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FOCUS DE LA NOTORIÉTÉ À LA VISIBILITÉ

Par Fabrice Voné Photos Christoph de Barry

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Quelle visibilité pour les artisans ? Plusieurs pistes s’offrent à eux, que ce soit au travers de labels et de marques qui les valorisent par le biais d’événements en tout genre ou par une maîtrise des réseaux sociaux. Mais comment la tradition peut-elle s’accommoder de la digitalisation au quotidien en fonction d’une activité déjà bien prenante ?

La chocolaterie Antoni vient de souscrire à la marque Artisan d’Alsace.

Salons Made in Elsass, Journées européennes des métiers d’art proposées par la Fédération des métiers d’art d’Alsace (Fremaa), lancement de la marque Artisan d’Alsace par la Chambre de métiers, multiplication de labels allant du Meilleur Ouvrier de France aux Entreprises du Patrimoine Vivant, sans même parler du hors-série que vous tenez entre les mains, les occasions de mettre en valeur les savoir-faire artisanaux ne manquent pas. Surtout en Alsace qui peut faire figure de pionnière dans ce domaine. En 1998, Strasbourg intègre d’ailleurs l’association Villes et Métiers d’Art, créée six ans plus tôt. Ce label qui invite à «l’authenticité et à l’excellence, récompense la politique mise en œuvre pour préserver, valoriser, et promouvoir les savoir-faire, parfois multiséculaires, des métiers d’art dans la métropole». Aujourd’hui, le réseau regroupe 96 collectivités, pour un total de 602 communes, qui bénéficient de ses outils de promotion et de communication. Aussi bien en interne qu’en externe au service d’une politique touristique à destination du grand public. «Faire partie du réseau favorise le partage d’expérience et cela permet à nos adhérents de gagner du temps. Et le temps, c’est de l’argent pour les collectivités », souligne Christophe Poissonnier, délégué général de l’association. Cela se caractérise par un afflux de candidatures. Parmi celles qui sont en cours d’examen, Guebwiller, pour sa tradition céramique, et Wingen-sur-Moder pour sa tradition verrière. « C’est un label qui attire le public», fait savoir Véronique Brumm, directrice du Musée Lalique dont la manufacture fête cette année son centenaire. Ou la parfaite occasion de faire rimer l’excellence avec l’appartenance.

jean-Luc Hoffmann, président de la Chambre de métiers d’Alsace en visite au laboratoire de la chocolaterie Antoni à Avolsheim.

Artisan d’Alsace La Chambre de Métiers lance sa marque

Soixante-sept ans que la famille Antoni attendait cela. À l’ombre des cerisiers, le trafic reste dense sur la D422 reliant Soultz-les-Bains à Molsheim en passant par Avolsheim. Des véhicules blindés sur des remorques, renvoyant inconsciemment au conflit russo-ukrainien, des travailleurs pressés ainsi que des touristes plus ou moins perdus défilent devant la chocolaterie familiale. En ce lundi 9 mai, les fêtes de Pâques sont passées et l’enjeu est autre au bord de la Route des Vins. Pour la première fois de son histoire donc, l’entreprise accueille des élus. À savoir JeanLuc Hoffmann, président de la Chambre de Métiers d’Alsace, venu certifier la marque Artisan d’Alsace, et Philippe Meyer, député LR de la 6e circonscription du Bas-Rhin. Pour une découverte de cet espace fraîchement rénové qui abrite douze salariés répartis entre le laboratoire à l’étage et le rez-de-chaussée dédié à la vente directe avec un coin épicerie proposant aussi bien des confitures que des liqueurs. Comme un clin d’œil aux savoureuses griottes d’Antoni qui ont fait la renommée de l’entreprise et qui figurent toujours en bonne place sur le logo historique. La visite s’inscrit dans le cadre du lancement, en février, de la marque Artisan d’Alsace par la Chambre de Métiers d’Alsace en partenariat avec l’Adira et la CEA. C’est en parcourant le numéro mars-avril du Monde des artisans que les chocolatiers ont décidé d’adhérer à ce dispositif destiné à «promouvoir et valoriser la diversité et la richesse des savoir-faire de l’artisanat alsacien ». Plus d’une centaine de sociétés en ont déjà fait de même.

« Depuis la crise sanitaire, on voit que les consommateurs n’achètent plus comme avant. Aujourd’hui, même si nous sommes dans des métiers différents, quelque chose doit nous réunir car nous sommes tous des artisans et que nous avons cette même façon de penser en Alsace : qualité du produit et satisfaction du client avant de songer au tiroir-caisse », argumente Jean-Luc Hoffmann qui cible davantage les entreprises que le produit.

Pour intégrer cette communauté naissante, il convient d’avoir trois ans d’activité et de répondre à sept des dix critères de sélection (performance économique, bienêtre des salariés, performance environnementale, ancrage territorial, performance digitale, transmission des savoir-faire, approvisionnement et circuits de vente de l’entreprise, qualification professionnelle, implication dans la profession, fabrication et service clients). Ensuite, le dossier passe entre les mains d’un comité d’accréditation composé de membres de l’Adira, de la CMA ainsi que des représentants des organisations professionnelles concernées.

Pour l’heure, les bénéficiaires héritent d’un kit de communication avec le logo Artisan d’Alsace déclinable à l’envi. D’ici cet été, un site internet propre à la marque verra le jour avant d’autres opérations de communication à destination du grand public. Un complément aux pratiques habituelles de la chocolaterie d’Avolsheim en matière de visibilité. « On communique via Facebook et dans les DNA à Noël et à Pâques. Mais depuis le Covid, on a réduit notre budget pub», souligne Céline Antoni, qui incarne la troisième génération de l’entreprise. «Notre meilleur pub, c’est le bouche-à-oreille avec nos clients qui parlent de nous», renchérit Bernard, son père. En rejoignant Artisan d’Alsace, c’est un peu comme si la famille s’agrandissait.

cm-alsace.fr

Manon Vénéra De fil en aiguille

Pas facile de concilier son smartphone avec des ciseaux et des aiguilles. Manon Vénéra, brodeuse de baskets, en a encore fait récemment le triste constat depuis son atelier de broderie, sis dans son appartement à Strasbourg lorsqu’elle n’assure pas de permanence au Générateur, la boutique de créateurs de la rue Sainte-Madeleine (se regrouper pour proposer un espace de vente mutualisé est d’ailleurs aussi un moyen de se rendre visible et accessible). « Je n’avais rien posté sur Instagram depuis deux semaines et là quelqu’un me demande si j’exerce toujours mon activité? Sur le coup, cela m’a fait mal au cœur car je bosse comme une malade », raconte cette créatrice qui relooke et personnalise des baskets à la demande sous la marque by M.V. Le comble, c’est que la communication fut au centre de son précédent métier lorsqu’elle était à Paris et travaillait à la promotion d’événements pour une grande enseigne culturelle. Aurait-elle tout oublié au moment de sa reconversion en se consacrant à sa passion et à un travail exclusivement manuel ? « Communiquer sur son propre projet, ce n’est pas pareil que lorsque c’est son métier. Là, il y a de l’affect et je ne suis pas collée aux réseaux sociaux toute la journée. Je pourrais le faire le soir dans mon lit, mais non, stop!, explique-t-elle. La communication est essentielle mais c’est compliqué de dégager du temps dans ton quotidien de création. »

Résultat, son site internet est au point mort depuis quelques mois alors qu’elle aurait largement de quoi étoffer sa vitrine. En décembre, à la demande d’Adidas, elle brode les crampons d’Antoine Dupont, le demi de mêlée et capitaine du XV de France, fraîchement désigné meilleur joueur du monde avant de contribuer au Grand Chelem réalisé par les Tricolores à l’issue du Tournoi des Six-Nations. Dans la foulée, elle réalise une paire pour Chilly Gonzales, dont elle est fan, à l’occasion de son cinquantième anniversaire.

Heureusement, son souhait d’être épaulée par une stagiaire est en passe d’être exaucé. « Je trouve intéressant d’avoir un regard extérieur. Et je sais que cette personne aura plein de choses à m’apporter, ne seraitce que sur les réseaux sociaux », dit-elle. Reste à bien définir les objectifs selon Manon qui croule sous les commandes. « Il suffit de se poser les bonnes questions. C’est vrai que je pourrais avoir envie de communiquer à fond sur la marque mais est-ce vraiment un besoin? Il suffit juste que les bonnes personnes me suivent sur internet et ce qui m’importe, c’est de donner de la crédibilité au projet. » Un pari déjà gagné.

Instagram: @by_mv Chez Le Générateur 8, rue Sainte-Madeleine à Strasbourg generateur-strasbourg.fr

Marmelade Une fin en compote

C’était l’une des belles histoires ayant émergé de la crise sanitaire. Celle de Quentin Seyeux, fondateur de Marmelade qui s’était lancé avec sa cagnotte d’étudiant, au guidon de son vélo-cargo en bois, dans la livraison de produits locaux au domicile des Strasbourgeois dès 2018. En fédérant une centaine de producteurs sur sa plateforme, il a largement contribué à la valorisation des circuits courts. Au point de se développer à grande vitesse, de recruter jusqu’à cinq salariés et d’investir, en septembre 2021, l’ancienne Boutique Culture, à l’angle de la rue Mercière et de la place de la Cathédrale pour un bail de 11 mois dans un espace largement dévoué à l’artisanat. « Il s’agit d’un test grandeur nature afin de savoir si ce lieu de vente est complémentaire de notre boutique en ligne », indiquait à l’époque Quentin dans les colonnes de Zut Strasbourg.

Bien loin d’imaginer une seconde que « tout s’écroule[rait] en six mois ». En effet, le 21 mars, sa jeune entreprise dépose le bilan. Conséquence d’une baisse subite de 50% des commandes sur son site que la boutique physique n’a pu endiguer en générant un chiffre d’affaires assez marginal. «Je pensais qu’elle allait nous servir de vitrine pour communiquer autour de notre service de livraisons. Sauf que les Strasbourgeois ne vont quasiment jamais place de la Cathédrale. On arrivait juste à payer le loyer alors que j’y passais 70 heures par semaine. Mais bon, il fallait essayer », estime Quentin. S’il reconnaît « avoir appris énormément de choses durant cette période», le trentenaire dresse ce constat lapidaire. «Avec le déconfinement, les gens ont repris leurs habitudes d’aller au supermarché. On sait aussi qu’ils ne sont pas allés davantage chez les producteurs ou sur les marchés. Forcément, le contexte lié à l’inflation ne nous a pas aidés. Les consommateurs font plus attention à la façon dont ils dépensent et le réflexe livraison a surtout bénéficié aux enseignes de la grande distribution», poursuit-il.

En même temps, la situation de Marmelade n’est pas un cas isolé. À Nantes et Paris, d’autres sociétés du genre ont aussi plié boutique, scellant pas mal d’illusions quant au fumeux monde d’après. «On peut quand même être super fiers de tout ce qu’on a fait, cela a apporté beaucoup de choses aux producteurs de la région », souligne Quentin. De la visibilité notamment mais aussi une prise de conscience « sur le fait qu’on puisse faire ses courses directement chez les producteurs, qu’il se passe plein de choses ici avec de la bonne qualité. Et que ce n’est pas forcément plus cher que d’aller en supermarché». Entre la naissance d’une euphorie et quelques erreurs juvéniles, il a depuis retrouvé du travail en tant que chef de projet pour la start-up HopLunch qui livre des plats de restaurants dans les entreprises de l’Eurométropole sans avoir totalement abdiqué dans ses projets d’entrepreunariat. À l’inverse, le site de Marmelade a été racheté et réactivé par l’un de ses anciens concurrents, une entreprise de Besançon, qui n’a pas abandonné cette chouette idée de livrer local aux locaux.

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