteau Monki Top Evil Twin Jupe et bottines Missoni Erik : Manteau Top Man Pantalon Levis Maded & Crafted Brogues Dr Martens
Carla : Veste Uniqlo x Ines de la Fressange Pull Pinko Pantalon Raoul Baskets Vans BO et Bracelets Bimba Y Lola Erik : Parka Rains chez Démocratie Pantalon Levis
LA COLLAB’ N ike x P edro L ouren ç o : Le designer Pedro Lourenço signe avec l'incontournable Nike une collection capsule de dix pièces sportswear luxueuses et féminines. Le jeune Brésilien célèbre le corps de la femme en jouant sur des coupes épurées et un effet seconde peau. Le tout conjugué par le savoir-faire de Nike et ses dernières innovations, comme les matières Dri-FIT qui maintiennent la chaleur corporelle.
N O T E B O O K Par Karima Hedhili & Audrey Michaud Missègue
Tous les deux mois, nous vous présenterons nos coups de cœur du futur, le it du it, l’information mode du savoir-vivre qu’il ne faudra pas manquer.
Photo Thomas Babeau
LE PRODUIT K U M O D esign : Passionnés par le design et l'artisanat, Mathilde et Paul décident, un jour pluvieux, de se lancer dans la conception d'accessoires de pluie originaux. C’est porté par le « made in France » et nourri par la culture japonaise que KUMO Design donne un coup de boost au paysage morne et banal des parapluies parisiens.
Photo Hlenie
Photo Mathieu Vilasco Photos Hlenie
LA MARQUE
LE COLLECTIF
JOUR/Né :
MOSAERT :
Lou, Léa & Jerry. Ce n'est pas la dernière série à la mode, mais le prénom des trois jeunes créateurs qui vont bousculer vos dressings cet été. Le trio dévoile une première collection joliment intitulée Le lundi au soleil. Des créations inspirées des coupes et des matières sixties, mais agrémentées de détails sophistiqués pour sublimer le train-train quotidien.
Rien ne semble pouvoir arrêter Stromae, accompagné de son directeur artistique Luc Junior Tam, de la styliste Coralie Barbier et du duo de graphic designers Boldatwork, le chanteur multiplie les casquettes. Après la musique et l'art vidéo, MOSAERT (anagramme de Stromae) vient d'imaginer sa seconde collection de prêt-à-porter. Disponible chez Colette.
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SNOWY
LIST
WISH
WINTER SESSION Photo : Louise Ernandez Réalisation : Audrey Michaud Missègue Image : Arthur Oriol
@ L e F ant ô me P aris
ICY
SNOWY | Skis Black Crows | Sacs Courrèges x Eastpak | Eau de toilette Canaille | Lunettes Courrèges | Masque Salomon | Claquettes Nike | Coque Iphone 6 Scenario • LIST | Bas American Apparel | Chaussures Sonia By Sonia Rykiel | Set de maquillage Make Up Forever | Brosse à cheveux Charlie de Paris | Rouge à lèvres Top Shop | Lunettes de soleil Prada | Polo Lacoste | Parfum Moschino | Sac MCM • WISH | Montres Nixon | Baskets Twins For Peace | Skate Penny chez Citadium | Veste Schott x Tyrsa | Casque Diezz | Porte Cartes Shinola | Eau de Toilette Carven | Peigne à Barbe Bearbrand | Set de cure-dents Daneson chez Colette | Accessoire chaussures Yazbukey x DC Comics | Crayons de couleurs 50-50 | Champagne Moêt & Chandon | Enceintes bluetooth Harman/Kardon • ICY | Set de Hockey sur glace La Maison du Patin | Baskets Converse | Déodorant Axe x Tyrsamisu x Wrung | Pansements The Simspon chez Citadium | Claquettes Nike | Casque audio Beats By Dre | Horloge Lexon 34
WE MAKE COOL SHOES THAT HELP CHILDREN
81, rue Vieille du Temple 75003 Paris WWW.TWINSFORPEACE.COM
F E R G U S O N Vu par F E R G U S O N C’est dix jours après la mort du jeune Mike Brown, tué par les balles d’un policier et dont le corps a été laissé à l'abandon dans la rue plusieurs heures, que j’arrive, nerveuse, à Ferguson. En effet, la petite ville est littéralement à feu et à sang, portée par une vague de protestations et d’émeutes qui feront instantanément la Une des médias.
Les jours qui ont suivi l’assassinat, j’assistais chez moi, effarée, aux nombreux témoignages défilant sur mon compte Twitter, qui décrivaient les affrontements entre la police militarisée et les manifestants. Cette violence n’exclut personne, et même les journalistes n’étaient pas à l’abri des arrestations et des jets de gaz lacrymogène. Pendant ce temps-là, les grandes chaînes de télévision américaines menaient une campagne de diffamation sur la personnalité de la victime, décrite comme un voyou, sans un mot sur le policier l’ayant abattu. Le New York Times ira même jusqu’à écrire sur Mike Brown qu’« il n’était pas un ange ». À lire les journaux, à écouter la radio et à regarder la télévision, Ferguson est une zone de guerre. C’est poussée par la curiosité que j’ai décidé de m’y rendre, mais aussi pour devenir un témoin engagé dans le chapitre le plus récent de la sinueuse histoire afro-américaine qui une fois de plus semble se répéter. Loin des représentations médiatiques, la réalité de cette ville est toute autre. J’ai rencontré une communauté accueillante et pacifique, qui m’a immédiatement mise à l’aise. Les affrontements apaisés, je prends conscience que la population vient de Ferguson mais aussi des quatre coins du pays, un véritable carrefour militant où se côtoie un foisonnement de médias indépendants, de journalistes citoyens, d’activistes, mais aussi de jeunes des villes avoisinantes comme Chicago. Tout le monde interviewait tout le monde et les habitants de Ferguson se montraient soucieux de raconter leur histoire mais surtout déterminés à se battre contre cette injustice. Un des épisodes les plus marquants auquel j’ai assisté est celui où Wanda, une habitante noire de Ferguson, fait la leçon à un journaliste télévisé de CNN lui semblant peu enclin à s’entretenir avec le capitaine Ray Lewis, un policier retraité de Philadelphie venu manifester. Wanda lui reproche de ne vouloir couvrir qu’une version de cette affaire, elle fait preuve d’une telle conviction que « Chris » (le journaliste qu'elle appelle par son prénom) cède, quelque peu intimidé. Avec ces événements, les habitants de Ferguson ont montré au reste des États-Unis ce qu’étaient le courage et la dignité face à l’adversité du système. Ce sont tous ces regards, personnalités et discours à l’engagement inébranlable que j’ai pu rencontrer tout au long des cinq jours de mon séjour. Ils écrivent aujourd’hui ensemble cette histoire, et c’est vers eux que j’ai tendu mon micro.
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Tef Poe Rappeur de St Louis à la tête du mouvement Hand Up United « Les réseaux sociaux ont été un élément crucial pour répandre le mot. Il y a eu un partage des comptes à suivre sur Twitter et, du coup, beaucoup de livetweets se sont mis en place. Certains ont filmé les manifestations sur Instagram et Vine, ils ont vraiment utilisé Internet pour se connecter avec tous ceux qui partagent la même vision qu’eux à l’échelle mondiale. »
Angie Originaire de St Louis mais vivant au Texas, elle est venue dès le premier jour pour organiser les manifestations sur place « Les médias sont importants pour moi : la télévision, la radio… Tout le monde voit ce qu’il se passe, cette histoire est devenue mondiale. Quoi qu’il arrive ici, dans le Missouri, il va y avoir une réaction en boucle dans chaque États des États-Unis. »
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Anthony Jeune venant du quartier où Mike Brown est mort, il manifeste avec ses amis « Le jour où c’est arrivé, j'étais en train de filmer sur Instagram le corps qu’ils avaient laissé plus de quatre heures dans la rue sans appeler d’ambulance. Tout le monde interpellait la police pour comprendre les raisons qui l’ont poussée à lui tirer dessus et de le laisser encore dans la rue. »
David Habitant de Ferguson qui a fondé un programme de surveillance par le voisinage en mettant des caméras à disposition « Les médias montrent seulement des gens qui parlent de leur frustration. Mais ils ne montrent pas ceux qui parlent de ce qu’ils font pour changer la situation et pour réduire l’insécurité au sein du voisinage. Nous veillons à rendre chacun responsable de ses actions. »
Dan Johnson Fondateur de Panda, une association contre la militarisation de la police aux USA « Ça fait plus de dix ans que la militarisation des forces de l’ordre a lieu aux États-Unis. La raison pour laquelle ça touche un point sensible ici est que les gens en ont marre. Ils étaient prêts à manifester pour résister et crier : " Pas ici ! " Du coup, ça a attiré l’attention nationale et internationale sur cette cause. »
Jansa Habitante de Nashville, travaillant dans l’humanitaire, elle a fait le déplacement pour manifester « Je suis venue ici pour les mêmes raisons que toi. J’ai rencontré un jeune de New York qui m’a raconté que, quand il a entendu ce qui se passait et qu’il a vu l’explosion des réactions sur Twitter, il a décidé de prendre l’avion sur un coup de tête. Il a senti qu’il se passait quelque chose d’important et que sur Internet on lisait 95 versions contradictoires en même temps. »
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Prêtre de Ferguson Organisateur de marches pacifistes dans la ville « Les gens sont lassés du traitement qu’ils reçoivent depuis toujours par la police, et maintenant ils ont la chance de faire entendre leur voix. Les autorités veulent utiliser la violence qui a eu lieu pour dire aux gens qu’il est dangereux de venir à Ferguson, mais ce n’est pas le cas. »
Capitaine Ray Lewis Ancien officier de la police de Philadelphie devenu un activiste reconnu « Je n'ai jamais été aussi bien reçu, j’ai rencontré des gens merveilleux tout au long de mon séjour. Ils m’ont très bien traité : ils m’ont demandé si j’avais besoin d’eau, ou si j’avais faim. Ils sont reconnaissants que je sois ici. J’aime Ferguson. »
J.B. Chef d’entreprise de Ferguson distribuant des hot-dogs gratuitement pendant la durée des manifestations « Je n’ai pas travaillé depuis que tout a commencé, je n’ai pas gagné d’argent. Le simple fait que je prenne un risque personnel en restant dans la rue à la vue des policiers flingueurs montre combien j’adore cette communauté. »
David Banner & Jasiri X Artistes hip-hop internationaux, venus à Ferguson pour afficher leur soutien « Honnêtement, je suis fier de St Louis, je ne pense pas qu’ils aient conscience de l’importance de ce qu’ils ont accompli aux yeux du monde. Ils ont défendu des gens qui sont historiquement invisibles. Maintenant, tout le monde en a pris acte pour très longtemps. » « Mobb Deep a fait le titre Hell on Earth et, dans ce morceau, ils disaient : " Les zones urbaines sensibles sont en première ligne et l’ennemi est la police. " C’est ce qui est arrivé ici. Il ne s’agit pas de lyrics de rap, il s’agit de jeunes hommes et femmes noirs courageux, qui se sont opposés aux tanks, aux policiers en gilet pare-balles, au gaz lacrymogène. Ils ont attrapé les bombes et les ont renvoyées. »
Propos recueillis et Photos de Marguerite de Bourgoing 39
MARCEL CAM P IO N R encontre a v ec l ’ homme q ui a bra q u é les T uileries
Le 2 décembre 1985, une bande de forains assiège les Tuileries et dispose manèges et baraques à frites sans aucune autorisation. Leur chef de file est Marcel Campion, son nom de baptême médiatique, « le roi des forains », en dit long sur son importance. Car, comme un monarque, Marcel a le droit de vie ou de mort sur le mouvement forain ou, du moins, sur une bonne partie de celui-ci. À soixante-quinze ans, il est notamment à la tête du marché de Noël sur les Champs-Élysées, de la foire du Trône et, depuis cet hiver 1985, de la fête des Tuileries. Tout au long de sa vie, Marcel Campion a été prêt à tout pour dominer ce mouvement, mais surtout lui redonner de l’allant : balancer les manèges de ses opposants en pièces détachées dans la Seine, casser l’index d’un membre du cabinet de Chirac et surnommer Bernard de la Villardière, Bernard de la Merdière. C’est justement le coup d’éclat de la prise des Tuileries qui a redoré le blason de toute une culture qui s’effritait depuis une dizaine d’années. En effet, les forains et leurs fêtes étaient chassés des centres-villes et relégués en banlieue, il fallait donc une victoire symbolique et spectaculaire pour les réintégrer nationalement au cœur des villes. Nous sommes partis à la rencontre de Marcel Campion pour qu’il revienne précisément sur ce qui s’est passé et ainsi nous immerger dans ces instants qu’il retrace avec sa gouaille truculente. Difficile de le couper, il raconte avec un tel enthousiasme : il reconstitue les dialogues en y mettant le ton, sourit en parlant et agrippe même le bras de son interlocuteur pour l’impliquer. Un flash-back entre prise d’otage de ministre, négociation secrète avec Mitterrand et menace d’incendie du jardin des Tuileries.
« J’ai réuni les forains en plein hiver, je leur ai expliqué que la ville allait organiser une grande fête au centre de Paris et qu’on allait se mettre avec eux. Ils me répondent : " Ah bon, tu as eu l’autorisation ? – Ouais, ouais, tout est réglé." J’avais seulement deux-trois copains que je connais aujourd’hui depuis plus de cinquante ans et je leur ai dit : " Organisez-vous et préparez-vous, on met les convois comme ça. " Je ne les laisse pas réfléchir, faut qu’ils m’écoutent, sinon je les vire. J’ai eu deux-trois forains qui n’ont pas voulu suivre et je les ai dégagés tout de suite avant que ça aille mal. Quand tu fais des trucs comme ça, il ne faut pas que tu aies des traîtres avec toi.
« Quand tu fais des trucs comme ça, il ne faut pas que tu aies des traîtres avec toi. » Je les fais entrer un vendredi soir dans les Tuileries, c’était une stratégie car le week-end il n’y a plus aucune autorité en France avant le lundi après-midi. T’as le temps d’organiser une grande fête sans que personne ne soit au courant. L’État avait loué des chapiteaux à des cirques que je connais pour leurs fêtes. Je les avais appelés et ils m’ont dit qu’ils rentraient vendredi soir : " Bah, on va y aller avec eux." J’avais reçu une lettre du ministère qui m'expliquait qu’il était hors de question qu’on s’installe devant les Tuileries. Donc j’ai fait un faux, j’ai gardé l’en-tête du ministère et la signature et j’ai écrit : " Laissez passer les convois ". Je suis arrivé devant avec ma voiture, j’ai fait des appels de phares aux deux vigiles qui étaient là. Il devait être 23 heures, j’ai montré mon papier et ils nous ont ouvert les portes. Mais, même s’il ne l’avait pas ouverte, on l’aurait ouverte. On est rentré aux Tuileries, on s’est installés. Le lundi, quand j’ai vu que personne ne réagissait, ça m’a fait chier. J’ai appelé Mourousi (journaliste incontournable de TF1 à l’époque, ndlr), je lui ai raconté : " Écoute, Yves, passe voir, on a installé une grande fête foraine, ça serait bien que tu en parles parce qu’on a un problème. " Il est venu et m’a dit : " Qui t’a donné l’autorisation ? – Personne, justement il faudrait qu’on en parle. " Donc, ça passe au journal de TF1 et, l’aprèsmidi, on nous a envoyé deux mille CRS, ils ont entouré les Tuileries et viré les gens en nous ordonnant avec leur porte-voix de nous tirer tout de suite. Ça a duré une dizaine de jours, avec des confrontations entre la police et nous, ils nous avaient encerclés mais n’osaient pas venir nous déloger. Parce que s’ils nous délogeaient, le matériel restait là. J’avais mis des bidons d’essence dans tous les manèges, y compris dans le mien, sans le dire aux forains. Quitte à finir, on va liquider le truc tout de suite, moi, je fous le feu partout.
Georgina Dufoix (ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale) est venue à l’intérieur pour visiter la fête de l’enfance dans le jardin. On les a drôlement emmerdés car ils avaient pris l’allée centrale et nous celle d’à côté. Il y avait trois ministres là-dedans, dont Jack Lang. Et cette femme-là vient me voir et me dit : " C’est dommage que ça se déroule comme ça, mais qu’est-ce qui s’est passé ? " Elle avait l’air complètement dans les nuages. Je lui demande : " Vous ne voulez pas faire un tour de grande roue avant qu’elle ne parte, ce sera peut-être la seule fois qu’il y en aura une dans les Tuileries ? " Elle accepte, j’explique à un copain qu’il doit monter avec elle, et je le préviens qu’on va les bloquer quand ils seront en haut… Pas trop longtemps. Son chef de cabinet panique : " Mais elle ne tourne plus, la roue. – Elle est en otage ! " Les flics couraient partout, le préfet nous ordonne d’aller la chercher, je lui réponds : " Bah, monte, toi ! " Ça n’a pas duré longtemps, on rigolait. Mais la presse a dit qu’on avait pris la ministre en otage. En réalité, elle était bienveillante, quand elle est descendue, elle m’a dit : " Je vais en parler à Mitterrand car il n’y a que lui qui puisse arranger ça. " Et, le lendemain, un de ses sbires est venu pour qu’on organise une rencontre : " On ne peut pas vous faire venir à l’Élysée car vous squattez les Tuileries, c’est un terrain d’État. – Mais qu’il vienne ! Il est chez lui, le président. " Il fallait que ce soit secret et moi, je ne voulais pas sortir du jardin car s’ils m’avaient attrapé, tout le monde aurait démonté. Donc, c’est lui qui s’est déplacé à l’arrière des Tuileries. On a discuté avec Mitterrand pendant deux minutes, pas très longtemps. Il me dit : " C’est quoi cette histoire ? – On a besoin de travailler, on nous supprime partout. Ce serait pas mal de nous laisser dans les Tuileries – Moi, je n’y vois pas d’inconvénient. – Oui mais, regardez, on est encerclés par la police. – Je vais vous arranger ça. " C’est Mitterrand qui nous a arrangé le coup. Maintenant, quand je vois Lang, lui c’est le plus culotté, je suis son " ami Marcel ". L’année dernière, il est venu à l’inauguration de la fête au Grand Palais et il a dit : " C’est grâce à nous deux qu’il y a la fête des Tuileries. " Il nous avait juste mis les CRS autour et envoyés au tribunal… Il faut les laisser raconter leur truc. »
Texte de Julien Bihan, Photos de Yannick Roudier 40
« On nous a envoyé deux mille CRS, ils ont entouré les Tuileries en nous ordonnant avec leur porte-voix de nous tirer tout de suite. »
« J’avais mis des bidons d’essence dans tous les manèges. Quitte à finir, je fous le feu partout. »
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DANS LA PEAU D'UN VENDEUR de C L I G N A N C O U R T Autrefois lieu sacré et passage obligé pour toute la culture streetwear, les puces de Clignancourt ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles étaient il y a encore quelques années. Terni par l’invasion de faux, ce lieu mythique a pris de l’âge et perdu de sa superbe au grand dam des vrais commerçants toujours présents, malgré les difficultés.
Aux puces, deux mondes se côtoient sans jamais interagir : celui des antiquaires qui présentent les objets de collection, les tapissiers, les librairies spécialisées, le mobilier rétro, et l’« autre ». C’est cet autre monde qui nous intéresse, celui dans lequel une génération entière a passé des après-midis à traquer la paire rare, celle de la rentrée, ou le dernier 501 cartonné. Ce « reste du monde » est représenté notamment par un des endroits mythiques des puces, le marché Malik, une surface de 3 000 m² louée à vie à Malik, un prince albanais venu s’installer à Saint-Ouen dans les années 20. À l’origine, cet ancien jardin s’est rapidement transformé en un ensemble de stands, plus d’une centaine aujourd’hui, où l’on peut désormais trouver de la fripe, des blousons en cuir, du sportswear ou de la basket. Pour essayer de mieux comprendre le quotidien de ces vendeurs du « ter-ter », rien de mieux que de passer du temps avec eux, au cœur de leur terrain, justement. Pour cela, nous nous sommes immergés dans cet univers particulier, par le biais d’un duo composé de Yao et Aziz, propriétaires de la boutique Red Line, spécialistes de la basket, située au cœur du marché Malik.
L e dernier bastion « C’est bizarre, on dirait du vrai ? » C’est le genre de remarque que l’on entend fréquemment dans les quelques mètres carrés qui composent le Red Line. Ce dimanche, c’est dès la première visite de la journée que cette phrase sera prononcée par une femme proche de la quarantaine, à la recherche de chaussures de sport. Malgré les dix minutes d’argumentaire pour démontrer l’authenticité du produit, c’est les mains vides que cette dame repartira.
Lorsqu’on est à la recherche de sneakers authentiques au marché Malik, il n’y a plus qu’un seul lieu où aller, Red Line. Depuis la fermeture du voisin, Foot Max, pionnier de la basket pendant plus d’une quinzaine d’années, Red Line est aujourd’hui le dernier bastion du « vrai » au marché Malik. Un cas à part, devenu presque une anomalie dans l’amas de contrefaçons qui a envahi les couloirs du marché. Cette boutique, c’est d’abord l’alliance de deux amis amateurs de pompes que la vie a menés au commerce par des chemins différents. Yao, c’est l’entité merchandising du shop : il dirige la vente dans le magasin, sélectionne les produits, en somme c’est lui qui gère le terrain. Ancien technicien de maintenance, il a été introduit un peu par hasard, par l’intermédiaire d’amis déjà implantés aux puces. Aziz, lui, gère le côté financier, la trésorerie et l’administratif. Enfant de Saint-Ouen, il a vécu une bonne partie de sa vie aux puces, enchaînant les jobs depuis tout petit, de manutentionnaire à vendeur. Devenir propriétaire de sa boutique est une finalité naturelle pour cet Audonien. Après maintes expériences, les deux amis autodidactes, formés à l’école de la débrouille, s’associent pour mener cette aventure qui débutera vraiment en décembre 2012, à l’ouverture du magasin.
« Je me dis que ça arrange la société que la " France d’en bas " fasse ses courses ici » 42
Mais depuis quelques années les puces ont bien changé, les rues se sont massivement vidées, et le marché Malik ne fait pas exception à la règle. Alors qu’il était difficile de se frayer un chemin dans la foule par le passé, il est aujourd’hui presque rare de trouver deux clients simultanément dans un stand, même un samedi ou un dimanche. à Red Line, il n’y a plus d’objectifs financiers journaliers, ni de calculs sur la rentabilité depuis un moment. « C’est beaucoup trop aléatoire, on essaie simplement de faire au mieux », assure Yao. S’il était auparavant possible de faire un chiffre d’affaires allant jusqu'à 3 000 ¤ le samedi ou le dimanche, la boutique n’encaisse rarement plus que 500 ¤ aujourd’hui. Les meilleures journées sont faites d’une trentaine de passages, « ce qui est très peu », souligne Yao. Cette absence de clients permet aux vendeurs de passer dans les stands des uns et des autres, comme lorsque « Tonton », le vendeur de sportswear d’à côté, vient lâcher sa bonne humeur dans les rayons de la boutique. Ancien client devenu vendeur, Tonton a un parcours digne d’un téléfilm : un récit fait d’histoires de drogue, de passages en prison et une repentance au nom de la religion. Celui qui se décrit comme « un SDF sans difficultés financières » est un amateur de sneakers, comme beaucoup d’autres sur le marché, et c’est avec la dernière Jordan VI Infrared de la boutique en main qu’il se fait photographier par Yao, avant d’entamer une improvisation avec un bagout caractéristique et un accent maghrébin légèrement forcé : « Tonton il est content / Parce qu’il a pas vingt ans / Mais si tu paies comptant / On peut s’entendre jusqu’à cent ans ! » Entre-temps, un passant inspecte d’un œil sceptique une paire d’Air Max sur le mural et joue au jeu des sept différences avec le modèle identique… qu’il porte aux pieds.
Jouer le jeu de l’authenticité dans un environnement où règne désormais la contrefaçon rend l’activité d’un ovni comme Red Line plus difficile que jamais, chaque vente devenant une lutte où l’argumentaire classique ne suffit plus. Avant de vendre un produit, il faut convaincre de son authenticité et justifier son prix, parfois bien plus élevé que celui pratiqué par le faussaire d’en face. « Tu places la boutique n’importe où dans Paris intramuros, tu bosses. Ici, c’est difficile. On a de la came, mais on ne travaille pas », précise Aziz, avant d’ajouter : « Demain, si je veux, je peux me mettre à vendre du faux aussi, je connais toutes les filières pour cela. Mais ça ne m’intéresse pas. » Depuis quelques mois, Yao et Aziz ne s’octroient plus aucun salaire et développent d’autres moyens de rentabilité par le biais d’un deuxième point de vente situé à Châtelet, ou encore par le renfort d’Internet et des réseaux sociaux. Une nécessité pour faire face à cette nouvelle clientèle décomplexée par l’achat de faux, comme l’illustrent les propos de cette fille à la recherche d’un modèle Air Max 1 couleur dorée en édition limitée, introuvable en version originale aux puces : « Je m’en fous d’acheter du faux. En général, je n’achète que du vrai, donc personne ne me dira rien. Celle-la je ne la porterai pas souvent, donc ça ne me dérange pas. » D a v id v s G oliath L’ennemi est repéré. La guerre entre produits authentiques et contrefaits a commencé depuis bien longtemps. Mais il semble que le camp de Yao et Aziz perde beaucoup de batailles ces temps-ci. Dans les quatre lieux des puces qui ne sont pas dédiés aux antiquaires (marché du Plateau, marché Malik, rue Jean-Henri-Fabre et avenue Michelet), la contrefaçon est depuis bien longtemps implantée sur les différents stands. Selon Aziz, aujourd’hui, plus de la moitié des points de vente de chaussures est gangrénée par le phénomène. Bien que cela ne soit pas nouveau, sa présence s’est accrue ces dernières années, et les prix de plus en plus abordables génèrent ainsi des différences importantes entre un modèle contrefait et un autre authentique. Une Converse All-Star peut alors varier selon le stand de 60 ¤ jusqu'à… 35 ¤ en marchandant. Ce qui s’explique par les prix d’achat très abordables des modèles de faussaires, le plus souvent en provenance de Chine et des pays asiatiques. Ces « fakes » revendues à un prix dérisoire montrent que les vendeurs limitent leur marge au maximum pour vendre le plus de produits, le plus rapidement possible. Une concurrence déloyale qui fait de commerces comme Red Line les premières victimes de cette stratégie.
Un sentiment d’impuissance renforcé par les conditions avantageuses des vendeurs de faux. Souvent non déclarés au registre du commerce, ils ne possèdent donc pas de K-bis ou de documents officiels, ce qui les exonère des charges patronales, salariales, d’impôts, d’URSSAF et de différentes taxes. La plupart de ces commerçants ne paient que la location de leur stand aux responsables des différentes circonscriptions qui composent les puces.
« Ça va en se dégradant, on se dit chaque année qu’on a touché le fond et que ça ne peut que remonter. Mais l’année d’après c’est encore pire. »
L’omniprésence de la contrefaçon a totalement transformé cet endroit, attirant une clientèle différente et renouvelée, moins regardante sur l’authenticité et la qualité du produit. Autrefois le faux était seulement l’apanage d’un petit nombre de personnes au portefeuille limité, dorénavant cela concerne des actifs à la recherche de modèles tendance mais bon marché, avec pour but de faire de véritables économies sur le produit. Un changement de fréquentation qu’Aziz explique par la logique suivante : « Si tu amènes de la marchandise de merde, tu auras une clientèle de merde. Mais si tu amènes de la bonne marchandise, tu auras la clientèle qui va avec aussi. » Aujourd’hui, l’idée qu’il ne se vendrait plus que de la contrefaçon s’est répandue dans l’opinion publique, ce qui a eu pour conséquence d’éloigner la clientèle d’origine qui venait auparavant pour acheter des produits authentiques. Cette cible, devenue trop méfiante et effrayée par l’idée d’avoir des pieds contrefaits, préfère acheter ses produits dans les circuits classiques de commerce. Dorénavant, s’il coexiste un marché du vrai et du faux à Saint-Ouen, il n’y a plus qu’une seule clientèle : celle du faux. Une tendance que l’entrepreneur regrette, peiné par la perte d’identité du lieu : « Ça a tué un lieu historique, parce que cet endroit marque le début du streetwear. Avant les puces et Châtelet, il y avait peu de streetwear à Paris : pas de Foot Locker, de boutiques Nike ou Adidas et tous ces magasins. Les marques ne nous calculaient pas et n’apportaient pas notre mode. Nous étions des marginaux. »
L es d é laiss é s de la p é riph é rie Certes, la concurrence du faux pénalise les boutiques « réglos » comme Red Line, mais il convient avant tout de mettre en relief le mal généralisé dont souffrent tous les commerçants des puces. Le manque d’affluence et la baisse du pouvoir d’achat sont des fléaux qui touchent, bon an mal an, toutes les entités du marché, sans exception. La scission ne se fait plus seulement autour de la contrefaçon, mais surtout autour de cette crise. Josie, vendeuse de cuirs présente depuis une trentaine d’années au marché Malik, a dû laisser partir une dizaine de ses employés pour pouvoir faire face à la difficile conjoncture économique. Contre vents et marées, la commerçante persiste à vendre des produits authentiques. Ce n’est pas le cas de Salim, jeune responsable d’un stand rue Michelet, qui a cédé à la tentation de la contrefaçon il y a trois ans, lui le fan de sneakers. Certains commerçants qui vendaient essentiellement des produits « legits » ont contre leur gré choisi de diversifier leurs stocks avec des modèles contrefaits, afin d’augmenter un tant soit peu leurs recettes. Il est logique de se demander comment une institution parisienne comme les puces de Clignancourt, important site touristique, est complètement laissée pour compte. Le manque d’action de la municipalité de la ville de Paris et de celle de Saint-Ouen est surprenant et pose des questions sur l’intérêt qu’elles portent au devenir de cet endroit. Hormis le service de douanes, il n’existerait pas de cellule dédiée à la lutte contre la contrefaçon au sein des puces, et les très rares perquisitions seraient mandatées par des entités extérieures, comme les marques elles-mêmes. Aziz, lui, a son avis sur la question : « Les actions mises en place sont inefficaces. Je me dis que ça arrange la société que « la France d’en bas » fasse ses courses ici. Ici, les vendeurs ne paient aucune charge et en plus ils vendent du faux, et tout ça à la limite de la capitale. Il y a un problème. Ils détournent forcément les yeux ; demain, s’ils voulaient, ils pourraient raser le marché. » L’histoire se répète et se ressemble. Les premiers occupants des puces, les chiffonniers, ont été chassés hors de Paris en 1885 pour ne pas incommoder les habitants et empêcher la dégradation des rues de la capitale. Le parallèle est frappant pour ceux qui ont pris leur place, tout aussi délaissés que leurs aînés : comme eux, ils sont peut-être considérés comme des commerçants de seconde zone. Témoin privilégié de l’évolution du marché du haut de sa trentaine d’années, Aziz raconte : « Ça va en se dégradant, on se dit chaque année qu’on a touché le fond et que ça ne peut que remonter. Mais l’année d’après c’est encore pire ! » Le constat est amer mais sincère et épouse une vision pessimiste d’un avenir encore trop incertain pour la pérennité de leur commerce : « Là, on essaie de se maintenir la tête hors de l’eau, en attendant peut-être un jour meilleur. Je peux avoir une visibilité sur l’avenir, mais seulement quand je vois des actions se mettre en place. En ne voyant rien se passer, je ne peux pas avoir confiance. » Texte de Terence Bikoumou, Photos de Yannick Roudier et Yoann « Melo » Guérini
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Photos courtesy of the artist and Galerie Nicolas Hugo
RE N HA N G V é rit é nue Ses études photographiques de corps dénudés le placent comme l’artiste chinois le plus prometteur de sa génération. Entre censure et paires de fesses, la planète a Ren Hang dans l’œil du viseur.
Ren Hang n’a que vingt-sept ans, mais il est tout sauf inconnu du monde de l’art. Les êtres normalement constitués, qui ont croisé un jour l‘une de ses photos, s’en souviennent. C’est bien simple, Ren Hang, c’est le jeune photographe chinois qui a fondé son travail sur les clichés des beaux corps nus de son entourage. Et tant qu’à faire pourquoi ne pas explorer toutes les facettes de la nudité en repoussant les limites des situations cocasses : la tête d’un pote dans l’entrejambe d’un autre, un tapis de fesses, un anus en gros plan ou… une chatte qui fume. Bah oui, pourquoi pas ? D’ailleurs, les professionnels occidentaux ne s’y trompent pas en l’accueillant très régulièrement dans leurs galeries aux États-Unis et en Europe ou en le présentant au grand public lors des grand-messes de l’art contemporain comme la FIAC ou Paris Photo. Une terre d’accueil qui arrive fort à propos puisque Ren Hang, dans l’immense expression de son talent, est presque banni de son pays d’origine. La Chine n’est toujours pas prête à voir deux glands pressés entre deux orteils. C’est bien dommage. Du coup, avec ses pairs du même âge, il s’empare clairement d’une quête de libertés que sa nation lui refuse. Un artiste de son temps, issu d’une génération décomplexée qui a grandi avec la révolution culturelle, l’après-1989 de la place Tian’anmen. Ces aînés, comme Rong Rong ou Ma Liuming, qui exploraient déjà la sexualité sans craindre de lever les tabous qui les oppressaient, l’adoubent comme membre de cette scène underground pékinoise. En 2011, Ai Weiwei himself expose Ren Hang lors de son exhibition Fuck Off 2 au Groninger Museum.
C ou v rez ce sei n …
« E t étant homosexuel, il n'y a pas de rapport d’excitation ou de séduction avec ses modèles féminins. à l’inverse de Terry Richardson par exemple. Il les voit comme une force sculpturale qui peut composer avec un autre élément ou un autre corps. »
B asic instinct Pourtant, tout semble fait dans la plus grande simplicité et humilité. Ren Hang est né à Changchun, une province du nord-est de la Chine. Il est jeune, timide, mais spontané et sûr de lui. Il répond aux sollicitations avec des sourires dans les textes et des points d’exclamation en fin de phrases, qui en disent long sur son enthousiasme à montrer son travail. Et rien n’est calculé. De belles copines aux ongles vernis, un lieu, les objets du moment, une lumière crue qui ne trahit aucun détail et un argentique usé. Tout va très vite. « Il a une vision très instinctive du travail. Dans une salle vide, avec un rideau et deux modèles, il fait quelque chose d’incroyable », témoigne Nicolas Hugo, l’un de ses galeristes à Paris. « Et étant homosexuel, il n y a pas de rapport d’excitation ou de séduction avec ses modèles féminins. À l’inverse de Terry Richardson, par exemple. Il les voit comme une force sculpturale qui peut composer avec un autre élément ou un autre corps. » D’ailleurs, l’artiste se défend de faire du sexy, seule l’étude des corps l’intéresse. Celle de ses amis, en plein dans cette construction sexuelle propre à leur âge. « Ce n’est pas facile, mais c’est précisément parce que nous sommes amis et qu’ils me font confiance, qu’ils sont capables de faire cela devant l’objectif », explique Ren Hang. Et l’équation marche, à tel point que, régulièrement, l’artiste lance des bouteilles à la mer aux modèles sauvages qui seraient prêts à jouer aux corps découverts.
Ren Hang est un phénomène. En France et ailleurs, son succès est grandissant. Et pas uniquement parce qu’il en appelle, malgré tout, au côté le plus lubrique de notre cerveau. Sa cote d’artiste fera d’ailleurs un petit bond en 2015, avec des photographies vendues entre 1 000 et 3 000 euros. « Il se place au début d’une belle carrière. Les prix sont raisonnables, mais ça va augmenter dans les années à venir et certaines images vont devenir des icônes », prédit Geoffroy Dubois, de la Galerie Paris-Beijing. Mais son incontestable talent mis à part, Ren Hang apparaît aussi, et bien malgré lui, comme un artiste militant, victime d’une censure dont il n’a de cesse de contourner les limites. Une détermination qui alimente la machine à fasciner. « Dans la Chine d’aujourd’hui, il est inenvisageable de toucher à la nudité. Et si la nudité est compliquée, la sexualité l’est aussi et l’homosexualité encore plus. Son site Internet a été hacké pendant de nombreuses années, fermé automatiquement. Par provocation, il en ouvrait à la chaîne. Finalement, il est hébergé aux USA », poursuit Geoffroy Dubois. Là-bas, sur les terres de l’empire du Milieu, les laboratoires photographiques travaillant avec lui peuvent être accusés de pornographie, ses expositions sont nettoyées de tout corps nu, ses clichés risquent à tout moment d’être décrochés et saisis. « Poser nu pour un photographe très exposé est aussi une grande prise de risque pour les modèles. Ils posent à visage découvert, dans un pays où il ne faut pas déshonorer sa famille. Tout le monde mouille le maillot pour faire quelque chose de bien », témoigne Nicolas Hugo. Y compris eux, les galeristes, qui usent de tous les trucs et astuces possibles pour offrir aux œuvres de Ren Rang les voyages et la visibilité qu’elles méritent. « Certaines pièces restent bloquées à la douane. Donc, on est obligé de les cacher, de les passer dans des valises diplomatiques. On a aussi publié un livre, aux Éditions Bessard, dont la couverture apparaît à la chaleur, sinon elle était trop sexuelle. Mais on perd quand même régulièrement des pièces qui restent bloquées, et on peut se brosser pour les revoir », raconte Nicolas Hugo. Fort heureusement, il en reste suffisamment à Ren Hang pour nourrir ses diverses expositions, dont trois programmées dans les prochains mois : Bangkok, Hong Kong et New York. Et pour commencer à intégrer, en douceur, les grosses collections d’art, publiques et privées.
Texte de Justine Valletoux 44
Chute De Reins La poésie. Ses contours sont flous. Elle fait peur. Elle me fait peur. La poésie parvient à pénétrer le tissu secret de la vie avec de simples vocables. Ce qui est une putain de skillz. Elle en impose dans sa toge légendaire tressée de tous les jolis mots que compte notre langue. C’est bien simple, mon traitement de texte ose à peine la regarder. Et pourtant, je le sais, comme toutes les grandes dames elle aime aussi les levrettes véhémentes et les Snapchat salaces. Elle en a marre d’être vénérée dans sa tour d’ivoire où les passants la prennent en photo sans lui parler. Elle veut témoigner de la délicatesse baudelairienne, de la virulence de Booba, de la fidélité du quotidien. Alors, je lui parle… Et même si Victor Hugo a « disloqué ce grand niais d’alexandrin », j’ai décidé en toute solennité d’appeler ce bon vieux Alex pour versifier un sujet sensible et rebondi. Ici, les deux hémistiches sont des fesses et la césure une ficelle de string Calzedonia.
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Texte de Bardamu, Illustration de Lazy Youg
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