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UN PAYS EN COLÈRE
D’ENTRÉE DE JEU, François-Henri Désérable cite en exergue son mentor, Nicolas Bouvier, avant de nous emmener sur ses traces, en Iran. Soixante-dix ans après le voyage effectué de la Yougoslavie à l’Afghanistan de l’écrivain suisse (L’Usage du monde), l’auteur de Mon maître et mon vainqueur (Grand prix du roman de l’Académie française 2021) relève le défi de traverser la république islamique, au plus fort de la répression contre les manifestations qui suivent le décès de Mahsa Amini. Arrêtée en septembre 2022 par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés », quelques semaines avant l’arrivée de Désérable, cette jeune femme est morte des suites d’une hémorragie cérébrale, causée par des violences policières. Malgré les mises en garde alarmistes du ministère des
Affaires étrangères, l’ancien joueur de hockey sur glace professionnel – qui a écrit son premier livre à 25 ans et décidé de se consacrer à la littérature –a quand même décidé de partir prendre le pouls d’un pays aux abois. De Téhéran aux confins du Baloutchistan, sa narration s’appuie sur la grande tradition du récit de voyage, au fil de rencontres, d’anecdotes, d’observations, du quotidien comme du contexte politique. Parti dans l’esprit de Bouvier (« le programme était vague, mais dans de pareilles affaires, l’essentiel est de partir »), il est entré en contact avec un peuple meurtri et révolté, dont l’écrasante majorité souhaite la fin du système en place. « J’espère seulement vivre assez longtemps pour voir tomber ce régime, pour voir le jour où l’Iran qui a réprimé devra soutenir le regard de l’Iran qu’il aura réprimé », lui confie son guide dans la plus grande mosquée sunnite du pays, Makki, à Zahedan. C’est dans cette même ville, autre chaudron de la contestation, que plus de 90 manifestants ont été tués par les forces de sécurité, lors du « vendredi sanglant », le 30 septembre dernier. Entre littérature et reportage, le récit de l’écrivain français prête ainsi la main à une révolution en marche. Femmes iraniennes en tête. ■ C.F.
FRANÇOIS-HENRI DÉSÉRABLE,
L’Usure d’un monde : Une traversée de l’Iran, Gallimard, 160 pages, 16 €