Zoom Japon 147

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Eric Rechsteiner pour Zoom Japon

ZOOM ACTU

ÉDITO Mùre nature

Le premier numĂ©ro de l’annĂ©e 2025 est placĂ© sous le signe de la nature Ă  travers plusieurs articles qui mettent en Ă©vidence sa puissance et sa force d’attraction. Sa puissance, tout d’abord, avec un reportage exceptionnel rĂ©alisĂ© par notre photographe, Eric Rechsteiner, qui s’est rendu une nouvelle fois dans la pĂ©ninsule de Noto pour rencontrer les habitants que nous avions dĂ©jĂ  interviewĂ©s l’an passĂ© aprĂšs le terrible sĂ©isme du 1er janvier 2024. Sa force d’attraction, ensuite, parce qu’elle constitue un sujet d’intĂ©rĂȘt pour de nombreux auteurs de mangas et qu’elle nous offre de magnifiques lieux oĂč l’on peut se perdre avec dĂ©lectation. Comme toujours, Zoom Japon tente de vous offrir un regard variĂ© et diffĂ©rent sur l’archipel. Profitez-en.

La rédaction courrier@zoomjapon.info

3,4

millions de personnes ont visité le Japon en décembre 2024, un record absolu pour un mois donné. Ce chiffre est en adéquation avec les 36,87 millions de touristes accueillis dans l'archipel l'année écoulée. Un record puisqu'il s'agit d'une augmentation de 47,1 % par rapport à 2023, celui-ci dépassant les 33,4 millions de visiteurs qui s'étaient rendus dans le pays en 2019 avant la crise sanitaire.

L E REGARD D’ERIC RECHSTEINER

Gare de Nanao, préfecture d'Ishikawa

Comme l'illustre ce train en gare de Nanao qui fait la promotion de la série animée Hanasaku Iroha, les héros de la culture populaire ont aussi envahi l'univers ferroviaire. Cela permet à la fois d'attirer une clientÚle de fans et d'associer les personnages présentés à la région. Dans certaines préfectures qui abritent des musées dédiés à des mangakas, il n'est pas rare que des trains soient à l'effigie des héros créés par l'artiste local. C'est le cas par exemple dans la préfecture de Miyagi avec IshInomorI ShÎtarÎ (voir pp. 13-15) ou dans celle de Tottori avec mIzukI Shigeru.

SCIENCE Les risques d'un séisme géant

La probabilitĂ© d'un “mĂ©ga-sĂ©isme” au cours des 30 prochaines annĂ©es a lĂ©gĂšrement augmentĂ©, avec un risque se situant entre 75 et 82 % de chances qu'il se produise. Selon les experts, une telle secousse pourrait avoir une magnitude dĂ©vastatrice de 8 Ă  9, dĂ©clencher des tsunamis, tuer plusieurs centaines de milliers de personnes et causer des milliards de dollars de dĂ©gĂąts.

ÉCONOMIE Un regain de croissance en 2025

L'économie japonaise devrait croßtre de plus de 1 % au cours de l'année fiscale 2025 qui commencera le 1er avril. Les économistes estiment que les augmentations de salaires donneront un coup de fouet aux dépenses de consommation. Ils prévoient une croissance réelle moyenne de 1,1 %. Cette prévision est plus optimiste que celle de 2024, qui était de 0,4 %.

Eric Rechsteiner pour Zoom Japon

Année dramatique à Noto

Nous leur avions fait une promesse. Zoom Japon est retourné voir les habitants de la péninsule.

La ligne de train Nanao, endommagĂ©e par le violent sĂ©isme de magnitude 7,6 qui a dĂ©vastĂ© la pĂ©ninsule de Noto le 1er janvier 2024, a repris du service. OpĂ©rĂ©e par les Chemins de Fer de Noto, elle longe la cĂŽte dĂ©coupĂ©e jusqu’à Anamizu et traverse de pittoresques paysages recouverts d’une fine couche de neige. Vue du train, la rĂ©gion semble inhabitĂ©e, seules les bĂąches bleues en plastique qui recouvrent de nombreux toits et pierres tombales rappellent qu’une catastrophe s’est produite. Puis, Ă  mesure que l’on pĂ©nĂštre dans la pĂ©ninsule, des quartiers rectilignes de petites maisons prĂ©fabriquĂ©es apparaissent, ce sont des hĂ©bergements provisoires

bĂątis Ă  la hĂąte pour les rescapĂ©s du tremblement de terre qui a fait prĂšs de 500 victimes. AprĂšs le train, seule la route permet d’atteindre le fin fond des vallĂ©es de l’Oku-Noto. Alors que la rĂ©gion souffrait du manque de neige l’annĂ©e derniĂšre, c’est le trop plein cette annĂ©e, d’une neige Ă©tonnamment lourde et humide, au point que les arbres s’écroulent sous son poids. La famille de ShĂ»den Katsuyoshi, 71 ans, riziculteur dans le village de TĂŽme, qui s’était retrouvĂ©e terrifiĂ©e par les violentes secousses de janvier (voir Zoom Japon n°139, avril 2024), n’a pas osĂ© se rĂ©unir cette annĂ©e dans la grande demeure familiale. L’annĂ©e a donc dĂ©butĂ© avec des fĂȘtes du Nouvel an rĂ©duites au strict minimum, seul son fils aĂźnĂ© est venu passer une nuit dans la ferme centenaire.

A TÎme, le riz est cultivé depuis les temps anciens dans des riziÚres en terrasses, bùties

au fond des vallĂ©es, en utilisant l’eau qui jaillit des montagnes (voir Zoom Japon n°114, octobre 2021). Les importants dĂ©gĂąts causĂ©s dans les riziĂšres par le tremblement de terre de janvier 2024 avait, dans un premier temps, donnĂ© l’impression aux agriculteurs qu’il serait impossible de planter au printemps suivant mais, grĂące au soutien de nombreux volontaires et au temps clĂ©ment, ils avaient pu surmonter cette Ă©preuve. Cependant, alors que le riz Ă©tait juste sur le point d’ĂȘtre rĂ©coltĂ©, les pluies torrentielles des 21 et 22 septembre ont Ă  nouveau provoquĂ© des glissements de terrains, plus importants encore, qui ont enseveli les riziĂšres en terrasses sous des montagnes de terre, de sable et de pierres.

Au moment oĂč les riziculteurs semblaient enfin pouvoir se remettre du sĂ©isme, ces pluies diluviennes les ont pris au dĂ©pourvu. Les sols

DerriĂšre ce dĂ©cor enneigĂ© qui peut faire rĂȘver, une grande partie de la population de cette rĂ©gion rurale ne s'est pas remise d'une annĂ©e trĂšs Ă©prouvante.
Eric Rechsteiner photo pour Zoom Japon

ZOOM ACTU

fragilisĂ©s par les secousses sismiques ont en effet cĂ©dĂ© sous les trombes d’eau, il est tombĂ© entre le 21 et le 22 septembre 500 mm de pluie. Alors que six mois avaient suffit pour rĂ©parer les dĂ© gĂąts causĂ©s par le tremblement de terre, il faudra au moins entre deux et trois ans pour remettre en Ă©tat les riziĂšres englouties par des torrents d’arbres, de pierres et de sable. Les habitants de cette rĂ©gion au climat rude, pourtant rĂ©sistants de nature, sont gagnĂ©s par le dĂ©sespoir. Il n’y a aucune chance que les riziĂšres puissent ĂȘtre re construites rapidement, ni qu’il soit possible d’y planter du riz. Le village de TĂŽme, et ses rizicul teurs sans riziĂšres, risquent donc la disparition de ce qui a Ă©tĂ© leur fonction premiĂšre, et leur raison d’ĂȘtre depuis des siĂšcles, la culture du riz. ShĂ»den Katsuyoshi n’a pas Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©, 85 de ses riziĂšres ont Ă©tĂ© dĂ©truites. “Mais, expliquet-il, ce sont les personnes dont la maison a Ă©tĂ© dĂ©vastĂ©e qui sont les plus affectĂ©es, elles n’ont pas la force de reconstruire ou de s’engager dans la re mise en Ă©tat des parties communes du village et se replient sur elles-mĂȘmes.” La population de TĂŽme est en forte chute, sur 70 familles prĂ©sentes avant les deux catastrophes, seules 45 demeurent. Certaines personnes patientent dans des logements provisoires, d’autres sont parties en maison de retraite, d’autres encore ont rejoint leur famille en ville. Un tiers des riziculteurs de cette petite communautĂ© a dĂ©jĂ  pris la lourde dĂ©cision d’abandonner leur travail.

Ainsi Hoshiba Ieyoshi, 80 ans, un Ăąge raisonnable pour la retraite, mĂȘme au Japon, aurait bien aimĂ© poursuivre son activitĂ©, mais il a dĂ» renoncer. Sa maison a Ă©tĂ© trĂšs endommagĂ©e par le sĂ©isme, puis ses riziĂšres dĂ©truites par les pluies diluviennes et les glissements de terrains qu’elles

ont provoquĂ©s. HĂ©bergĂ© avec son Ă©pouse dans un logement provisoire, il rĂ©siste aux appels de sa famille de rejoindre la ville, Kanazawa, le chef-lieu de la prĂ©fecture d’Ishikawa, et aimerait pouvoir continuer Ă  vivre dans le village. “Les inondations ont Ă©tĂ© pires que le sĂ©isme”, affirme-t-il sans hĂ©siter. “Les tremblements de terre, on a l’habitude Ă  Noto, mais de telles pluies, on ne pensait pas que cela pourrait arriver ici.” Si les critiques fusent parfois quant Ă  l’action des pouvoirs publics, notamment les prioritĂ©s de la reconstruction, tous s’accordent pour louer l’élan de solidaritĂ© de la sociĂ©tĂ© civile. Pas moins d’une dizaine de groupes de volontaires

se sont succĂ©dĂ©s Ă  TĂŽme. Des groupes religieux, bouddhistes comme le taĂŻwanais Tzu Chi, ou la religion japonaise TenrikyĂŽ mais aussi chrĂ©tiens. Ou encore des volontaires d’Ôsaka venus prĂȘter main-forte pour rĂ©parer les riziĂšres, et des Ă©tudiants de l’universitĂ© de Kanazawa venus porter soins aux rescapĂ©s.

Les problĂšmes de ce petit village de Noto sont ceux d’une grande partie des zones rurales du Japon : vieillissement de la population, exode rural, isolement, dĂ©sintĂ©rĂȘt des jeunes pour le travail agricole. Ces sujets sont connus de longue date, mais les deux catastrophes naturelles les ont fortement amplifiĂ©s.

Voilà ce qu'il reste des riziÚres de M. Shûden aprÚs les ravages du séisme et de l'eau.
hoShiba Ieyoshi ne reprendra pas son activité rizicole aprÚs les pluies torrentielles de septembre.
Shûden Katsuyoshi a perdu 85 % de ses riziÚres.
Rechsteiner photo pour Zoom
Les habitants de TÎme voudraient rénover cette annexe du temple GyÎnen pour accueillir les visiteurs et retrouver le goût de vivre.

A dĂ©faut de jeunes dĂ©sireux de s’installer dans cette rĂ©gion reculĂ©e, les villageois espĂšrent au moins attirer les gens de passage. Et comme il n’y a plus de lieu d’hĂ©bergement disponible, il a Ă©tĂ© dĂ©truit par le sĂ©isme, ils envisagent de rĂ©habiliter le temple GyĂŽnen et son kuri, le bĂątiment adjacent au hall principal, autrefois utilisĂ© comme rĂ©sidence pour le moine supĂ©rieur, afin d’y crĂ©er une maison d’hĂŽte pour les visiteurs. La grande bĂątisse classĂ©e, et construite il y a plus de deux siĂšcles, nĂ©cessite d’importants travaux de rĂ©novation. Il a donc Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de lancer un appel au financement participatif afin de tenter de rĂ©unir les quelque 300 000 euros nĂ©cessaires Ă  la rĂ©habilitation complĂšte du bĂątiment. Ne pouvant plus produire de riz, les agriculteurs de TĂŽme se sont lancĂ©s dans ce projet comme celui de la derniĂšre chance. Le texte d’appel aux contributions financiĂšres explique ainsi : “Symbole du rĂ©tablissement aprĂšs la double catastrophe, nous aimerions poursuivre dans l’esprit de nos prĂ©dĂ©cesseurs, qui avaient autrefois renforcĂ© les liens de la communautĂ© en reconstruisant le temple GyĂŽnen, en faisant revivre son annexe et en crĂ©ant un lieu d’échange avec de nombreuses personnes et une lumiĂšre d’espoir pour les habitants de la rĂ©gion.”

A Wajima, capitale de la laque et principale ville de la pĂ©ninsule, souffle un vent violent et glacial qui rend la marche difficile, les rues sont dĂ©sertĂ©es, de nombreuses enseignes sont fermĂ©es depuis le sĂ©isme et ne rouvriront probablement jamais. MalgrĂ© les efforts de nettoyage des autoritĂ©s, les traces du tremblement de terre sont encore visibles Ă  chaque coin de rue. Certaines maisons ont Ă©tĂ© dĂ©blayĂ©es aux frais de l’Etat d’autres, bancales ou Ă©ventrĂ©es, attendent encore

leur sort. Les trĂšs fortes crues de septembre ont fait une dizaine de victimes dans la commune et neuf complexes d’hĂ©bergement temporaire pour les rescapĂ©s du tremblement de terre ont Ă©tĂ© inondĂ©s au-dessus du niveau du sol ; de nombreuses personnes Ă©vacuĂ©es Ă  la suite du sĂ©isme ont Ă©tĂ© forcĂ©es de se rĂ©fugier dans d’autres abris. Hamaguchi Yukio, 73 ans, professeur d’histoire de l’art Ă  la retraite, que Zoom Japon avait rencontrĂ© il y a un an alors qu’il photographiait mĂ©thodiquement les restes calcinĂ©s du marchĂ© de Wajima (voir Zoom Japon n°139, avril 2024), s’estime trĂšs chanceux. Sa maison avait certes Ă©tĂ© endommagĂ©e par le sĂ©isme, mais beaucoup moins que celles, entiĂšrement dĂ©truites, de ses voisins, et surtout il a pu emmĂ©nager dans une nouvelle demeure plus vaste et solide que la prĂ©cĂ©dente. “Je suis bien conscient de ma chance mais n’oublie pas un seul instant le malheur des autres”, confie-t-il. Les chiffres sont cruels pour Wajima. 40 % de la population, environ 2 000 familles, a dĂ©jĂ  quittĂ© la ville et l’exode risque de se poursuivre. Les crues, dans une ville qui se remettait Ă  peine des blessures du sĂ©isme, semblent avoir portĂ© le coup de grĂące. Les habitants de Wajima ont certes envie de reconstruire le fameux marchĂ© emportĂ© par les flammes, et faire ainsi revivre une tradition millĂ©naire, mais ils n’ont pas encore rĂ©ussi Ă  s’entendre sur la nouvelle forme qu’il devrait prendre.

Comme le site du marché, dont Hamaguchi Yukio a accumulé des milliers de clichés, a été entiÚrement déblayé, il pointe désormais son appareil vers les nombreuses bùches de plastique bleues disposées sur les toits et murs endommagés de son voisinage, un quartier dont la plupart des maisons sont à terre. Il les photographie sous

hamaguchi Yukio et les bĂąches bleues de l'espoir.

tous les angles pour une raison bien simple : “On ne met pas une bñche sur un bñtiment que l’on a l’intention d’abandonner”, explique-t-il. “Elles sont donc un signe d’espoir !”

Eric rEchstEinEr

Financement participatif

Si vous souhaitez soutenir le projet des habitants de TĂŽme visant Ă  rĂ©habiliter l’un des bĂątiments du temple GyĂŽnen pour en faire un lieu d’accueil des visiteurs, vous pouvez faire un don en suivant ce lien : https://readyfor.jp/projects/148425?sns_ share_token=34b8eb1fcaeea4ba9fa6.

A Wajima, les stigmates du violent séisme du 1er janvier 2024 sont encore visibles.
Le célÚbre marché de Wajima a totalement disparu.
Eric Rechsteiner photo pour Zoom
Japon
Eric Rechsteiner photo pour Zoom Japon

Manga et nature, le bon trait

Parmi les nombreux mangas oĂč il est question de la nature, ceux consacrĂ©s Ă  la pĂȘche figurent en bonne place.

Dans le monde de la bande dessinĂ©e japonaise, les Ă©diteurs, toujours trĂšs occupĂ©s, sont constamment Ă  la recherche de sujets intĂ©ressants Ă  transformer en best-sellers potentiels. Tous les sujets sont bons Ă  prendre, et la nature ne fait pas exception Ă  la rĂšgle. Au cƓur des prĂ©occupations des Japonais, elle est devenue une thĂ©matique importante pour les mangakas qui ont multipliĂ© les Ɠuvres s’intĂ©ressant Ă  cette problĂ©matique. Dans un pays oĂč on ne compte plus le nombre de personnes qui aiment taquiner le goujon (voir Zoom Japon n°142, juillet-aoĂ»t 2024), la pĂȘche est depuis longtemps un sujet de prĂ©dilection pour les mangas. Les annĂ©es 1970 sont considĂ©-

rĂ©es comme l’ñge d’or des mangas de pĂȘche, tandis que, plus rĂ©cemment, de nombreuses nouvelles bandes dessinĂ©es ont fait leur apparition dans les rayons des librairies. La liste suivante n’est qu’une petite sĂ©lection d’anciennes et de nouvelles bandes dessinĂ©es sur la pĂȘche, prĂ©sentĂ©es par ordre chronologique.

Tsurikichi Sanpei (1973-1983, 2001-2010, 2018-2020)

Connu sous le nom de Paul le pĂȘcheur en France, ce n’est pas seulement le parrain des bandes dessinĂ©es sur la pĂȘche, mais aussi le plus accompli d’un point de vue artistique. L’auteur Yaguchi

Takao (voir Zoom Japon n°137, fĂ©vrier 2024) Ă©tait un artiste qui a magnifiquement dĂ©peint les dĂ©cors naturels de ses histoires. La premiĂšre publication de ce manga dans le magazine ShĂŽnen Jump connut un tel succĂšs qu’elle dĂ©clencha un essor de la pĂȘche dans tout le pays dans les

années 1970 et 1980.

Le protagoniste, un garçon nommĂ© Mihira Sanpei, est un gĂ©nie de la pĂȘche. Son grand-pĂšre Ă©tait un maĂźtre fabricant de cannes Ă  pĂȘche. L’histoire tourne autour de son inĂ©puisable soif de pĂȘche. Ses premiĂšres aventures se dĂ©roulent dans la rĂ©gion du TĂŽhoku, c’est-Ă -dire le nordest de l’archipel, oĂč Sanpei vit ( Yaguchi Ă©tait lui-mĂȘme originaire de la prĂ©fecture d’Akita et ses souvenirs d’enfance constituent la base de ses premiĂšres histoires), mais par la suite, il entraĂźne les lecteurs dans tout le Japon, des zones humides de Kushiro Ă  HokkaidĂŽ (voir Zoom Japon n°78, mars 2018), oĂč Sanpei essaie d’attraper un poisson mythique, aux battures de la mer d’Ariake Ă  KyĂ»shĂ», oĂč il attrape des mudskippers sur un traĂźneau de boue. Sanpei se rend mĂȘme au Canada et Ă  HawaĂŻ pour pĂȘcher de gros poissons comme le saumon et le marlin. Comme Sanpei met constamment Ă  l’épreuve

Tsurikichi Sanpei (Paul le pĂȘcheur) est l'Ɠuvre emblĂ©matique de Yaguchi Takao.
Odaira Namihei pour Zoom
Japon

ses talents de pĂȘcheur, il voyage dans tout le pays pour affronter des poissons Ă©tranges et lĂ©gendaires. L’une des histoires les plus populaires l’oppose au takitarĂŽ, un poisson gĂ©ant qui vivrait dans l’étang d’Otoriike, dans la prĂ©fecture de Yamagata, mais que personne n’a jamais rĂ©ussi Ă  attraper. Le takitarĂŽ est en fait classĂ© parmi les animaux mystĂ©rieux non identifiĂ©s, ce qui signifie qu’il pourrait appartenir au domaine de la fantaisie. Tsurikichi Sanpei a la particularitĂ© de comporter un “Yaguchi Fishing Corner” dans lequel l’auteur lui-mĂȘme commente le contenu de son Ɠuvre et explique les dĂ©tails techniques des aventures de pĂȘche de Sanpei.

Tsuribaka nisshi (1979-aujourd’hui) “Le Journal d’un dingue de pĂȘche”, si l’on traduit littĂ©ralement son titre, est l’autre best-seller de longue date dans le domaine de la pĂȘche et, contrairement Ă  Tsurikichi Sanpei, il est toujours publiĂ© en sĂ©rie dans le magazine Big Comic Original. Fruit du travail de Yamazaki JĂ»zĂŽ (scĂ©nario) et Kitami Ken’ichi (dessins), ce manga a mĂȘme transcendĂ© le monde de la bande dessinĂ©e et le fandom de la pĂȘche puisqu’il a Ă©tĂ© transformĂ© en une sĂ©rie de films populaires qui a durĂ© 22 Ă©pisodes entre 1988 et 2009 dont le scĂ©nario a Ă©tĂ© Ă©crit par Yamada YĂŽji (voir Zoom Japon n°49, avril 2015).

Hamasaki Densuke, Ă©galement connu sous le nom de Hama-chan, est un salariĂ© ordinaire qui n’a aucune ambition professionnelle. Sa femme le pousse Ă  se lancer dans un hobby pour impressionner son patron et progresser. Il se met donc Ă  la pĂȘche Ă  contrecƓur
 et finit par en devenir dĂ©pendant. En consĂ©quence, il s’éloigne de plus en plus de toute idĂ©e d’avancement dans la hiĂ©rarchie de son entreprise. “AprĂšs tout, dit-il, si je suis promu, j’aurai moins de temps pour pĂȘcher.” Un jour, Hama-chan invite un vieil homme nommĂ© Su-san, qu’il a rencontrĂ© par hasard, Ă  aller pĂȘcher. Or, Su-san n’est autre que le prĂ©sident de l’entreprise pour laquelle travaille Hama-chan. Cette Ɠuvre est un peu un poisson Ă©trange dans cette sĂ©lection, car, bien que la pĂȘche joue un rĂŽle central, le vĂ©ritable cƓur de l’histoire est l’étrange amitiĂ© de Hama-chan avec Su-san et les problĂšmes que son fanatisme cause dans sa vie professionnelle. En effet, cette sĂ©rie est populaire en tant que manga dĂ©crivant le quotidien du travail autant qu’en tant que saga de pĂȘche.

Mr. Tsuridoren (1996-2002)

Le manga de Toda Katsuyuki raconte l’histoire lĂ©gĂšre de lycĂ©ens qui sont accros Ă  la pĂȘche Ă  l’achigan. Le personnage principal s’appelle Hiwa KĂŽichi, un lycĂ©en de premiĂšre annĂ©e qui veut rejoindre le club de basket-ball de l’école, mais qui s’inscrit par erreur au club de pĂȘche. LĂ , il se lie d’amitiĂ© avec ChĂŽta, un pĂȘcheur ex-

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pert qui prend KĂŽichi sous son aile. Ce manga est sorti alors que la mode de la pĂȘche Ă  l’achigan n’était pas encore retombĂ©e et il constitue un bon point d’entrĂ©e pour les dĂ©butants. Il comporte Ă©galement de nombreuses parodies de cĂ©lĂ©britĂ©s populaires Ă  l’époque, comme Sametaku (Sameura Takuya), qui s’inspire de Kimura Takuya, membre de l'ancien groupe d’idoles ultra-cool SMAP. Une rĂ©fĂ©rence plus obscure est GyĂŽrai Misa, une pĂȘcheuse spĂ©cialisĂ©e dans les poissons Ă  tĂȘte de serpent, qui est en fait un hommage Ă  Kuroi Misa, le personnage principal du manga d’horreur classique Eko Eko Azarak des annĂ©es 1970 de Koga Shin’ichi. D’ailleurs, le titre du manga, Mr. Tsuridoren, est un jeu de mots entre le terme tsuri (pĂȘche) et le groupe pop-rock populaire M. Children. Bien qu’il s’agisse d’une Ɠuvre Ă  forte teneur comique, Toda prend la pĂȘche trĂšs au sĂ©rieux. Les informations sur la pĂȘche au bar sont prĂ©sentĂ©es de maniĂšre professionnelle, clairement illustrĂ©es et faciles Ă  comprendre, mĂȘme pour les dĂ©butants.

Okazu ga nakereba, sakana o tsureba ii janai (2016)

InĂ©dit en français, “Si vous n’avez pas de plat d’accompagnement, il suffit d’attraper un poisson” est la devise de ce manga autobiographique rĂ©alisĂ© par Morikoshi Hamu. Dessinatrice et illustratrice de mangas, Morikoshi et son mari salariĂ© sont de parfaits dĂ©butants et l’histoire raconte leurs luttes et leurs erreurs pour devenir de bons pĂȘcheurs. Il leur faut six mois pour attraper quelques poissons, mais ils finissent par dĂ©couvrir la pĂȘche au sabiki, une mĂ©thode relativement facile qui permet d’attraper des poissons bleus tels que les sardines et les maquereaux Ă  l’aide de plusieurs hameçons et d’un petit panier en plastique rempli d’appĂąts. Ces petits poissons sont souvent capturĂ©s Ă  partir de la digue, ce qui rend la pĂȘche au sabiki trĂšs populaire auprĂšs des familles et des dĂ©butants. Le style de Morikoshi a une touche kawaii qui rend ses histoires faciles Ă  comprendre. De plus, comme le suggĂšre le titre, ce manga va au-delĂ  de la pĂȘche et prĂ©sente des instructions dĂ©taillĂ©es sur la façon de cuisiner des plats maison simples, comme des sashimis trempĂ©s dans des sauces aromatisĂ©es aux prunes ou au sĂ©same. Dans d’autres Ă©pisodes, la mangaka explique comment faire face aux poissons venimeux tels que les raies, parle des merveilles du poisson-lime, un poisson agrĂ©able au toucher, et de la situation des toilettes pour les femmes sur les lieux de pĂȘche.

Hîkago teibî nisshi (2017-aujourd’hui)

Le manga de Kosaka Yasuyuki, dont le titre

signifie Journal du brise-lames aprĂšs l’école, raconte l’histoire de Tsurugi Hina, une jeune fille qui dĂ©mĂ©nage de TĂŽkyĂŽ Ă  la ville natale de son pĂšre dans la prĂ©fecture de Kumamoto (voir Zoom Japon n°88, mars 2019) juste avant d’entrer au lycĂ©e. Un jour, alors qu’elle se promĂšne le long de la mer, elle rencontre une autre lycĂ©enne, Kuroiwa Yuki, qui pĂȘche sur le brise-lames. AprĂšs lui avoir empruntĂ© son matĂ©riel de pĂȘche, Hina, qui est Ă  sa premiĂšre expĂ©rience, rĂ©ussit Ă  attraper un poulpe qui atterrit sur ses jambes. Cependant, Hina souffre d’ichtyophobie (peur de toucher du poisson cru). Yuki lui retire la pieuvre, mais pas avant de lui avoir fait promettre qu’elle rejoindrait le Club du brise-lames. Celui-ci est composĂ© de quatre membres, et le manga dĂ©crit non seulement leurs activitĂ©s de pĂȘche, mais aussi la façon dont ils manipulent et cuisinent le poisson. De la fabrication d’appĂąts de pĂȘche Ă  partir d’insectes Ă©crasĂ©s au nettoyage d’une pieuvre, chaque Ă©pisode prĂ©sente des techniques et des mĂ©thodes de cuisson pour chaque type de poisson. Au fur et Ă  mesure que l’histoire progresse, l’éventail des activitĂ©s des filles s’élargit, comme lorsqu’elles profitent de leurs vacances d’étĂ© pour aller pĂȘcher dans les Ăźles GotĂŽ (voir Zoom Japon n°121, juin 2022), un archipel isolĂ© de la prĂ©fecture de Nagasaki.

Ohitsuri-sama (2017-présent)

Kamij Seira est une employĂ©e de bureau de 24 ans qui est populaire dans son entreprise en raison de son apparence, de son Ă©thique de travail et de sa personnalitĂ©. C’est une beautĂ© talentueuse mais plutĂŽt froide qui ne montre pas beaucoup d’émotions. Cependant, en dehors du bureau, c’est une fille un peu excentrique qui pense toujours Ă  la pĂȘche. Elle est trĂšs indĂ©pendante d’esprit et va toujours pĂȘcher seule (le titre du manga est un jeu de mots sur tsuri (pĂȘche) et ohitori-sama, c’est-Ă -dire les personnes qui aiment ĂȘtre seules).

Ayant grandi dans une famille oĂč tout le monde, Ă  l’exception de sa mĂšre, Ă©tait passionnĂ© de pĂȘche, l’hĂ©roĂŻne connaĂźt ce loisir depuis son plus jeune Ăąge. Elle est tellement douĂ©e qu’elle est enregistrĂ©e comme dĂ©tentrice d’un record dans le magasin de matĂ©riel de pĂȘche qu’elle frĂ©quente. Comme elle prĂ©fĂšre pĂȘcher seule, la plupart des scĂšnes de pĂȘche de Seira consistent en des monologues qui se dĂ©roulent dans sa tĂȘte. Ces monologues constituent d’ailleurs l’un des points forts de l’Ɠuvre.

Seira n’est pas du tout une pĂȘcheuse difficile et va n’importe oĂč pour attraper du poisson, y compris en rejoignant des couples et d’autres employĂ©s de bureau Ă  l’étang de pĂȘche local et en jetant des leurres dans les cours d’eau Ă  cĂŽtĂ© des riziĂšres - oĂč il n’y a pas d’autres pĂȘcheurs en vue - pour attraper des poissons-chats.

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Miss Cast (2017)

Iiyama Kazuo est un mangaka qui a Ă©crit plusieurs titres sur le thĂšme de la pĂȘche, et Miss Cast est un autre exemple de la rĂ©cente tendance Ă  associer la pĂȘche Ă  de jolies filles, ce qui est toujours un moyen sĂ»r d’attirer l’attention des lecteurs otaku. L’hĂ©roĂŻne de cette histoire est Mizukawa Makoto, une talento (personnalitĂ© de la tĂ©lĂ©vision) de 26 ans qui est sur le point d’ĂȘtre renvoyĂ©e de son agence de divertissement en raison d’un manque de travail. Son manager lui trouve un emploi dans une Ă©mission de pĂȘche, et bien qu’elle ne soit pas du tout intĂ©ressĂ©e par la pĂȘche, elle accepte en dĂ©sespoir de cause. Inutile de dire que Makoto devient peu Ă  peu accro au plaisir de la pĂȘche.

Au dĂ©but, l’histoire tourne autour de la pĂȘche aux leurres dans des lieux de pĂȘche artificiellement amĂ©nagĂ©s dans des Ă©tangs et des riviĂšres, mais aprĂšs le volume 2, lorsque Makoto s’est habituĂ©e Ă  pĂȘcher, le champ de ses activitĂ©s s’élargit considĂ©rablement. En effet, le producteur de l’émission de pĂȘche, sentant son pouvoir de vente, envoie Makoto Ă  travers le pays et la jette dans des lieux et des situations toujours diffĂ©rents, pour lesquels elle n’a absolument aucune expĂ©rience. Ainsi, Makoto se retrouve Ă  pĂȘcher le bar Ă  l’aide de leurres sur le rivage et Ă  essayer d’attraper des sĂ©bastes. Dans le troisiĂšme tome, Makoto obtient un permis de bateau et part pĂȘcher seule.

Ce qui est amusant avec Makoto, c’est que

mĂȘme si elle est accro Ă  la pĂȘche, elle ne cesse de rĂ©pĂ©ter qu’elle prĂ©fĂ©rerait faire autre chose. AssociĂ©e Ă  sa force d’esprit digne d’une cĂ©lĂ©britĂ©, elle devient un type de protagoniste que l’on ne retrouve pas dans les autres mangas de pĂȘche.

Tsuribito seikatsu (2017)

Encore un autre manga de pĂȘche publiĂ© en 2017 (une annĂ©e faste pour le genre), “La Vie du pĂȘcheur”, si l’on traduit littĂ©ralement, de SatĂŽ Terushi est similaire Ă  Okazu ga nakereba, sakana o tsureba ii janai en ce qu’il traite de la vie de pĂȘche intense et dĂ©vorante d’un vĂ©tĂ©ran du manga.

Comme tous les dessinateurs de bandes dessinĂ©es japonais Ă  succĂšs, SatĂŽ mĂšne une vie quotidienne trĂ©pidante, essayant toujours de battre la date limite hebdomadaire. Cependant, mĂȘme lorsqu’il termine un nouveau manuscrit Ă  2 heures du matin, il saute dans sa voiture pour aller pĂȘcher avec son Ă©diteur tout aussi fatiguĂ©. La description authentique de la pĂȘche se dĂ©roule principalement Ă  Katsuyama, sur la cĂŽte de la prĂ©fecture de Chiba, oĂč le mangaka pĂȘche la dorade noire. Cette mĂ©thode, qui consiste Ă  utiliser une canne Ă  pĂȘche courte Ă  partir d’un radeau ou d’un petit bateau, est particuliĂšrement populaire dans la rĂ©gion du Kansai (Ôsaka et sa rĂ©gion), tandis que dans la rĂ©gion du KantĂŽ (TĂŽkyĂŽ et sa rĂ©gion), il n’y a que quelques bons endroits Ă  Chiba et Ă  Kanagawa. L’intĂ©rĂȘt de Tsuribito seikatsu est qu’il relate fidĂšlement les aventures de SatĂŽ,

qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Alors que sa cible principale est la dorade noire, il doit souvent se contenter de maquereaux et d’autres petits poissons de ce type. Une autre fois, aprĂšs ĂȘtre descendu du bateau, il tente d’attraper des calmars bleus sur la digue, mais il rentre bredouille et subit les moqueries impitoyables de sa famille. Bien qu’il soit facile Ă  lire, ce manga est extrĂȘmement riche en informations sur les techniques de pĂȘche et les lieux de pĂȘche de la rĂ©gion de KantĂŽ. Une autre caractĂ©ristique attrayante est qu’en plus des visages familiers habituels tels que les rĂ©dacteurs et les assisva parfois pĂȘcher avec d’autres cĂ©lĂ©britĂ©s passionnĂ©es de pĂȘche telles que TakaYĂŽichi, cĂ©lĂšbre auteur d’Olive et Tom

(2018-aujourd’hui)

Uchino Maiko est celle de Hiyori et Koharu, deux filles qui sont en premiĂšre annĂ©e de lycĂ©e (une autre caractĂ©ristique de l’intrigue couramment utilisĂ©e pour attirer les jeunes lecteurs). Elles se rencontrent pour la premiĂšre fois sur une jetĂ©e oĂč Hiyori pĂȘche. Koharu ne semble pas connaĂźtre grand-chose Ă  l’ocĂ©an et Hiyori l’attrape littĂ©ralement avec une ligne de pĂȘche juste avant qu’elle ne plonge dans la mer glaciale de l’hiver. Les deux s’entendent bien et deviennent rapidement de bonnes amies, mais elles sont surprises d’apprendre qu’elles sont sur le point de devenir demi-sƓurs car la mĂšre de Hiyori va Ă©pouser le pĂšre de Koharu.

AprĂšs avoir emmĂ©nagĂ© ensemble, elles se lient autour de la pĂȘche. Elles vivent dans une ville au bord de la mer, et Hiyori connaĂźt particuliĂšrement bien la pĂȘche, car elle a toujours vĂ©cu dans la rĂ©gion et pĂȘche depuis son enfance, lorsqu’elle avait l’habitude d’attraper des poissons avec son pĂšre, aujourd’hui dĂ©cĂ©dĂ©. Hiyori est spĂ©cialisĂ©e dans la pĂȘche Ă  la mouche (une technique de pĂȘche qui utilise un leurre ultra-lĂ©ger appelĂ© mouche artificielle, qui imite gĂ©nĂ©ralement de petits invertĂ©brĂ©s tels que des insectes volants ou aquatiques pour attirer et attraper des poissons) et enseigne Ă  Koharu tout ce qu’elle doit savoir sur sa passion. La pĂȘche Ă  la mouche n’ayant rien Ă  voir avec les appĂąts vivants, c’est la technique idĂ©ale pour Hiyori qui dĂ©teste les insectes. En ce sens, Slow Loop est une lecture idĂ©ale pour ceux qui veulent se lancer dans ce type de pĂȘche.

Koharu, quant Ă  elle, n’est peut-ĂȘtre pas trĂšs expĂ©rimentĂ©e mais, en revanche, elle sait manier le poisson avec expertise et est douĂ©e pour la cuisine. En cuisinant les poissons qu’elles attrapent et en les servant Ă  leur famille, elles apprennent Ă©galement Ă  mieux connaĂźtre leurs nouveaux parents et Ă  crĂ©er un lien plus fort avec eux. Gianni simonE

Hiyori et Koharu utilisent la pĂȘche comme un moyen de se rapprocher.

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CINÉ Miyazaki ou l'approche spirituelle

Pour le célÚbre mangaka et réalisateur, le regard porté sur la nature a une dimension presque religieuse.

L’Ɠuvre de Miyazaki Hayao est souvent dĂ©finie comme la quintessence du Japon, en particulier dans la façon dont il dĂ©peint la nature (voir aussi pp. 24-27). C’est certainement vrai, mĂȘme s’il faut souligner que ses mangas et ses films prĂ©sentent rarement des paysages d’une beautĂ© traditionnelle, la seule exception Ă©tant probablement Mon voisin Totoro (Tonari no Totoro, 1988). ConsidĂ©rons la nature dĂ©peinte par Miyazaki dans NausicaĂ€ de la vallĂ©e du vent (Kaze no tani no Naushika, 19821994 pour le manga et 1984 pour l’anime), Mon voisin Totoro et Princesse MononokĂ© (Mononoke Hime, 1997).

Dans une interview accordĂ©e Ă  des journalistes Ă©trangers portant sur Princesse Mononoke, l’artiste a dĂ©clarĂ© ce qui suit concernant la façon dont la nature est reprĂ©sentĂ©e dans ses films : “J’ai essayĂ© de dĂ©peindre non pas une forĂȘt rĂ©aliste, mais une forĂȘt qui existe dans le cƓur des Japonais, une forĂȘt qui existe depuis des temps immĂ©moriaux”. La forĂȘt “dans le cƓur des Japonais” (Nihonjin no kokoro no naka) fait rĂ©fĂ©rence Ă  la foi religieuse du Japon. Dans le numĂ©ro d’aoĂ»t 1997 du magazine Seiryu, il a ajoutĂ© que “les dieux japonais ne sont ni bons ni mauvais. Parfois, le mĂȘme dieu devient violent, mais montre ensuite son cĂŽtĂ© calme et bienveillant. Les Japonais ont toujours eu ce type de foi. MĂȘme si nous vivons Ă  l’ùre moderne, nous avons toujours le sentiment que quelque part, au fin fond des montagnes oĂč nous n’avons jamais mis les pieds, il existe un endroit de rĂȘve avec des forĂȘts profondes, une belle verdure et de l’eau pure. (...) Il s’agit peut-ĂȘtre d’une sorte de primitivitĂ©, mais avant mĂȘme de parler de protection de l’environnement naturel, je considĂšre qu’il s’agit lĂ  de notre caractĂšre national. C’est quelque chose que nous ressentons profondĂ©ment dans nos cƓurs”. Il est intĂ©ressant de noter que des mots tels que “montagne”, “riviĂšre”, “plante” et “arbre” sont utilisĂ©s depuis l’AntiquitĂ©, et que les fleurs et l’herbe figurent dans de nombreux poĂšmes waka et haĂŻku. Cependant, jusqu’à une date relativement rĂ©cente, aucun mot n’englobait l’ensemble des Ă©lĂ©ments naturels. Ce n’est que dans la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, aprĂšs que le Japon ait mis fin Ă  son isolement international, que le mot “shizen” apparaĂźt pour traduire le mot Ă©tranger “nature”. Ainsi, le mot que nous tenons pour acquis aujourd’hui provient en fait d’un contexte Ă©tranger.

Par consĂ©quent, lorsqu’on regarde un film du Studio Ghibli, il est important de garder Ă  l’esprit que les Japonais ont une vision de la nature trĂšs diffĂ©rente de celle des Occidentaux. Dans la culture occidentale, la nature correspond au monde extĂ©rieur, en contraste Ă  sa propre existence. Par consĂ©quent, notre vision est basĂ©e sur le dualisme entre le soi et l’autre. En revanche, les Japonais ne voient pas la nature en termes duel et conflictuel. Au contraire, les humains et la nature entretiennent une relation Ă©troite, comme s’ils faisaient partie de la mĂȘme grande famille, comme l’exprime l’expression

“Terre mĂšre”. En d’autres termes, l’approche japonaise de la nature n’est pas basĂ©e sur l’opposition, mais sur la coexistence. Plus prĂ©cisĂ©ment, l’homme est autorisĂ© Ă  vivre dans la nature. Lorsque les EuropĂ©ens escaladent une haute montagne et en atteignent le sommet, ils disent qu’ils l’ont conquise et plantent leur drapeau sur le sommet. En revanche, un alpiniste japonais peut remercier le dieu de la montagne d’avoir atteint le sommet sans encombre et laisser de la nourriture en guise d’offrande. C’est parce qu’ils croient que les choses ont aussi une Ăąme. Miyazaki Hayao a Ă©galement dĂ©clarĂ© qu’il fut

Affiche originale de NausicaÀ de la vallée du vent réalisée par Miyazaki Hayao à partir du manga éponyme. Ghibli

un temps au Japon oĂč les forĂȘts avaient une signification spirituelle. À l’époque, lorsqu’on entrait dans une forĂȘt, on ressentait une sensation mystĂ©rieuse, comme si quelqu’un nous observait par derriĂšre, ou on entendait un son venant de quelque part. Cette prĂ©sence n’était rien d’autre que le signe que la nature Ă©tait vivante, une manifestation de sa vitalitĂ©. La nature est un thĂšme central dans les Ɠuvres de l’artiste, NausicaĂ€ de la vallĂ©e du vent, Mon voisin Totoro et Princesse Mononoké  : des cavernes souterraines couvertes de cristaux bleus (NausicaĂ€), une forĂȘt belle et paisible (Totoro), l’étang divinement brillant de l’Esprit de la forĂȘt (Princesse MononokĂ©). Pour lui, ces images de nature pure restent profondĂ©ment ancrĂ©es dans l’ñme des Japonais, quelle que soit la prospĂ©ritĂ© Ă©conomique ou l’avancĂ©e scientifique de leur pays. Dans NausicaĂ€ de la vallĂ©e du vent, la surface du monde est envahie par la mer empoison-

nĂ©e par la dĂ©composition, qui tue lentement la terre. Le poison est ce qui reste d’une immense civilisation industrielle dĂ©truite par une guerre. Au plus profond de la mer se trouve le pays de la puretĂ© bleue, une terre magnifique dotĂ©e d’une forĂȘt vierge, d’une eau pure et d’un air pur. NausicaĂ€ peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une vierge du sanctuaire qui gouverne le Pays de la PuretĂ© Bleue. A propos de ce monde souterrain, Miyazaki Hayao estime que “dans la partie la plus reculĂ©e de notre pays, il existe un endroit trĂšs pur oĂč les gens ne devraient pas mettre les pieds. L’eau y coule en abondance et protĂšge une forĂȘt profonde”. On peut dire qu’il a senti que la sensibilitĂ© japonaise Ă  l’égard de la nature Ă©tait en train de s’effondrer, et qu’il a voulu visualiser cette idĂ©e.

Dans Princesse MononokĂ©, cette idĂ©e de puretĂ© prend la forme de la forĂȘt du Dieu Lion. Lorsqu’Ashitaka se rend pour la premiĂšre fois dans la

forĂȘt, de nombreux Ă©chos se font entendre. Ces Ă©chos transparents incarnent la “prĂ©sence de la vie” ressentie par les gens Ă  l’époque oĂč les forĂȘts avaient une signification spirituelle. Quand Ashitaka est mortellement blessĂ©, il est transportĂ© dans la forĂȘt et immergĂ© dans les eaux de la source. Le Dieu Lion, qui contrĂŽle la vie et la mort, le ressuscite alors et lui insuffle une nouvelle vie. L’auteur montre clairement que le Dieu Lion a deux facettes : la vie et la mort, la crĂ©ation et la destruction. De la mĂȘme maniĂšre, la nature apporte des bĂ©nĂ©dictions aux humains, mais provoque aussi des catastrophes. La nature elle-mĂȘme ne meurt jamais, car elle est la vie mĂȘme, elle a le pouvoir de se rĂ©gĂ©nĂ©rer, parfois en prenant une forme diffĂ©rente. Alors que dans les premiers exemples, la nature est dĂ©peinte comme un royaume irrĂ©el et onirique, Mon voisin Totoro dĂ©crit un environnement plus familier, bien qu’idĂ©alisĂ©, qui est devenu progressivement plus difficile Ă  trouver. Dans cette histoire, dĂšs le dĂ©but, lorsque la famille emmĂ©nage dans sa nouvelle maison, il est montrĂ© Ă  plusieurs reprises qu’il existe un monde invisible, parallĂšle au monde rĂ©el.. Voyons maintenant ce qu’est Totoro. Mei rencontre la crĂ©ature gĂ©ante pour la premiĂšre fois lorsqu’elle tombe dans un grand sanctuaire en forme d’arbre. Totoro s’assoupit et Mei s’endort sur son ventre duveteux. Plus tard, Satsuki et son pĂšre essaient en vain de retrouver le chemin empruntĂ© par Mei. Le pĂšre de Satsuki lui dit alors qu’elle ne peut pas toujours rencontrer Totoro. Plus tard, le pĂšre de Satsuki lui dit que l’emplacement de l’arbre coĂŻncide avec le sanctuaire Suiten et que Totoro est propriĂ©taire de l’arbre. Totoro peut donc ĂȘtre considĂ©rĂ© comme l’esprit de l’arbre.

C’est dans les rĂȘves de Mei et Satsuki que Totoro exerce tout son pouvoir d’esprit de l’arbre. Lorsqu’elles voient les Totoro pousser des noix, elles se prĂ©cipitent dans le jardin. LĂ , elles prient pour faire pousser les plantes, et les jeunes pousses deviennent rapidement d’immenses arbres. Les deux sƓurs s’envolent alors dans le ciel dans les bras de Totoro.

Mais l’épisode ne s’arrĂȘte pas lĂ . Lorsqu’elles se rĂ©veillent le lendemain matin, elles constatent que les noix qu’elles ont plantĂ©es la veille ont germĂ©. Leur rĂȘve est devenu rĂ©alitĂ©. SubmergĂ©es par la joie, les deux filles courent autour du parterre de fleurs en disant : “C’est un rĂȘve, mais ce n’était pas un rĂȘve”. Les mots qu’elles rĂ©citent sont la clĂ© pour comprendre la pensĂ©e de Miyazaki : la rĂ©alitĂ© et les rĂȘves correspondent. C’est pourquoi les rĂȘves deviennent rĂ©alitĂ©. Dans un monde oĂč la rĂ©alitĂ© et les rĂȘves se chevauchent, les arbres ne sont pas seulement des entitĂ©s matĂ©rielles, ils ont une vie et un esprit.

G. s

Lorsque Totoro s'assoupit, Mei s'endort sur son ventre duveteux.
Bien qu'il s'inspire de la forĂȘt de Yakushima, le dĂ©cor de Princesse MononokĂ© a un cĂŽtĂ© surnaturel.
Ghibli
Ghibli

TÉLÉ Ishinomori, le dĂ©fenseur acharnĂ©

TrÚs populaire au Japon, le créateur de Kamen Rider reste méconnu en France. Une biographie lui rend hommage.

Originaire du TĂŽhoku, le nord-est de l’archipel, Ă  l’instar de Yaguchi Takao (voir pp. 8-10) dont il fut trĂšs proche Ă  la fin de sa vie, Ishinomori ShĂŽtarĂŽ a toujours entretenu un rapport singulier avec sa rĂ©gion natale dont il a vĂ©cu la transformation des paysages au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En effet, la nĂ©cessitĂ© de nourrir la population dans un pays largement dĂ©truit a conduit les autoritĂ©s Ă  dĂ©velopper des riziĂšres au dĂ©triment des forĂȘts et des espaces sauvages qui prĂ©valaient alors dans cette partie de la prĂ©fecture de Miyagi oĂč le futur mangaka est nĂ© le 25 janvier 1938.

MalgrĂ© la disparition progressive des zones forestiĂšres oĂč il passait de nombreuses heures Ă  jouer avec ses amis, il les a gardĂ©es en mĂ©moire et a su les restituer dans certaines de ses Ɠuvres, notamment RyĂ»jinnuma [Le marais du dieu dragon, 1961], sans doute son premier chefd’Ɠuvre. “MĂȘme s’il n’y a pas de marais de ce nom ici, le lieu qu’il a pris pour modĂšle a bel et bien existĂ©. Il n’en reste plus aucune trace, mais Ă  l’époque, Ă  la place des riziĂšres actuelles, il y avait une forĂȘt dense appelĂ©e Yachi oĂč nous allions, avec ShĂŽtarĂŽ, “mener des expĂ©ditions dans la jungle”. Tout autour, il y avait aussi une zone marĂ©cageuse tandis que la forĂȘt, avec ses grands arbres qui laissaient Ă  peine passer la lumiĂšre, avait un cĂŽtĂ© effrayant dont ShĂŽtarĂŽ s’est souvenu pour construire son histoire dans laquelle le personnage fĂ©minin n’est autre que sa sƓur”, se souvient SatĂŽ Toshiaki, ami d’enfance du dessinateur, dans la biographie que Claude Leblanc lui consacre et que les Editions IMHO publient dĂ©but fĂ©vrier. Dans cet ouvrage qui fait suite Ă  La RĂ©volution Garo 1945-2002 paru en 2023 chez le mĂȘme Ă©diteur, le fondateur de Zoom Japon explore la vie de l’artiste Ă  travers notamment le prisme de ses racines, lesquelles expliquent l’importance de la place donnĂ©e Ă  la nature dans son Ɠuvre. Tout au long de sa carriĂšre de mangaka au cours de laquelle il publiera 770 sĂ©ries pour un total de 128 000 pages, record jamais Ă©galĂ© et inscrit au Guinness Book, Ishinomori ShĂŽtarĂŽ se montrera trĂšs vigilant sur les sujets liĂ©s Ă  l’environnement, soulignant Ă  la fois sa propre sensibilitĂ© et sa capacitĂ© Ă  comprendre l’importance que cette thĂ©matique reprĂ©sentait pour les Japonais Ă  une Ă©poque oĂč la nature a Ă©tĂ© malmenĂ©e au nom de la croissance Ă©conomique. Lorsqu’il en-

tame sa carriĂšre de dessinateur dans la seconde moitiĂ© des annĂ©es 1950, les Japonais dĂ©couvrent les consĂ©quences tragiques de certains choix industriels comme la maladie de Minamata dont les autoritĂ©s reconnaissent officiellement l’existence en mai 1956. QualifiĂ© d’abord de “maladie Ă©trange” (kibyĂŽ), le mal, qui a d’abord frappĂ© les chats avant de toucher les hommes, est finalement associĂ© Ă  la prĂ©sence de mercure dans le poisson. Celui-ci a Ă©tĂ© rejetĂ© dans la mer par une entreprise chimique locale, contaminant quelque 15 000 personnes. A cĂŽtĂ© du traumatisme que cette affaire de pollution industrielle

a provoquĂ© chez une partie de la population, d’autres formes de dĂ©gradation de l’environnement mobilisent les Japonais, en particulier ceux qui vivent de plus en plus nombreux dans les centres urbains.

Ishinomori ShĂŽtarĂŽ a lui-mĂȘme quittĂ© sa rĂ©gion natale pour s’installer Ă  TĂŽkyĂŽ pour ĂȘtre plus proche des maisons d’édition. En 1964, alors que la capitale s’apprĂȘte Ă  accueillir les Jeux olympiques, le mangaka crĂ©e le personnage d’Ecchan, une petite fille un peu rĂȘveuse qui possĂšde des dons particuliers comme celui de parler aux ĂȘtres vivants. En lui accordant un

Kamen Rider Black publié à partir de 1987 offre une vision pessimiste sur le sort réservé à la nature.
Odaira Namihei pour Zoom Japon

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accent prononcĂ© du TĂŽhoku, il en fait un personnage trĂšs attachant Ă  qui il arrive tout un tas d’aventures rocambolesques et drĂŽles, mais qui se mobilise sur des sujets de premiĂšre importance comme la dĂ©fense de l’environnement. PubliĂ©e dans le magazine de prĂ©publication Margaret (ShĂ»eisha), cette sĂ©rie s’adresse Ă  un public fĂ©minin qui n’avait pas l’habitude de ce type de contenu. Dans le neuviĂšme Ă©pisode intitulĂ© Naiteiru no maki [Celui oĂč l’on pleure], Ecchan explique Ă  ses amies que le cerisier en fleurs est en train de pleurer Ă  cause des usines, de la circulation automobile et des travaux qui ne cessent de croĂźtre. La ville gagne du terrain et les bulldozers font reculer la nature. Bien dĂ©cidĂ©e Ă  la protĂ©ger avec ses amies, elle s’en prend Ă  un chasseur avant d’aider une grand-mĂšre Ă  dĂ©fendre sa maison traditionnelle contre les promoteurs, jusqu’au moment oĂč la vieille dame accepte de la vendre contre une grosse somme d’argent. Si la petite fille se venge en soufflant sur les liasses de billets qui s’envolent, l’histoire met aussi en avant la cupiditĂ© des adultes qui favorise la dĂ©gradation de l’environnement. La maniĂšre humoristique dont Ishinomori ShĂŽtarĂŽ aborde ce sujet ne doit pourtant pas faire oublier qu’à l’époque le Japon, en particulier TĂŽkyĂŽ, possĂšde une qualitĂ© de l’air extrĂȘmement mauvaise. Sa demande en Ă©nergie ayant Ă©tĂ© multipliĂ©e par sept depuis 1955, il en rĂ©sulte une pollution de l’air sans prĂ©cĂ©dent

qui conduit Ă  une multiplication des maladies respiratoires tandis que d’autres consĂ©quences nĂ©fastes sur l’environnement se manifestent, crĂ©ant un phĂ©nomĂšne de ras-le-bol. A l’époque, la situation au Japon suscite de nombreuses rĂ©actions dans le monde oĂč l’on n’hĂ©site plus Ă  parler de “dĂ©bĂącle environnementale”

Le mangaka, qui a pu effectuer un voyage de trois mois Ă  l’étranger quelques mois auparavant, a peut-ĂȘtre pris conscience de cette anomalie. Quoi qu’il en soit, il n’est pas insensible au sujet et participe Ă  sa maniĂšre Ă  maintenir la pression sur les autoritĂ©s qui restent obnubilĂ©es par le dĂ©veloppement industriel et la croissance Ă©conomique Ă  deux chiffres. RĂ©sultat, les concentrations de dioxyde de soufre dans l’atmosphĂšre passent de .015 ppm en 1960 Ă  .060 ppm cinq ans plus tard. Face Ă  cette dĂ©rive, les citoyens se mobilisent et finissent par obtenir du gouvernement qu’il prenne le taureau par les cornes et lĂ©gifĂšre. En aoĂ»t 1967, une loi sur le contrĂŽle sur la pollution est finalement passĂ©e, mais s’avĂšre dĂ©cevante. Cela pousse une partie de la population Ă  poursuivre ses manifestations. L’élection de Minobe RyĂŽkichi au poste de gouverneur de TĂŽkyĂŽ soutenu par le Parti socialiste et le Parti communiste en lieu et place du candidat reprĂ©sentant le Parti libĂ©ral dĂ©mocrate, au pouvoir, oblige les gestionnaires du pays Ă  se montrer plus ambitieux dans la lutte contre la pollution.

Les choses ne vont sans doute pas assez vite pour Ishinomori ShĂŽtarĂŽ qui conserve un intĂ©rĂȘt soutenu pour la dĂ©fense de l’environnement. MĂȘme si les choses s’amĂ©liorent, il semble dĂ©terminĂ© Ă  enfoncer le clou et Ă  rappeler Ă  son public que ce sujet doit demeurer une prioritĂ©. Lorsque la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision MBS lui demande, Ă  l’étĂ© 1970, de rĂ©flĂ©chir Ă  la crĂ©ation d’un personnage d’une sĂ©rie Ă  effets spĂ©ciaux qui sera Ă©galement adaptĂ©e sous forme de manga, il finit par proposer un hĂ©ros masquĂ© dont la mission consistera Ă  combattre Shocker, une organisation malĂ©fique qui tente de prendre le contrĂŽle du Japon. Dans sa biographie, Claude Leblanc revient en dĂ©tail sur le processus qui finit par accoucher de Kamen Rider qui porte un masque inspirĂ© de la sauterelle. “Toutes les destructions environnementales ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©es par l’homme au nom du progrĂšs de la civilisation. La crise alimentaire provoquĂ©e par l’augmentation de la population a Ă©tĂ© causĂ©e par l’homme lui-mĂȘme. La propagation galopante de maladies Ă©tranges provoquĂ©es par des produits chimiques. [
] Nous sommes menacĂ©s par des guerres commerciales, des guerres par procuration et des guerres nuclĂ©aires. La “civilisation” coĂ»te cher Ă  la nature et Ă  l’humanitĂ©. [
] La civilisation est censĂ©e ĂȘtre la cristallisation de la merveilleuse sagesse acquise par l’humanitĂ©. Il doit en ĂȘtre ainsi, et les efforts pour corriger immĂ©diatement ces erreurs relĂšvent aussi de la sagesse.

Ecchan représentée sur le Mangattan Liner reliant Sendai à Ishinomaki depuis 2003. Ce train avec les personnages d'Ishinomori cessera de circuler le 23 mars.

Ce long prĂ©ambule marque une rĂ©bellion de la nature contre cette “civilisation” (reprĂ©sentĂ©e par la technologie) qui s’est engagĂ©e dans une mau vaise voie. C’est pour nous alerter que Kamen Rider a Ă©tĂ© crĂ©Ă©â€, assure alors le mangaka pour justifier son choix. Kamen Rider est un cyborg, un ĂȘtre humain augmentĂ©, qui se rebelle contre son crĂ©ateur Shocker pour dĂ©fendre la planĂšte. Il doit affronter d’autres crĂ©atures envoyĂ©es par l’organisation pour l’empĂȘcher d’imposer sa loi. Lorsqu’il se retrouve pour la premiĂšre fois devant l’une d’elles, il lui adresse le message sui vant : “Pour vaincre vos ambitions de conquĂȘte de la Terre et prĂ©server la paix de l’humanité  Je suis Kamen Rider, le guerrier justicier envoyĂ© par MĂšre Nature”.

Si l’on a fini par retenir davantage les effets spĂ©ciaux dĂ©veloppĂ©s pour la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e que le message Ă©cologique lancĂ© par Ishinomori ShĂŽtarĂŽ dans Kamen Rider, dont le hĂ©ros de viendra au fil des annĂ©es l’un des plus popu laires du pays, il convient de saluer le travail du biographe qui remet en Ă©vidence l’engagement du mangaka vis-Ă -vis des questions environne mentales. Le fait qu’il en fasse un personnage fragile en dĂ©pit de sa force est aussi une maniĂšre de rappeler que la nature elle-mĂȘme est souvent victime de l’homme mĂȘme si elle peut se mon trer parfois destructrice. Bien qu’il n’ait pas connu directement de catastrophes naturelles d’envergure, le mangaka est nĂ© cinq ans aprĂšs le terrible sĂ©isme de magnitude 8,4 sur l’échelle de Richter qui a ravagĂ© le nord-est de l’archipel, faisant plus de 3 000 morts. Il est donc parfai tement conscient de ce paradoxe et son person nage en est une sorte d’incarnation. Lorsqu’il reprend pour une derniĂšre fois, Ă  l’automne 1987, son personnage dans la sĂ©rie intitulĂ©e Kamen Rider Black, publiĂ©e dans S nen Sunday, il joue Ă  fond cette carte et adopte une vision assez pessimiste puisque, malgrĂ© sa victoire sur le mal, le monde est dĂ©truit par la guerre nuclĂ©aire et la pollution environ nementale, principal objet du combat menĂ© par Kamen Rider depuis sa crĂ©ation en 1971. Claude Leblanc montre, dans ShĂŽtarĂŽ Ishinomori, il Ă©tait une fois le roi du manga, que l’artiste dĂ©fend cette approche sombre parce qu’il reste trĂšs sensible Ă  la transformation du pays et des paysages qu’il a connus. Alors qu’il approche de la fin de sa vie, en raison d’un mal qui va le ronger, il exprime plus ouvertement son attachement Ă  sa rĂ©gion natale. “Il n’est pas bon que la campagne perde son caractĂšre rural, un caractĂšre dont elle peut ĂȘtre fiĂšre. Il serait triste que les routes soient pavĂ©es partout, que les voitures aillent et viennent en crachant de l’essence, et que l’eau fraĂźche des ruisseaux soit remplacĂ©e par l’odeur des Ă©gouts. Chaque fois que je pense Ă  ma ville natale, je souhaite que l’amĂ©lioration de

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Kamen Rider, l'homme-sauterelle est devenu un héros incontournable de la culture populaire nippone.

la vie Ă  la campagne apporte l’odeur de la campagne au lieu de l’odeur de la ville”, dĂ©clare-t-il en 1992 alors qu’il s’engage dans des initiatives visant Ă  revitaliser la rĂ©gion qui l’a vu naĂźtre. “Je pense que ce sont les riziĂšres, les riviĂšres et les montagnes qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui. En d’autres termes, je crois que cette sorte de sensibilitĂ© est le produit de ma rĂ©gion natale”, ajoutera-t-il cinq ans plus tard, quelques mois avant que la maladie ait raison de lui. Bien que sa tombe se trouve Ă  TĂŽkyĂŽ, shinomori

ShĂŽtarĂŽ a laissĂ© derriĂšre lui, deux musĂ©es – le premier situĂ© Ă  TĂŽme Ă  40 km au nord d’Ishinomaki, le second dans la citĂ© portuaire (voir Zoom

Japon n°52, juillet 2015) – oĂč l’on peut mesurer l’importance qu’il a accordĂ©e Ă  la nature et Ă  la nĂ©cessitĂ© de la prĂ©server du mieux que l’on peut. Avec cette biographie de celui qu’on a surnommĂ© “le roi du manga” (manga no ĂŽsama), le fondateur de Zoom Japon permet non seulement de mieux faire connaĂźtre cet auteur incontournable de l’histoire du manga, mais aussi d’en exposer une facette souvent nĂ©gligĂ©e. odaira namihEi

Référence

ShĂŽtarĂŽ Ishinomori, il Ă©tait une fois le roi du manga, de Claude Leblanc, Editions IMHO, 2025, 24 €.

Odaira Namihei pour Zoom
Japon

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POLAR Bizarre, vous avez dit bizarre

Dans ce roman en quatre chapitres, chacun centrĂ© sur des personnages et des dessins diffĂ©rents qui ajoutent une nouvelle dimension au mystĂšre au fur et Ă  mesure qu'il se dĂ©voile, le lecteur se laisse emporter dans une enquĂȘte trĂšs prenante aux nombreuses ramifications. La façon dont le rĂ©cit est construit l'incite Ă  se mettre dans la peau des enquĂȘteurs qui essaient de dĂ©couvrir ce qui se cachent derriĂšre ces â€œĂ©tranges images”.

Strange Pictures (Henna e), de Uketsu, traduit par Silvain Chupin, Seuil, 2025, 19,90 €.

ESSAI Le nucléaire au miroir du Japon

Ces derniĂšres annĂ©es, la question du nuclĂ©aire est revenue sur le devant de la scĂšne, notamment aprĂšs l'accident de Fukushima en 2011 et avec la question du rĂ©chauffement climatique. Face Ă  ce dilemme, il n'est pas facile de trancher. Pierre Gras expose la gĂ©nĂ©alogie de la catastrophe de Fukushima et propose une analyse de la relation du Japon au nuclĂ©aire grĂące auxquelles le lecteur est mieux Ă©clairĂ©. Industrie nuclĂ©aire et dĂ©mocratie : le cas du Japon, de Pierre Gras, Le Bord de l'eau, coll. Documents, 2024, 14 €.

ANIMATION Un chat qui nous fait ronronner

Depuis sa prĂ©sentation Ă  Cannes en mai dernier, Anzu, chat-fantĂŽme a souvent Ă©tĂ© comparĂ© au Voyage de Chihiro (Sen to Chihiro no kamikakushi, 2002) de mIyazakI Hayao. Les deux films commencent par une jeune fille - ici Karin – qui est sĂ©parĂ©e de ses parents Ă  un moment crucial de sa vie, pour ensuite errer dans un monde fantastique sauvage (mais rĂ©solument

rĂ©aliste) peuplĂ© d'esprits qui la considĂšrent comme une nouveautĂ© ou une nuisance. Pour autant, la comparaison doit s'arrĂȘter lĂ . En effet, le film de kuno YĂŽko et yamashIta Nobuhiro offre une autre approche Ă  travers des personnages attachants qui procurent bien du plaisir.

Anzu, chat-fantîme (Bakeneko Anzu-chan), de Kuno Yîko et YamaShita Nobuhiro (2024). 97 mn. DVD et BluRay. 19,99 €.

N IHONGOTHÈQUE

Kaiwai

Kaiwai, il s’agit d’un terme classique qui signifie "alentours" ou "quartier" et dĂ©signe une zone gĂ©ographique sans limites prĂ©cises ni clairement dĂ©finies. Les Japonais vivant en France utilisent souvent l’expression “Opera kaiwai” pour dĂ©signer le quartier de l’OpĂ©ra Ă  Paris. Cette zone vague, appelĂ©e “quartier japonais”, permet, par exemple, de considĂ©rer que la librairie japonaise JunkudĂŽ fait partie d'Opera kaiwai, alors qu'elle se trouve plus proche du Louvre. Pratique. Lorsqu’un concept est pratique, on a tendance Ă  en profiter pour aller plus loin. Depuis 2023, kaiwai est beaucoup employĂ© sur les rĂ©seaux sociaux. PopularisĂ© par la gĂ©nĂ©ration Z, le terme est utilisĂ© pour dĂ©signer des communautĂ©s ou des milieux partageant un mĂȘme intĂ©rĂȘt, ainsi que les personnes qui y sont liĂ©es. Aujourd'hui, son usage est devenu trĂšs courant dans notre quotidien, tel qu'otaku kaiwai (les otakus et leur environnement), ou rĂąmen kaiwai (la communautĂ© des amoureux des nouilles en bouillon). Ce phĂ©nomĂšne est probablement liĂ© Ă  un besoin d’appartenance Ă  un groupe ou une communautĂ©, dans une Ă©poque marquĂ©e par l’isolation due Ă  la pandĂ©mie, mais aussi par la gĂ©nĂ©ralisation d'un mode de vie Ă  distance. Mais kaiwai va encore plus loin. Par exemple, shizen kaiwai dĂ©signe les personnes qui pratiquent des activitĂ©s de pleine nature. Cependant, sur les rĂ©seaux sociaux, ce terme peut Ă©galement signifier une mise en scĂšne volontairement instagrammable dans un cadre naturel, prenant ainsi une connotation ironique. Et cela ne s’arrĂȘte pas lĂ . Citons furo kyanseru (bain annulĂ©) kaiwai, autrement dit les gens qui ont la flemme de prendre un bain. Du grand n’importe quoi ! Mais l’idĂ©e reste comprĂ©hensible. Alors, passons Ă  la pratique. Voici mes kaiwai comme un exemple : Je vis Ă  Paris kaiwai, et mon boulot se trouve Ă  St. Martin kaiwai, un kaiwai de plus en plus envahi par des bobo kaiwai. Mon mĂ©tier concerne le Japon kaiwai, mais dans ma vie privĂ©e, je suis plutĂŽt nihonjin (japonaise) kyanseru kaiwai ! #nihongothequekaiwai.

KoGa ritsuKo

Ritsuko
Koga pour Zoom
Japon

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EXPOSITION Dans les fils de Shiota Chiharu

Le Grand Palais accueille, jusqu’au 19 mars, une rĂ©trospective dĂ©diĂ©e Ă  l’artiste japonaise au fil des Ăąmes.

Depuis dĂ©cembre dernier, les rĂ©seaux sociaux regorgent de photos et vidĂ©os immortalisant un univers spectaculaire de milliers de fils rouges enchevĂȘtrĂ©s. RĂ©solument “instagrammable”, cette installation se trouve au Grand Palais, au cƓur de la rĂ©trospective consacrĂ©e Ă  Shiota Chiharu, The Soul Trembles (Les frĂ©missements de l’ñme). Conçue en 2019 pour le Mori Art Museum de Tokyo, cette exposition avait attirĂ© plus de 660 000 visiteurs en seulement quatre mois, surpassant les records d’affluence des expositions de Kusama Yayoi ou Murakami Takashi. Et ce, malgrĂ© une notoriĂ©tĂ© moindre de l’artiste par rapport Ă  ces figures monumentales de l’art contemporain. Une enquĂȘte menĂ©e par le musĂ©e rĂ©vĂ©lait que plus de 54 % des visiteurs avaient Ă©tĂ© incitĂ©s Ă  dĂ©couvrir le monde de Shiota grĂące Ă  la forte visibilitĂ© de ses Ɠuvres sur les rĂ©seaux sociaux. Est-ce un succĂšs pour un artiste ? Que devons-nous attendre d’une Ɠuvre d’art contemporain ? Une rĂ©flexion ? Une Ă©motion ? Ou simplement une attraction visuelle ? AprĂšs avoir traversĂ© six pays d’Asie, cette rĂ©trospective s’installe Ă  Paris, occupant 1 200 mÂČ du monument historique. Et le phĂ©nomĂšne se rĂ©pĂšte : les plateformes de partage assurent une communication efficace, et les visiteurs rĂ©servent leurs billets des semaines Ă  l’avance. Hautement photogĂ©nique, l’exposition ne déçoit pas et provoque rĂ©guliĂšrement des exclamations admiratives.

DĂšs l’entrĂ©e, Where Are You Going ?, une installation de fils blancs suspendus dans une cage d’es-

calier, Ă©voque des bateaux flottants dialoguant magnifiquement avec l’architecture datant de 1900. RĂ©alisĂ©e initialement en 2017 Au Bon MarchĂ©, cette Ɠuvre introduit l’emblĂ©matique Uncertain Journey (Voyage incertain), une installation immersive composĂ©e de 280 km de fils rouges tissĂ©s. L’intensitĂ© visuelle saisit immĂ©diatement : “Waouh !” Le visiteur s’arrĂȘte pour capturer cet instant, souvent dans l’idĂ©e de le partager en ligne. Mais en s’attardant, une autre dimension se rĂ©vĂšle. Ces fils, qui s’entrelacent et parfois se rompent, semblent incarner une entitĂ© vivante, en quĂȘte d’existence, sans destination finale claire. Immersive et troublante, l’Ɠuvre fait Ă©merger les Ă©motions incertaines de l’artiste – ou celles de nous-mĂȘme. C’est alors qu’une question se pose : qui est cette artiste ? La rĂ©ponse attend dans les salles suivantes, oĂč

sont retracĂ©s son parcours Ă  travers des photographies, des vidĂ©os, mais aussi des crĂ©ations rĂ©centes marquĂ©es par le retour d’un cancer diagnostiquĂ© en 2017. MalgrĂ© peu d’explications Ă©crites, l’émotion imprĂšgne chaque Ɠuvre. NĂ©e en 1972 Ă  Ôsaka, Shiota a Ă©tudiĂ© la peinture Ă  l’huile Ă  KyĂŽto avant d’élargir son expression artistique. En 1994, dans sa performance-installation From DNA to DNA, les fils rouges apparaissent pour la premiĂšre fois, symbolisant le sang et les liens humains, en Ă©cho Ă  une lĂ©gende d’Asie de l’Est selon laquelle les Ăąmes sƓurs sont reliĂ©es par un fil rouge invisible. En 1996, elle s’installe Ă  Berlin. Sept ans aprĂšs la chute du mur, la ville, en pleine effervescence culturelle, attire de nombreux jeunes artistes, dont Shiota . Elle poursuit ses recherches auprĂšs de Marina Abramović et Rebecca Horn, figures majeures qui influencent

Uncertain Journey, 2021. Installation au Taipei Fine Arts Museum.
Guan-Ming Lin / © Adagp, Paris, 2024

profondĂ©ment son travail en interrogeant les rapports entre le corps et le monde. Progressivement, le corps disparaĂźt de ses Ɠuvres, laissant place Ă  des installations. En 2015, elle reprĂ©sente le Japon Ă  la 56e Biennale de Venise.

Dans les espaces suivants de l’exposition, le rouge cĂšde peu Ă  peu la place Ă  des Ɠuvres oĂč la mĂ©moire et l’absence prĂ©dominent : un piano brĂ»lĂ© entourĂ© de chaises enchevĂȘtrĂ©es dans des fils noirs, des fenĂȘtres usĂ©es de Berlin, une robe blanche enfermĂ©e dans une cage, des valises anciennes suspendues par des cordelettes rouges
 Ces objets, dĂ©pourvus de propriĂ©taires, semblent pourtant chargĂ©s d’histoires, rĂ©veillant des souvenirs enfouis, uniques Ă  chacun, mais porteurs d’émotions universelles. Et c’est lĂ  toute la force de Shiota . En partant de ses expĂ©riences et Ă©motions personnelles – l’inquiĂ©tude, l’incertitude face Ă  la vie et Ă  la mort, la quĂȘte des liens humains –, elle parvient Ă  les transformer en une expĂ©rience universelle. Son art, Ă  la fois intime et viscĂ©ral, touche Ă  l’essence mĂȘme de ce qui relie les ĂȘtres humains entre eux.

Alors, Shiota nous invite-t-elle Ă  comprendre ? Pas vraiment. Son travail semble plutĂŽt nous ramener Ă  nos propres sensations, Ă  ces Ă©motions enfouies que ses Ɠuvres font remonter Ă  la surface. Il ne s’agit pas d’un discours intellectuel, mais d’une expĂ©rience qui dĂ©passe les mots, laissant au spectateur une vibration intĂ©rieure. Et voilĂ , un “Waouh !” qui vient du cƓur. Et aprĂšs sa maladie et un tel succĂšs, comment l’art de Shiota Ă©voluera-t-il ? Plus elle sera sensible Ă  la mortalitĂ©, plus ses Ɠuvres pourraient reflĂ©ter ce que nous ressentons face Ă  la mort. Nous encourageront-elles, continueront-elles Ă  susciter un “Waouh !” admiratif, ou deviendront-elles le miroir de ce que nous prĂ©fĂ©rons ignorer ? KoGa ritsuKo

Informations pratiques

Chiharu Shiota, The Soul Trembles jusqu’au 19 mars 2025. 14€/11€ (TR). Grand Palais (porte H). www.grandpalais.fr/fr

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Where Are We Going? 2017/2024. Laine blanche, fil de fer, corde. Grand Palais, Paris 2024.

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LITTÉRATURE Un Murakami Haruki incertain

Avec son nouveau roman, l'auteur de 1Q84 ne parvient pas Ă  retrouver la magie de ses Ɠuvres prĂ©cĂ©dentes.

Pour la parution du nouveau roman de Murakami Haruki (voir Zoom Japon n°13, septembre 2011), le premier depuis 6 ans, son Ă©diteur français a fait les choses en grand, entourant l’Ɠuvre d’un grand secret avec un embargo jusqu’à sa sortie en librairie. Si la publication d’un nouveau titre du “maĂźtre Murakami” est en soi un Ă©vĂ©nement, la maniĂšre dont celui-ci a Ă©tĂ© annoncĂ© permettait de croire que nous aurions affaire Ă  un chef-d’Ɠuvre. Mais ce n’est pas vraiment le cas. Et cela est peut-ĂȘtre liĂ© Ă  ses origines. La CitĂ© aux murs incertains est nĂ© d’une tentative de retravailler un rĂ©cit Ă©ponyme de 1980, publiĂ© Ă  l’origine dans la revue littĂ©raire Bungakukai, que l’auteur, insatisfait, n’a jamais autorisĂ© Ă  rĂ©Ă©diter ou traduire. “Pourtant, dĂšs le dĂ©but, j’ai senti que l’histoire contenait des Ă©lĂ©ments d’une importance cruciale pour moi. Malheureusement, Ă  l’époque, je n’avais pas la capacitĂ© littĂ©raire de travailler Ă  une Ă©laboration de ces matĂ©riaux qui soit appropriĂ©e”, reconnaĂźt-il dans la postface pour justifier sa propre conviction “que quelque chose en sortirait” le moment venu aprĂšs avoir vainement tentĂ©, dans la continuitĂ© de la sortie de son premier roman La Course au mouton sauvage, en 1982, de le reprendre. Ce n’est qu’en 2020, au moment de la crise sanitaire, qu’il trouvera les ressources de retravailler cette nouvelle pour en faire un long roman tripartite. S’il se sent “trĂšs soulagĂ© d’avoir rĂ©ussi Ă  rĂ©Ă©crire sous une forme nouvelle (ou Ă  enfin achever) La CitĂ© aux murs incertains”, le lecteur, pour sa part, peut ressentir une certaine frustration face Ă  cette Ɠuvre assez brumeuse et longue. Mura-

kami Haruki nous a habituĂ©s Ă  des Ɠuvres touffues, mais elles n’avaient pas cette dimension autorĂ©fĂ©rentielle qui rend son nouveau roman difficile Ă  s’approprier. L’histoire est racontĂ©e par un homme d’un Ăąge moyen indĂ©terminĂ©. Dans la premiĂšre partie, il Ă©voque son premier amour : une jeune fille qu’il a rencontrĂ©e Ă  l’ñge de 17 ans lors de la cĂ©rĂ©monie de remise des prix d’un concours littĂ©raire inter-Ă©coles. Leur romance sans sophistication et dĂ©vorante se dĂ©roule au cours d’un Ă©tĂ© parfait entre TĂŽkyĂŽ et la ville cĂŽtiĂšre du narrateur. Les amants Ă©changent des lettres et se retrouvent parfois sur des bancs publics pour s’embrasser et discuter. Lorsqu’elle commence Ă  lui dĂ©crire une ville mystĂ©rieuse en-

tourĂ©e d’un haut mur, il est envoĂ»tĂ© par la notion de ce lieu Ă©trange. Cette ville fortifiĂ©e, dit-elle, est l’endroit oĂč vit la “vraie elle”. Des mois plus tard, alors que la nouvelle annĂ©e scolaire commence et que leurs rencontres se font de plus en plus rares, son amant disparaĂźt sans explication. Cette histoire d’amour se dĂ©roule en courts chapitres qui alternent avec un second rĂ©cit, situĂ© dans la ville fortifiĂ©e imaginĂ©e par la jeune fille. On y retrouve le narrateur, bien que d’ñge mĂ»r, et la jeune femme. Il travaille dans une mystĂ©rieuse bibliothĂšque, et elle est son assistante. La relation entre les deux telle que le romancier la rapporte laisse le lecteur un peu sur sa faim alors que les chapitres consacrĂ©s Ă  la citĂ© sont passionnants. Il mĂ©lange le fantasque et le menaçant Ă  la maniĂšre d’un Miyazaki Hayao avec qui il existe une proximitĂ© que l’essayiste Ôtsuka Eiji a Ă©tudiĂ©e dans un excellent essai paru en 2009 chez Kadokawa. C’est la meilleure partie du livre qui rappelle les meilleures pages de 1Q84. Ensuite, lorsque le narrateur parvient Ă  s’échapper de la ville fortifiĂ©e et prend un travail de bibliothĂ©caire dans une obscure ville de province, le roman se perd dans un style mĂ©andreux avec des situations rĂ©pĂ©titives qui ne servent pas le rĂ©cit et finissent par lasser. A la diffĂ©rence d’autres de ses romans, Murakami Haruki ne parvient pas totalement Ă  emporter le lecteur dans son Ă©lan. Mais si cela lui a permis d’ĂȘtre “soulagĂ©â€ et de se libĂ©rer d’un poids, on peut espĂ©rer que son prochain roman sera grandiose.

GabriEl bErnard

Référence

La CitĂ© aux murs incertains (Machi to sono futashikana kabe), de muraKami Haruki, trad. par HĂ©lĂšne Morita avec la collaboration d’Ôno Tomoko, Belfond, 2025, 25 €.

GOÛT La guerre du soja aura-t-elle lieu ?

Salée ou sucrée ? La sauce soja fait l'objet d'un vaste débat qui s'avÚre complexe et lié aux différents terroirs.

RĂ© cemment on a pu lire plusieurs articles sur la sauce soja commercialisĂ©e en France, plus sucrĂ©e que celle vendue plus communĂ©ment au Japon. Les Français sont en train de dĂ©couvrir que le goĂ»t de la sauce soja “standard” au Japon n’est pas forcĂ©ment le mĂȘme que celui qu’ils ont connu. Ils se mettent Ă  dire que la sauce soja sucrĂ©e a Ă©tĂ© adaptĂ©e pour le palais des non-initiĂ©s. Vrai ou faux ?

C’est Ă  la fois vrai et faux. Car chaque rĂ©gion a dĂ©veloppĂ© sa sauce comme pour le miso (voir Zoom Japon n°125, novembre 2022). Au Japon, il est des rĂ©gions connues pour leur sauce soja plus sucrĂ©e, telles KyĂ»shĂ», ou dans plusieurs rĂ©gions sur la cĂŽte de la Mer du Japon. Les TokyoĂŻtes peuvent se moquer de la sauce soja de Kagoshima en disant qu’il leur est impossible de manger le sashimi avec cette sauce sucrĂ©e, mais les habitants de KyĂ»shĂ» pourraient tout aussi bien leur rĂ©torquer que leur sauce soja est trop salĂ©e.

La diffĂ©rence vient du fait qu’elle rĂ©pond au goĂ»t du terroir. A Kagoshima, au sud du Japon, les poissons plus gras se marient avec la sauce ronde. De mĂȘme, historiquement, la sauce soja exportĂ©e de Nagasaki Ă  l’époque d’Edo (16031868) Ă©tait considĂ©rĂ©e comme une denrĂ©e de luxe, raison pour laquelle sans doute on y ajoutait du sucre, aliment tout aussi prĂ©cieux mais qu’on pouvait se procurer Ă  Nagasaki car importĂ© de l’étranger, pour la mettre davantage en valeur.

Le quartier d’Ôno de la ville de Kanazawa regorge encore de quelques fabricants tradition-

À Kagoshima, le sashimi se dĂ©guste avec de la sauce soja sucrĂ©e, impensable pour les TokyoĂŻtes.

nels de sauce soja Ă  l’instar de Yamamoto KĂŽhei, patron de Yamato ShĂŽyu. “La sauce soja douce s’est dĂ©veloppĂ©e ici parce que la rĂ©gion vivait beaucoup de la pĂȘche. Dans les bateaux on ne peut pas faire de cuisine compliquĂ©e. Les pĂȘcheurs, pour prendre les repas sur leur bateaux avec les poissons qu’ils venaient d’attraper, avaient besoin d’un condiment avec lequel ils pouvaient assaisonner le plus de plats possibles. Je pense que la sauce soja sucrĂ©e est ainsi nĂ©e, plus comme un condiment Ă  multi-usage, car avec cette sauce, on n’a pas besoin d’ajouter le mirin pour arrondir le goĂ»t, par exemple”, explique-t-il. D’ailleurs, encore aujourd’hui, les habitants de Kanazawa aiment cuisiner la chair blanche de poisson uniquement avec leur sauce soja et le sakĂ©. Si on le prĂ©parait de la sorte avec la sauce soja de TĂŽkyĂŽ,

il manquerait du goĂ»t et le poisson deviendrait trop salĂ©. Il est possible que la sauce soja sucrĂ©e soit devenue la prĂ©fĂ©rĂ©e des Français sans doute pour une raison similaire ; facile Ă  utiliser aussi bien avec de la viande (qui contient le gras et qui se marie avec la sauce soja sucrĂ©e) qu’avec des lĂ©gumes. Elle est idĂ©ale pour cuisiner des plats sans avoir besoin de se procurer divers condiments traditionnels japonais. Il est facile de rejeter la sauce soja disant que ce n’est pas traditionnel. Mais on peut dire aussi que si les Français ont adoptĂ© la sauce soja, ce n’est pas forcĂ©ment parce que les non-initiĂ©s se sont fait duper ou que les Français aiment plus le goĂ»t sucrĂ©, mais que cette prĂ©fĂ©rence rĂ©pond Ă  une certaine logique gustative. sEKiGuchi ryĂŽKo

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L A RECETTE DE HARUYO

RĂŽti de porc Ă  la japonaise (WafĂ» pĂŽku roti)

PRÉPARATION

01 - Laisser le porc à température ambiante pendant environ 30 minutes.

02 - Mijoter le porc dans l’eau bouillante pendant 30 minutes.

03 - Retirer du feu, couvrir, et laisser reposer pendant 1 heure.

04 - Placer le porc dans un sac de congélation à zip avec les ingrédients de la sauce.

05 - Immerger le sac dans un bol d’eau, retirer l’air, puis laisser mariner Ă  tempĂ©rature ambiante pendant 30 minutes.

06 - Chauffer une poĂȘle avec de l’huile de sĂ©same, puis saisir le porc sur ses 4 cĂŽtĂ©s.

07 - Ajouter le jus restant du sac dans la poĂȘle et le faire rĂ©duire jusqu’à ce qu’il diminue de moitiĂ©.

08 - Laisser reposer le porc pendant au moins 10 minutes avant de le découper.

09 - Trancher le porc selon l’épaisseur souhaitĂ©e, puis le dresser avec les lĂ©gumes de votre choix.

Astuce

Si vous aimez les arÎmes épicés, vous pouvez ajouter des ingrédients comme de l'anis étoilé, des clous de girofle ou un bùton de cannelle.

INGREDIENTS

(pour 4 personnes)

‱ 400 Ă  500 g d’échine de porc

Pour la sauce

‱ 3 cuillùres à soupe de sauce soja

‱ 3 cuillùres à soupe de mirin

‱ 3 cuillùres à soupe de sucre

‱ 1 cuillĂšre Ă  cafĂ© d’ail rĂąpĂ©

‱ 1 cuillĂšre Ă  cafĂ© de gingembre rĂąpĂ©

‱ 1/2 cuillĂšre Ă  cafĂ© de piment coupĂ© en rondelle

‱ 1 cuillĂšre Ă  cafĂ© d’huile de sĂ©same

Fascinante citĂ© d'art et d'histoire Ă  deux pas d’Ôsaka

ImplantĂ©e au sud d’Ôsaka sur un territoire hautement stratĂ©gique, la ville de Sakai dĂ©voile un univers d'authenticitĂ©, de quiĂ©tude et de savoir-faire exceptionnel. Son vaste et sĂ©duisant parc Daizen abrite un rare ensemble de sĂ©pultures anciennes.

vec des Ă©tĂ©s chauds, des hivers relativement doux et des saisons intermĂ©diaires agrĂ©ables, Sakai attire toujours plus de visiteurs en quĂȘte de patrimoine historique, de culture, mais aussi d’une atmosphĂšre dĂ©tendue et de nature.

TrĂšs tĂŽt, entre le iiie et vie siĂšcle, la rĂ©gion devient un centre important du premier pouvoir central, Ă©tabli au sud de Nara. À cette pĂ©riode, le choix de sĂ©pultures recouvertes de gigantesques tumulus pour enterrer les chefs de clans annonce l’arrivĂ©e de la centralisation politique et la crĂ©ation du tout premier État. Avec ses 486 m de longueur et 35,8 m de hauteur, le kofun DaisenryĂŽ (tombe de l'empereur Nintoku), attraction principale de la ville, est considĂ©rĂ© comme l’un des plus grands sites funĂ©raires au monde. Ce monument, ainsi que la centaine d’autres tumulus qui l’entourent, formant l’ensemble des kofun de MozuFuruichi, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

AccĂšs

De Tîkyî à Ôsaka : Shinkansen de Tokyo à Shin-Osaka,

De Shin-Osaka Ă  Sakai :

Environ 24 minutes - Train (JR Tokaido Main Line) de Shin-Osaka Ă  Osaka, train (JR Kanku & Yamatoji Rapid Service) d'Osaka Ă  Shin-Imamiya, train (Nankai Koya Line) de Shin-Imamiya Ă  Sakai-higashi

Environ 27 minutes - MĂ©tro (Osaka Midosuji Line) de Shin-Osaka Ă  Namba, train (Nankai Koya Line) de Namba Ă  Sakai-higashi.

Il fascine par sa taille mais aussi par la vĂ©gĂ©tation luxuriante qui le recouvre et les douves remplies d’eau qui le bordent.

HĂ©ritages culturels de Sakai

Pour approfondir leurs connaissances sur la pĂ©riode d’AzuchiMomoyama qui a vu s’achever l’unification du Japon au xvie siĂšcle, les visiteurs franchiront les portes du Sakai Plaza of Rikyu & Akiko. Un bel Ă©crin de verre et d’acier, qui se fond harmonieusement derriĂšre le rideau d’arbres environnants, ce centre culturel offre une immersion captivante dans l’histoire de la ville. En hommage Ă  Sen no RikyĂ», grand sage du xvie siĂšcle Ă  l’origine de la cĂ©rĂ©monie du thĂ©, un pavillon accueille les nĂ©ophytes et initiĂ©s afin de leur faire dĂ©couvrir ce rituel de grande profondeur au travers de sa prĂ©paration, ses ustensiles (bols Ă  thĂ© de style raku) et ses pĂątisseries. Le centre abrite Ă©galement un musĂ©e dĂ©diĂ© Ă  Yosano Akiko, une grande figure littĂ©raire et pionniĂšre du fĂ©minisme japonais. Originaire du quartier de

Le tumulus de Sakai, recouvrant la tombe de l'empereur Nintoku, est le plus vaste du Japon.
Sakai

Kaino-chĂŽ Ă  Sakai, cette femme d’exception a notamment fondĂ© la premiĂšre Ă©cole mixte du pays. À travers une scĂ©nographie rĂ©unissant photos, papiers, documents audio et objets personnels, l’exposition offre un aperçu captivant de sa vie et de son Ɠuvre.

En remontant Ă  pied vers la riviĂšre Yamato, on rejoint facilement le Sakai Denshokan, situĂ© Ă  proximitĂ© du parc Francisco de Xavier. Ce musĂ©e de l'artisanat traditionnel de Sakai recense toutes les traditions artisanales locales dans une grande collection d’objets usuels. Il rĂ©unit au rez-de-chaussĂ©e un vaste espace de vente ainsi que des espaces de rencontre avec les artisans de la ville.

600 ans d'excellence en coutellerie japonaise Sakai demeure cĂ©lĂšbre comme un des berceaux mondiaux de la coutellerie. Cet art incarne un savoir-faire ancestral alliant tradition et progrĂšs technique. Dans le cadre de visites guidĂ©es d’ateliers de forge proposĂ©es sur place ou chez des partenaires locaux, on peut s’émerveiller en dĂ©couvrant les diffĂ©rentes Ă©tapes du processus de fabrication des lames tranchantes : le choix de l’acier, le façonnage, le polissage, puis l’affĂ»tage. Sous la supervision d'un artisan expĂ©rimentĂ©, le visiteur peut, s’il le dĂ©sire, participer Ă  la fabrication de son propre couteau. De nombreux passionnĂ©s viennent pousser la porte du CUT Museum, ou musĂ©e du couteau japonais, situĂ© Ă  l’étage du Sakai Denshokan. Dans un espace nouvellement rĂ©novĂ©, des Ɠuvres rares de couteliers locaux datant de plusieurs siĂšcles sont Ă  contempler, ainsi qu’un vaste Ă©chantillon de tous les exemplaires utilisĂ©s quotidiennement dans le cadre de la cuisine japonaise. On pourra facilement y distinguer les couteaux polyvalents Gyuto et Santoku, le petit utilitaire Petty, le Honesuki servant Ă  dĂ©sosser, ainsi que le Yanagiba utilisĂ© pour la prĂ©paration des sushis et sashimis.

Plus d'informations sur le site officiel du tourisme de Sakai https://www.sakai-tcb.or.jp/en/

De grands chefs ou de simples cuisiniers en devenir viennent à Sakai pour dénicher ou faire réparer leurs précieux outils de coutellerie fine. Ils y apprennent souvent que pour chaque geste, chaque préparation, il existe un couteau bien spécifique.

Un savoir-faire qui s’étend au cyclisme

Les forgerons de Sakai mettent également depuis le xxe siÚcle leur savoir-faire au service de la fabrication de piÚces mécaniques pour les bicyclettes, ce qui leur vaut une réputation mondiale qui ne cesse de grandir. Pour leur rendre hommage, le musée du vélo Shimano réunit une collection impressionnante de cycles du monde entier, allant des tout premiers modÚles en bois sans pédales aux derniers équipements de cyclistes professionnels.

Sakai Plaza of Rikyu & Akiko offre l'opportunité de vivre une expérience authentique de la cérémonie du thé.
Les couteaux de Sakai sont mondialement réputés.
Vue extérieure de la maison principale de l'atelier de forgerons de fusils.
Le musée du vélo Shimano est le seul musée au Japon dédié au cyclisme.

A la rencontre de Totoro

L'ùme écologique de Miyazaki Hayao a poussé le réalisateur à préserver la nature dont il s'est inspiré.

C’est dans l’inaka (campagne) vallonnĂ©e de Saitama que se trouve la vraie maison de Mei, Satsuki et, bien sĂ»r, de Mon voisin Totoro (Tonari no Totoro, 1988). Le rĂ©alisateur Miyazaki Hayao s’est inspirĂ© des collines de Sayama - Ă©galement appelĂ©es Totoro no Mori (la forĂȘt de Totoro) – pour rĂ©aliser son film, oĂč Mei et Satsuki passent de longs aprĂšs-midi Ă  courir dans la nature et Ă  se lier d’amitiĂ© avec des esprits (voir aussi pp. 11-12).

Ce lieu est situĂ© au centre du plateau de Musashi-no, Ă  environ 35 kilomĂštres du centre de TĂŽkyĂŽ, dans une zone chevauchant Saitama et la mĂ©tropole tokyoĂŻte. Il s’agit d’un espace vallonnĂ© et luxuriant, qui s’étend sur 3 500 hectares et d’une surface d’environ 11 kilomĂštres d’est en ouest et 4 kilomĂštres du nord au sud. Cette vaste zone boisĂ©e, qui comprend deux rĂ©servoirs, le lac Sayama et le lac Tama, conserve son charme d’antan. Vues du ciel, les collines ressemblent Ă  une petite Ăźle verte au milieu de l’agglomĂ©ration de TĂŽkyĂŽ.

Ici, les terres agricoles, les riziĂšres et les zones humides, ainsi que les forĂȘts environnantes, conservent l’aspect intemporel du passĂ©. Ce

type d’habitat, mĂȘlant nature sauvage et terres cultivĂ©es, est appelĂ© satoyama et a pour objectif premier le dĂ©veloppement de l’agriculture en symbiose avec l’environnement naturel. Dans les collines de Sayama, on a recensĂ© 1 400 types de fougĂšres et autres plantes Ă  graines, 19 types de mammifĂšres et plus de 200 espĂšces diffĂ©rentes d’oiseaux. En outre, 2 500 espĂšces d’insectes, de grenouilles, de serpents et de salamandres ont Ă©lu domicile dans cette rĂ©gion. L’homme habite la rĂ©gion depuis le palĂ©olithique, il y a plus de 10 000 ans. 235 sites archĂ©ologiques ont Ă©tĂ© confirmĂ©s dans la rĂ©gion de Sayama, ce qui en fait des biens culturels de grande valeur.

Le cĂ©lĂšbre personnage crĂ©Ă© par miYazaKi Hayao en 1988 veille sur sa forĂȘt.
Eric Rechsteiner photo pour

Des efforts de prĂ©servation bioculturelle dans les collines de Sayama ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©s depuis les annĂ©es 1970. En consĂ©quence, la plupart des habitats naturels ont Ă©tĂ© protĂ©gĂ©s avec succĂšs. Cependant, en raison du dĂ©veloppement urbain et des installations de loisirs, la destruction de l’habitat naturel par la dĂ©forestation et les dĂ©charges illĂ©gales est clairement visible.

En avril 1990, le Totoro no Furusato kikin [Fonds pour la rĂ©gion natale de Totoro] a Ă©tĂ© crĂ©Ă© dans le but de prĂ©server la nature luxuriante des collines de Sayama pour les gĂ©nĂ©rations futures. GrĂące aux efforts de cinq contributeurs initiaux, dont le rĂ©alisateur d’anime Miyazaki Hayao, les dons ont affluĂ© de tout le Japon. Les collines de Sayama Ă©tant connues pour avoir inspirĂ© le chef-d’Ɠuvre d’animation du rĂ©alisateur, Mon voisin Totoro, le fonds a Ă©tĂ© baptisĂ© en son honneur. En aoĂ»t 1991, la premiĂšre acquisition de terrain, Totoro no Mori n°1, a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e grĂące aux fonds fournis par les premiers donateurs. Totoro no Mori n°2 a Ă©tĂ© acquis en avril 1996. Un mois plus tard, un systĂšme de club de membres permettant de financer et de soutenir l’activitĂ© de l’organisation a Ă©tĂ© mis en place. ParallĂšlement, la publication de la lettre d’information Totoro no Mori Kara [De la forĂȘt de Totoro] a dĂ©butĂ©.

En avril 1998, le Totoro no Furusato kikin est devenu la Fondation Totoro no Furusato. Au cours des annĂ©es suivantes, jusqu’en octobre 2003, quatre autres acquisitions de terres ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es, portant le total Ă  six. En 2002, la fondation s’est vue dĂ©cerner le prix spĂ©cial du patrimoine forestier de l’Asahi Shimbun, le second quotidien japonais. Le prix, d’un montant d’un million de yens, a Ă©tĂ© utilisĂ© pour acheter des Ă©quipements et du matĂ©riel pĂ©dagogique pour l’observation de la nature. La fondation a Ă©galement lancĂ© un programme de prĂȘt de ce matĂ©riel aux Ă©coles. En 2006, la fondation a reçu le prix de l’environnement de la ville de KitakyĂ»shĂ».

En avril 2019, le nombre de forĂȘts achetĂ©es est passĂ© Ă  49, pour une surface totale d’environ

Totoro no Mori n°1 a été acquise en août 1991.
Eric Rechsteiner photo pour Zoom Japon
Le calme et la beauté.
Le lac Sayama.
La parcelle n°31 de 796 m2 a été acquise en 2015.
Eric Rechsteiner photo pour

Etes-vous prĂȘt Ă  rencontrer Totoro ?

89 689 m2. Dans le mĂȘme temps, grĂące Ă  une publicitĂ© et une exposition mĂ©diatique accrues, le nombre de visiteurs a Ă©galement augmentĂ© rapidement, avec des personnes venant non seulement du Japon, mais aussi du monde entier. Comme nous l’avons dĂ©jĂ  mentionnĂ©, Totoro no Mori est en fait composĂ© de plusieurs forĂȘts et bois plus petits. La plupart d’entre eux sont rĂ©partis dans la partie nord des collines de Sayama. Certains musĂ©es sont situĂ©s dans cette zone, ce qui permet Ă  la fois de profiter de la nature et d’apprendre l’histoire et le folklore de la rĂ©gion. Ces forĂȘts, musĂ©es et centres d’accueil sont reliĂ©s entre eux par des chemins ou des sentiers. Voyons quelques zones locales en dĂ©tail.

La rĂ©gion de Yamaguchi est composĂ©e de 20 forĂȘts, d’une superficie totale de 34 299 m2 (au 1er avril 2019). Vous y trouverez des temples, des jardins de thĂ© et des maisons traditionnelles japonaises. Pour vous rendre Ă  Yamaguchi, changez de train pour la ligne Seibu Sayama Ă  la gare de Nishi-Tokorozawa et descendez Ă  la gare de Shimo-Yamaguchi ou de Seibu-kyĂ»jĂŽ-mae.

La forĂȘt originale de Totoro, situĂ©e dans la rĂ©gion de Yamaguchi, a Ă©tĂ© acquise en 1990 par le comitĂ© directeur des Fonds Totoro. Les principaux arbres qui y poussent sont des cĂšdres japonais, des chĂȘnes, des cerisiers de Sargent, des cloches Ă  neige japonaises et des pins rouges. Toutes les zones sont reliĂ©es par des chemins et des marches. C’est un bon endroit pour se dĂ©tendre.

Parmi les autres installations de la rĂ©gion, citons le centre d’interaction avec la flore et la faune des collines de Sayama Ă  Tokorozawa et le parc naturel de Saitama Midori-no-mori Ă  Iruma. Le premier est l’un des cinq centres gĂ©rĂ©s par la prĂ©fecture de Saitama pour Ă©tudier la nature. Le second, quant Ă  lui, est un parc naturel de 85 hectares oĂč vous trouverez des bosquets d’espĂšces d’arbres mixtes et des zones humides laissĂ©es dans leur Ă©tat naturel pour l’observation en plein air.

Gianni simonE

S’y rendre

A cinq minutes Ă  pied de l’arrĂȘt de bus Takahashi sur la ligne Tokorozawa City Bus ou Ă  20 minutes de la station Seibu-kyĂ»jĂŽ-mae sur la ligne Seibu Sayama.

Un centre d’accueil appelĂ© Kurosuke no Ie (Maison de Kurosuke), une ancienne maison folklorique que le Fonds Totoro a acquise en 2004, est Ă©galement situĂ© dans cette zone. La maison permet d’accĂ©der

facilement Ă  15 des 19 forĂȘts. Dans cette partie des collines de Sayama, vous verrez Ă©galement des jardins de thĂ©, de petits ruisseaux, des bosquets de bambous et des forĂȘts familiales.

AccĂšs par le rail

Les lignes Seibu Ikebukuro et Seibu Shinjuku amĂšnent chaque jour des visiteurs au cƓur de la rĂ©gion de Sayama. La station Kotesashi de la ligne Seibu Ikebukuro se trouve Ă  deux arrĂȘts de la station Tokorozawa et assure la liaison avec les bus Ă  destination de Waseda Daigaku et Miyadera-nishi. La Maison de Kurosuke se trouve Ă  cinq minutes de marche de l’arrĂȘt de bus Dainichi-dĂŽ.

Maison de Kurosuke

La maison de Kurosuke est ouverte de 10h Ă  15h les mardis, mercredis et samedis. Elle est fermĂ©e les jours fĂ©riĂ©s, les fĂȘtes de fin d’annĂ©e et les fĂȘtes du Nouvel An. Vous pouvez y obtenir des cartes des sentiers, dĂ©couvrir la flore indigĂšne et apprendre l’influence de la forĂȘt sur le film de miYazaKi

Publié par Ilyfunet Communication 12 rue de Nancy 75010 Paris

TĂ©l: +33 (0)1 4700 1133 courrier@zoomjapon.info

DépÎt légal : à parution. ISSN : 2108-4483. Imprimé en France

Ont participé à ce numéro : Odaira Namihei, Gabriel Bernard, KOGA Ritsuko, Eric Rechsteiner, Gianni Simone, SEKIGUCHI RyÎko, MAEDA Haruyo

TAKACHI Yoshiyuki, KASHIO Gaku, TANIGUCHI Takako, MASUKO Miho, ETORI ShÎko, Marie-Amélie Pringuey, Marie Varéon (maquette)

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A 35 km du centre de TĂŽkyĂŽ, la forĂȘt de Totoro est une source garantie de plaisir.
Eric Rechsteiner photo pour Zoom Japon

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