Hors-série Zut — L'Industrie Magnifique #2

Page 50

L’histoire de cette œuvre, de la première idée au montage final, est celle d’une collaboration entre deux artistes et des professionnels de la boulangerie. Rencontre avec des maestro de la matière. Par Déborah Liss Photo Dorian Rollin

Sole majeure C’est à proximité d’une boulangerie, place du Corbeau, que Entre Knust et Quignon élit domicile. Ce clin d’œil franco-allemand au croûton est imposant, avec son panier géant réalisé en tube d’acier, laissant s’échapper des tranches de pain faites de tôles en inox. Certaines aux reflets métalliques, d’autres enserrées de rouge ou décorées d’une dentelle d’acier. « Pour chacune des tranches, nous avons utilisé une technique différente, comme chez Bongard [entreprise de fabrication de fours pour boulangers, ndlr] », raconte Odile Liger, graveuse et peintre. L’œuvre est une allégorie parfaite de la collaboration. « Il s’agissait de faire le lien entre notre jeu de forme, l’abstraction, et le four à pains », indique Klaus Stöber, photographe et peintre. « À l’image de ce qui se fait ici, nous voulions aller de la sole [le système de chauffage situé sur la partie basse d'un four, ndlr], ou du sol, à la voûte ». C’est ainsi qu’une croûte terrestre enserre la tranche du bas, tandis que celle du haut représente une constellation. « Cela rappelle le lien avec nos équipements, qui ont des noms de constellations (Orion, Mira, Calypso...) », explique Benoît Sevin, PDG de Bongard. « Le savoir-faire de la contrainte invisible » Pour arriver à cette œuvre commune, il a fallu une collaboration de tous les instants, inédite dans l’entreprise de Holtzheim. « C’était vraiment la rencontre de deux mondes », se rappelle Odile. « Celle de deux méthodes et de deux langages », renchérit Olivier Keim, du bureau d’études. Un premier groupe prototypage s’est réuni avant d’ouvrir la porte à tous les salariés volontaires. Naturellement,

50 — ZUT — L’Industrie Magnifique

une dizaine d’entre eux se sont regroupés autour des artistes. Quand ils n’étaient pas en réunion avec Olivier ou en phase de création, Odile et Klaus observaient les techniciens donner vie à leurs idées, de la peinture au brassage en passant par le meulage et la découpe. Ceci, après que l’expertise d’Olivier ait rendu ces étapes possibles. « Il faisait vraiment la transcription, rapporte Odile. Par exemple, c’est grâce à lui qu’on a pu passer d’un modèle fait littéralement en mie de pain à une vraie dentelle d’acier. Il mettait aussi des limites, et j’aimais le fait qu’il y ait des choses impossibles à faire. Ça m’a dirigée. » « Ce qui me marque le plus chez ces professionnels, c’est le savoir de la contrainte invisible, raconte Klaus. J’ai beaucoup appris auprès d’eux. Ils sont très exigeants. » Les artistes n’en reviennent toujours pas d’avoir eu à disposition de tels moyens, industriels. « La découpe laser m’intéressait beaucoup », rapporte Odile. « Je n’avais jamais travaillé dans des conditions aussi chiadées », sourit Klaus. Plaisir et fierté pour les salariés de Bongard Pour l’entreprise, le bilan est également positif. Pour Benoît Sevin, pour qui il était évident que le rôle de mécène impliquerait un investissement de A à Z, « cela permettait de sortir les salariés de leur zone de confort. Certains font le même travail depuis des années. Ils ont complètement changé d’état d’esprit. » José et Farid ont par exemple mis leur savoir-faire en métallurgie au service de l’œuvre. Ce sont eux qui ont réalisé le cintrage du tube constituant le panier et assemblé les tôles de la tranche rouge. Ils évoquent le plaisir qu’ils ont eu à l’idée de participer à une exposition

d’œuvres d’art. Farid parle également d’une « expérience humaine enrichissante », notamment celle « d’échanger avec des gens qui ont une vision plus abstraite ». « C’était vraiment chouette », renchérit Klaus, dont le projet l’a occupé pendant près de deux ans. Avec le prolongement dû à la pandémie, il a fallu remotiver les troupes. Mais cela a aussi permis d’aller plus loin, notamment avec un hommage aux corps de métier qui ont participé. « J’ai eu l’idée qu’Odile réalise des gravures, pour rajouter encore un peu sa touche. Son travail me fait penser à l’encre de Chine, j’aime beaucoup », explique Benoît Sevin. Ainsi, dans l’œuvre, huit métiers seront représentés. Un beau symbole pour conclure ce « bout de chemin ensemble », selon Klaus. Un chemin où, en somme, comme le dit Benoît Sevin : « des artistes ont travaillé avec d’autres artistes ».

Le making-of à la galerie Pascale Froessel En parallèle de l’exposition de l’œuvre pendant L’Industrie Magnifique, les autres travaux autour du projet seront exposés à la galerie Pascale Froessel, au cœur de la Petite France, du 3 au 13 juin. Le spectateur pourra ainsi prolonger l’expérience avec les toiles et photographies de Klaus Stöber prises à l’usine, mais aussi les gravures préparatoires d’Odile Liger. Les artistes seront présents le week-end du 5 et 6 juin.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook

Articles inside

Le programme des conférences

3min
pages 144-148

Les Énergies entre Ciel et Terre

4min
pages 134-137

La Mission Photographique Grand Est

8min
pages 138-141

Trou d’Homme par Christophe Bogula & Rubis Mécénat

3min
pages 132-133

Extrait par Les lauréats des Talents Sati avec Antoine Lejolivet & HEAR

4min
pages 130-131

Marigot par Vincent Muller et Hugo Mairelle & Aquatiris

6min
pages 126-129

Bulbe Bleu

3min
pages 124-125

Sans Vent Haut

4min
pages 118-121

Machin, Machine

4min
pages 122-123

50 disques = 100 faces

6min
pages 114-117

The Cat par Richard Orlinski & Puma

4min
pages 98-101

L’Envol par Paul Flickinger & Cabinet Walter

6min
pages 110-113

Triadique par Catherine Gangloff & Menuiserie Monschin

3min
pages 108-109

L’Après Histoire par Michel Déjean & Meazza Marbrerie

3min
pages 106-107

Perpiba par Christine Colin & Groupe Colin

7min
pages 102-105

Portée aux Nues par Bénédicte Bach & Tanneries Haas

5min
pages 88-93

Libère ton Énergie par David David

4min
pages 94-97

Eros et Tétanos

6min
pages 84-87

Tombeau pour le Romantisme

5min
pages 79-83

Lumière de Sirius

3min
pages 76-78

Les L du Désir par Benjamin Kiffel & L&L Products

6min
pages 71-75

Terre de Ciel

7min
pages 66-70

Le Cœur de Schmidt

4min
pages 62-65

yes:no, perhaps

6min
pages 53-57

Entre Knust et Quignon

4min
pages 50-52

Rivière de Verre par L’École du TNS Philippe Berthomé & CIC Est

5min
pages 46-49

Le Serpent 2021

5min
pages 58-61

Landscape in Motion

2min
pages 44-45

Verbatims

3min
pages 30-32

Focus

5min
pages 22-25

Interview

7min
pages 14-19

Sans faire de vagues

3min
pages 42-43

Focus

2min
pages 20-21

Cosmos District par L’Ososphère et ses artistes associés & Vivialys

10min
pages 36-41

Éditorial

1min
pages 12-13

Portrait

4min
pages 26-29
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.