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Entre Knust et Quignon
L’histoire de cette œuvre, de la première idée au montage final, est celle d’une collaboration entre deux artistes et des professionnels de la boulangerie. Rencontre avec des maestro de
la matière. Par Déborah Liss Photo Dorian Rollin
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Sole majeure
C’est à proximité d’une boulangerie, place du Corbeau, que Entre Knust et Quignon élit domicile. Ce clin d’œil franco-allemand au croûton est imposant, avec son panier géant réalisé en tube d’acier, laissant s’échapper des tranches de pain faites de tôles en inox. Certaines aux reflets métalliques, d’autres enserrées de rouge ou décorées d’une dentelle d’acier. « Pour chacune des tranches, nous avons utilisé une technique différente, comme chez Bongard [entreprise de fabrication de fours pour boulangers, ndlr] », raconte Odile Liger, graveuse et peintre. L’œuvre est une allégorie parfaite de la collaboration. « Il s’agissait de faire le lien entre notre jeu de forme, l’abstraction, et le four à pains », indique Klaus Stöber, photographe et peintre. « À l’image de ce qui se fait ici, nous voulions aller de la sole [le système de chauffage situé sur la partie basse d'un four, ndlr], ou du sol, à la voûte ». C’est ainsi qu’une croûte terrestre enserre la tranche du bas, tandis que celle du haut représente une constellation. « Cela rappelle le lien avec nos équipements, qui ont des noms de constellations (Orion, Mira, Calypso...) », explique Benoît Sevin, PDG de Bongard.
« Le savoir-faire de la contrainte invisible »
Pour arriver à cette œuvre commune, il a fallu une collaboration de tous les instants, inédite dans l’entreprise de Holtzheim. « C’était vraiment la rencontre de deux mondes », se rappelle Odile. « Celle de deux méthodes et de deux langages », renchérit Olivier Keim, du bureau d’études. Un premier groupe prototypage s’est réuni avant d’ouvrir la porte à tous les salariés volontaires. Naturellement, une dizaine d’entre eux se sont regroupés autour des artistes. Quand ils n’étaient pas en réunion avec Olivier ou en phase de création, Odile et Klaus observaient les techniciens donner vie à leurs idées, de la peinture au brassage en passant par le meulage et la découpe. Ceci, après que l’expertise d’Olivier ait rendu ces étapes possibles. « Il faisait vraiment la transcription, rapporte Odile. Par exemple, c’est grâce à lui qu’on a pu passer d’un modèle fait littéralement en mie de pain à une vraie dentelle d’acier. Il mettait aussi des limites, et j’aimais le fait qu’il y ait des choses impossibles à faire. Ça m’a dirigée. » « Ce qui me marque le plus chez ces professionnels, c’est le savoir de la contrainte invisible, raconte Klaus. J’ai beaucoup appris auprès d’eux. Ils sont très exigeants. » Les artistes n’en reviennent toujours pas d’avoir eu à disposition de tels moyens, industriels. « La découpe laser m’intéressait beaucoup », rapporte Odile. « Je n’avais jamais travaillé dans des conditions aussi chiadées », sourit Klaus.
Plaisir et fierté pour les salariés de Bongard
Pour l’entreprise, le bilan est également positif. Pour Benoît Sevin, pour qui il était évident que le rôle de mécène impliquerait un investissement de A à Z, « cela permettait de sortir les salariés de leur zone de confort. Certains font le même travail depuis des années. Ils ont complètement changé d’état d’esprit. » José et Farid ont par exemple mis leur savoir-faire en métallurgie au service de l’œuvre. Ce sont eux qui ont réalisé le cintrage du tube constituant le panier et assemblé les tôles de la tranche rouge. Ils évoquent le plaisir qu’ils ont eu à l’idée de participer à une exposition d’œuvres d’art. Farid parle également d’une « expérience humaine enrichissante », notamment celle « d’échanger avec des gens qui ont une vision plus abstraite ». « C’était vraiment chouette », renchérit Klaus, dont le projet l’a occupé pendant près de deux ans. Avec le prolongement dû à la pandémie, il a fallu remotiver les troupes. Mais cela a aussi permis d’aller plus loin, notamment avec un hommage aux corps de métier qui ont participé. « J’ai eu l’idée qu’Odile réalise des gravures, pour rajouter encore un peu sa touche. Son travail me fait penser à l’encre de Chine, j’aime beaucoup », explique Benoît Sevin. Ainsi, dans l’œuvre, huit métiers seront représentés. Un beau symbole pour conclure ce « bout de chemin ensemble », selon Klaus. Un chemin où, en somme, comme le dit Benoît Sevin : « des artistes ont travaillé avec d’autres artistes ».
Le making-of à la galerie Pascale Froessel
En parallèle de l’exposition de l’œuvre pendant L’Industrie Magnifique, les autres travaux autour du projet seront exposés à la galerie Pascale Froessel, au cœur de la Petite France, du 3 au 13 juin. Le spectateur pourra ainsi prolonger l’expérience avec les toiles et photographies de Klaus Stöber prises à l’usine, mais aussi les gravures préparatoires d’Odile Liger. Les artistes seront présents le week-end du 5 et 6 juin.
Entre Knust et Quignon, KLAUS STÖBER ET ODILE LIGER BONGARD Place du Corbeau