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Culture L’empire des sens

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L’adresse

L’adresse

La Cité—Culture Admirer, trembler, s’élever. Ce printemps, prenons le temps de ressentir les beautés que nous révèlent les artistes. Qu’elles soient organiques et sauvages, ou composées et référencées, elles convoquent toujours la surprise et la sidération.

Par Nathalie Bach, Lucie Chevron, Emmanuel Dosda, Sylvia Dubost et Fabrice Voné

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L’empire des sens

Georgia O’Keeffe, Black Mesa Landscape, New Mexico / Out of Marie’s II, 1930 © Georgia O’Keeffe Museum, 2021, Prolitteris

— Arts

Georgia O’Keeffe

« Quand je suis arrivée au Nouveau-Mexique, c’était chez moi. C’est devenu mon pays immédiatement. Je n’avais rien vu de tel avant, et ce paysage m’allait parfaitement. C’est peut-être quelque chose dans l’air qui est tout simplement différent. Le ciel est différent, les étoiles sont différentes, le vent est différent. » Dans cet État qu’elle visite pour la première fois en 1929 avant de s’y installer définitivement en 1940, Georgia O’Keeffe étanche sa soif d’espace et de lumière. Et atteint l’apothéose de son expérience picturale. Élevée dans une ferme du Wisconsin, dans le Midwest américain, puis familière du Lac George dans l’état de New York où elle passe ses étés, elle n’a cessé de peindre la nature, des paysages infinis aux éléments les plus fragiles. « On prend rarement le temps de voir vraiment une fleur. Je l’ai peinte assez grande pour que d’autres voient ce que je vois. » Cette attention au détail, à la perception et aux sensations qu’elle génère, fait de la peinture de Georgia O’Keeffe une expérience presque méditative, en tout cas spirituelle. Ses tableaux deviennent à leur tour des paysages dans lesquels se plonger et se perdre. Même lorsqu’ils penchent vers l’abstraction, que la réalité se dissout pour ne conserver que l’expérience sensible, ils sont toujours ancrés dans ce qui s’offre à nous. À sa manière très américaine (par ses sujets et sa fidélité à une certaine figuration que l’Europe rejette alors), Georgia O’Keffe trace néanmoins une voie singulière et inclassable, et ouvre la possibilité d’un nouveau rapport à la nature. Pas étonnant que sa peinture connaisse aujourd’hui un vrai engouement, comme le prouve, après celle du Centre Pompidou, cette riche exposition rétrospective. (S.D.) -> 22.05 Fondation Beyeler | Riehen / Bâle fondationbeyeler.ch

— Arts Marcelle Cahn. En quête d’espace

Exactes contemporaines, Georgia O’Keeffe et Marcelle Cahn sont nées et décédées à dix ans d’écart. Deux artistes de leur temps et de leur continent : l’approche de l’une est aussi européenne que l’autre est américaine. Parcourir l’œuvre de Marcelle Cahn, c’est en effet retracer l’histoire de la peinture européenne du xxe siècle. Tout au long de sa carrière, c’est-à-dire pendant une soixantaine d’années, elle a exploré tous les possibles de l’art contemporain tout en cultivant, en secret, une pratique de la figuration, qu’elle

Marcelle Cahn, Composition non-figurative, collage, 1976. MAMCS - Photo : Mathieu Bertola

voit comme une récréation nécessaire. Née à Strasbourg en 1895 dans une famille à la solide culture classique, ses peintures sont d’abord de tendance expressionniste, puis cubiste, avant de prendre un tournant abstrait, d’abord courbe et très coloré, puis géométrique et tempéré. Elle se sera aussi essayée au monochrome, à la sculpture articulée et au collage, qu’elle pratique beaucoup à la fin de sa vie, par goût mais aussi par manque de moyens. Navigant entre France et Allemagne, elle fréquente, dans les années 30, tous les grands artistes de son temps : Fernand Léger, Amédée Ozenfant, Ossip Zadkine puis, grâce à Michel Seuphor qui l’invite dans le groupe Cercle et Carré, Hans Arp, Sophie Taeuber-Arp, Piet Mondrian, Vassily Kandinsky… Elle est pourtant restée dans l’ombre de ses contemporains. Si son œuvre est présente dans les collections des musées, notamment au centre Pompidou et à Strasbourg, elle n’a que peu été montrée. L’exposition du MAMCS, également présentée au MAMC+ (Saint-Étienne) et au musée des Beaux-Arts de Rennes, est ainsi la première grande rétrospective consacrée à cette artiste à la fois rigoureuse et exubérante, à la personnalité attachante et à l’œuvre multiple, qui témoigne d’un appétit jamais rassasié pour l’expérimentation. (S.D.) 29.04 -> 31.07 Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg musees.strasbourg.eu

— Théâtre

Les Serpents Propos recueillis par Nathalie Bach Les Serpents de Marie NDiaye siffleront au-dessus de nos têtes au Théâtre national de Strasbourg. Conte cruel et inoubliable d’une des auteures décidément les plus puissantes de sa génération.

« On ne revient jamais, quand on vient de gagner, sur le lieu où s’est livrée la bataille, car sait-on ce qui nous attend, tapi dans l’ombre ? » C’est une réplique des Serpents, une phrase clé peut-être ?

À tel point que je trouve que c’est une clé presque trop claire [rires] et qui pourrait résumer à elle seule la pièce. Elle aurait même pu en être le titre si elle n’était si longue et intraduisible !

Quel a été le déclencheur de cette pièce ?

À l’époque, nous habitions en Gironde, dans un village. Nous étions entourés de plantations de maïs, comme cernés. J’aimais imaginer le fait de se perdre dans ces maïs, je trouvais ça beau et inquiétant. Je crois que c’est cette géographie, cette vision des champs qui peuvent nous avaler qui a déclenché l’écriture. L’histoire est venue après, comme par entraînement.

Une histoire d’ogre?

En l’occurrence, un ogre invisible. Je suis souvent inspirée par les contes, ils me fascinent depuis toujours.

Il s’agit d’un infanticide commis par le père, avec la complicité plus ou moins passive de la grand-mère…

Cette pièce a été publiée en 2004. C’est drôle, avec le temps, cette complicité m’apparait moins terrible, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que je décris rarement une scène directement, je la fais souvent raconter par un ou une protagoniste. Ce n’est pas intentionnel, mais il peut y avoir un effet de chœur, je veux dire un chœur de déploration, qui raconte ce qu’il s’est passé. Ce qui implique aussi que le récit soit sujet au doute parce que quand un fait est rapporté, quand il sort de la mémoire de celui qui parle, sans qu’on l’ait sous les yeux, qu’en est-il de sa véracité ?

Tout de même, il fallait l’inventer, cette histoire…

Tout à coup, en vous parlant, et vraiment ça sort de mon inconscient, me revient que j’ai écrit cette pièce en arrivant en Gironde puisque nous avons quasiment dû fuir notre village de Normandie où nous habitions avec nos enfants, tout jeunes à l’époque. Nous avions quitté ce village après avoir fait éclater l’affaire de l’instituteur de CP, qui était un criminel violeur d’enfants. Il a été jugé deux ans plus tard et condamné à quinze ans de prison. Et tout à coup, je me demande si cette histoire de petit garçon sacrifié avec l’ogre dans la maison n’aurait pas été inspirée par cet évènement. C’est curieux de relater cette histoire, ça ne m’a jamais traversé l’esprit avant et maintenant que je vous le dis ça me semble presque évident. Mise en scène Jacques Vincey 27.04 -> 05.05 TNS

Photo Jean-Louis Fernandez 54

Le dernier numéro de Parages, la revue du TNS, est entièrement consacré à Marie NDiaye tns.fr

Fùria de Lia Rodrigues

— Danse

Festival Extradanse

Nouvelle édition pour Extradanse, le temps fort annuel orchestré par Pole-Sud. Au menu, une programmation au carrefour de la violence et de la résilience, de la terreur et de la beauté. À travers huit écritures chorégraphiques contemporaines, c’est la beauté de l’être humain dans toute sa diversité autant que ses pires tourments qui nous sont révélés. Avec Bugging (les 27 et 29 avril), Étienne Rochefort met à l’honneur les danses urbaines, reflets et effets d’un monde en déchéance. Breakdance, popping, hip-hop, freestyle, house, krump, voguing, twerk, toutes sont à la fois un cri d’espoir pour l’avenir et traversées des fêlures du temps passé et présent. De son côté, Lia Rodrigues rend hommage aux êtres marginalisés, corps minorés et souvent exclus. Sa pièce Fùria (les 3 et 4 mai), en intensifiant les stigmates, convoque par une énergie dévastatrice et un élan de liberté, la beauté invisibilisé de ces individus à la marge. Dans une approche similaire, Trottoir de Volmir Cordeiro (le 10 mai) interroge le concept de « corps exposé », lieu de surgissement des « existences, des rébellions, des manifestations, des représentations ». Corps contrôlé ou qui contrôle, corps qui se performe, que l’on surexpose ou que l’on efface, corps qui travaille, corps différent… Un hymne aux différences et une critique des politiques contemporaines. (L.C.) 25.04 -> 19.05 Pole-Sud pole-sud.fr

JEUDI 28 ET VENDREDI 29 AVRIL 20H

PALAIS DE LA MUSIQUE ET DES CONGRÈS

SCINTILLEMENT FRANÇAIS

BIZET L’Arlésienne, Suite n°1 TOMASI Concerto pour trompette DEBUSSY Images

DIRECTION AZIZ SHOKHAKIMOV

TROMPETTE GÁBOR BOLDOCZKI

ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG ORCHESTRE NATIONAL

— Théâtre

Le Témoin Propos recueillis par Lucie Chevron Le Strasbourgeois Cyril Balny et la compagnie La Récidive nous plongent dans les méandres de la mémoire, recueil de nos souvenirs et oublis, pour en faire surgir la toute première image.

La scénographie de cette nouvelle création vient rompre avec l’habituel cube noir. Quel rôle donnez-vous à cet espace?

Ce lieu blanc, immaculé, presque surexposé, c’est celui de la mémoire vierge. C’est un peu la catastrophe des débuts, qui va poser deux questions : comment apparaît la première image ? Qu’est-ce que c’est que de commencer ?

Dans cette mémoire vierge, quelle est la place de l’acteur ?

Le dispositif est analogue à celui d’un peintre. Comme le peintre va mettre sa toile sur le chevalet, disposer ses couleurs pour enfin se demander où et comment poser la première touche, je vais chercher à créer, chez le spectateur, les circonstances du surgissement de la toute première image. Les conditions sont réunies pour qu’il alimente et nourrisse cette mémoire vierge, afin qu’elle devienne une toile de projection. En parlant, en donnant des suppositions, je ne fais que de construire des images dans l’esprit du spectateur.

Alors, comment « commencer » ?

Cette question, c’est toute la tragédie de la pièce. On voudrait bien commencer les choses. Mais en réalité, on les commence avant même de les rendre visibles, à partir du moment où on y pense. Ça, ça nous échappe. Et à vouloir faire la meilleure ou la plus belle image, celle qu’on s’imagine, on se dirige inévitablement vers la catastrophe, vers l’échec. Alors, on efface, on gomme, on oublie, pour recommencer.

Est-ce qu’on pourrait parler d’expérience sensorielle ?

Dans nos autres productions, on amène ce travail par l’univers plastique, les sons, les lumières, etc. Dans Le Témoin, il y a quelque chose de plus brut. Par ce trajet menant l’acteur vers l’échec du surgissement de cette première image, on est dans une forme d’empathie, dans un univers sensible.

Et malgré tout, il y a une recherche d’esthétisme ?

Contrairement à nos autres créations dans lesquelles on investit beaucoup la scénographie, ici, le jeu est de travailler une forme de précarité. Mais dans un même temps, il y a une grosse densité de rapports plastiques qui n’apparaît pas dans un rapport esthétisant, dans une recherche du beau, mais d’une façon très active. Cet esthétisme, le spectateur se le crée lui-même, dans son imaginaire. 03.05 -> 06.05 TAPS Laiterie taps.strasbourg.eu

Le Témoin

— Arts de la rue

L’Humour des Notes

Un lustre pour trente bougies ! Le festival L’Humour des Notes à Haguenau promet une édition XXL à l’occasion de son 30e anniversaire. La compagnie Transe Express, réputée pour ses créations aériennes et musicales, animera Cristal Palace - Bal au clair de lustre sur le parking de la Vieille Île. Autre temps fort, Zic Zazou tirera sa révérence avec Ze End, épilogue d’une longue carrière entamée au début des années 1980 sous la forme d’une fanfare rock. En dehors des spectacles programmés au Théâtre de Haguenau, le village des enfants posera son chapiteau en face de la médiathèque, la scène du Comptoir des Loges accueillera des concerts de groupes locaux et plus d’une trentaine de spectacles seront joués hors les murs. Aussi bien dans les communes avoisinantes que dans la Forêt Indivise de Haguenau à l’aire du Gros-Chêne. La programmation complète de cette 30e édition, qui draine 250 artistes pour 400 000 festivaliers sur neuf jours, sera dévoilée fin avril. (F.V.) 21.05 -> 29 .05 Haguenau humour-des-notes.com

1 — Courtney Barnett — DR 2 — Dowdelin — Photo : Jp Gimenez 3 — L’atelier de Jamilla Wallentin au Bastion 14 — Photo : Alex Flores

— Musique

Courtney Barnett

Sortir les poubelles devant sa maison individuelle, passer la tondeuse dans l’allée, jouer de la guitare en sa chambrette adolescente, regarder les enfants du lotissement faire leurs premiers tours de quartier à bicyclette ou observer de jeunes mamans se promener derrière leurs poussettes : tels sont actuellement les plaisirs simples de Courtney Barnett. La bonne copine de Kurt Vile, coqueluche rock indé du nouveau millénaire, a débranché sa guitare pour un troisième disque à écouter en boucle. Un album de confinement, forcément apaisé, invitant à s’extraire d’un monde qui a entre-temps repris sa course folle, en plus violent. L’artiste australienne à frange s’apprête à livrer en live les pages de son pamphlet de velours pour un nécessaire droit à la paresse. Prenons notre temps, en toute intimité et avec nonchalance, en compagnie de Courtney. (E.D.) 19.06 | La Laiterie artefact.org

— Musique Dowdelin

Comment ne pas dodeliner de la tête, et plus si affinités, sur la musique de Dowdelin ? La recette de ce cocktail antillais, coloré, sucré et fortement dosé ? Une bonne rasade de chant en créole (l’artiste d’origine martiniquaise Olivya) et une grande lichée de tonalités électroniques (le producteur lyonnais David Kiledjian), le tout shaké avec des soupçons de sensualité soul, jazz hybride, percussions des îles et hip-hop twisté et zouké. Une belle odyssée carnavalesque à vivre dans le cadre du festival Contre-Temps, pour une soirée où Dowdelin partagera l’affiche avec Ko Shin Moon. Cette formation hexagonale navigue à vue entre dub du désert, techno-bouzouki et danse du ventre electro. Dalida en transe sur le dance floor ! (E.D.) 17.06 | Espace Django espacedjango.eu contre-temps.net

— Arts

Ateliers Ouverts

Comme à chaque belle saison, les artistes ouvrent leur antre aux visiteurs curieux et esthètes, avides de connaître l’envers du décor, de découvrir les secrets de fabrication et les sources d’inspiration de ceux qui ont fait de la recherche du beau, quel qu’il soit, leur moteur et leur métier. En ville comme au vert, 150 ateliers et 500 artistes lèvent le voile pendant deux week-ends, offrant un moment de rencontre aussi privilégié qu’éphémère. À partir du 15 avril, on se laisse guider par le site pour établir ses parcours à sa guise, en fonction de la localisation des ateliers et des médiums des artistes. L’occasion peut-être de s’offrir une escapade à la journée en dehors de la ville, à la découverte d’ateliers moins fréquentés, puisque la manifestation se déploie dans toute l’Alsace. (S.D.) 14-15.05 + 21-22.05 Strasbourg et Alsace ateliers-ouverts.net

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