6 minute read
L’Envol par Paul Flickinger & Cabinet Walter
Chez le peintre et sculpteur Paul Flickinger, corps, visages et animaux symbolisent le profond attachement au vivant et à l’humain d’un « artisan de l’art » aux œuvres animées de matières brutes et de couleurs vives. Comme leur créateur, celles-ci privilégient l’émotion et la parole du cœur, préférant le rêve à l’intellectualisation.
Par Benjamin Bottemer Photos Romain Gamba
Advertisement
Humaniste à énergie positive
Dans l’atelier de Paul Flickinger, la vie déborde de chaque recoin. Toiles sagement alignées et néanmoins impatientes de retrouver le chemin des expositions, personnages de pierre et de bois flotté, mur de masques africains, photographies qui illustrent une vie de rencontres et de voyages... Au milieu de tout cela, un jeune homme de 79 ans qui ne semble pas lassé d’accueillir un énième visiteur venu écrire sur son art. On n’a aucun mal à imaginer à quel point rester isolé a pu être difficile pour notre hôte si chaleureux et loquace. Heureusement, il y avait foule dans son esprit et au bout de ses doigts : Paul Flickinger a passé le confinement à peindre ses amis, à représenter de joyeuses tablées et ces oiseaux qui font partie des figures récurrentes de son travail. « J’ai recréé tout ce qui me manquait, explique-t-il. Mon travail a été un palliatif à ces privations et à ces absences. » Paul Flickinger crée sans discontinuer depuis le début des années 60, au sortir de son apprentissage auprès d’Arthur Boxler dans son Colmar natal. À 28 ans, il devient directeur artistique au Républicain Lorrain, une expérience qui lui a appris « la précision et la réactivité, à une époque où le graphisme se faisait encore à la main ». Puis l’homme quitte les lignes des maquettes pour tracer les siennes. Dès lors, peinture et sculpture iront toujours de pair, se complétant souvent l’une l’autre. À 14 ans, le retable d’Issenheim au musée Unterlinden a constitué « un choc » qui lui inspirera une série d’œuvres et dont on retrouvera des traces dans ses tableaux, notamment à travers la présence de cadres en bois faisant partie intégrante de la toile. « C’est une œuvre du XVIe siècle à la modernité incroyable, dans l’expression des corps, les couleurs... », souffle l’artiste, qui ne cessera lui-même d’explorer une peinture figurative, truffée d’expériences et de fulgurances chromatiques, qui se démarque de tout académisme mais ne se tournera jamais totalement vers l’abstraction. Car Paul Flickinger veut peindre et sculpter ce et ceux qu’il a sous les yeux. L’Homme en devenir, ce visage scindé en deux aux expressions changeantes, deviendra sa signature. « Il n’y a que l’humain qui m’intéresse, je veux faire transparaître les moments que je vis, parler d’affectif, de relations, explique l’artiste installé depuis 30 ans près de Metz. L’abstraction totale ne déclenche rien chez moi... il ne faut pas que le discours devienne plus important que l’œuvre ». Artiste contemporain, Paul Flickinger ? La question a peu d’importance ; il l’était déjà en 1960 et l’est encore en 2021, remarquet-il avec un sourire. Le terme d’art brut le convainc davantage : une pratique d’autodidacte profondément attaché à la matière, à
L’Envol PAUL FLICKINGER CABINET WALTER Quai des Bateliers
l’intensité, à la nature et à sa liberté. « J’aime cette notion de créer à partir de rien, qu’il faut oublier ce que l’on a appris et que simplement en se baladant, en ramassant des pierres on trouve des éléments qui sont déjà emplis de sens. » Il va chercher quelques morceaux de bois flottés aux formes évoquant des visages. « Vous voyez ? Il n’y a même plus rien à faire », dit-il joyeusement. Ses créations sont souvent une question d’assemblages. Que les figures se multiplient, dialoguent et s’entrecroisent sur la toile, que le bois et le métal se mêlent, qu’au cristal succède un montage de cailloux dénichés en forêt, le travail est souvent affaire de jeu pour Paul Flickinger ; il n’y a qu’à voir son regard pétillant. « Créer m’a permis de ne jamais arrêter de jouer, ou plutôt de retrouver cette envie », indique-t-il. Des jeux libres, bien sûr : inspiré par les arts primitifs autant que par Dalí, Picasso, la peinture religieuse ou le Déjeuner sur l’herbe de Monet, fasciné par Don Quichotte, l’homme cultive l’art de la série sur le mode de la variation, comme en musique. Lui qui n’apprécie pourtant pas le réalisme excessif (« un oiseau, il faut que ce soit mon oiseau ! », explique-t-il) a même eu une période réaliste fantastique dans les années 70, lorsque la science-fiction et les bandes dessinées de Moebius étaient reines. « J’ai toujours créé avec mon temps », précise l’artiste. S’il a fallu attendre 2019 pour que l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson lui consacre la toute première rétrospective de sa carrière, l’art de Paul Flickinger est partout, de la Lorraine à la Russie, et notamment dans sa Moselle d’adoption : au sein du monde institutionnel ou de l’entreprise, dans les lieux de patrimoine et d’apprentissage mais aussi dans l’espace public, jusque sur les ronds-points. Quelque 70 de ses sculptures sont dans la nature : « L’art, il faut aussi le partager, qu’il ne soit pas visible uniquement chez les collectionneurs ou dans les musées. » Une conviction qui prendra corps une fois de plus dans le cadre de L’Industrie Magnifique, entre les places et les rues de Strasbourg. D’ici là, Paul Flickinger se remettra en mouvement, à raison de sept à huit heures de travail par jour. « Il faut toujours produire », rappelle, comme une évidence, celui qui se définit avant tout comme un « artisan de l’art » : « L’artisanat s’adresse à nous naturellement. Aujourd’hui, le marketing a élevé le produit au rang d’œuvre d’art, mais la fascination à l’endroit d’un tableau et d’une sculpture viendra toujours du cœur. C’est pour cela que dans mon travail, je laisse toujours une place à l’imaginaire, pour moimême et surtout pour celui qui regarde ».
D’un même élan
L’œuvre réalisée par Paul Flickinger avec le Cabinet Walter est le symbole d’une relation privilégiée et d’une vision commune entretenues depuis plus de 20 ans. « Nous travaillons tous les deux avec l’humain », explique Yannick Wellenreiter, dirigeant du cabinet de recrutement de cadres. « Comme l’artiste, l’entreprise doit évoluer, créer sinon elle meurt », complète l’artiste. Pour L’Industrie Magnifique, ce dernier a décliné deux de ses figures emblématiques qui représentent idéalement l’activité du Cabinet Walter : l’oiseau et le visage de l’Homme en devenir. « Il n’est pas complet : quelqu’un doit assembler ce visage scindé, note Paul Flickinger. Sur le dos de l’oiseau, deux personnages : ils ne demandent qu’à s’envoler ensemble. » Devant l’agence de Saint-Julien-lès-Metz, une imposante sculpture de l’Homme en devenir nous accueille. Les œuvres du Colmarien y sont omniprésentes. Dans le bureau de Yannick Wellenreiter, les cartes de vœux en volume que l’artiste a créé pour la société pendant 15 ans, une toile dont la fameuse couleur bleue de Flickinger est un peu son morceau de ciel personnel, ou encore un tableau représentant une foule de profils différents. « Certains sont souriants, d’autres moins, d’autres très atypiques... comme dans notre métier ! », souligne le dirigeant, qui évoque « une belle histoire » entamée avec Roger Walter, fondateur de la société. La structure sera un partenaire régulier de l’artiste, et son créateur acquiert plusieurs dizaines de ses œuvres. Yannick Wellenreiter conserve dans son bureau, comme son prédécesseur, un cylindre doré signé Flickinger, témoin symbolique utilisé lors de la transmission de l’entreprise entre les deux hommes en 2013. « Paul nous connait bien, nous parlons un langage commun qui se matérialise à travers ses œuvres, explique le dirigeant. Mettre l’art sur la place publique dans le cadre de L’Industrie Magnifique, c’est le prolongement de notre histoire, placée sur le signe du partage. »