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D’URGENCE
par Zyad Limam
solutions pour répondre aux « polycrises » qui nous menacent tous.
Certains pensaient qu’il ne serait qu’un sommet de plus, une réunion de chefs d’État sans véritables conséquences réelles, tangibles. Pourtant, le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui s’est tenu les 22 et 23 juin derniers dans la capitale française, aura marqué une véritable étape. Un moment de prise de conscience. Dans les économies occidentales, au sommet des pouvoirs du G7, le dépassement de l’égoïsme, la prise de conscience progressent. Il n’y aura pas de solution face à ces crises systémiques du xxie siècle sans impliquer toute l’humanité. Et plus encore lorsque l’on parle du changement climatique, qui par nature n’a pas de frontières… Les 900 millions de Terriens du monde riche ne pourront pas préserver leur « confort actuel » si les 7 milliards de Terriens des mondes émergents et pauvres ne trouvent pas de solutions effectives aux « polycrises » qui les menacent : assèchement des crédits, piège de la dette, et impacts de plus en plus manifestes du changement climatique. Impacts d’autant plus cruels que la plupart de ces pays ne sont pas responsables des dérèglements, et encore moins émetteurs de carbone.
Au Sud, la sensation d’impasse est réelle. Les modèles de croissance des vingt dernières années, qui ont permis de sortir de la pauvreté des centaines de millions de personnes, sont remis en cause. Les financements se raréfient. Pour tenir les objectifs de développement durable, il faudrait plus ou moins renoncer à toute croissance carbonée, à toute exploitation des énergies traditionnelles dès aujourd’hui… Se baser sur des modèles d’énergie propre, coûteux, insuffisants, alors que l’urgence est de changer la vie de milliards d’êtres humains. Comme le souligne un expert, si l’Afrique devait, dans vingt ou trente ans, atteindre le niveau de développement et de revenus d’un pays comme le Brésil (7 000 dollars par an et par habitant), ce saut ne pourrait pas se faire dans les contraintes de développement durable posées par les pays riches… Le débat est réel, incontournable. À cette contradiction essentielle pourrait s’ajouter les répercussions des nouvelles technologies, de l’intelligence artificielle et de la robotisation sur les délocalisations. Si dans un futur proche, les pays riches peuvent construire des usines sans ouvriers, aucune raison particulière de les installer dans des pays du Sud global… Et si ce Sud global devait fléchir ou se fragmenter sous le poids des polycrises, le prix à payer pour les économies riches pourrait être plus que douloureux : accentuation des migrations sauvages, des trafics, menaces terroristes, trafics en tout genre… Sur un plan moins stratégique, moins long terme, les pays du « Nord » – la France peut-être plus que d’autres –ont conscience aussi que leur ascendant traditionnel sur les affaires du monde s’affaiblit. Les instruments mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sont contestés, les procédures d’aides au développement, les financements, les taux sont critiqués en bloc. De nouveaux acteurs, indépendants, comme la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Arabie saoudite, la Turquie, dessinent un futur monde multipolaire, probablement instable, et hors du contrôle effectif des puissances traditionnelles. Au Sud, un certain nombre de chefs d’État ont pris le dossier à bras-le-corps. Pour reprendre l’expression d’un participant, « le niveau du leadership africain a fortement évolué », et le Nord se trouve face à des interlocuteurs qui ont des arguments, qui maîtrisent leurs dossiers et qui ont aussi la capacité de s’adresser à une opinion publique mondiale.
La clé de l’histoire reste évidemment celle du financement. Les chiffres sont stupéfiants. Selon un rapport commandité par la présidence de la COP27, les pays du Sud (hors Chine) doivent trouver 2 400 milliards de dollars par an, d’ici 2030, pour financer leurs actions climat. La moitié devra venir de ressources internes, le reste de financements internationaux. Et cela, sans parler du reste, des autres urgences, des infrastructures, des besoins sanitaires, d’éducation, de formation, etc.
Voilà, disons 16 000 milliards d’ici sept ans… Un effort unique dans l’histoire de l’humanité. Mais après tout, c’est juste un peu plus que ce qu’aura coûté la pandémie de Covid-19 à l’échelle mondiale sur 2020 et 2021 (sans compter les effets à long terme…). ■
Un système traditionnel contesté
À la tribune, Melinda Gates, coprésidente avec son ex-mari de la fondation à leur nom.
À l’écoute, le nouveau président de la Banque mondiale Ajay Banga. Aux côtés d’Emmanuel Macron, Kristalina Georgieva et le président kényan William Ruto. Pour de nombreux pays émergents, les mécanismes actuels de financement sont inadaptés. Et traduisent la domination du Nord sur le Sud global.
Rendez-vous au château
Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, aura marqué de sa présence le sommet de Paris. L’affaire Khashoggi semble bien loin… État « carboné » incontournable, le royaume wahhabite s’est aussi engagé dans une très ambitieuse transformation de son économie. C’est également l’un des principaux bailleurs de fonds de la région. Le président al-Sissi a été reçu au château privé du prince, à Louveciennes. Au menu probable des discussions, la dette stupéfiante de l’Égypte.
Dans le jardin de l’Élysée
Mohamed Bazoum a participé à la cérémonie d’ouverture du sommet. Dans un discours sobre et percutant, le président nigérien a décrit les impacts du changement climatique sur son pays. Le Niger est un État clé pour la stabilité du Sahel, et l’une des rares démocraties de la région. De quoi alimenter un entretien en tête-à-tête dans les jardins du palais présidentiel.
La dame de Bridgetown
Mia Mottley est la Première ministre de la Barbade et la coorganisatrice du sommet de Paris. La dirigeante de ce petit État insulaire des Caraïbes, menacé par la montée des eaux, est devenue la figure des pays du Sud dans la lutte contre le changement climatique. Ses discours sont francs et directs : « Si je pollue votre propriété, vous vous attendez à ce que je vous indemnise », avait-elle lancé en novembre 2022 à la tribune de la COP27, à Charm el-Cheikh (Égypte). Elle défend l’agenda de Bridgetown, avec des mécanismes de financements publics et privés à long terme.
Première sortie
Pour Bola Tinubu, ce voyage à Paris aura constitué une première officielle. Le président nigérian connaît bien la ville à titre privé, mais ses pairs ont pu cette fois s’entretenir avec le chef d’un pays de près de 200 millions d’habitants, la « nation la plus riche d’Afrique », où les inégalités sont criantes, et qui concentre tous les enjeux du siècle : climat, sécurité, migrations, urbanisation…
Le baisemain de DSN
Le président congolais, lui, est l’un des doyens du continent. Il compte près de quarante ans de pouvoir effectif. De 1979 à 1992, puis depuis 1997. Son pays est au cœur des enjeux financiers (poids de la dette) et climatiques. Avec la protection de la forêt équatoriale. Inamovible et élégant, Denis Sassou-Nguesso a soigné son entrée au dîner de gala par un baisemain très classe à Brigitte Macron.
Les discours de William Ruto
Président du Kenya depuis septembre 2022, il dirige un pays de quelque 57 millions d’habitants, en voie de modernisation rapide, mais également en grande difficulté financière. Et où les impacts du changement climatique sont particulièrement visibles. Efficace et sans complexe, le chef d’État n’aura pas ménagé ses pairs : « Nous voulons avoir le droit de parler et de décider comme les autres. Si nous ne faisons pas cela, cette planète va couler. Le Nord avec le Sud, ensemble. » Sur le Champ de Mars, face à des dizaines de milliers de jeunes, il a su insuffler de l’espoir : « Quand je vous vois ici, tous rassemblés, je vois aussi les solutions aux défis auxquels fait face notre planète… »