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INTERVIEW

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DOSSIER

DOSSIER

Historienne de l’art et gemmologue, Julie Schon-Grandin expertise les bijoux anciens afin de déterminer leur origine et leur authenticité. Dans les vitrines de sa boutique située rue du Chaudron, bague de charme Belle Époque, saphir entouré de diamants et pendentif camée Napoléon III se côtoient, promesses d’un voyage chargé d’histoire.

Dans l’écrin

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Propos recueillis par Emmanuelle Schneider Photos: Thomas Lang

Quel est le rôle d’un gemmologue?

Après mes études en histoire de l’art, j’ai fait une formation de gemmologue afin de savoir authentifier les pierres en termes de matières précieuses et d’être en mesure de déterminer le contexte historique d’un bijou en fonction de la forme des matériaux utilisés, de leur style... Je suis directement au contact de particuliers qui viennent m’apporter des pièces sans savoir parfois ce dont ils ont hérité. Mon travail est d’expertiser les bijoux et de les estimer d’un point de vue financier. Nous les achetons pour les revendre en seconde main ou nous les mettons en dépôt vente.

Comment est né votre attrait pour cet univers?

Pendant mon enfance, mes parents me traînaient dans tous les salons d’antiquaires de France et de Navarre. J’ai toujours aimé l’art, les choses anciennes, visiter des châteaux... mais c’est à quinze ans, en lisant un roman d’Henri Troyat qui parlait de commissaires-priseurs et de ventes aux enchères que j’ai eu le déclic. L’aspect musée me semblait trop académique, je voulais voir l’objet d’art tous les jours, le toucher. Après la licence, j’ai trouvé une école privée à Paris, j’ai fait un stage d’une année à Drouot et ça a été la révélation. J’ai vu l’envers du décor, comment monter une vente aux enchères de A à Z, tous les dimanches j’allais traîner mes guêtres au Louvre des antiquaires où il n’y avait que des marchands de bijoux anciens. L’année suivante mon maître de stage m’a dégoté un stage chez un expert en bijoux et ça ne s’est plus arrêté. J’ai pu conjuguer cette passion avec mon goût pour les choses anciennes. Tout s’est imbriqué.

La pierre précieuse synthétique étant de même composition chimique, de même structure atomique et de même apparence visuelle que sa contrepartie dans la nature, pourquoi acheter une pierre naturelle?

Les pierres synthétiques existent depuis la fin du XIXe siècle. Actuellement, le diamant de synthèse inonde le marché. C’est problématique, je pense que nous allons en voir revenir beaucoup en seconde main d’ici quelques temps, mais il est hors de question pour moi de vendre des pierres synthétiques. J’estime que l’intérêt de la bijouterie et de la joaillerie est de pouvoir mettre en forme ce que la terre nous offre. Le diamant se forme au centre de la Terre à de très hautes pressions et de très fortes températures. Recréer ces conditions en laboratoire, nécessite des machines qui consomment énormément d’énergie. Dans l’aristocratie ou la très haute bourgeoisie, le bijou ne durait pas, on faisait monter des pierres au goût du jour et quand la mode était passée, on démontait les pierres et on les remontait dans un autre style. Ça va dans la logique de l’écologie que de récupérer ce qui a déjà été créé.

En quoi les bijoux anciens vous attirent-ils?

Ils ont une histoire. Le bijou ancien est nettement plus intéressant que tout ce qu’on peut faire aujourd’hui. Je pense que du point de vue stylistique, on a créé les plus beaux bijoux entre 1780 et 1980, tandis qu’aujourd’hui, on est dans une espèce de standardisation du bijou qui me désole. Excepté dans la très haute joaillerie, mais ce

Antiquités Schon-Grandin 9, rue du Chaudron à Strasbourg sont des pièces réservées aux gens extrêmement riches ou aux musées. Au XIXe siècle, il y avait une richesse fascinante de styles, de formes, de créations, comme on n’en verra peut-être jamais plus. Mon métier est de déterminer l’époque d’un bijou et je trouve ça fabuleux. Lorsqu’on m’amène une pièce, dès le premier regard je pense à un contexte historique et pour l’authentifier plus précisément il me faut chercher quelles pierres ont été utilisées, comment elles sont taillées... Aujourd’hui, il y a un grand écart entre la très haute joaillerie qui fait des choses fabuleuses, qui travaille sur place et à la main, qui ne délègue pas en Chine et des marques tout-venant qui fonctionnent car elles jouent sur le marketing alors que leurs bijoux ne sont pas de qualité. Heureusement, de talentueux petits créateurs s’installent. Il faut soutenir leur profession.

Pensez-vous que les rapports à l’artisanat ont changé ces dernières années?

On le voit mais c’est encore frileux, tant qu’on continuera à acheter de la fast fashion et du fast bijou, il y aura la présence de rouleaux compresseurs. Je pense cependant que le Covid a joué un rôle : depuis deux, trois ans j’accueille de plus en plus de 25-30 ans. Ils veulent promouvoir l’artisanat local et il y a forcément aussi une logique économique dans le fait d’acheter de la seconde main. Lorsque je vois la jeune génération soucieuse d’acquérir une pièce française qui a été réalisée il y a 50 ou 100 ans, je me dis que tout n’est pas perdu.

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