Zoom Japon 143

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Eric Rechsteiner pour Zoom Japon

ZOOM ACTU

ÉDITO Expérience

Pour cette rentrée 2024, Zoom Japon vous propose une expérience avec deux numéros consécutifs qui vont être consacrés à la même thématique, à savoir la relation entre le Japon et Taïwan. Le premier que vous tenez entre les mains a pour ambition d’évaluer ces rapports du point de vue japonais, tandis que le numéro d'octobre aura pour vocation de le faire à partir du point de vue taïwanais. Il nous a semblé important d’aborder cette question en raison à la fois des liens historiques qui unissent les deux peuples et du contexte géopolitique actuel où le dossier taïwanais domine les débats japonais en matière de sécurité. A travers le regard de spécialistes, d’artistes, nous vous invitons à participer à cette expérience éditoriale.

La rédaction courrier@zoomjapon.info

-18,8 %

Bien que Taïwan soit le deuxième marché d’exportations pour le Japon et que celui-ci soit le quatrième marché pour Taïwan, les importations taïwanaises en provenance de l’archipel ont chuté de 18,8 % en 2023, à 44,3 milliards de dollars. Les exportations taïwanaises vers le Japon ont aussi baissé de 6,5 %, à 31,4 milliards de dollars.

L E REGARD D’ERIC RECHSTEINER

Au cœur de Tôkyô, dans l’arrondissement de Shibuya, le sanctuaire Meiji, dédié aux âmes divines de l’empereur Meiji qui a régné jusqu’en 1912, est un lieu très fréquenté, mais peu de personnes savent que l’immense torii en bois marquant l’entrée dans le périmètre sacré est construit avec du cyprès vieux de 1500 ans venus du mont Tandai, à Taïwan. L’actuel torii date de 1975. Il a été reconstruit à l’identique de celui de 1920, date à laquelle le sanctuaire a été inauguré. Pendant la période de colonisation, les forêts taïwanaises ont été largement mises en valeur par les Japonais.

ECONOMIE Si la Chine s’en prenait à Taïwan…

En cas d’une crise grave dans le détroit de Taïwan, le PIB du Japon pourrait s’effondrer de 15 %. Cette baisse serait plus importante que celle de la récente crise sanitaire, lorsque la croissance du Japon, des Etats-Unis et de l’Europe a baissé d’un peu plus de 5 %. Elle dépasserait les baisses enregistrées au cours de la Première et de la Seconde Guerres mondiales.

TOURISME Taïwan a la cote auprès des Japonais

Selon un sondage réalisé au Japon par le média taïwanais ETtoday, Taïwan arrivait cet été en deuxième position sur les intentions de voyage des personnes interrogées. Les raisons invoquées sont sa proximité avec le Japon, qui n’est qu’à trois heures de vol, sa cuisine gastronomique et ses paysages naturels, l’amitié entre le Japon et Taïwan, la sécurité et la commodité des chemins de fer.

Eric Rechsteiner pour Zoom Japon

Ces dernières années, les Japonais sont tombés sous le charme de

Le Japon au miroir de Taïwan

A mesure que la menace chinoise se fait sentir, les Japonais se rapprochent de Taïwan. Mais pour combien de temps ?

Jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et les cinquante années de colonisation de Taïwan par le Japon, l’intérêt des Japonais pour leur ancien territoire n’a jamais été aussi élevé. Cette réalité se vérifie dans les sondages d’opinion comme celui réalisé, fin 2023, pour le compte du Bureau de représentation économique et culturelle de Taïwan au Japon. Les résultats de l’enquête ont montré que 76,6 % des personnes interrogées se sentent proches de Taïwan, 65 % estiment que Taïwan est digne de confiance et 72,8 % pensent que les relations actuelles entre Taïwan et le Japon sont bonnes. Comparés aux 68,4 % de Japonais qui estiment que les relations entre le Japon et la Chine sont “mauvaises” ou “plutôt mauvaises”, d’après une étude réalisée par la NHK Ces chiffres soulignent à quel point leur ancienne

colonie bénéficie d’une cote de popularité très élevée dans un contexte où le voisin chinois est perçu comme une menace. Il est vrai que cela n’a pas toujours été vrai et que la détérioration de l’image de la Chine ces dernières années a profité à Taïwan au point qu’aujourd’hui les dirigeants politiques japonais font de la sécurité de Taïwan un élément fondamental de la défense de leur propre pays. Dans le document de la Stratégie de sécurité nationale publié en 2022, il est notamment stipulé que “Taïwan est un partenaire extrêmement important et un ami précieux du Japon, avec lequel le Japon partage des valeurs fondamentales... La paix et la stabilité à travers le détroit de Taïwan sont des éléments indispensables à la sécurité et à la prospérité de la communauté internationale...” Tôkyô attache donc une grande importance à ses relations avec Taipei. Les médias japonais ne manquent pas non plus de rapporter les diverses actions menées par l’armée chinoise autour de Taïwan et de rappeler la proximité géographique avec Taïwan puisqu’il n’y a qu’une

centaine de kilomètres de distance entre le territoire taïwanais et la première île japonaise au sud d’Okinawa. Dès lors, en cas d’intervention chinoise, le Japon se sentirait lui-même menacé. Dans le même texte de 2022, il était également indiqué que “la Chine cherche à créer un fait accompli où l’armée chinoise opère en permanence et améliore ses capacités de combat réelles. En outre, la Chine a lancé neuf missiles balistiques le 4 août 2022, dont cinq ont atterri dans la zone économique exclusive (ZEE) du Japon. Cela a été perçu comme une menace pour les résidents locaux.” Pour bien comprendre pourquoi Taïwan est essentiel à la sécurité du Japon, il est important de comprendre le rôle de la géographie dans la définition de ses intérêts stratégiques fondamentaux. Taïwan se trouve au cœur des détroits de Taïwan et de Luçon, deux lignes de communication maritimes stratégiques dont le Japon dépend pour sa subsistance économique et, par extension, pour sa survie. Le Japon est l’un des pays qui consomment le plus d’énergie au monde. En 2022, le Japon dépendait des importations

certains produits taïwanais.

pour 97 % de sa production d’énergie, principalement du pétrole brut et du gaz naturel liquéfié (GNL). La même année, le Japon a dépassé la Chine pour devenir le premier importateur mondial de GNL, malgré une baisse de 3 % des importations d’énergie. Il est important de noter que 90 % des importations d’énergie du Japon proviennent du Moyen-Orient et sont transportées par voie maritime, dont 80 % passent par le détroit de Taïwan. Ces chiffres soulignent qu’il est primordial pour Tôkyô de garantir un accès libre et sans entrave à ces ressources stratégiques vitales. C’est ce qui explique pourquoi les autorités japonaises ont fait du principe de “l’espace Indopacifique libre et ouvert” (Free and Open Indo-Pacific, FOIP) un des fondements de leur politique étrangère qu’ils défendent en toutes occasions et qui motive la plupart de leurs récents accords de sécurité.

Depuis que Tôkyô a reconnu Pékin comme représentant unique de la Chine en 1972, il n’entretient plus de relations diplomatiques avec Taipei, ce qui explique aussi sa prudence en matière d’engagement militaire vis-à-vis de Taïwan. Pourtant, quand ils ne sont plus au pouvoir, les anciens dirigeants japonais ne cachent pas leur attachement à la sécurité de Taïwan. Ce fut le cas de feu le Premier ministre Abe Shinzô qui a déclaré en 2021 que le Japon et les Etats-Unis ne pourraient pas rester les bras croisés si la Chine attaquait Taïwan. “Une situation d’urgence à Taïwan est une situation d’urgence au Japon et donc une situation d’urgence pour l’alliance américano-japonaise”, a-t-il affirmé. En 2023, un autre ancien Premier ministre Asô Tarô a estimé que le Japon devrait “être le tout premier” à montrer qu’il disposait de capacités de défense de Taïwan. Même si les Japonais sont de plus en plus sensibilisés aux questions de défense en raison de la montée des tensions internationales, leur intérêt à l’égard de Taïwan est aussi motivé par les valeurs communes que les deux pays partagent, en particulier les valeurs démocratiques sur lesquelles les responsables politiques insistent beaucoup pour justifier leurs prises de position que certains pourraient juger belliqueuses visà-vis de la Chine et plus récemment de la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine. Japonais et Taïwanais sont sur la même longueur d’onde en la matière et cultivent les échanges politiques sur cette base en opposition à l’autoritarisme en place du côté de Pékin. Aussi lorsque les Chinois prennent des mesures destinées à affaiblir Taïwan, le Japon tente de contrebalancer les effets négatifs comme, en 2021, lorsque la Chine a suspendu les importations d’ananas taïwanais et que Tôkyô a répondu en achetant les cargaisons de ces fruits.

Après le puissant tremblement de terre qui a frappé la côte orientale de Taïwan, notamment

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la ville de Hualien en avril 2024, les autorités locales et les citoyens japonais ont organisé des campagnes de collecte de fonds en souvenir de la mobilisation taïwanaise au moment du séisme et du tsunami du 11 mars 2011 (voir Zoom Japon n°9, avril 2011). Hualien ayant ensuite souffert d’une baisse du tourisme, les représentants japonais à Taïwan ont encouragé les Japonais expatriés sur l’île à visiter la ville. La volonté manifeste des Japonais de se rapprocher des Taïwanais est largement motivée par

des facteurs récents plus que par leur histoire commune dont ils ne mesurent pas toute la portée. C’est ce qui les distingue des Taïwanais beaucoup plus sensibles à ce sujet. Aujourd’hui, Taïwan apparaît davantage comme une mode que comme une tendance importante pour bon nombre de Japonais. Ces derniers n’ont sans doute pas pris toute la mesure de l’enjeu que représente Taïwan pour leur avenir même si plus de trois quarts d’entre eux s’en sentent proches.

Odaira Namihei

Publicité des années 1930 en faveur de la bière japonaise Takasago produite à Taïwan.
Odaira Namihei pour Zoom Japon

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HISTOIRE Pourrait tellement mieux faire

Bien que les Japonais expriment leur appréciation de Taïwan, ils connaissent encore très mal leur voisin du sud.

Quelles sont les racines de la longue relation entre le Japon et Taïwan ? Et comment le regard des Japonais sur Taïwan a-t-il évolué au fil du temps ? Zoom Japon s’est entretenu avec deux experts japonais Hirai Kensuke et Kawashima Shin. Le premier, professeur à la faculté d’économie de l’université de Kônan, à Kôbe, est spécialiste de l’époque coloniale. Il a fait paraître, en juin, aux éditions de l’université de Nagoya, Nihon tôchika no Taiwan – Kaihatsu, Shokuminchishugi, Shutaisei [Taïwan sous domination japonaise : développement, colonialisme et subjectivité]. Le second, professeur au département des sciences sociales internationales de l’université de Tôkyô, connaît bien les relations internationales contemporaines et a coécrit Reisen-go no Nihon gaikô [La diplomatie japonaise après la guerre froide] également paru en juin chez Shinchôsha. Ils nous proposent une analyse des rapports nippo-taïwanais au regard de leurs spécialités.

Quel rôle Taïwan a-t-elle joué dans les ambitions impériales du Japon ?

Hirai Kensuke : Pour le Japon de l’ère Meiji (1868-1912), avoir une colonie était considéré comme le symbole d’une nation de premier ordre, et il a donc suivi l’exemple de l’impérialisme européen. Or, il y avait deux façons d’y parvenir, soit en allant vers le nord, soit en allant vers le sud. Evidemment, les Japonais ne pouvaient pas toucher aux territoires sous contrôle européen en Asie, sous peine de déclencher une guerre. Il ne restait donc plus que la Corée et Taïwan pour satisfaire leurs ambitions impériales.

Il n’y avait pas vraiment d’opinion unifiée au sein du gouvernement sur la direction à suivre. Puis, après avoir remporté la guerre sino-japonaise (1894-95), le Japon a pu prendre le contrôle de Taïwan. En ce sens, on peut dire que ce territoire a été la première pièce essentielle de l’empire colonial japonais.

D’autre part, au début du XXe siècle, l’expansion outre-mer du Japon s’est rapidement tournée vers le nord, en direction de la Corée et de la Mandchourie, de sorte que le rôle de Taïwan s’est rapidement réduit. Certes, il y a eu un moment, en 1900, où le Japon a tenté de s’étendre de Taïwan à la province chinoise de Fujian,

mais il s’est immédiatement heurté à l’opposition de la Grande-Bretagne. A l’époque, les ambitions impérialistes japonaises nécessitaient l’accord préalable des puissances occidentales, à savoir la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, la Russie et les Etats-Unis. Comme il n’était pas possible de s’étendre en Chine, le rôle de Taïwan a perdu pratiquement tout intérêt à ce moment-là au profit de la Corée et de la Mandchourie (voir Zoom Japon n°120, mai 2022) ont pris de l’importance. Enfin, à la fin des années 1930, lorsque le Japon est entré dans la Seconde Guerre mondiale, on assiste à une nouvelle poussée vers le sud, mais cette fois, Taïwan n’a pas été en mesure de jouer un rôle de premier plan ; c’est la marine japonaise, le ministère des Affaires étrangères et d’autres intérêts basés au Japon qui ont pris les devants, le bureau du gouvernement général de Taïwan étant relégué à une position secondaire et se contentant de faire ce qu’on lui disait depuis Tôkyô.

Au niveau de l’administration de Taïwan, il semblait y avoir une grande rivalité entre le ministère des Affaires étrangères, l’armée et l’administration coloniale.

H. K. : Le gouvernement général de Taipei a toujours voulu jouer un rôle de premier plan dans l’expansion du Japon vers le sud. Cependant, le ministère des Affaires étrangères était chargé des relations extérieures du Japon et ne

souhaitait pas que cette entité soit impliquée. A l’époque, le gouverneur général était compétent pour Taïwan et ses environs. Cependant, le ministère des Affaires étrangères considérait son implication dans l’expansion vers le sud comme un excès d’autorité et a pris plusieurs mesures pour l’empêcher d’agir.

Le ministère des Affaires étrangères n’aimait pas non plus les militaires. Il souhaitait promouvoir les relations extérieures du Japon de manière pacifique et, surtout, éviter de se battre contre l’une des grandes puissances occidentales qui exerçaient une grande influence en Asie, en particulier la Grande-Bretagne, l’Amérique et la France. L’armée, cependant, était prête à utiliser la force en cas de besoin. On peut dire que les forces armées appuyaient sur l’accélérateur tandis que les diplomates tentaient de freiner. Les militaires, pour leur part, ne se souciaient pas de ce que pouvait faire le bureau du gouverneur de Taïwan tant qu’il n’interférait pas avec leurs plans. A cet égard, ils l’ont traité comme un partenaire secondaire.

A la différence des autres colonies, où la plupart du personnel était Japonais, de nombreux Taïwanais étaient employés dans l’administration de Taïwan. Pourquoi en est-il ainsi et quelles en ont été les conséquences ? H. K. : Pas vraiment. D’une manière générale, comparé au gouvernement général de Corée, le gouvernement général de Taïwan n’employait pas beaucoup de Taïwanais. Toutes les administrations coloniales ont tendance à employer des locaux parce qu’ils peuvent servir de médiateurs entre les autorités coloniales et la population. Une autre raison importante est l’argent, car leurs salaires étaient inférieurs à ceux des Japonais. Dans toute organisation, le coût de la main-d’œuvre est très élevé, de sorte que le pouvoir colonial voulait éviter de dépenser autant que possible. Dans ce cas, il était moins coûteux de confier le même travail à des Taïwanais ou à des Coréens que d’engager des Japonais. Selon les recherches actuelles, leur salaire se situait entre la moitié et 60 % de celui d’un Japonais. Il convient également de noter que les bureaucrates taïwanais, plus encore que les Coréens, étaient de rang très bas et ne pouvaient pas espérer progresser socialement. Par exemple, même s’ils étudiaient dur et étaient diplômés d’une bonne école, ils n’étaient pas traités de la même manière que les Japonais, de sorte que les intellectuels taïwanais et l’élite visaient plutôt à devenir avocats ou médecins.

Le dernier livre de Hirai Kensuke paru en juin 2024.

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Dans quelle mesure la résistance contre le gouvernement colonial a-t-elle joué un rôle dans les relations entre le Japon et Taïwan ?

H. K. : Dans les années 1920, les élites intellectuelles taïwanaises ont lancé un mouvement visant à créer un parlement local à Taïwan, mais bien sûr, les Japonais n’ont jamais donné leur accord. Cependant, même avant cela, le premier cas de résistance contre le gouvernement colonial s’est produit en 1895 lorsque Taïwan a été annexé au Japon après la guerre sinojaponaise. Choqués, les habitants de l’île n’ont pas pu accepter ce changement soudain de régime, et beaucoup ont lancé un puissant mouvement de résistance. Ils ont pris les armes mais ont été rapidement vaincus. Le soulèvement a été impitoyablement réprimé et de nombreuses personnes ont été tuées. Les autorités coloniales se sont attaquées aux élites locales et quelque 14 000 personnes ont été éliminées entre 1895 et 1896. Beaucoup d’autres ont perdu la vie par la suite, si bien que dans les dix ans qui ont suivi la prise de contrôle de Taïwan, le Japon a probablement tué environ 30 000 personnes. Si l’on considère que la population de Taïwan à l’époque était de trois

millions d’habitants, environ 1 % de la popula tion totale a été supprimée, ce qui est un chiffre considérable. Très peu de Japonais connaissent l’histoire que je viens de vous raconter. La plupart d’entre eux savent que Taïwan est passé sous administration japonaise par le traité de Shimonoseki, mais ils pensent probablement qu’il s’agissait d’un changement de régime très pacifique, sans effusion de sang, et que Taïwan a été gouverné de manière juste et légale. Ils ne connaissent pas la vérité. Si l’on compare avec l’ère du Kuomintang [venu de Chine continentale], après la Seconde Guerre mondiale, le régime de Chiang Kai-shek a tué plus ou moins le même nombre de personnes, bien qu’à ce moment-là la population taïwanaise ait doublé pour atteindre environ six millions de personnes. En fin de compte, lorsqu’un nouveau gouvernement arrive au pouvoir, la première chose qu’il fait est de se débarrasser de l’opposition la plus dangereuse, comme les intellectuels et les activistes. C’est une chose que je souligne toujours lorsque des Taïwanais plus âgés louent le Japon pour sa générosité à leur égard. Bien sûr, le Kuomintang a fait des choses terribles, mais le Japon a

aussi tué de nombreux Taïwanais en 1895 et a fait d’autres choses horribles. Et s’il est vrai que le Bureau du gouverneur de Taïwan a contribué à la croissance de l’économie taïwanaise, le Kuomintang a fait la même chose, voire plus. La question n’est donc pas de savoir qui est le meilleur ou le pire.

Pensez-vous que la politique d’assimilation menée par le Japon à Taïwan diffère quelque peu des politiques similaires menées dans d’autres pays asiatiques, et qu’elle a affecté leurs relations d’après-guerre ?

Kawashima Shin : Tout d’abord, je ne parlerais pas d’“assimilation”. Le Japon a assimilé les Aïnous à Hokkaidô et, dans une moindre mesure, à Okinawa, mais pas ses colonies. En outre, si l’on considère la domination coloniale, ce que le Japon a fait à Taïwan n’est pas si différent de ce qu’il a fait en Corée. Par exemple, dans les colonies, il n’y avait pas de système de conscription (il n’a été introduit en Corée qu’en 1944 et à Taïwan qu’en 1945). Inversement, les habitants n’avaient pas le droit de participer à la vie politique. En d’autres termes, les habitants des colonies avaient moins

Dernier aperçu de la Porte ouest (Porte Baocheng) à Taipei avant sa démolition, en 1900. DR

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de droits et d’obligations que les citoyens japonais. A cet égard, la Corée et Taïwan ont été traités de la même manière.

Une différence majeure entre les deux pays est que le Japon a annexé Taïwan en 1895, mais que les Taïwanais n’ont pas développé une forte identité “taïwanaise” avant les années 1920. Certes, même à Taïwan, il y a eu un mouvement de résistance illustré, par exemple, par l’incident de Wushe en 1930 (ensemble de rébellions et massacres punitifs qui opposèrent les aborigènes de Taïwan aux Japonais).

Cependant, la Corée était déjà bien établie en tant que nation lorsqu’elle a été intégrée à l’empire japonais, de sorte que la perte de son indépendance a été beaucoup plus douloureuse. Les gens furent dévastés.

Une autre différence cruciale est ce qui s’est passé pendant le processus de décolonisation après la fin de la Seconde Guerre mondiale. La péninsule coréenne a été divisée en deux pays, bien sûr, mais les Coréens ont tout de même réussi à créer deux nations distinctes. Bien sûr, la Corée du Nord et la Corée du Sud sont nées sous l’influence respective de l’Union soviétique et des Etats-Unis, mais elles ont atteint une certaine forme d’indépendance grâce à leurs propres efforts.

Toutefois, dans le cas de Taïwan, Chiang Kaishek et ses hommes sont arrivés du continent et le pays est tombé sous la coupe d’un nouveau régime, le Kuomintang chinois, privant les Taïwanais d’une chance de se décoloniser et d’obtenir une véritable indépendance en tant que Taïwanais. Le régime de Chiang Kai-shek a imposé la loi martiale à Taïwan, supprimé la liberté et tenté par de nombreux moyens de transformer les habitants en Chinois. Son approche autoritaire et descendante a rendu la situation encore pire que sous les Japonais. Par exemple, lors de l’incident du 28 février 1947, quelque 25 000 à 30 000 Taïwanais appartenant aux élites locales ont été tués, puis la "Terreur blanche" est arrivée, rendant la vie des gens encore plus misérable.

Comment la perception de Taïwan par les Japonais a-t-elle évolué au fil du temps ? K. S. : La raison pour laquelle les Japonais apprécient aujourd’hui Taïwan est une question de valeurs partagées et est également liée aux relations du Japon avec la République populaire de Chine. Plusieurs questions sont en jeu, mais il faut souligner que la façon dont ces deux pays se perçoivent l’un l’autre n’est pas si simple. Par exemple, dans les années 1980, plus de 70 % des Japonais appréciaient la Chine. C’était il y a environ 40 ans, lorsque j’étais enfant. Le Japon et la Chine étaient alors très amicaux. Au contraire, beaucoup de gens n’aimaient

pas ou n’étaient pas très intéressés par Taïwan, en particulier les intellectuels, car la plupart d’entre eux étaient marxistes. Puis le vent a tourné au milieu des années 1990. Après la fin de la guerre froide, des régimes démocratiques ont été instaurés dans de nombreux anciens pays communistes, mais la Chine a pris la direction opposée. Lors de l’incident de la place Tiananmen en 1989, le mouvement pro-démocratique a été violemment réprimé par l’Armée populaire de libération. Ce massacre est devenu le symbole de la position anti-démocratique de la Chine.

Taïwan, à cet égard, était plus proche des valeurs du peuple japonais, ce qui a entraîné un changement d’attitude à l’égard de ce pays. Lee Teng-hui, un libéral, est arrivé au pouvoir en 1988 et a lentement réussi à conduire Taïwan vers la démocratie jusqu’à ce qu’il devienne, en 1996, le premier président élu par le peuple. Au même moment, en réponse à la déclaration Murayama de 1995 (du nom du Premier ministre de l’époque, Murayama Tomiichi) dans laquelle le Japon s’excusait auprès de la Chine pour son agression et son passé colonial, le président Lee Teng-hui a déclaré qu’il n’y avait rien de mal à ce que des hommes politiques japonais visitent le sanctuaire Yasukuni, qui commémore les personnes mortes au service de l’armée japonaise depuis l’ère Meiji. Lee a lui-même visité le sanctuaire en 2007 parce que son frère s’y trouvait.

Puis, en mars 1996, la Chine a procédé à une série d’essais de missiles dans les eaux entourant Taïwan, ce qui a conduit à la troisième crise du détroit de Taïwan, rendant les Taïwanais de plus en plus conscients de la menace chinoise et de l’expansion rapide de sa puissance militaire, et conduisant à un nouveau rapprochement avec le Japon.

Sentant que les Japonais se détournaient de la Chine, l’administration Lee a procédé à diverses manœuvres pour renforcer les échanges amicaux entre Taïwan et le Japon. Par exemple, elle a invité le romancier Shiba Ryôtarô et le dessinateur de mangas Kobayashi Yoshinori, dont les œuvres sur Taïwan sont populaires auprès des Taïwanais. Mais dans l’esprit de beaucoup, le facteur décisif a été le séisme du 11 mars 2011 (voir Zoom Japon n°9, avril 2011), lorsque le peuple taïwanais a fait don de plus de 25 milliards de yens aux victimes de la triple catastrophe. Les Etats-Unis avaient en fait apporté un soutien bien plus important, mais le fait que l’aide de Taïwan provienne de dons privés a fait une impression plus durable sur les Japonais.

Depuis 2011, les choses ont changé et se sont rapidement améliorées, même au niveau gouvernemental, avec une série d’accords bila -

téraux et de mémorandums sur les investissements, la pêche, la fiscalité, l’aérien et les congés de travail. Dans le même temps, les relations du Japon avec la Chine sont devenues difficiles, en particulier depuis 2005-2006. En 2005, des manifestations antijaponaises en Chine ont amené plus de 80 % des Japonais à déclarer leur aversion pour la Chine. Aujourd’hui, les Japonais et les Taïwanais ont plus de choses en commun. Les jeunes générations, en particulier, lisent les mêmes mangas, regardent les mêmes films, jouent aux mêmes jeux et portent des vêtements similaires. Au Japon, de nombreux étudiants partent en voyage scolaire à l’étranger avant d’obtenir leur diplôme, et Taïwan est devenu l’une de leurs destinations favorites. Cela multiplie les occasions de se rencontrer et de mieux se connaître. C’est une bonne chose, car la société taïwanaise est en avance sur le Japon à bien des égards. Elle est plus libérale et plus ouverte aux minorités, y compris aux questions LGBTQ. Le Japon a beaucoup à apprendre de Taïwan. Par ailleurs, au Japon, on n’enseigne toujours pas correctement ce qu’est Taïwan et la longue relation qu’elle entretient avec le Japon. Même dans les universités nationales, il y a probablement des centaines de postes pour les études chinoises, mais pas un seul pour les études taïwanaises. Ce manque de compréhension pourrait poser un problème à l’avenir. Après tout, même aujourd’hui, le Japon et Taïwan n’ont pas d’échanges diplomatiques formels et notre connaissance mutuelle se limite souvent aux visites touristiques, à la nourriture, aux jeux, à la musique, etc. Par ailleurs, les connaissances communes en matière de politique, de diplomatie, d’économie et de sécurité sont faibles. Par conséquent, même si nous semblons nous apprécier aujourd’hui, il est difficile de dire si nous nous connaissons bien. C’est pourquoi il est important d’approfondir notre compréhension mutuelle tant que nos relations sont bonnes. Si nous ne le faisons pas, il est possible qu’à l’avenir, les gens commencent à faire des suppositions non fondées. Nous devons tous deux être prudents, car même les relations amicales ne le restent pas éternellement. Dans le même ordre d’idées, certains Japonais pensent qu’ils doivent choisir entre la Chine et Taïwan. Il s’agit d’une mentalité plutôt démodée, influencée par la guerre froide, mais la vérité est que les relations entre les deux rives du détroit ont beaucoup évolué et que le Japon lui-même entretient des liens étroits avec les deux pays. Une chose est sûre : nous ne pouvons pas faire autrement que de traiter avec la Chine et nous devons garder Taïwan comme un ami proche.

PrOPOs recueillis Par GiaNNi simONe

DESTIN Le double regard de Wen Yûjû

Pour la romancière taïwanaise qui vit à Tôkyô et écrit en japonais, le Japon a encore beaucoup d'efforts à faire.

Née en 1980, à Taipei, de parents taïwanais, Wen Yûjû est arrivée à l’âge de 3 ans au Japon. Depuis, elle y vit et y écrit. En 2009, elle a publié son premier roman, Kôkyokôraika, titre inspiré d’un poème du Man’yôshû, l’anthologie de poésie japonaise du VIIIe siècle. Souvent primés, ses romans et essais sont directement inspirés de sa biographie et traitent de questions identitaires. Zoom Japon l’a rencontrée au Salon des Livres du BCF à Tôkyô.

“J’écris en japonais pour une raison bien simple : je ne pourrais pas écrire dans une autre langue”. C’est ainsi que commence votre dernier ouvrage, paru en février 2023.

Wen Yûjû : Depuis l’école primaire, je lis et écris en japonais, j’ai fait corps avec cette langue, comme une évidence, sans m’en rendre compte.

Votre nom de plume est Wen Yûjû.

W. Y. : Au Japon, on m’appelle On Yûjû. A Taiwan, Wen Yôrô. Les mêmes idéogrammes prononcés différemment en japonais et en chinois. J’ai navigué entre ces deux noms, et, quand j’ai commencé à écrire, j’ai retenu Wen, lecture chinoise de mon nom de famille et Yûjû, lecture japonaise de mon prénom. Choisir l’un de mes deux noms me dérangeait. Cet enchevêtrement symbolise ce que je suis : ni purement et simplement japonaise ni taïwanaise. Japonais et Taïwanais, “nous nous ressemblons mais nous sommes différents”. C’est dans ce contexte que j’ai été élevée. On a tout fait pour que nous soyons “comme les Japonais” en nous disant en même temps “vous êtes différents”. C’est une situation qui crée un conflit intérieur et que je traite dans mes romans.

Un de vos livres a pour titre Watashi no mono dewanai kuni de (Dans un pays qui n’est pas le mien, Chûôkôron shinsha, 2023).

W. Y. : Je suis un peu intimidée d’en parler dans une interview pour un magazine français (rires)… Comme un certain nombre d’universitaires japonais, j’ai été influencée par Derrida, cette expression vient de lui : “Je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne”. Etudiante, cette phrase m’a beaucoup touchée. J’utilise l’idée pour parler d’un pays dont l’atmosphère générale n’autorise pas quelqu’un comme moi à dire que le Japon est son pays. Aux Japonais qui me

lisent et qui vivent tranquillement à l’intérieur du cadre qu’est l’Etat-Nation japonais je propose de réfléchir ensemble à ce qu’est ce cadre.

Quelles études avez-vous suivies ?

W. Y. : Une scolarité japonaise depuis le primaire puis des études de “Culture internationale” à l’université Hôsei. J’ai étudié la littérature japonaise : avec l’écrivain et critique littéraire Kawamura Minato, des romans de l’époque coloniale écrits en japonais, avec l’auteur améri-

cain de langue japonaise Hideo Levy, des textes d’auteurs comme Tawada Yôko qui écrit en japonais et en allemand. Depuis l’enfance, j’aimais écrire, imaginer des histoires et, étudiante, j’ai peu à peu trouvé ma voie. Je m’intéresse toujours à des personnages ballottés, en suspens, entre plusieurs cultures. Marguerite Duras ou des auteurs américains issus de l’immigration, me touchent. La façon dont ces auteurs, qui ressentent un décalage avec leur “pays hôte”, considèrent la famille par exemple, m’intéresse beaucoup.

Wen Yûjû dit avoir été influencée par le philosophe français Jacques Derrida.
Eric Rechsteiner pour Zoom Japon

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Quel est votre principal lectorat ?

W. Y. : Au début, surtout des personnes d’origine étrangère vivant au Japon, Taïwanais, Coréens, mais maintenant beaucoup de Japonais également qui se posent des questions quant aux normes sociales qui les contraignent, ou qui vivent à l’étranger et y élèvent leurs enfants. A Taïwan, quand mon premier livre est paru, les Taïwanais ont semble-t-il été surpris de découvrir la situation que pouvaient connaître au Japon leurs concitoyens expatriés, un peu “égarés”.

Comment s’est passée votre intégration au Japon ?

W. Y. : Mes parents sont arrivés au Japon pour le travail de mon père. Lorsqu’il a davantage passé de temps à Taïwan et en Chine, nous aurions

éventuellement pu retourner à Taipei, mais mes parents ont pensé que ce serait encore un effort de repartir de zéro à Taïwan, surtout pour moi et ma sœur. J’avais environ 10 ans, ma sœur était née à Tôkyô. Et puis mes parents se sentaient bien au Japon… Mes grands-parents maternels avaient connu l’occupation japonaise, mais avaient plutôt une bonne opinion du Japon et quand ma mère y est partie, pour eux elle “allait dans un bon endroit” et ils l’ont plutôt encouragée, ils se disaient que c’était bien que nous restions au Japon et allions les voir de temps en temps.

Avez-vous envisagé de prendre la nationalité japonaise ?

W. Y. : Je préfère conserver cet état de distorsion entre nationalité, langue et culture. Si je

n’étais pas romancière, ce serait peut-être différent. Mais sans nationalité japonaise, sans droit de vote au Japon, dans “ce pays qui n’est pas le mien”, je peux traiter librement et avec une certaine légitimité des questions identitaires. J’ai le sentiment que c’est mon rôle, que c’est ce que je peux faire de mieux, que je toucherai davantage de gens qu’avec un droit de vote qui me permettrait de donner une seule voie supplémentaire à un politicien.

Que représente Taïwan pour vous ?

W. Y. : Enfant, je ne faisais pas vraiment la différence entre Japon et Taïwan. M’y rendre l’hiver et l’été, c’était aller là où étaient mes grands-parents, oncles et tantes. Aujourd’hui, je constate souvent que, au cours de ces 30 dernières années, les deux pays ont évolué assez différemment. Certaines choses évidentes pour les Japonais, auxquelles ils ne pensent donc pas sont pour les Taïwanais des choses auxquelles ils sont réellement attachés, et qu’ils sont prêts à défendre : la démocratie, la liberté en particulier. Les Japonais pensent peu au devenir de leur pays, ils peuvent le laisser se dégrader sans intervenir. A Taïwan, beaucoup de jeunes, d’universitaires, considèrent qu’ils doivent être actifs pour que leur territoire ne soit pas avalé par la Chine. Au Japon, les gens sont peu intéressés par la politique et se sentent loin du monde des politiciens, mais, à Taïwan, les citoyens peuvent élire directement leurs dirigeants. Les débats, voire disputes, autour de la politique sont aussi le signe d’une certaine liberté acquise en 1987 avec la levée de la loi martiale, c’est donc une situation relativement récente et les Taïwanais en sentent l’importance bien plus clairement que les Japonais. Quand Audrey Tang, une femme sans bagage universitaire particulier, mais très intelligente et avec une riche expérience d’entrepreneuse, qui avait changé de genre [née homme, elle a effectué sa transition en 2005, à l’âge de 24 ans] a été nommée ministre chargée du Numérique dans le gouvernement de Lin Chuan, j’ai été très envieuse de la situation taïwanaise. Je me suis dit que le gouvernement japonais était bien loin de choisir une personne comme elle, malgré toutes ses capacités !

Comment les Taïwanais sont-ils considérés au Japon ?

W. Y. : Les Taïwanais, parce qu’asiatiques, ne sont pas “accueillis” comme les Occidentaux. Toutefois, par rapport aux Coréens ou Chinois, ils font plutôt partie des étrangers relativement bien acceptés, parce qu’ils semblent exprimer moins de ressentiment envers les Japonais. Ils ne sont pas pour autant considérés comme des égaux. De la même manière que beaucoup de Japonais admirent et se sentent attirés par la

La romancière note que la société taïwanaise est plus combative que celle du Japon.
Eric Rechsteiner pour Zoom Japon

France par exemple, beaucoup trouvent évident que les Taïwanais apprécient le Japon, il est comme “naturel” qu’ils admirent le Japon.

Est-ce que le regard porté sur Taïwan a changé depuis votre enfance par exemple ?

W. Y. : Oui. Quand j’étais à l’école dans les années 1980-1990 aucun camarade ne savait où se trouvait Taïwan. Alors que quelques décennies plus tôt aucun Japonais n’ignorait cette colonie japonaise. Comme leurs parents ne disaient généralement rien aux enfants à propos de l’époque coloniale, les Japonais de ma génération avaient fini par ne même plus savoir où se situait Taïwan ! Alors que les Taïwanais savaient beaucoup de choses sur le Japon. Vers la fin des années 1990-début 2000, tout à coup l’existence de Taïwan s’est révélée aux Japonais, mais pour de “mauvaises raisons” : le manga de Kobayashi Yoshinori, Taiwan-ron [Sur Taïwan, Shôgakukan, 2000], dans lequel il vante les mérites de la colonisation de Taïwan par le Japon, a répandu l’idée que, parmi les anciens colonisés, Taïwan était un pays qui admirait et respectait le Japon, qui “avait aimé l’occupant” ! Soudain les Japonais ont redécouvert Taïwan et en plus

se sont sentis aimés par ce pays ! Aujourd’hui, vingt ans plus tard, Taïwan apparaît plus proche du Japon, on peut s’y rendre facilement, en un peu plus de trois heures d’avion, mais c’est encore surtout une destination touristique. Sur divers points Taïwan me semble plus dynamique que le Japon. Par exemple sa réaction face à la pandémie, qui a été vantée dans le monde entier, a été plus rapide et sensée que celle du Japon. De la même manière, lors du dernier tremblement de terre en avril, les secours ont été rapidement organisés et certains critiques japonais les ont même comparés à la lenteur des interventions dans la Péninsule de Noto (voir Zoom Japon n°139, avril 2024) après le séisme du 1er janvier…

Les Japonais ont-ils du mal à reconnaître que “l’élève peut dépasser le maître” ?

W. Y. : Autour des moi, des amis regrettent que le Japon “fasse moins bien” que Taïwan. Cela vient du fait que le Japon pense toujours être un modèle pour Taïwan. Est-ce qu’une relation plus équilibrée deviendra possible ? Pour quelqu’un comme moi, sentir d’un côté une sorte d’arrogance et de l’autre une sorte de ser-

vilité a toujours été pénible. L’histoire a installé l’idée selon laquelle les Japonais sont au-dessus des autres peuples asiatiques et ce sentiment imprègne encore fortement l’inconscient japonais. Mon impression est que les Japonais, au fond, ne veulent pas réviser cette image obstinée de ce qu’est “être japonais”. En même temps, le nombre encore limité de personnes “entre deux cultures” fait qu’ils ont peu d’occasions de questionner cette mentalité.

Cela n’évolue pas ?

W. Y. : Dans les années 1990, certains intellectuels tels Imafuku Ryûta (anthropologie culturelle) par exemple, ont défendu l’idée qu’il n’y a pas que l’Occident qui peut servir de modèle, qu’on peut apprendre de l’Amérique du sud ou centrale, de l’Asie, de l’Afrique, mais la tendance générale dominante me semble malgré tout avoir peu évolué. Par manque d’intégration de ces influences, le Japon est menacé par un risque de rétrécissement sur soi.

C’est pourquoi, je voudrais tenter d’élargir le regard que pose la société japonaise sur l’étranger. Il me semble que je suis bien placée pour le faire. PrOPOs recueillis Par cOriNNe QueNtiN

Les romans et essais de Wen Yûjû sont directement inspirés de sa biographie.

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TENDANCE Les bons plans à Taïwan

Le magazine féminin An An a publié, mi-juin, un numéro spécial intitulé Ima ikitai Taiwan [C’est à Taïwan que je veux aller maintenant] qui résume bien la perception qu’ont les Japonais de leur voisin. Le magazine se concentre sur les bonnes adresses où l’on peut savourer les meilleures spécialités ou déguster les meilleurs bubble tea de l’île. Si l’essentiel du contenu est limité à la dimension gastronomique, il a l’avantage de proposer des bons plans à Tainan, Taichung et Kaohsiung.

An An, Special Edition n°2401, Ima ikitai Taiwan, Magazine House, 19 juin 2024, 850 ¥.

MANGA Une page noire de l’histoire

Dans ce roman graphique, Chiu Row-long revient sur le combat mené par la tribu des Seediq, un des peuples autochtones de Taïwan, contre les Japonais quand ceux-ci ont tenté de les mettre au pas.

Débutée en 1930, il s’agit de la révolte la plus longue et la plus violente de l’histoire de l’occupation japonaise de l’île. L’auteur décrit avec force cette page noire de la présence nippone à Taïwan.

Seediq Bale - Les guerriers de l’arc-en-ciel, de Chiu Row-long, trad. du chinois par François Brugier, Akata, 2013, 23,50 €.

MUSIQUE Le Japon sur le bout de la langue

Originaire de Taipei, le groupe taïwanais Gestalt Girl a la particularité d'interpréter ses chansons en japonais. Fondé en 2016, il tourne régulièrement au Japon où il a conquis un public tout en poursuivant sa carrière à Taïwan. "J'ai commencé à étudier le japonais et à écrire des paroles de chansons lorsque j'étais au lycée. Au début, j'étais très gênée à l'idée que mes amis puissent connaître le sens

des paroles (que j'écrivais en taïwanais), alors j'ai décidé de les écrire en japonais", explique sa chanteuse Mikan. En septembre, à l'occasion de la sortie de leur nouvel album intitulé Shigoto [Travail], le groupe sera en tournée au Japon le 26 septembre au Shibuya WWW, à Tôkyô et le 27 septembre au Janus Music Club, à Ôsaka. https://www.red-hot.ne.jp/ (Tôkyô) et https://www. sound-c.co.jp (Ôsaka)

N IHONGOTHÈQUE

Shin'nichi

Depuis la France, où je réside actuellement, je continue à suivre l’actualité japonaise principalement par obligation professionnelle. Autrefois, je portais peu d’attention aux évolutions de l’Archipel ni à l’économie asiatique en général. Comme beaucoup de Japonais ayant vécu sous l’ère Shôwa (1926-1989), j’ai longtemps gardé en tête l’image d’un Japon solidement établi comme deuxième puissance économique mondiale, tandis que le reste de l’Asie semblait encore en pleine phase de développement. Cependant, à un moment donné, des amis entrepreneurs japonais m’ont tous conseillé de regarder vers Taïwan pour faire des affaires. Taïwan ? Vraiment ? Effectivement, je ne connais presque rien à son égard... Je ne cherchais même pas à savoir si Taïwan était un État indépendant. Ma vision se limitait à la simple provenance des produits étiquetés

“Made in Taiwan” A part ça, j’entends souvent dire que les Taïwanais sont shin’nichi, c’est-à-dire qu’ils auraient une sympathie particulière envers le Japon, à l’inverse des han’nichi qui nourrissent des sentiments antijaponais. Mais est-ce vrai ? Certains médias disent que cette sympathie remonte à la période où le Japon occupait Taïwan, de 1895 à 1945, en soulignant que nos compatriotes auraient “aidé” au développement de l’île. Il est flatteur de penser ainsi, mais l’histoire se résume-t-elle vraiment à cela ? (Certains qualifieraient déjà cette réflexion de han’nichi !)

De nos jours, nous avons tendance à simplifier les idées, à réduire les individus en catégories binaires comme shin’nichi ou han’nichi, à l’image de la “droite” ou “gauche”. Il m’arrive aussi de lire et d’entendre des propos tels que “la France est un pays shin’nichi” ou “Méfiez-vous des médias han’nichi qui dévoilent les aspects sombres du Japon, ils sont alliés des Chinois ou Coréens”. Enfin, pour mieux comprendre où en est le Japon dans ses relations avec Taïwan, je lirai ce numéro de Zoom Japon par curiosité personnelle, et non par obligation professionnelle ! KOGa ritsuKO

Ritsuko
Koga pour Zoom
Japon

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EXPÉRIENCE La drôle d’équation taïwanaise

En explorant l’île depuis 2009, la documentariste japonaise Sakai Atsuko a beaucoup appris sur son pays.

Au fil des ans, le Japon et Taïwan ont eu des échanges cinématographiques intéressants, mais personne n’a autant étudié les relations historiques et culturelles entre les deux pays que la cinéaste Sakai Atsuko. Ancienne vendeuse et reporter, elle a quitté son emploi de journaliste en 1998 pour se lancer dans un long projet qui a donné lieu à trois documentaires acclamés par la critique : Taiwan Jinsei [La vie à Taïwan, 2009], Taiwan Aidentiti [L’identité taïwanaise, 2013] et Taiwan Banzai [Vive Taïwan, 2017].

Vous avez consacré les 26 dernières années à la réalisation de vos documentaires. Comment votre approche a-t-elle évolué concernant les relations complexes entre Taïwan et le Japon ? Sakai Atsuko : Tout a commencé parce que je suis une grande cinéphile. En 1998, j’ai vu Vive l’amour (Aiqing wansui, 1994) du réalisateur Tsai Ming-liang. Non seulement j’ai adoré le film, mais j’ai trouvé Taipei, où se déroule l’histoire, très charmante et attrayante, si bien que j’ai visité la capitale taïwanaise la même année. Un autre film taïwanais que j’ai beaucoup aimé est La Cité des douleurs (Beiqing chengshi, 1989) de Hou Hsiao-hsien. Comme la ville où se déroule le film est proche de la capitale taïwanaise, je m’y suis également rendue. Alors que je m’apprêtais à rentrer à Taipei, je me trouvais à un arrêt de bus lorsqu’un vieil homme s’est approché de moi. Il m’a demandé en japonais si je venais du Japon, et nous avons discuté un moment. Le vieil homme m’a raconté que lorsqu’il était en-

fant, il avait un professeur japonais qui l’aimait beaucoup. Le professeur était retourné au Japon après la guerre, mais le vieil homme espérait toujours le rencontrer. C’était en 1998, et 53 ans s’étaient écoulés depuis la fin de la guerre. J’ai été très surprise de constater qu’après une si longue période, il y avait quelqu’un à Taïwan qui pensait encore à son professeur japonais. Dans les écoles japonaises, nous apprenons dans nos manuels d’histoire que Taïwan était autrefois une colonie japonaise, mais bien sûr, nous n’apprenons jamais la vie et les sentiments des personnes qui vivaient à Taïwan à cette époque. Lorsque j’ai rencontré le vieil homme, j’ai ressenti un élan de colère à la fois contre mon ignorance et contre le pays qui n’avait pas su m’éduquer sur ces questions. A mon retour au Japon, j’ai pu canaliser cette colère dans une direction positive, en réalisant un film qui témoignerait de mon expérience. En d’autres termes, j’ai réalisé Taiwan Jinsei pour transmettre aux Japonais les voix des hommes et des femmes âgés qui avaient vécu la domination coloniale japonaise. En écoutant les récits de tous ces vieux Taïwanais, je me suis rendu compte qu’ils avaient vécu de bonnes et de mauvaises choses pendant la période coloniale. En outre, j’ai entendu dire qu’ils avaient eu des difficultés même après la défaite et le départ des Japonais. Je voulais en savoir plus et dépeindre la période d’après-guerre de la dictature du Kuomintang, de l’incident du 28 février à la "Terreur blanche". C’est ainsi qu’est née Taiwan Aidentiti.

Ensuite, bien sûr, je me suis demandé comment les Taïwanais avaient pu surmonter ces périodes turbulentes d’avant et d’après-guerre. Je voulais trouver la source de leur force et de leur résistance. La fois suivante, je suis allée au sud de l’île pour faire du Taiwan Banzai. La raison pour la-

quelle je suis allée au sud est que je pensais y trouver, loin des grandes villes, le vrai Taïwan. A l’origine, cette île était habitée par des agriculteurs et des pêcheurs qui travaillaient dur et dont la vie est enracinée dans cette terre. Pour moi, leur lien étroit avec l’île est la raison pour laquelle l’histoire de Taïwan s’est poursuivie sans interruption pendant si longtemps.

Pour entrer un peu plus dans les détails, chaque film met en scène un autochtone. Il y a actuellement 16 peuples indigènes à Taïwan, reconnus par le gouvernement. La population totale de Taïwan est d’environ 23,5 millions d’habitants, et le nombre total d’autochtones est d’environ 590 000. Cela ne représente que 2,5 % de la population totale. Cependant, si l’on considère la longue histoire de Taïwan, les personnes qui y vivent depuis le début, bien que peu nombreuses, ont l’habitude d’accepter divers étrangers, tels que les immigrants de Chine, du Portugal, des Pays-Bas et du Japon. A mon avis, c’est la source de la tolérance, de la force et de la flexibilité du peuple taïwanais.

On dit que les relations entre le Japon et Taïwan sont encore assez compliquées - un mélange de bons et de mauvais sentiments, d’amitié, de respect et de ressentiment. Qu’en pensez-vous ?

S. A. : Une vieille dame qui apparaît dans Taiwan Jinsei compare cette situation à “un problème mathématique insoluble”. Je trouve que cette définition décrit très bien la relation entre les deux pays. La génération, qui a connu directement la domination japonaise, a des sentiments assez complexes à l’égard du Japon. La génération suivante, c’est-à-dire celle de leurs enfants, a vécu à une époque où le parti au pouvoir, le Kuomintang, imposait une dictature, de sorte que l’éducation et la propagande antijaponaises allaient de

soi. La génération suivante a été éduquée dans un Taïwan démocratisé. J’ai donc l’impression que les points de vue et les façons de penser au sujet du Japon diffèrent selon les générations. Même si nous nous concentrons sur les jeunes d’aujourd’hui, certains aiment le Japon, d’autres le détestent. J’accepte les deux. Quand on y pense, même les sentiments négatifs naissent de la conscience que nous avons de l’autre côté. Nous prenons le temps de considérer ces personnes. En ce sens, il est toujours possible qu’à travers des échanges amicaux, ces sentiments changent pour le mieux.

Dans Taiwan Aidentiti, vous avez interviewé

Go Masao, un Taïwanais qui vit à Yokohama. Il a combattu dans l’armée japonaise pendant la guerre du Pacifique et a été fait prisonnier. Cependant, il n’a pas pu obtenir la nationalité japonaise. Comment cela se fait-il ? Quelle est la politique du gouvernement japonais à l’égard de personnes comme Go-san ?

S. A. : Tout d’abord, j’ai vraiment honte en tant que Japonaise. Je voudrais demander au ministère de la Justice pourquoi il a agi de la sorte. Permettez-moi de vous donner un petit aperçu historique. Sous le régime japonais, environ 210 000 Taïwanais ont été envoyés à la guerre en tant que soldats ou personnel militaire. Environ 30 000 d’entre eux sont morts, mais pendant de nombreuses années, personne n’a semblé se préoccuper de leur sort. Puis, en 1974, un homme de la tribu Ami, une tribu indigène de Taïwan, a été retrouvé en Indonésie. Il vivait dans la jungle, persuadé que la guerre n’était pas encore terminée. Lorsqu’il a été retrouvé, la question de l’indemnisation des Taïwanais ayant combattu dans l’ancienne armée japonaise a soudainement été soulevée au Japon, mais ce n’est qu’en 1987 qu’un projet de loi a été adopté par la Diète afin de verser des indemnités aux personnes décédées et à celles qui ont été gravement blessées. Chaque personne a reçu 2 millions de yens. Pendant la guerre, ils recevaient un salaire, mais tout

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cet argent était déposé sur un compte d’épargne postal. Après la guerre, la question s’est donc pôts. Finalement, il a été décidé de payer 120

Après le succès de ses trois premiers documentaires, Sakai Atsuko a commencé son quatrième. Sakai
Atsuko

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fois le montant restant. Cependant, la valeur de l’argent, comme le prix des marchandises, était complètement différente, de sorte que même cette somme était très faible. Comme vous pouvez l’imaginer, les anciens soldats taïwanais étaient extrêmement en colère. Il y avait aussi ceux qui avaient été internés en Sibérie, comme Go-san. La loi sur les mesures spéciales liées à la Sibérie a été promulguée en 2010. Elle prévoyait des avantages spéciaux pour ces soldats, allant de 250 000 à 1,5 million de yens par personne, en fonction du temps passé en détention. Toutefois, seules les personnes encore en vie et ayant acquis la nationalité japonaise pouvaient en bénéficier. Go-san était donc exclu à ce moment-là. A l’époque, il m’a dit deux choses : il avait l’impression que les bureaucrates japonais ne voulaient pas gaspiller l’argent des contribuables pour les soldats taïwanais et que le gouvernement japonais attendait simplement qu’ils meurent. Le gouvernement japonais porte une lourde responsabilité dans tout ce gâchis. C’est une histoire vraiment triste. Elle est douloureuse, embarrassante et pathétique. En tant que Japonaise, je trouve cela vraiment insupportable.

Taïwan est une destination touristique populaire pour les Japonais, mais il est tout à fait probable que les jeunes touristes en particulier ne savent pas grand-chose des relations entre le Japon et Taïwan dans le passé. Que voulez-vous que le public japonais retienne de vos films ?

S. A. : Tout d’abord, je veux que les gens soient conscients du fait que Taïwan faisait autrefois partie du Japon. En outre, je veux que les gens se souviennent que cette période n’est pas un lointain souvenir, mais que nous sommes toujours liés. Avec le temps, le nombre de personnes apparaissant dans les films diminue progressivement, mais certaines personnes ayant vécu la période coloniale sont encore en vie. Je serais donc heureuse si le film pouvait servir de catalyseur pour que les gens réfléchissent à la vie de ces personnes et en apprennent davantage sur Taïwan.

Dans Taiwan Banzai, vous avez posé votre caméra dans le sud du territoire taïwanais. Pensez-vous que cette partie du pays est très différente de l’image de Taïwan qu’ont les Japonais ?

S. A. : C’est peut-être différent pour les personnes dont l’intérêt principal est de visiter la tour Taipei 101 (508 m) et de manger des xiaolongbao (raviolis très populaires à Taïwan) et des glaces à la mangue. Pour les personnes de notre génération qui ont vu beaucoup de films de Hou Hsiao-hsien, je ne pense pas que le Sud soit si éloigné de ce que nous avons vu dans ces histoires. Après tout, de nombreux films de Hou Hsiao-hsien se déroulent à la campagne. Certains disent que ces paysages leur rappellent la campagne japonaise ou le Japon d’autrefois. J’ai voyagé à Taïwan depuis 1998 et, jusqu’au début des années 2000, les Japonais ne s’intéressaient pas beaucoup à ce pays. D’une certaine manière, le vent a tourné après le séisme du 11 mars 2011, lorsque les Taïwanais ont envoyé beaucoup d’argent au Japon. J’ai l’impression que depuis lors, de plus en plus de gens ici ont commencé à regarder Taïwan comme il se doit. Cela dit, même aujourd’hui, chaque fois que l’on parle de Taïwan à la télévision, on a tendance à parler de nourriture et d’autres informations superficielles. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai continué à faire des films sur ce sujet. Je veux que tout le monde sache que Taïwan ne se résume pas à la nourriture. Il s’agit aussi de son peuple. Je veux que les Japonais viennent à Taïwan et rencontrent son peuple.

Qu’avez-vous appris sur Taïwan et qu’est-ce qui vous a le plus impressionné ?

S. A. : Pour moi, apprendre sur Taïwan, c’est la même chose qu’apprendre sur le Japon. Qu’estce que le Japon a fait à Taïwan lorsqu’il a gouverné le pays pendant 50 ans avant et pendant la guerre, et qu’est-ce que le Japon n’a pas fait après la guerre ? Visiter Taïwan m’a permis de me voir clairement, comme dans un miroir. Une autre chose importante est que pendant

une longue période après la guerre, Taïwan était sous la loi martiale pendant la dictature, mais avec la montée en puissance de Lee Teng-hui, la démocratisation a commencé, et aujourd’hui c’est une société vraiment démocratique. Des élections présidentielles ont eu lieu en janvier dernier et le taux de participation a été de 71,86 %. En comparaison, l’élection du gouverneur de Tôkyô qui s’est tenue le 7 juillet a fait la une des journaux parce que c’était la première fois que le taux de participation atteignait 60 % en 12 ans. Les dernières élections de la Chambre des représentants ont eu lieu en 2021 et le taux de participation a été de 55,93 %. Ce que je veux dire, c’est que les jeunes Taïwanais comprennent très bien que cette société démocratique a été gagnée par les adultes avec leur sang, leur sueur et leurs larmes. C’est pourquoi ils attachent tant d’importance à leur droit de vote et sont prêts à montrer qu’ils ne toléreront jamais les agissements de ceux qui sont au pouvoir. En revanche, mon pays, le Japon, se trouve dans la situation inverse. Par ailleurs, en 2019, Taïwan est devenu le premier pays asiatique à reconnaître le mariage homosexuel. Je pense que nous, les Japonais, avons beaucoup à apprendre de Taïwan aujourd’hui.

Avez-vous d’autres projets cinématographiques en tête ?

S. A. : Oui, je travaille sur un quatrième documentaire. Cette fois, je me concentre sur l’île des Orchidées, une petite île située au large de la côte sud-est de Taïwan et habitée par les Tao, un peuple indigène doté d’une forte culture maritime. Le projet a été interrompu par la crise sanitaire et nous n’avons pas encore repris complètement. De plus, nous devons faire attention à la façon dont nous abordons les relations humaines uniques des Tao. C’est pourquoi je vais continuer à collecter des fonds et à nouer des relations plus étroites avec les habitants avant de commencer à filmer.

PrOPOs recueillis Par GiaNNi simONe

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FESTIVAL

Apprendre avec le cinéma

Chaque année, grâce au Taiwanese Maestro Masterpiece, les Japonais peuvent tisser des liens avec Taïwan.

Cette année encore, deux festivals consacrés au cinéma taïwanais ont eu lieu à Tôkyô : le Taiwanese Maestro Masterpiece (TMM) qui s’est tenu en juillet et en août, et le Taiwan Film Screening (TFS). Le TMM a été créé par le distributeur de films Suzuki Hajime en 2014 tandis que le TFS est né en 2016 et est organisé par le Centre culturel de Taïwan. Zoom Japon a rencontré Suzuki-san de TMM et son assistante et conseillère, Kojima Atsuko, fondatrice du Taiwan Film Club, sur les films taïwanais au Japon et le festival de cette année.

Comment est né le TMM ?

Suzuki Hajime : A l’origine, les films chinois étaient distribués par Tokuma Shoten et d’autres sociétés. Puis, un jour, un ami taïwanais m’a dit qu’il avait des versions restaurées d’anciens films taïwanais et m’a demandé si je voulais les distribuer au Japon. C’était il y a 12 ans, peu après que je suis devenu un distributeur de films indépendant. Je connaissais déjà les films de Hou Hsiao-hsien et j’aimais la façon dont il montrait la vie quotidienne des Taïwanais. C’est ce qui m’a amené à lancer le TMM.

Les films de Hou Hsiao-hsien sont connus au Japon depuis longtemps.

S. H. : Oui, mais je travaille dans l’industrie cinématographique depuis 40 ou 50 ans et, par le passé, les films taïwanais n’avaient pratiquement pas de public au Japon. Nous présentions ces titres lors de festivals du film et obtenions un nombre décent de spectateurs, mais lorsque ces mêmes films sortaient en salles, presque per-

sonne ne s’y intéressait, à l’exception de La Cité des douleurs (Beiqing chengshi, 1989).

Dans ces conditions, cela ne doit pas être facile de promouvoir les films taïwanais au Japon.

S. H. : Les films taïwanais s’en sortent généralement bien en tant que films d’art et essai. De plus, quelques films commerciaux comme Taipei Story (Qingmei Zhuma, 1985) d’Edward Yang ont bien marché, et les films d’horreur sont maintenant également populaires. Ce n’est pas un grand marché, mais il y a une base de fans bien établie. Bien sûr, cela se limite au circuit des “petites salles” (voir Zoom Japon n°103, septembre 2020).

Comment choisissez-vous les films que vous voulez montrer au TMM ?

S. H. : Hou Hsiao-hsien, Edward Yang et Tsai Min-liang sont toujours à l’affiche. Ce sont de loin les réalisateurs les plus connus et ils attirent toujours un public plus nombreux. Ensuite, j’inclus de nouveaux films et d’autres œuvres intéressantes qui n’ont jamais été montrées au Japon. Par exemple, feu le critique de cinéma Satô Tadao m’a parlé d’un réalisateur appelé Wang Tong, très populaire à Taïwan. Cette année, nous avons donc projeté sa célèbre trilogie, Daocaoren (Strawman, 1987), Banana Paradise (Xiangjian tiantang, 1989) et Wuyan de shanqiu (Hill of No Return, 1992).

Quel est l’attrait des films taïwanais pour les Japonais ?

S. H. : Je pense qu’il y en a plusieurs. Tout d’abord, on trouve encore beaucoup d’éléments japonais à Taïwan en raison des relations et de l’histoire entre les deux pays. Ces éléments sont disséminés dans de nombreuses œuvres des années 1980 et 1990, ce qui est probablement

intéressant pour le public japonais. Taïwan est relativement proche du Japon et les personnes plus âgées en savent probablement beaucoup sur son histoire, mais les gens comme moi, qui sont dans la quarantaine ou plus jeunes, ne savent pas grand-chose de l’histoire entre nos deux pays, et ils sont donc intrigués par la présence de tous ces éléments japonais dans des films d’un pays différent, comme les dialogues mêlant les langues chinoise et japonaise. De cette manière, ils comprennent progressivement l’histoire et la culture taïwanaises.

S. H. : Nous n’étudions pratiquement jamais l’histoire à l’école. En conséquence, nous ne savons presque rien de l’histoire commune du Japon et de Taïwan. L’ancienne génération en savait beaucoup plus que nous, car beaucoup d’entre eux ont rencontré des Taïwanais et ont eu des contacts avec eux. C’est le même phénomène avec la Corée en ce qui concerne l’histoire. A ceci près qu’aujourd’hui, nous sommes plus sensibilisés à l’histoire et à la réalité coréennes en raison de la popularité des téléfilms et des films coréens dans notre pays.

K. A. : De même, les œuvres coréennes arrivent au Japon dans une grande variété de genres, des drames sociaux et historiques aux divertissements. Il y en a pour tous les goûts. Cependant, lorsqu’il s’agit de films taïwanais, nous avons surtout des œuvres traitant de thèmes sociaux et politiques. Par ailleurs, les films commerciaux plus légers sont rarement importés. Récemment, nous avons vu plus de comédies et de films de genre, l’horreur étant très populaire. Toutefois, les amateurs de films d’horreur ne font pas de distinction entre les films taïwanais, thaïlandais ou coréens. Ils les placent tous dans une catégorie plus large de films d’horreur asiatiques.

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En d’autres termes, je ne pense pas qu’ils les regardent parce qu’ils viennent de Taïwan. Ils aiment l’horreur, quel que soit leur pays d’origine.

Parlez-nous de Wang Tong qui était au cœur du festival de cette année.

S. H. : A Taïwan, il est considéré au même niveau que Hou Hsiao-hsien. Il a remporté les prix du meilleur réalisateur et du meilleur film avec son premier film, et ses films sont très populaires dans son pays d’origine. Il n’a pas eu de chance, car quelques années après ses débuts, un groupe de réalisateurs un peu plus jeunes, comme Hou Hsiaohsien, a fait son apparition et a été salué comme une sorte de nouvelle vague taïwanaise et a attiré toute l’attention des médias. Wang a été reconnu et respecté comme une sorte d’aîné dans l’industrie cinématographique taïwanaise, mais bien qu’il ait remporté un certain nombre de prix, il n’a jamais été reconnu dans les festivals de cinéma européens. L’un des “problèmes” est que ses œuvres mêlent souvent art et divertissement (l’humour est souvent un élément important de ses histoires) et qu’elles ont donc tendance à être négligées par les critiques et le public internationaux. Pour les spectateurs japonais, ses films sont très intéressants parce que le Japon revient souvent dans son œuvre, en particulier dans la trilogie que nous avons montrée cette année. Certains films commencent même par des dialogues japonais. Les langues utilisées dans Daocaoren et Wuyan de shanqiu sont le taïwanais et le japonais.

K. A. : Il y a encore beaucoup de choses que nous, Japonais, ne savons pas sur nos échanges passés avec Taïwan. Lorsque nous visitons l’île, les Taïwanais sont très gentils avec nous et nous avons probablement tendance à prendre pour acquis que les Taïwanais sont favorables au Japon. A cet égard, je pense que les films de Wang Tong sont importants parce qu’ils montrent que leurs sentiments à l’égard du Japon sont en fait plus complexes que nous ne le pensons.

PrOPOs recueillis Par G. s

Affiche l'édition 2024 du Taiwanese Maestro Masterpiece qui s'est déroulée en juillet et août.

SAVEURS A la conquête des palais nippons

Comme souvent, c'est par la cuisine que les Japonais manifestent leur curiosité à l'égard de l'étranger.

Depuis plusieurs années, les Japonais manifestent leur intérêt pour la cuisine taïwanaise. Son essor remonte à 2018, lorsque le bubble tea s’est imposé dans l’archipel. La combinaison exotique de thé noir d’Assam parfumé, de lait et de perles de tapioca moelleuses (également appelées boba) s’est avérée très populaire et de longues files d’attente se sont rapidement formées devant les nombreux magasins spécialisés qui ont ouvert leurs portes un peu partout. La populaire chaîne Kazunoko THE ALLEY, par exemple, a ouvert son premier magasin Omotesandô dans le centre de la capitale japonaise en août 2017 et compte désormais 27 antennes à travers le Japon, où vous pouvez choisir entre du thé glacé, du thé chaud doux et du thé chaud.

Lorsque l’on considère la grande percée du bubble tea, on ne peut pas négliger le rôle joué par les réseaux sociaux, en particulier Instagram, dans son succès. En effet, les boissons contenant de grosses perles de tapioca noir sont éminemment Instagrammables. Les compagnies aériennes à bas prix ont également permis de voyager à Taïwan à moindre coût et plus facilement qu’au niveau national, et il est devenu à la mode de poster une photo de soi en train de boire un authentique bubble tea dans un lieu exotique.

En fait, le tapioca a connu deux petites phases de succès avant même 2018. Tout d’abord, au milieu de la mode pour les aliments ethniques dans les années 1990, de petites perles de tapioca garnies de lait de coco sont apparues sur le menu de nombreux restaurants asiatiques. Puis, au début des années 2000, des perles de tapioca plus

grosses ont été présentées dans les médias. En 2015, Pokka Sapporo Food & Beverage a lancé une bouteille en PET de Kaga bô hôjicha, qui a connu un grand succès. Les boissons à base de hôjicha (thé vert grillé au charbon de bois) existent depuis les années 1990, mais le Kaga bô hôjicha, avec son goût clair et doux et son mélange complexe d’arômes floraux, s’est avéré particulièrement populaire auprès des amateurs de thé. Peu après, des produits tels que le hôjicha latte sont apparus chez Starbucks et dans les supérettes. Soudain, pour de nombreux Japonais, la consommation de thé a dépassé la dichotomie traditionnelle entre thé vert et thé anglais. Aujourd’hui, il est possible de choisir parmi une variété de thés de base, tels que le Tieguanyin et le thé au jasmin, et d’ajouter du lait, du sirop, du tapioca, etc. à des thés autres que le thé noir.

Le bubble tea a attiré des foules considérables malgré son prix assez élevé. Certes, 600 à 700 yens (voire plus pour le thé dit “artisanal”) est un prix élevé pour une boisson à base de thé. D’un autre côté, la quantité généreuse de tapioca augmente sa valeur, satisfait votre appétit et le rapproche d’un dessert.

Le bubble tea a été suivi par la glace pilée à la mangue, le thé au fromage et d’autres sucreries. Le point commun de toutes ces choses est qu’elles remportent un franc succès auprès des femmes - qui, soit dit en passant, sont aussi d’infatigables utilisatrices d’Instagram. En effet, les Japonaises sont très ouvertes et curieuses lorsqu’il s’agit d’essayer de nouveaux plats et sont de loin les principales clientes des nombreuses succursales de Chun Shui Tang (le berceau du bubble tea) et d’Ice Monster (célèbre pour ses glaces pilées) qui ont ouvert les unes après les autres dans tout le pays.

Bien entendu, Taïwan n’est pas seulement célèbre pour ses sucreries, et ses nouilles, ses soupes et ses plats à base de viande s’imposent peu à peu sur le marché japonais, déjà très encombré. D’une part, les plats taïwanais sont moins assaisonnés que les plats chinois et coréens et sont réputés plus adaptés au goût des Japonais. Ils sont également considérés comme assez sains.

A l’origine, un petit nombre d’autochtones vivaient à Taïwan, mais après le XVIIe siècle, des habitants de la province chinoise de Fujian y ont migré. La culture alimentaire de Taïwan s’est donc développée de manière indépendante, en tirant parti du climat et des ingrédients locaux. Un autre point remarquable à Taïwan est le développement d’une culture de l’étalage alimentaire, dont les marchés de nuit, omniprésents et extrêmement populaires, sont le meilleur exemple.

La version taïwanaise des onigiri (boulettes de

Le bubble tea a conquis le Japon depuis 2018.

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riz) attire également beaucoup d’attention. L’essentiel est qu’elles sont faites de riz glutineux et qu’elles sont pleines d’ingrédients. A Taïwan, chaque magasin fabrique sa propre version et les garnitures varient des cornichons, omelettes et œufs durs au porc braisé et à la viande hachée. L’un des plats emblématiques de Taïwan est le bœuf aux nouilles, également connu sous le nom de “soul food” de l’île. Ses deux principaux ingrédients sont une soupe profonde à base de bœuf rôti et des nouilles de farine de blé semblables aux udon japonais. Un plat typique de nouilles au bœuf contient également des tomates, de la pâte de haricots rouges, de l’anis étoilé et du poivre de Sichuan. Ces nouilles peuvent même être préparées à la maison.

Sanshô Kôfuku (Sanshang Qiaofu), une chaîne de magasins spécialisés dans les nouilles au bœuf qui compte environ 150 boutiques à Taïwan, a ouvert sa première boutique japonaise à Akasaka en 2014. Elle propose à la fois des nouilles de bœuf braisées rouges à base de sauce soja et des nouilles de bœuf braisées claires à base de

dashi. Outre les boissons alcoolisées telles que la bière taïwanaise, on y trouve également une grande variété d’en-cas tels que des omelettes à la taïwanaise et des boulettes de calmar que l’on trouve sur les marchés nocturnes de Taipei et d’autres villes taïwanaises.

Un autre pilier de la cuisine taïwanaise est constitué par les nouilles de bœuf au sel médicinal, accompagnées d’un bouillon de bœuf et d’une soupe à base de sel. L’umami qui se répand lentement sur la langue est addictif. Les garnitures sont les mêmes que pour la soupe à base de sauce soja : bœuf, bok choy (une sorte de chou chinois), œufs durs et oignons verts.

Selon les analystes alimentaires, si la cuisine taïwanaise a un goût délicieux et un grand potentiel, il pourrait être difficile de reproduire l’incroyable succès du bubble tea et de la glace pilée. En effet, les Japonais ne sont pas habitués à certains des ingrédients qui figurent en bonne place dans ces plats.

Par exemple, la soupe rouge de nouilles au bœuf contient beaucoup d’anis étoilé, tant dans la

viande mijotée que dans la soupe. L’anis étoilé est un remède traditionnel chinois qui régule le fonctionnement de l’estomac et des intestins et constitue une épice essentielle de la cuisine chinoise. Il n’est pas exagéré de dire que si l’on devait comparer Taïwan à un parfum, ce serait celui de l’anis étoilé. Il suffit de se promener dans une ville taïwanaise pour sentir l’odeur de l’anis étoilé qui émane de nombreux restaurants. Toutefois, de nombreux Japonais ne sont pas habitués à cette forte odeur. Beaucoup n’aiment pas non plus la coriandre utilisée comme garniture. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles ces plats ne sont pas plus répandus au Japon. Le Lu Rou Fan (bol de riz au porc braisé) est un autre excellent plat qui, jusqu’à présent, n’a connu qu’un succès limité au Japon. La raison est la même que pour les nouilles au bœuf. Toutes les saveurs taïwanaises ne font pas recette. Pour que les Japonais se familiarisent avec ces plats, il est probablement préférable de les vendre dans des restaurants taïwanais proposant une large carte plutôt que dans des restaurants spécialisés.

Une autre façon d’ouvrir le marché local à des plats plus exotiques est de faire ce que les Japonais font depuis des lustres : adapter les plats étrangers à leurs propres goûts. Les maze soba (nouilles mélangées) de style taïwanais en sont un bon exemple. Mis à part le nom, les maze soba ont été créées par hasard dans un restaurant de Nagoya en 2008. Quoi qu’il en soit, ce plat de râmen sans soupe d’inspiration taïwanaise a rapidement fait de nombreux adeptes. Contrairement aux râmen traditionnels (voir Zoom Japon n°26, décembre 2012), le maze soba utilise des nouilles épaisses et moelleuses qui sont mélangées à du porc haché et à des garnitures telles que des oignons verts, de la ciboulette, de l’ail haché et du jaune d’œuf. La viande hachée riche et épicée se combine aux saveurs de la ciboulette et de l’ail et à la douceur du jaune d’œuf pour former un délicieux plat de nouilles sans bouillon.

JeaN derOme

Devanture d'un restaurant taïwanais à Yokohama.
Eric Rechsteiner pour Zoom
Japon

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L A RECETTE DE HARUYO

Poulet au riz à la taïwanaise (Jiroufan - Jîrôhan)

PRÉPARATION

01 - Eplucher le gingembre, en couper 3 ou 4 rondelles de 2 mm d’épaisseur, puis hacher le reste.

02 - Emincer le blanc de poireau.

03 - Dans un plat, disposer le poulet et piquer la peau avec une fourchette.

04 - Ajouter dans le plat, le vert du poireau, les rondelles de gingembre et le saké.

05 - Filmer le plat, puis cuire au micro-ondes à 600W pendant 5 à 7 minutes. Le temps de cuisson du poulet varie en fonction de son épaisseur.

06 - Une fois le plat refroidi, couper le poulet en morceaux de la taille d’une bouchée et les effilocher. Réserver le jus de cuisson.

07 - Pour la sauce, mettre l’huile et le gingembre dans une poêle, puis faire chauffer.

08 - Ajouter le blanc de poireau et faire cuire.

09 - Ajouter le sucre, le sel, la sauce soja et le jus de cuisson que vous avez réservé, puis porter le tout à ébullition.

10 - Préparer le riz dans une assiette, déposer le poulet dessus, puis napper de sauce.

11 - Ajouter des légumes de votre choix, du piment émincé.

INGREDIENTS

(pour 2 personnes)

• 300g de cuisse de poulet

• 1 poireau

• 1 morceau de gingembre

• 2 cuillères à soupe de saké

• 1,5 cuillère à soupe d’huile de sésame

• 1 cuillère à café de sucre

• Une pincée de sel

• 2 cuillères à café de sauce soja

• Riz et quelques légumes

On peut remplacer les cuisses de poulet par des blancs de poulet.

Astuce

“Un nouveau Japon, une expérience spirituelle”. Campagne de promotion du

Le touriste modèle est Taïwanais

Sans eux, le tourisme au Japon n'aurait pas connu le même succès. Ils constituent le meilleur exemple à suivre.

Les Taïwanais adorent visiter le Japon. Au cours des dix dernières années, les touristes taïwanais sont devenus très présents au Japon, à tel point qu’en 2023, ils étaient les voyageurs étrangers qui dépensaient le plus, contribuant ainsi de manière substantielle aux recettes touristiques du Japon. Selon les données publiées par l’Organisation nationale japonaise du tourisme (JNTO), les visiteurs taïwanais ont dépen-

sé environ 783 milliards de yens, ce qui représente environ 14,8 % des dépenses totales des touristes étrangers au Japon. Ils sont suivis par les Chinois avec 576 milliards de yens (14,3 %), les Sud-Coréens avec 574 milliards de yens (13,9 %), les Américains avec 561 milliards de yens (11,4 %) et les Hongkongais avec 480 milliards de yens (9 %). A titre de comparaison, les dépenses annuelles des Taïwanais à l’étranger se sont élevées à 551,7 milliards de yens en 2019, ce qui les place en deuxième position derrière les Chinois. Le tourisme entrant est toujours affecté par la pandémie de Covid-19. Cela s’est vu dans le nombre total de visiteurs en provenance de

Taïwan, qui a chuté de 10,4 % par rapport à 2019. Cependant, avec 4,13 millions de visiteurs, le Japon reste de loin leur destination touristique préférée (la Chine est loin derrière avec 1,76 million). Par ailleurs, si le nombre de touristes a baissé, les dépenses ont grimpé en flèche, bien qu’une partie de l’augmentation puisse être due à la dévaluation du yen japonais, qui en 2023 valait environ 20 à 25 % de moins par rapport au dollar taïwanais qu’en 2019.

Bien que le tourisme entrant en provenance de Taïwan ait atteint un niveau record, l’amour des touristes taïwanais pour le Japon n’est pas un phénomène récent. En effet, le Japon est de-

tourisme dans l'archipel lancée auprès des Taïwanais.
Eric Rechsteiner pour Zoom Japon

puis longtemps leur destination préférée. Cela s’explique notamment par la proximité des deux pays. Par exemple, pour se rendre à Tôkyô depuis Taïwan, il ne faut que 3 heures et 30 minutes, tandis que le trajet entre Taïwan et Naha est encore plus court : 90 minutes de vol.

Les organisations et les agences de voyages japonaises ont constamment été présentes lors d’événements liés au tourisme, tels que la foire internationale du voyage de Taipei, et leurs efforts semblent avoir porté leurs fruits. Selon le rapport Trends in Foreign Visitors to Japan, publié par le JNTO, 2,8 millions de Taïwanais se sont rendus au Japon en 2014 ; cinq ans plus tard, juste avant le début de la pandémie, leur nombre était passé à 4,8 millions.

L’une des caractéristiques des touristes taïwanais à destination du Japon est le nombre de visiteurs réguliers. Selon les données du JNTO, 80 % de ces voyageurs ont visité le Japon plus de deux fois, et 15 % sont venus plus de dix fois. Cela signifie également que si les touristes qui viennent pour la première fois sont attirés par les mêmes destinations célèbres (Tôkyô et Disneyland, Kyôto, Ôsaka, Okinawa), ils aiment aussi sortir des sentiers battus et explorer des endroits moins populaires, comme les zones rurales.

Une préfecture où les touristes taïwanais sont particulièrement présents est celle de Kumamoto, sur l’île de Kyûshû (voir Zoom Japon n°88, mars 2019). Grâce aux vols directs et à la présence d’entreprises taïwanaises, les Taïwanais sont devenus le premier groupe de visiteurs internationaux.

Ces dernières années, Hokkaidô (voir Zoom Japon n°78, mars 2018) a également gagné en popularité, probablement parce que Taïwan n’a pas de véritable saison hivernale. Les touristes étrangers peuvent donc profiter du ski et des célèbres paysages et événements hivernaux de l’île septentrionale.

L’une des raisons de l’importance croissante du tourisme dans des régions autres que Tôkyô et le Kansai est la croissance du “tourisme d’expérience”. Si Hokkaidô est idéal pour pratiquer les sports d’hiver, les touristes d’Okinawa peuvent s’adonner à des sports marins tels que la plongée et l’apnée, tandis que Fukuoka attire les amateurs de gastronomie.

En ce qui concerne les sports, les données montrent que le nombre de Taïwanais qui pratiquent des activités physiques pendant leur temps libre augmente, car ils sont de plus en plus soucieux de leur santé. A Taïwan, par

Odaira Namihei pour Zoom Japon
Les touristes taïwanais apprécient la région du Tôhoku, comme ici à Kakunodate.

exemple, des centaines de marathons sont organisés chaque année et de nombreux Taïwanais participent à ces courses même au Japon. En 2017, la ville de Sapporo, à Hokkaidô, a signé un accord avec Kaohsiung, principale ville du sud de Taïwan, prévoyant une collaboration entre leurs marathons respectifs. D’autres activités de plein air devraient attirer davantage de visiteurs taïwanais à l’avenir : le cyclisme, le camping et la randonnée.

Le Tôhoku est une autre région qui a travaillé très dur pour créer une relation spéciale avec les touristes taïwanais, en particulier grâce à son réseau ferroviaire. Les voyageurs peuvent désormais ex-

plorer les pittoresques chemins de fer locaux du nord-est du Japon grâce au Tôhoku & Hakodate

Local Rail Pass proposé conjointement par 13 compagnies régionales. Les visiteurs peuvent monter et descendre aussi souvent qu’ils le souhaitent s’ils utilisent des sièges non réservés dans les voitures ordinaires des trains locaux et rapides dans la zone gratuite, alors qu’ils doivent payer un supplément s’ils montent à bord des trains express. Ainsi, les touristes intéressés par la nature et la culture locale peuvent profiter des feuilles d’automne, des paysages enneigés d’hiver et des sources d’eau chaude de cette région. Des Taïwanais ont profité du Rail Pass pour

profiter des attractions locales telles que le train chauffé au poêle de la Tsugaru Railway et le train Gottsuo Tamatebako à Akita, qui s’arrête à plusieurs endroits le long de la ligne pour déguster des plats préparés par les agriculteurs locaux. La petite ville de Minakami, dans la préfecture de Gunma, a également fait les gros titres pour la manière inhabituelle et créative dont elle a réussi à multiplier par plus de dix le tourisme entrant en provenance de Taïwan en seulement cinq ans. Les principales industries de Minakami sont le tourisme et l’agriculture. Pendant des années, elle a travaillé sur le tourisme entrant, mais s’est principalement appuyée sur le gouver-

Les touristes taïwanais ont dépensé environ 783 milliards de yens, ce qui représente environ 14,8 % des dépenses totales des touristes étrangers au Japon.
Eric Rechsteiner pour Zoom
Japon

nement préfectoral pour faire le gros du travail. En conséquence, le nombre annuel de visiteurs en provenance de Taïwan s’élevait à un maigre millier de personnes.

Minakami a commencé à promouvoir sérieusement le tourisme entrant en provenance de Taïwan vers 2013, lorsqu’un employé du gouvernement local, Abe Masayuki, a été affecté à plein temps à Tainan, dans le sud de Taïwan, pour développer un réseau de collaboration avec les autorités locales et l’industrie du voyage. Jusqu’alors, Minakami avait suivi les canaux habituels mais estimait qu’ils ne pouvaient pas rivaliser avec des lieux plus célèbres de la préfecture comme Kusatsu et Ikaho Onsen, deux sources thermales très connues.

L’une des décisions cruciales de la campagne de relations publiques de Minakami a été de se concentrer sur les petites agences de voyages situées à l’écart du marché principal de Taipei. A l’époque, la capitale taïwanaise était assiégée par de nombreuses municipalités et destinations touristiques japonaises qui se disputaient l’attention. Ces municipalités avaient également tendance à s’adresser aux grandes agences de voyages. Le problème est que plus ces entreprises sont grandes, plus elles sont lentes à agir en raison de la complexité de leurs systèmes internes. Il est également peu probable qu’elles prennent le risque de choisir une destination touristique peu connue comme Minakami. Les petites agences, quant à elles, disposent peut-être de moins de ressources et de quelques employés, mais elles sont très agressives dans la poursuite de leurs objectifs. On dit que les Taïwanais ont un esprit d’indépendance plus fort que les Japonais, et l’industrie du tourisme ne fait pas exception à la règle. Par exemple, il existe 220 agences de voyages à Tainan, une ville de 1,9 million d’habitants. Leur principale caractéristique est qu’elles se réagissent rapidement. Pour être compétitives, elles sont toujours à la recherche d’informations touristiques uniques, différentes de celles des autres entreprises, et comme elles ne peuvent pas rivali-

ser avec les grandes entreprises, elles agissent immédiatement et sont prêtes à accepter certains risques.

Bien qu’Abe Masayuki soit basé à Taïwan, la charge financière d’une telle opération est extrêmement faible, surtout si on la compare aux avantages considérables en termes de collecte d’informations et d’accès direct au gouvernement local. Grâce à cela, Minakami a pu obtenir d’excellents résultats non seulement dans le tourisme récepteur, mais aussi dans des domaines tels que les échanges d’étudiants, de produits et de cultures.

Au début, il n’était pas facile d’attirer des clients dans un endroit inconnu au Japon. Cependant, Abe Masayuki a réussi à résoudre ce problème en

approchant plusieurs petites agences de voyages et en formant une alliance. En fin de compte, le fait d’être inconnu s’est avéré être un avantage, car les Taïwanais aiment faire des choses spéciales et uniques, qui se distinguent du courant dominant. Suivant cette mentalité, le fonctionnaire japonais a vendu des circuits dans la ville de Minakami en utilisant des slogans tels que “Visitez le pays des neiges inexploré près de Tôkyô” et “Profitez des sources thermales secrètes près de Tokyo”. Cette campagne a connu un tel succès qu’après seulement cinq ans, le nombre annuel de touristes taïwanais à Minakami a dépassé les 10 000 visiteurs, un succès incroyable pour une ville qui ne compte que 18 000 habitants.

JeaN derOme

Dépôt légal : à parution.

ISSN : 2108-4483. Imprimé en France

Responsable de la publication : Dan Béraud

Ont participé à ce numéro :

Publié par Ilyfunet Communication

12 rue de Nancy 75010 Paris

Tél: +33 (0)1 4700 1133 www.zoomjapon.info courrier@zoomjapon.info

Odaira Namihei, Gabriel Bernard, KOGA Ritsuko, Eric Rechsteiner, Jean Derôme, Gianni Simone, Corinne Quentin, MAEDA Haruyo

TAKACHI Yoshiyuki, KASHIO Gaku, TANIGUCHI Takako, MASUKO Miho, ETORI Shôko, MarieAmélie Pringuey, Marie Varéon (maquette)

Les Taïwanais ont le même goût prononcé que les Japonais pour le train.
Odaira Namihei pour Zoom Japon

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