5 minute read
Tribune
TRAN 040 TRIBUNES SITION ÉCOLOGIQUE C’EST POSSIBLE
Par Emmanuel Ballot Ingénieur en génie climatique et énergies renouvelables, enseignant à l’ENSAS
Advertisement
L’Atlas du nouvel état du monde de 1999* est un recueil d’une centaine de cartes sur les différents enjeux de nos sociétés. Le commentaire pour la carte sur le réchauffement terrestre est très réservé. Il ne se prononce ni dans un sens ni dans l’autre. Il est indiqué que «les preuves du réchauffement prêtent autant à discussion que les théories échafaudées en guise d’explication». Un discours qui serait considéré aujourd’hui comme climatosceptique.
Vingt ans plus tard, les preuves sont robustes, les modèles éprouvés. À tel point que le GIEC envisage de ne plus publier de rapport prospectif, considérant que nous devons maintenant nous focaliser sur les solutions. Il n’y a plus de doutes. Le cycle des planètes et l’activité solaire influencent le climat ET les émissions de gaz à effet de serre (particulièrement CO2 et CH4) de ces deux derniers siècles renforcent le réchauffement.
Une partie de la puissance solaire incidente est renvoyée vers l’espace par l’atmosphère. Une grande partie parvient au sol puis est rayonnée vers l’espace sous forme infrarouge, que les molécules à plus de deux liaisons comme O3, CH4 ou CO2 interceptent et renvoient vers le sol : c’est l’effet de serre. Notre Terre est exposée en permanence au rayonnement solaire sur la moitié de sa surface. Un facteur géométrique atténue ce rayonnement : l’exposition est plus grande au niveau de l’équateur et plus faible au niveau des pôles (puissant moteur des courants thermiques). La puissance solaire moyenne est ainsi d’environ 342 W/m². Sans l’effet de serre additionnel, nous serions à environ 339 W/m².
Ce sont ces 3 petits W/m² qui sont en train de déloger la bille de son équilibre précaire… c’est dire la fragilité de notre climat. Comparons cette puissance additionnelle à notre consommation d’énergie. La terre fait 510,1 millions km². Nous consommons 9 938 Mtep/an [le Mtep ou mégatonne équivalent pétrole est une unité d’énergie qui correspond à un million de tonnes d’équivalent pétrole, ndlr]. Pour une journée de 8h, cela représente 77 W/(Gm²) ou 0,000077 W/m² de rayonnement supplémentaire. Ainsi, ces 3W/m² représentent 25 000 fois la puissance moyenne mondiale consommée pour les besoins de nos sociétés. Les conséquences sont déjà là, et sans commune mesure avec ce qui pourrait se produire dans le siècle à venir si nous continuons à ne pas agir à la hauteur de cet enjeu.
Et si nous trouvions une solution pour contrer cet effet de 3 W/m²? Ou plutôt 4 W/m², pour prendre en compte les gaz à effet de serre qui vont encore être émis d’ici à ce que la transition énergétique soit effective… 4 W/m² sur 342, cela représente environ 1%. La surface urbanisée mondiale représente 1 pour mille de la surface de notre planète. C’est peu significatif. Changer la couleur de nos villes limite les îlots de chaleur, mais c’est tout. En revanche, changer la couleur de nos champs peut agir sur le climat, car les surfaces agricoles représentent 15 millions de km². Soit environ 3% de la surface de la planète. Il s’agit d’une échelle significative.
En utilisant des données satellitaires de toute l’Europe, des chercheurs ont analysé l’évolution de l’albédo – c’est-à-dire la fraction d’énergie solaire renvoyée par une surface – des parcelles agricoles suite à des simulations d’introduction de cultures intermédiaires [culture implantée entre la récolte et le semis de la culture suivante, pour éviter de laisser le sol sans couverture végétale, ndlr] sur des zones où le climat et les types de cultures le permettaient. Au total, les effets cumulés du stockage de carbone, de la réduction des besoins en engrais et d’augmentation d’albédo permettraient de compenser près de 7% des émissions annuelles de GES du secteur agricole et forestier en Europe, en prenant les émissions de l’année 2011 comme référence.
Les sciences qui s’intéressent à cette question sont appelées géoingénierie. Elles sont regroupées en deux catégories. La première vise à contrer le réchauffement planétaire par la diminution du niveau de CO2 atmosphérique, et son stockage dans des réservoirs de carbone à long terme. La deuxième cherche à rétablir le bilan radiatif de la Terre, modifié par l’effet de serre : les surfaces du globe terrestre absorbent moins de rayonnement solaire, ce qui entraîne son réchauffement. Chacune de ces approches a des avantages et des inconvénients. Mais aucune ne cherche à réduire les émissions anthropiques de CO2 à la source. C’est une des raisons pour laquelle la géoingéniérie a mauvaise presse… Ce qui rend difficile la transition écologique, c’est le temps dont nous disposons pour agir. La géoingénierie peut-elle nous faire gagner du temps ou précipiter un effondrement ? Sans faire de choix, nous pouvons étudier les différentes hypothèses et être force de proposition à toutes les échelles. Ne pourrait-on pas imaginer créer des liens entre la rénovation écologique, l’aménagement du territoire et l’agroforesterie (par exemple) pour compenser les émissions de CO2 de ces travaux ?
On comprend que l’on puisse avoir des doutes sur notre capacité à reformer en aussi peu de temps des organisations construites depuis des siècles. Il faut en finir avec les énergies fossiles, arrêter de détruire la biosphère, demander davantage aux plus riches et vivre en harmonie avec la planète… d’ici 2050. Cependant, les alertes sans solutions opérationnelles de grande échelle plombent le moral des jeunes générations. Nous devons être lucides, sans obéir à un catastrophisme pur et proposer une vision de l’avenir avec des valeurs partagées. Par ailleurs, les crises sont des accélérateurs de transition. La nécessité fait que les solutions à disposition dans ces moments-là sont plus facilement mises en œuvre.
La lutte contre le changement climatique s’invite à toutes les échelles. La réglementation thermique évoluera pour devenir une réglementation environnementale. Depuis le 1er janvier 2022, tout nouveau bâtiment en France doit faire l’objet d’une analyse de cycle de vie complète de ses émissions de carbone et consommations d’énergie. Il devient donc nécessaire pour l’architecture de faire le lien entre la grande et la petite échelle, de s’emparer de cette complexité pour éviter de la subir.
Les écoles d’architecture sont sans aucun doute les mieux placées pour traiter le sujet de la transition écologique. On y trouve des sociologues, anthropologues, ingénieurs, artistes, praticiens… et des étudiants dans l’apprentissage de la synthèse de l’ensemble de ces domaines (à ce titre l’ENSAS participe aux réseaux ensaeco et Campus des métiers comme cheffe de file). Pour permettre aux étudiants d’acquérir les compétences nécessaires et comprendre les bouleversements en cours, l’enseignement de la transition écologique dans les écoles d’architecture doit occuper une place plus importante dans le prochain programme.
*Dan Smith, Atlas du nouvel état du monde, éd. Autrement
Il n’y aura de réponse véritable 043 à la crise écologique qu’à l’échelle planétaire et à la condition que s’opère une authentique révolution politique, sociale et culturelle réorientant les objectifs de la production des biens matériels et immatériels.
Félix Guattari, Les Trois Écologies , 1989