3 minute read

INTERVIEW

Next Article
Focus

Focus

Derrière le rideau, elles et ils s’activent sans jamais que l’on ne note leur travail, seulement visible sur scène. L’artisanat a pourtant une place essentielle dans les coulisses des lieux de culture permettant la crédibilité des mises en scène. Certains métiers internalisés sont aujourd’hui menacés d’extinction à l’heure où de nombreux artisans partent à la retraite…

Par Corinne Maix et Sylvia Dubost Photos Klara Beck

Advertisement

L’artisanat en coulisses

Solène Fourt

Costumière formée à l’École du Théâtre National de Strasbourg

Qui? Diplômée de l’École du TNS en 2017, Solène Fourt y a rencontré des metteur·euse·s en scène avec lesquel·le·s elle continue de travailler. Le décor Elle circule entre les répétitions, les achats qu’elle aime faire en friperie et l’atelier costumes, au premier étage, où l’on travaille toute l’année. « Une chance », à l’heure où les théâtres font de plus en plus appel à des sous-traitants. Vous faites quoi, ici? Solène bénéficie parfois de résidences pour créer des costumes spécifiques. « Pour la création Chère Chambre [en 2021, ndlr], j’ai pu prendre des costumes au stock et essayer toute une palette de couleurs et de formes avec les interprètes. On n’a pas toujours ce temps: parfois, je commence à travailler sur photos. Cette rencontre m’importe car le costume est un support à leur interprétation.» Suivent « la phase des dessins » puis celle «des maquettes». «Après, c’est un dialogue continu avec la metteuse en scène, les interprètes et l’atelier.» Ce qui l’anime C’est précisément ce travail collectif. «Avec l’atelier, j’entretiens un dialogue très technique : les couturières vont traduire mon dessin, me faire des propositions aussi. N’ayant pas une formation de technicienne, leur regard peut me faire dévier, c’est très intéressant aussi.» Le moment de stress «Un moment que j’aime beaucoup, à la fois stressant et joyeux, c’est celui des premiers essayages. Le dessin en deux dimensions passe en trois dimensions, on le voit sur un corps en mouvement, c’est assez émouvant. Tout va très vite : il faut décider des retouches, des directions. D’autres essayages suivent mais le premier, c’est un moment un peu… consacré.» À quoi ressemblerait le spectacle sans elle? « Je pense qu’il manquerait une cohérence d’ensemble. Sans personne pour centraliser les informations, c’est une charge qui retomberait sur les interprètes, parce qu’il faut bien qu’ils aient quelque chose sur le dos. Et l’habillement, ce n’est jamais anodin. Le vêtement absorbe tous les changements économiques, sociaux, politiques, culturels… S’habiller, c’est construire son image, mettre en scène son propre corps. C’est très fort.» Et incontournable.

tns.fr

Qui? Patrice Coué est le dernier bottier rattaché à un opéra à fabriquer régulièrement chaussures et accessoires pour des créations. Car à l’Opéra du Rhin, tout est fabriqué en interne, rien n’est sous-traité. Le décor Au Grenier d’abondance, au bout du couloir après les ateliers costumes et perruques, des machines à coudre ultra-solides et 3000 paires de chaussures. Qu’il a mis deux ans à ranger et auxquelles s’ajoute une centaine de paires par an. Vous faites quoi, ici? « Je m’occupe de chausser toutes les personnes qui sont sur scène, solistes, choristes et figurants. Par extension, je m’occupe aussi de tous les accessoires en cuir: ceintures, sacs à main… Certains sacs célèbres coûteraient le prix d’un spectacle, alors je les recrée! Il y a quelques années, j’ai aussi fabriqué des armures de samouraï, plus souples qu’en métal et moins gênantes quand le soliste doit se rouler par terre! Je fabrique ou customise. Il y a en moyenne 40 paires de chaussures sur un spectacle, et il faut gérer les budgets, alors si ça coûte huit euros, c’est mieux! Je me sers aussi parfois de l’imprimante 3D, pour fabriquer des talons sur mesure par exemple.» Le moment de stress Cela m’est déjà arrivé de devoir fabriquer une paire de chaussures à la dernière minute. Parfois, je n’ai que deux jours, mais j’essaye toujours de terminer un bon quart d’heure avant la pré-générale [la première répétition en costumes, ndlr] ! Une fois, j’ai amené les chaussures à la soliste cinq minutes avant la répétition.» Ce qu’il aime ici «La variété. Ce n’est jamais la même chose, et cela n’arrive pas ailleurs, même dans le domaine de la chaussure de luxe sur-mesure. C’est sûr que lorsque je fabrique 25 paires de bottes en feutre, j’en ai un peu marre, mais ça dure un mois et c’est fini.»

À quoi ressemblerait le spectacle sans lui? «Malheureusement, il ne serait pas foncièrement différent… Si les choristes avaient tous des chaussures noires, cela ne se verrait pas. Mais il y a quand même beaucoup de choses qu’un prestataire extérieur ne peut pas faire. Et il ne faut pas oublier que la scène a une pente de 10%, alors les chaussures, c’est très important!» operanationaldurhin.eu

This article is from: