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Scènes Lâcher prise
from Zut Strasbourg n°49
by Zut Magazine
La Cité—Scènes Chef de file de la magie nouvelle, Étienne Saglio crée sur scène des images fortes et envoûtantes, et cherche à perforer la frontière entre réel et imaginaire. Propos recueillis par Sylvia Dubost
Lâcher prise
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Le Bruit des loups 09.06 → 12.06 Maillon maillon.eu
Photo : Prisma Laval Avec sa compagnie Monstre(s), Étienne Saglio croise jonglage, manipulation d’objets et magie pour créer un univers mystérieux et poétique, où la féerie fait irruption dans le quotidien. Dans Le Bruit des loups, il s’aventure à nouveau à la lisière de nos mondes intérieurs. Dans un quotidien devenu trop propre, un homme s’occupe de son ficus quand une souris s’immisce dans sa vie. La nature se rappelle à lui et l’emporte lors d’un voyage au clair de lune dans une forêt ensorcelante. Pour Étienne Saglio, figure majeure de la magie nouvelle, « si la nature quitte notre imaginaire, elle quitte nos vies ». Pourquoi avons-nous perdu ce lien avec la nature, si présente lorsqu’on est enfant, dans nos jeux, nos contes, nos rêves ? Et particulièrement avec la forêt, l’endroit le plus fascinant et le plus terrifiant, qui a gravé dans notre ADN et dans notre imaginaire collectif à la fois la liberté et la peur. Le bestiaire fantastique qu’il déploie, où l’on retrouve tous les archétypes des contes, nous invite à nous demander ce que sont devenus ces territoires et ces personnages, et ce que cela dit des adultes que nous sommes devenus.
Le nom de votre compagnie est Monstre(s): pourquoi?
Ce nom vient de mon premier spectacle, Le Soir des monstres. J’aime l’idée qu’on ait une idée première assez claire de ce que c’est qu’un monstre, et que plus on essaye de le définir, plus il va nous échapper, devenir multiple. Cela symbolise mon travail: je pars d’archétypes, d’un imaginaire commun, pour progressivement me diriger vers des choses plus personnelles et plus complexes.
Votre travail pourrait se caractériser par la création sur scène d’images très fortes. Êtes-vous d’accord avec cela?
Complètement! Je travaille en images. Je les laisse vivre dans ma tête, je m’y balade, je dessine en permanence, et dès que j’essaye quelque chose, je mets tout de suite de la musique, un costume. J’essaye toujours d’être dans des images. Et je me suis rendu compte que plus une image m’émeut, plus elle va résonner chez les gens. Donc je cherche toujours mon émotion.
Que cherchez-vous à provoquer chez les spectateurs ? Le choc esthétique peut-il être le point de départ d’une réflexion ?
La sidération et le fait de ne pas comprendre ce qui se passe sur scène, ça c’est la magie, et c’est mon outil premier. C’est une façon d’être dans le sensible plutôt que dans le rationnel. Je cherche à ce que les gens quittent le réel, cela permet d’entrer vraiment en profondeur dans les histoires.
Cherchez-vous à transformer le réel ou à le déplacer?
Les frontières entre réel et irréel, entre l’inanimé et l’animé, nous semblent claires mais elles sont discutables. Pour les médecins par exemple, la frontière entre mort et vivant n’est pas très nette. Ce qui m’intéresse c’est de travailler ces frontières. La mienne est complètement poreuse, et si elle est percée de partout, alors l’irréel peut faire irruption dans le réel, et inversement. Et ça devient magique.
On vous considère comme le chef de file de la magie nouvelle : vous reconnaissez-vous dans ce mouvement?
Tout à fait! La magie nouvelle, c’est replacer la magie comme un langage artistique, pas juste une distraction. Un peu comme la BD il y a 30 ou 40 ans: maintenant on peut tout faire, alors qu’on pensait que ce n’était pas possible. Pour raconter le monde, ça a plein d’avantages!
Est-ce qu’on peut parler de tout, à travers la magie?
Je pense que oui. Chaque artiste va s’emparer des sujets qui le touchent. J’ai parlé de la mort, de nos angoisses, de nos imaginaires…
Quel est pour vous le fondement de la magie?
C’est bouger la frontière. Au cirque aussi, on n’arrête pas de la repousser, avec la magie on va un peu plus loin. Mais il faut rester près du réel, sinon on arrive dans le virtuel, et c’est un autre travail. Je dirais que je travaille sur le degré d’acceptation du spectateur, qui ne se rend pas compte que sa frontière à lui se décale, que le seuil n’est plus le même à la fin du spectacle.