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Pierre-Édouard Décimus
Le Musicien Guadeloup En A Cofond
le groupe Kassav’, inventeur du zouk. Dans son autobiographie, ce pionnier retrace son parcours musical, sa quête identitaire et spirituelle, sa démarche d’affirmation culturelle. propos recueillis par Astrid Krivian
Dans mon enfance, ma mère avait un transistor qui captait les radios des autres îles de la Caraïbe. Je m’endormais bercé par le cha-cha-cha, le mambo, la pachanga, le calypso… Mon âme était réceptive, la musique imprégnait mon subconscient. Ma passion est née ainsi, et nourrie par les orchestres de carnaval. Le Mas a Senjean était un groupe de carnaval des quartiers populaires de Pointe-à-Pitre, où j’ai grandi. Les tanbouyés (joueurs de tambour) se déguisaient à partir de feuilles de bananiers, de bric et de broc. Leur musique minimaliste, véritable science rythmique, me fascinait. Je suis d’abord devenu percussionniste, batteur, puis bassiste. Un phénomène mystérieux, que j’appelle la « prière des oiseaux », est teinté de magie : un peu avant le crépuscule, une nuée de merles piaille, virevolte. Tel un chef d’orchestre, l’un d’entre eux se pose sur un fil électrique, les autres face à lui, auxquels il indique le silence, puis l’envol. Selon les anciens, ces oiseaux viennent porter une nouvelle. Un jour, j’ai senti qu’ils m’annonçaient la rénovation urbaine prochaine de mon quartier. Je devais donc profiter de nos arbres fruitiers, des plantes médicinales, du jardin de notre case créole… En effet, peu après, les bulldozers ont détruit nos maisons, remplacées par des HLM. Un proverbe rural guadeloupéen dit : si un chien vous mord, vous guérirez avec les poils de ce chien. La solution se trouve dans le problème ! Cette maxime universelle m’aide tous les jours. Pour expliquer le succès de Kassav’, nous étions en résonance avec une époque. Beaucoup de gens de ma génération prenaient conscience de leur intégration dans un monde plus vaste que leur espace naturel. Nous étions dans une quête identitaire, pétris d’interrogations, avec un besoin de reconnaissance de nos cultures. Le modèle occidental commençait à s’essouffler.
J’ai aussi eu la chance d’être entouré de grands musiciens, comme Jacob Desvarieux et mon frère Georges. Notre musique puisait dans nos rythmes guadeloupéens (gwoka…) et les styles occidentaux. Nous menions une recherche esthétique. Allier la puissance du groove du Mas a Senjean à des chansons dans une production phonographique moderne, c’était révolutionnaire !
Quand j’arrive en Afrique, je suis ébloui : c’est la terre de mes ancêtres ! Cela renforce ma prise de conscience sur le passé, le présent et l’avenir du continent. Je me raccroche à l’espoir un peu fou de remonter à la source de mes origines africaines, très lointaines. Je ne sais pas d’où sont partis mes aïeux, pourtant j’ai l’impression d’être chez mes parents. Je suis envahi d’émotions, j’ai envie d’embrasser la terre. J’ai aussi un grand-père breton, pourtant je n’ai jamais eu le sentiment d’être sur ma terre ancestrale en Bretagne. Je refuse de restreindre ma relation à l’Occident au seul prisme de l’esclavage. Je le dénonce, mais si je ne veux pas qu’il se reproduise, je dois trouver des moyens d’échanges et de partenariats, assumer cette relation à l’autre, lui donner du sens. Et non pas maintenir un rapport d’ancien esclave à ancien bourreau. ■ Pou zòt, Kassav’– Love and Ka-dance, Jasor, 204 pages, 20 €.