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PORTRAIT
from Zut Hors-série — L'artisanat dans l'Eurométropole de Strasbourg et en Alsace #4
by Zut Magazine
(Girls) Par Lucie Chevron Photo Christophe Urbain À tout juste 29 ans, la carreleuse Kelly Cruz, native de Strasbourg, cartonne sur les réseaux sociaux. À travers des vidéos la montrant dans son environnement de travail, elle s’engage à combattre lesclichés qui ont la vie dure.
Comment est née ton envie de travailler dans le bâtiment? Depuis que je suis petite, j’aime bricoler. Je n’étais pas du genre à jouer avec des barbies, mais plutôt à construire des cabanes. Lorsqu’il a fallu choisir une orientation professionnelle, je suis allée en coiffure. J’aimais l’aspect concours, le fait de pouvoir être créative, mais je m’ennuyais beaucoup dans le quotidien des salons. Mon frère, comme mon père, était carreleur. Il me parlait sans arrêt de son métier. Mais après un accident, il a dû arrêter. Alors un jour, je me suis lancée, j’ai voulu reprendre l’entreprise familiale montée par mon père. J’ai réalisé un stage et ça m’a plu.
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Ton premier souvenir sur un chantier? C’était à l’occasion de mon premier jour de stage. Mon père ne voulait pas que je fasse du carrelage. Il n’imaginait pas sa fille dans ce milieu. En espérant me dégoûter, il m’a fait décharger une palette de colle. Je me rappellerais toute ma vie de ce jour, et du lendemain matin, où chaque partie de mon corps me faisait mal. Mais je ne me suis pas plainte, et j’ai continué à me lever chaque matin pour aller travailler.
Ta plus grande fierté? Mon oncle, qui travaille aussi dans l’entreprise, m’a beaucoup formée. C’est une personne qui a vraiment pris le temps de m’apprendre le métier, sans jamais me rabaisser. Un jour, tard le soir, alors que nous étions sur un chantier, il m’a regardée fièrement et m’a dit: «Kelly, je vais faire de toi une grande carreleuse». Aujourd’hui, quand je vois où j’en suis arrivée, ça me fait sourire de repenser à cette phrase. Il avait raison, il a fait ce qu’il fallait pour, et je l’en remercie.
Ton outil favori? La disqueuse, sans elle, on ne fait rien.
110k sur Instagram, 800k sur TikTok! Quels avantages tires-tu des réseaux sociaux? Au-delà de la publicité, j’ai réussi à créer grâce aux réseaux, une petite communauté de femmes qui travaillent dans ce milieu. Elles me donnent beaucoup de force, et je leur rends. On aime échanger, ça nous fait du bien à toutes. On se sent moins seule. Bien sûr, je sais que cette popularité sur les réseaux peut être éphémère. J’ai la tête sur les épaules à ce sujet. Donc tant que ça fonctionne, j’en profite.
Comment, en tant que femme, faire sa place dans ce milieu? Ça n’a pas toujours été facile. Contrairement aux hommes, on doit toutes constamment prouver qu’on a aussi notre place dans le monde du bâtiment. Il m’est quelques fois arrivé que des clients soient sceptiques en me voyant. Mais je suis d’autant plus fière lorsqu’à la fin du chantier, ils réalisent qu’ils ont eu tort de penser ainsi. Par contre, lorsque je suis face à des clientes femmes, je sais qu’elles apprécient toujours. On partage le souci du détail.
Des désillusions? Le premier jour de mon BP Carreleuse, en cours, le professeur m’a regardée et m’a dit qu’une fille n’avait rien à faire dans sa classe. C’était la première fois que je me confrontais directement à ce type de réaction, mais ce n’était pas la dernière. Heureusement pour moi, j’ai un tempérament à ne pas me laisser marcher sur les pieds. C’est quelque chose qui m’a aidée. Alors que certaines remarques ou comportements auraient pu me décourager, à l’inverse, ils m’ont encouragée à me battre encore plus.
Une dernière anecdote? Il y a peu de temps, j’ai contacté le CFA dans lequel j’ai réalisé mon CAP. Ils étaient heureux de m’avoir au téléphone, et ils m’ont félicitée, car grâce à ces vidéos, de plus en plus de femmes s’inscrivent dans leur section. Ce travail que je fais sur les réseaux permet aux femmes qui ont peur de se lancer, de foncer. Il permet aussi à certains hommes d’entendre que nous avons aussi notre place dans ce milieu. Avoir un effet sur les mentalités, c’est quelque chose qui me rend très fière.
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