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PORTRAIT
from Zut Hors-série — L'artisanat dans l'Eurométropole de Strasbourg et en Alsace #4
by Zut Magazine
Chez SPIP, 60 000 appareils photos ont été diagnostiqués, les vitrines débordent d’argentiques et de numériques à vendre, l’atelier empile pièces détachées, outils et trésors en attente d’être rafraîchis ou vendus. Alain Pettmann est gardien d’une mémoire photographique et d’un savoir-faire qui se perd: la réparation d’appareils photo. Il cherche aujourd’hui à transmettre.
Souvenirs, souvenirs
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Par Cécile Becker Photo Christophe Urbain
Alain Pettmann s’en amuse, ces deux fidèles petites chiennes Olympe et Ondine, jamais bien loin de ses basques: «La boutique porte plusieurs surnoms donnés par les clients: la caverne d’Ali Baba ou la taverne d’Ali Baba, c’est selon. Pourtant, je ne sers pas de bières.» Passé ce moment chez SPIP – abréviation pour Société de photographies industrielles et publicitaires, autant qu’un hommage à Spirou –, il n’aura pas fallu une heure pour que les réactions pleuvent après une simple photo de la boutique postée sur nos réseaux sociaux personnels : « Ouah, mais c’est où ça ? » « Aaaah, ce cher Alain » « La caverne d’Alspip Baba». Bingo. Impossible de rester de marbre devant la passion sans borne, la gentillesse du patron et cette profusion d’appareils photographiques de tout poil et toute époque. Les photographes du coin et de Navarre passent toutes et tous par ici dès que leur appareil fait des caprices. Dans l’arrière-boutique qui lui sert d’atelier, Alain Pettmann fait tout simplement des miracles. Le seul dans le Grand Est et bien au-delà: aujourd’hui des clients n’hésitent plus à passer une journée en voiture pour venir le voir et sauver leur outil de travail... 56 années plus tôt (il en a 66 aujourd’hui), il monte son premier labo photo noir et blanc, il est déjà passionné par les reliques qu’il trouve dans le grenier de ses parents – son père dépannait radio, télévision et matériel hi-fi et était photographe amateur. Il fait ses propres recherches pour comprendre ; une curiosité innée qui le mènera à démonter et remonter des appareils photo. Alors qu’il se destine à devenir vétérinaire et que tout l’y pousse, dont cette prétendue voie royale des études encore et toujours préférée par les parents, la photographie le rattrape. Il monte un dossier pour l’école des Gobelins et passe son brevet de technicien photographie: «J’y suis allé au culot avec mon book et mes petites jambes, et je suis entré tout de suite en troisième année. Mais je m’en foutais du diplôme, tout ce que je voulais, c’était apprendre. » Il trime en tant que photographe pour des entreprises, se fait rattraper par l’armée – dont il gardera probablement rigueur et persévérance – puis se lance avec un associé en 1979. SPIP était née: un service de photo et un autre, dédié au traitement et à l’exploitation des images. Un an après l’ouverture, le service de réparation arrive. «Il y avait les prises de vue et le travail de labo la journée, le soir, je faisais des réparations sans compter mes heures.» Forcené, il finit par se séparer de son associé, du labo et de la prise de vue et installe sa petite entreprise à domicile, dans une ferme à Viebersviller : « J’en avais marre de réclamer l’argent, je me suis concentré sur la réparation. C’est là que j’ai commencé à accumuler du matériel. » La boîte tourne très bien et ses savoir-faire commencent à se faire savoir jusqu’au temple de la photographie d’alors, Meyer et Wanner à Strasbourg, qui lui soustraite les réparations, comme d’autres. «À l’époque, il y avait 65 magasins dans l’est, j’ai fait plusieurs milliers de réparations sans jamais me lasser. Si je n’y arrivais pas, je recommençais, je n’ai pas baissé les bras souvent.» Alors que la fin de l’âge d’or commence à se faire sentir à l’aube des années 2000, il ne rechigne pas à s’intéresser aux appareils numériques et s’installe ici, à Phalsbourg. Les fermetures successives des boutiques spécialisées, d’une tristesse portant le nom de l’industrialisation, et les collections privées lui permettent de récupérer des lots, des stocks, des «épaves» qui passent toutes entre ses mains pour revivre ou constituer un stock de pièces détachées – certains appareils revenant systématiquement avec les mêmes pannes sont en revanche en sérieuse voie de disparition. Pas besoin de chercher, les choses viennent à lui. Aujourd’hui, l’achat et la revente constituent 2/3 de son chiffre d’affaires, dopé par un regain d’intérêt pour les vieilles pièces. Côté réparation, il n’a jamais changé son fusil d’épaule et refuse de prendre ses client·e·s pour des idiot·e·s: 10 € le devis quand d’autres n’hésitent pas à facturer dix fois plus. C’est que monsieur a des principes. D’ailleurs, alors qu’il a passé l’âge de la retraite depuis deux ans, il ne demande qu’une chose: transmettre et trouver repreneur·euse. Il avait un peu fini par perdre espoir avant qu’un client ne lui propose de diffuser une annonce sur les réseaux sociaux. Depuis, Alain Pettmann a reçu une vingtaine de candidatures dont seulement trois ont sérieusement abouti: « Il faut trouver la perle rare : la personne suffisamment curieuse, investie, qui ait envie de faire perdurer ce savoir-faire, de fouiller, comprendre, d’y passer du temps.» Attaché à toute cette histoire, plus particulièrement à l’histoire de la photographie, et à son stock qu’il se refuse « à revendre sur Ebay », Alain Pettmann ne choisira pas n’importe qui, tout en s’engageant fermement à s’investir pour former la relève. À bon·ne entendeur·rice.
SPIP 25, route de Sarrebourg à Phalsbourg spipphoto.com