Chez le peintre et sculpteur Paul Flickinger, corps, visages et animaux symbolisent le profond attachement au vivant et à l’humain d’un « artisan de l’art » aux œuvres animées de matières brutes et de couleurs vives. Comme leur créateur, celles-ci privilégient l’émotion et la parole du cœur, préférant le rêve à l’intellectualisation. Par Benjamin Bottemer Photos Romain Gamba
Humaniste à énergie positive Dans l’atelier de Paul Flickinger, la vie déborde de chaque recoin. Toiles sagement alignées et néanmoins impatientes de retrouver le chemin des expositions, personnages de pierre et de bois flotté, mur de masques africains, photographies qui illustrent une vie de rencontres et de voyages... Au milieu de tout cela, un jeune homme de 79 ans qui ne semble pas lassé d’accueillir un énième visiteur venu écrire sur son art. On n’a aucun mal à imaginer à quel point rester isolé a pu être difficile pour notre hôte si chaleureux et loquace. Heureusement, il y avait foule dans son esprit et au bout de ses doigts : Paul Flickinger a passé le confinement à peindre ses amis, à représenter de joyeuses tablées et ces oiseaux qui font partie des figures récurrentes de son travail. « J’ai recréé tout ce qui me manquait, explique-t-il. Mon travail a été un palliatif à ces privations et à ces absences. » Paul Flickinger crée sans discontinuer depuis le début des années 60, au sortir de son apprentissage auprès d’Arthur Boxler dans son Colmar natal. À 28 ans, il devient directeur artistique au Républicain Lorrain, une expérience qui lui a appris « la précision et la réactivité, à une époque où le graphisme se faisait encore à la main ». Puis l’homme quitte les lignes des maquettes pour tracer les siennes. Dès lors, peinture et sculpture iront toujours de pair, se complétant souvent 110 — ZUT — L’Industrie Magnifique
l’une l’autre. À 14 ans, le retable d’Issenheim au musée Unterlinden a constitué « un choc » qui lui inspirera une série d’œuvres et dont on retrouvera des traces dans ses tableaux, notamment à travers la présence de cadres en bois faisant partie intégrante de la toile. « C’est une œuvre du XVIe siècle à la modernité incroyable, dans l’expression des corps, les couleurs... », souffle l’artiste, qui ne cessera lui-même d’explorer une peinture figurative, truffée d’expériences et de fulgurances chromatiques, qui se démarque de tout académisme mais ne se tournera jamais totalement vers l’abstraction. Car Paul Flickinger veut peindre et sculpter ce et ceux qu’il a sous les yeux. L’Homme en devenir, ce visage scindé en deux aux expressions changeantes, deviendra sa signature. « Il n’y a que l’humain qui m’intéresse, je veux faire transparaître les moments que je vis, parler d’affectif, de relations, explique l’artiste installé depuis 30 ans près de Metz. L’abstraction totale ne déclenche rien chez moi... il ne faut pas que le discours devienne plus important que l’œuvre ». Artiste contemporain, Paul Flickinger ? La question a peu d’importance ; il l’était déjà en 1960 et l’est encore en 2021, remarquet-il avec un sourire. Le terme d’art brut le convainc davantage : une pratique d’autodidacte profondément attaché à la matière, à