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Sauve qui peut !

Le rapport annuel de la DG HR pour 2022 était attendu avec impatience, surtout en ce qui concerne les chiffres du recrutement et de l’attrition. En effet, la ministre de la Défense tablait sur l’engagement de 3.000 nouveaux militaires pour renflouer les effectifs de l’armée.

Au 1er janvier 2023, la Défense belge comptait 23.987 militaires en service actif, bien en-dessous des prévisions les plus pessimistes. Une partie importante de ces collègues sont indisponibles pour diverses raisons. Ainsi, plus de 5.400 d’entre eux sont des candidats. Si on ajoute leurs instructeurs et encadrants, cela signifie qu’un quart des effectifs en uniforme n’est pas réellement ‘engageable’ par notre organisation. 625 collègues occupent un poste international et 529 militaires sont absents de longue durée pour raison médicale. Concernant ce dernier groupe, on constate un triplement au cours de l’année 2022 mais cette évolution à priori inquiétante s’explique selon la DG HR par un meilleur recensement des absences. Un rapide décompte indique que le nombre de militaires ‘d’active’ ‘utilisables’ dans les unités est largement inférieur à 20.000. Et encore, on ne parle ici que d’individus, pas de ‘temps plein’. Retirons encore les temps partiels, les congés de fin de carrière, de vacances, de maladie, les dispenses de service et autres raisons normales d’une absence justifiée à la caserne et on comprend mieux que trouver le personnel nécessaire aux missions quotidiennes devient un vrai casse-tête pour les Chefs de Corps.

Équation impossible

De plus en plus de militaires se plaignent de l’impossibilité de prendre leurs congés ou dispenses de service. Dernièrement, un jeune volontaire affecté depuis deux ans dans une unité d’appui nous expliquait qu’à force de missions et manœuvres, il avait déjà accumulé plus de 900 heures d’absence du domicile (DS UTH). Or, le règlement prévoit qu’il est impossible de ‘récupérer’ plus de 152 heures sur une période de 24 mois pour les DS UTH ! Bien sûr, les heures accumulées pourront in fine toujours être payées, mais beaucoup de collègues ne veulent pas de cette solution, qu’ils jugent financièrement défavorable. Par ailleurs, un tel rythme d’engagement n’est pas tenable à long terme. Dans de nombreux services, le manque de personnel cause en outre un stress important. De plus en plus souvent, on nous rapporte qu’il devient impossible de travailler, faute de collègues : chauffeurs, armuriers, magasiniers, ... manquent à l’appel. Certains militaires, surtout parmi les jeunes temporaires, optent alors pour un retour à la vie civile, dans un métier plus compatible avec une vie sociale et familiale normale. Cette attrition s’ajoute à celle en cours de formation, que ce soit suite à un échec ou à la demande du candidat, déçu par la réalité de la vie militaire. En 2022, 1.307 militaires ont choisi de quitter la Défense (5,3%, soit cinq fois plus qu’il y a dix ans) et 375 ont été dégagés par l’armée elle-même. Quant à la ‘vague des pensions’, elle déferle toujours puisque 1.337 collègues ont été rattrapés par la limite d’âge. À ce petit jeu, c’est de loin la Marine qui est la plus touchée, avec une perte de 5% de ses effectifs en seulement un an.

Bilan déficitaire

Toutes causes confondues, on note le départ de 3.066 militaires en 2022, contre l’arrivée de seulement 2.432 nouveaux. Un bilan toujours largement déficitaire, malgré tous les efforts et les investissements consentis pour le recrutement, la sélection et la formation ainsi que l’amélioration des conditions de travail et la revalorisation salariale. On voit bien que les nouveaux bâtiments poussent comme des champignons dans la plupart des casernes, surtout les centres d’instruction. Par ailleurs, l’alignement des salaires sur ceux de la Police et l’arrivée des chèques-repas ont apporté une bouffée d’oxygène à l’attractivité de notre métier.

Mais la faute n’incombe pas seulement à la Défense. Le nombre record de postulants en 2021 (8.250) ne s’est pas confirmé l’année dernière (seulement 6.456). Peutêtre parce que le vivier des garçons et filles intéressés s’épuise tout doucement mais aussi parce que notre pays jouit d’un taux d’emploi très élevé, surtout dans les domaines qui intéressent la Défense. Aujourd’hui, un jeune en très bonne forme physique et mentale qui se passionne pour la technique, n’a aucune difficulté à trouver un job à durée indéterminée dans le privé. Or, en 2022 le salaire brut moyen en Belgique était de 3.832€ par mois. Difficile de rivaliser avec un marché du travail en si bonne santé financière. Sans oublier que les jeunes privilégient aujourd’hui les emplois de proximité permettant de maintenir une riche vie sociale et des loisirs, par le biais du télétravail, d’horaires flexibles, de jours de congés supplémentaires, ... Enfin, il ne faut pas se voiler la face : l’attaque russe en Ukraine a refroidi certains jeunes et surtout leurs parents. À choisir, un job au Colruyt du coin est certainement moins risqué…

Civils, Composante Med et PVE

Il n’y a pas que des chiffres négatifs dans le rapport 2022. Ainsi, le nombre de civils augmente sensiblement. Il passe à 1.722 (+149), avec une quasi-parité entre hommes et femmes. La Composante Médicale parvient à tirer son épingle du jeu. C’est la seule force qui s’agrandit, avec désormais 1.687 militaires (+39).

Le nombre d’officiers supérieurs croît aussi et sans surprises, nous ne manquons toujours pas de généraux, deux catégories pour lesquelles il ne semble y avoir ni pénurie, ni difficultés de recrutement.

On constate enfin le succès croissant des PVE, qui passent de 883 à 1.041 sur le courant de l’année, une augmentation de presque 18% ! Une victoire amère puisqu’elle est aussi le témoin de la panique qui règne à Evere, où l’on cherche par tous les moyens possibles à maintenir le navire à flot en termes d’effectifs … Pour la CGPM, le constat est clair : l’objectif de 29.000 militaires en 2030 est un mirage. C’est très simple : il faudrait chaque année 1.000 collègues supplémentaires alors que pour le moment nous en perdons 640. Bien sûr, la crête des départs à la pension est passée, mais il reste la ‘queue’ de la vague, qui durera encore sept ans. Pendant encore une dizaine d’années, la Défense sera vidée de sa substance vitale : ses militaires. 

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