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II- ENTRE PRÉSERVATION ET INVENTION

L’architecture actuelle au Maroc pourrait-elle trouver un ancrage local, tout en donnant écho aux différentes problématiques internationales contemporaines ?.

« Les quinze dernières années ont vu émerger une scène contemporaine pléthorique, qui s’est libérée, décomplexée et qui s’est amarrée au débat mondial. Cependant, face à cette ouverture et cette richesse qui pourrait nous pousser à une certaine euphorie, on se doit de faire un constat critique plus précis ».

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Sources : Tarik Oulalou, Resistances et Resignation Architecture au Maroc 20042014, AAM Belgique 2014

II-1 Une échelle internationale

Nous avons vu que l’architecture au Maroc a toujours été confrontée à la tension entre le centre et la périphérie. Pendant la période coloniale, le centre a mis en place ses façons de penser dans le royaume, et a contribué à la croissance du pays, tout en préservant une certaine esthétique orientale. Même si l’infuence des natifs se développe de plus en plus depuis l’indépendance et continue de croître aujourd’hui, l’infltration du centre (occident) est encore visible. De plus en plus d’architectes étrangers produisent au Maroc, et de plus en plus s’y installent. De nombreux partenariats et trajectoires divergentes voient le jour entraînant ainsi les architectes marocains vers un nouveau regard moderne innovant et critique alliant ainsi « la tradition » dans leurs discours. Cependant, ces quelques bribes d’espoir restent ensevelies sous d’innombrables constructions à but économiques ou encore touristiques. Part ironie du sort, celles-ci se déclarent régionalistes et durables et restent marginalement remises en cause. « Les quinze dernières années ont vu émerger une scène contemporaine pléthorique, qui s’est libérée, décomplexée et qui s’est amarrée au débat mondial. Cependant, face à cette ouverture et cette richesse qui pourrait nous pousser à une certaine euphorie, on se doit de faire un constat critique plus précis (1) ».

Depuis le début des années 2000, la scène marocaine voit de nouvelles générations fraîchement diplômées, aux trajectoires différentes et intéressantes, investir les débats et les constructions multiples. Détachée, décomplexée et libérée, cette génération s’émancipe de l’opposition tradition/modernité, et de la controverse induite sur l’identité nationale héritée de l’époque coloniale française et des années de plomb de Hassan II. Ouverte et formée aux quatre coins du monde, cette nouvelle vague d’architecte apporte ainsi un nouveau regard sur le territoire, se réappropriant de manière plus critique l’héritage de leurs ancêtres.

D’autre part, cette infuence internationale n’est pas seulement perçue à travers la diversité des trajectoires professionnelles des architectes marocains, mais aussi présente par l’accroissement de la production des agences étrangères internationales de renoms. Celles-ci travaillent, construisent et même s’installent au Maroc. L’émergence de nouveaux programmes complexes, au sein d’une accélération soudaine du territoire, pousse les maîtres d’ouvrage privé comme public à faire appel à des compétences voire des signatures étrangères pour la réalisation de grands projets structurants.

(1) Tarik Oulalou, Resistances et Resignation, Architecture au Maroc 2004-2014, AAM Belgique 2014.

FIG 1 - GRAND THÉÂTRE RABAT, ZAHA HADID

FIG 2 - AGENCE NATIONALE POUR LA CONSERVATION FONCIERE À RABAT, 2014, TAOUFIK EL OUFIR

Ainsi, ces concours qui auparavant étaient une forme ponctuelle de commande sont devenus la règle pour la quasi-totalité des projets d’importance qui aujourd’hui ne sont pas traités par les architectes marocains ou du moins pas dans les faits. Effectivement, même si les instances ordinales et régulatrices marocaines exigent la collaboration avec un architecte local (dans le cas où le projet est réalisé par une agence étrangère) ; cette loi se traduit généralement dans les faits par une réduction des maîtres d’œuvre locaux, en accompagnateur administratif, au lieu d’un réel échange créateur. « Si l’on peut se réjouir de cette ouverture au monde, il faudrait aussi se questionner sur la pertinence de la démarche et de ce qu’elle engendre comme traces dans le territoire (2) ». Étant donné l’hétérogénéité des productions, cette démarche internationale connecte la scène marocaine au goût du jour vers un marketing d’architectures « stars » dénoncé pour leurs manques d’ancrages locaux précis et spécifques. Cet « effet Bilbao » comme le révoque Frampton (cf. I.2.1) résulte en une architecture certes moderne et fantasmagorique, mais surtout à des fns publicitaires et économiques à l’exemple du « grand théâtre de Rabat, énième ovni blanc de Zaha Hadid (3) ». (FIG 1) Cette représentation économique de l’architecture n’est pas seulement présente au sein de ces architectures « star », mais aussi dans un discours exotique d’une industrie touristique en plein essor. Pour plaire aux étrangers, cette quête actuelle tend à fabriquer une lecture générique, caricaturale et orientalisante de la tradition marocaine. Cet aspect révèle un phénomène très présent : les architectes se contentent d’importer des interventions étrangères, sur lesquelles ils plaquent sous forme de « motif » un certain esthétisme d’apparat. Tels les grands « holdings » et « mall » Dubaïen, la tendance est à l’excès de luxure, entre une architecture high-tech, et les dorures ornementales d’un style orientalisant.

Taoufk El Oufr, en prônant certes une architecture durable, fait référence à l’artisanat marocain résumé en un motif en double peau accroché à une façade (4). Pour lui, il est nécessaire d’intégrer la dimension durable, représentant une préoccupation internationale, tout en gardant une certaine « touche » marocaine. (FIG 2). Cependant, cette vision binaire d’un « International Arab Style » témoigne d’une utilisation faussée de ladite « tradition ». Plaqué de manière superfcielle, cet esthétisme cherche à « marocaniser » des procédés écologiques qui encore une fois sont universels (toiture végétale, panneaux solaires…). « Le contexte est un aspect inévitable pour la conception, ne reposant pas sur des points esthétiques, mais principalement sur des points éthiques (5) ». Comme l’explique Mountassir, la quête de localité doit passer par un contexte éthique et non esthétique, amenant ainsi une recherche d’invention plutôt que de tradition.

(2) Tarik Oulalou, Resistances et Resignation, Architecture au Maroc 2004-2014, AAM Belgique 2014.

(3) Catherine Sabbah, Architecture contemporaine au Maroc, Architecture d’Aujourd’hui nº 408, P. 47

(4) Taoufk El Oufr, Parcours d’Architecte Interview vidéo avec Taoufk El Oufr (Rabat : A+ E Architecture et Environnement au Maroc, 2013).

(5) Abdelouahed Mountassir - Portraits d’Architecte, (2012).

FIG 4 - EXPOSITION «LE MAROC CONTEMPORAIN» IMA, OUALALOU+CHOI, 2014 - 2015

Par ailleurs, la transmission des architectures marocaines à l’internationale exporte la culture locale, la confrontant ainsi au regard de l’autre, afn de promouvoir une compréhension réciproque alimentant les débats vers un regard critique et instructif. Tarik Oualalou et son épouse Linna Choi associés de l’agence KILO Architectures (aujourd’hui OUALALOU+CHOI) à Paris et à Casablanca, ont été affectés à la conception du pavillon marocain pour l’exposition universelle de Milan en 2014, qui a permis d’ouvrir les perspectives (cf. III.1.3). À la même année, ils ont représenté l’exposition « Le Maroc Contemporain » à l’IMA (Institut du monde arabe) à Paris, en concevant une tente provisoire devant le bâtiment de Jean Nouvel. Durant celle-ci, une partie a été dédiée à l’architecture marocaine divisée en 5 catégories : le sol, la matière, le patrimoine, la ville, et le motif que l’on peut retrouver dans le livre édité pour l’occasion : Résistances et Résignations (6). Cherchant à faire un instantané des architectures au Maroc, cette compilation propose ainsi un regard critique de par les 5 thèmes. « Traversé de part en part d’anachronismes (7) » l’architecture au Maroc est en constante remise en question entre inspiration d’un héritage (préservé et réhabilité) et une hybridation contemporaine créative amenant des bribes d’espoir futur. (FIG 4)

(6) Tarik Oulalou, Resistances et Resignation, Architecture au Maroc 2004-2014, AAM Belgique 2014.

(7) Siham Sara Chraïbi, entre patrimoine et métamorphose, Résistance et résignation, AAM, 2014

FIG 5 - KSAR AKKAL, 2012, SALIMA NAJI « la publication en 1995 par Jean-Louis Cohen et Monique Eleb, du livre “Casablanca : Mythes et Figures d’une aventure urbaine”, a été l’occasion pour que se cristallise un petit mouvement de résistance à la culture architecturale postmoderniste autocratique qui dominait alors la scène marocaine».

Patrimoine, Résistances et Résignations, architecture au Maroc 2004-2014, AAM Belgique 2014. P. 70

II.2 Entre préservation et réhabilitation inventive

Le patrimoine architectural est ainsi redécouvert mettant à distance de ce fait sa portée « coloniale ». De nouvelles postures et pensées architecturales naissent en conscience sociale et engagée, afn de préserver ce patrimoine, de le mettre en valeur, et de le médiatiser. De ce fait, les demandes d’inscription au patrimoine mondial de L’UNESCO des centres-villes de Rabat et Casablanca sont des signes forts de l’appropriation de l’héritage traditionnel, mais aussi contemporain. Cette redécouverte de ce capital culturel amène une nouvelle manière de repenser l’architecture. Dans le sud du Maroc, ce retour à la tradition et aux savoirs faire locaux, a suscité l’intérêt de plusieurs architectes, dont Salima Naji. À la posture engagée, elle milite pour la sauvegarde du patrimoine vernaculaire en particulier des bâtiments du Haut Atlas qui demeurent en mauvais état. Son travail ne montre pas seulement une certaine ferté amenant à préserver la tradition régionale, mais fait contribuer la population locale, constituant ainsi un aspect important de sa démarche. Sous l’impulsion de l’Agence pour le développement des provinces du Sud, l’exemple de la requalifcation de la cité sainte d’Assa en ruine témoigne de cette volonté de préservation patrimoniale. Autrefois articulée autour d’une « zawiya » (mosquée et medersa intégrée au tombeau d’un saint), Salima Naji tente de revitaliser ce centre communautaire tout en intégrant la population locale au sein du projet. Elle travaille, par conséquent, principalement avec les tribus berbères au sud du Maroc, en cherchant à renouer avec les procédés et les techniques de construction locales. En œuvrant d’une manière savante comme un archéologue, elle entreprend d’analyser et de redécouvrir les techniques ancestrales employées localement (pierre, adobe, pisé…) pour les faire évoluer de façon contemporaine. Elle illustre de ce fait son intérêt pour les matériaux traditionnels et le développement durable, grâce aux méthodes de construction locales dans son projet de Ksar Akkal. Celui-ci s’articule en hôtel et SPA permettant aux visiteurs de découvrir la région, non seulement en offrant une vue sur les montagnes de l’Atlas, mais aussi en séjournant dans un bâtiment inspiré des méthodes de construction vernaculaires berbères. Malgré une grande sensibilité au contexte, à la culture et la tradition locale, le projet reste fondé uniquement sur les façons de faire et l’esthétique vernaculaires. (FIG 5) Loin de la modernité, de la mondialisation et même de la contemporanéité, cette posture ne pourrait répondre aux enjeux du XXIe siècle même si elle représente un support de réfexion globale sur l’usage du patrimoine dans le sud du pays.

Parallèlement, la recherche de préservation des patrimoines urbains a engendré des remises en questions sur la revitalisation des centres-villes à travers la reconstruction de la ville sur elle-même.

FIG 5: PLACE LALLA YEDOUNA, YASSIR KHALIL ET MOSSESSIAN & PATNERS, FES

FIG 6 : RÉHABILITATION DES BORDS DE RIVE, FES, 2010, AZIZA CHAOUNI

« Cette redécouverte a été une opportunité pour apprendre à travailler sur un tissu constitué. L’exercice architectural n’est plus exclusivement dévolu à la construction neuve. On commence à faire l’architecture sur l’architecture et la ville sur la ville (1) ». L’intervention sur la Place Lalla Yedouna démontre cette régénérescence urbaine rétrospective. En effet, le projet apporte de nouvelles logiques de circulation et de programmes au sein d’un tissu pluriséculaire. Les architectes Mossessian & Partners et Yassir Khalil se pose ainsi la question de restaurer, mais aussi de construire sur ce tissu en adaptant une « architecture moderne distinctive à un espace empreint de tradition, de vitalité et de diversité fonctionnelle (2) ». (FIG 5) La recherche d’une approche contextualisée comme l’illustre l’exemple précédent n’est pas seulement liée à la construction, mais aussi à la réhabilitation de l’espace public très souvent obsolète, délabré et délaissé. De ce fait, Aziza Chaouni a récemment mené un projet avec l’urbaniste Takako Tajima dans sa ville natale, Fès, pour améliorer les entrepôts le long de la rivière. Autrefois utilisée comme décharge, résultant d’une eau très polluée, Aziza Chaouni développe une réhabilitation du bord de l’eau améliorant l’environnement en créant des espaces publics attrayants. En ajoutant des voies piétonnes agréables le long du quai, les usagers deviennent plus prudents en matière de pollution et contribuent à la conservation de la cité médiévale de Fès (3). Ce projet a remporté le Global Holcim Awards en 2009, pour sa contribution à la réhabilitation de la ville d’une manière innovante et compacte. Elle a non seulement été capable d’ajouter de précieux espaces publics au domaine urbain, mais a transformé le quartier le plus problématique de la ville pour en faire un lieu de rayonnement central. Elle allie ainsi un design durable en relation avec le contexte améliorant l’aspect environnemental de la ville tout en restant fdèle à la confguration originale de la médina. (FIG 6) Ces postures s’ancrent ainsi dans la démarche du Régionalisme critique qui devient de ce fait une approche intéressante dans le contexte actuel. Dans un monde où l’impératif environnemental est crucial, et où l’optique du « développement durable » se traduit diffcilement de manière pragmatique, les recherches critiques et locales illustrent ainsi des solutions d’avenir. Se servant des « contraintes » et des « défauts » locaux comme « atouts » déclencheur d’un processus d’innovation et d’invention architecturale ; le comportement critique offre ainsi une nouvelle perspective. Au-delà du « durable » du local ou encore de la dialectique tradition/modernité, il ouvre vers quelque chose d’impalpable à la fois d’évolutif, mais surtout conscient de sa position immédiate et rayonnante à travers l’évolution humaine. Entre réhabilitation et ingéniosité, la scène marocaine représente un territoire des possibles, aux potentialités accrues.

(1) Patrimoine, Résistances et Résignations, Architecture au Maroc 2004-2014, AAM Belgique 2014. P. 70

(2) Youness SAAD ALAMI, L’économiste, Édition N° : 4928, Le 30/12/2016

(3) Aziza Chaouni, A jewel of the city: Aziza Chaouni on restoring the Fez River, TED: Fellows Friday (2014).

« Au Maroc, la seule véritable tradition est la modernité. L’héritage architectural est celui de la recherche, de l’invention et de la radicalité ».

Tarik Oulalou, Resistances et Resignation, Architecture au Maroc 2004-2014, AAM Belgique 2014

FIG 7 RESISTANCES ET RESIGNATIONS, ARCHITECTURES AU MAROC 2004-2014, AM ÉDITIONS, CATALOGUE POUR L’EXPOSITION LE MAROC CONTEMPORAIN •O + C 2

II.3 Un nouveau souffe pour le Maroc : potentialité et innovation

Suite à cette volonté de préservation et de réhabilitation du patrimoine (vu précédemment cf.II.2.2), les postures architecturales sont en constante évolution. Comment construire du neuf, en gardant le lien au contexte sans pour autant tomber dans la fguration superfcielle ? C’est ce à quoi la nouvelle génération d’architectes marocains tente de répondre, en osant des projets singuliers et innovants dans un territoire des possibles. « Au Maroc, la seule véritable tradition est la modernité. L’héritage architectural est celui de la recherche, de l’invention et de la radicalité (1) ».

Tarik Oualalou dénonce ainsi la dialectique tradition-modernité au proft de la radicalité et de l’imagination. Opinant une réfexion décomplexée sur la société, sa culture et son architecture, l’invention critique, voire même parfois radicale permet la réinterprétation de l’héritage culturel vers une métamorphose de ce patrimoine en solution pragmatique locale et globale. Il met donc en exergue la notion d’évocation subtile, au lieu de transfguration ornementale superfcielle et inutile. Oualalou cherche à infuser, de par ses diverses expositions internationales, une nouvelle culture de projet. La détachant des typologies génériques obsolètes et de l’exportation de références étrangères superfues (Dubaïsation, architectes Star…), il défnit une posture plus critique de l’esthétique architecturale marocaine. Empruntée de l’historien Paul Veyne, la notion de « Familiarité » est selon lui plus adéquate dans la mesure où elle évoque une appartenance intime et poétique, au lieu d’une identité placardée comme un drapeau de manière redondante.

Dans un territoire très construit, mais peu instruit, la pensée savante architecturale est limitée à l’instant présent, résultant de l’obsolescence rapide des infrastructures et des grands problèmes majeurs que connaît la société actuelle. Dans un contexte où l’urgence devient la temporalité ordinaire, l’innovation et l’ingéniosité sont donc nécessaires. Se nourrissant ainsi des contraintes et des problèmes, l’approche critique permet d’imaginer de nouveaux horizons et de nouvelles réfexions potentielles. Ces potentialités sont d’autant plus renforcées par la redécouverte de régions jusqu’ici à la marge des grands développements économiques (le Nord l’oriental et les provinces du Sud). Ces territoires redévoilés permettent de nouveaux ancrages architecturaux plus précis et plus spécifques.

(1) Tarik Oulalou, Resistances et Resignation, Architecture au Maroc 2004-2014, AAM Belgique 2014.

FIG 8 - MUSÉE VOLUBILIS, •O + C

FIG 2 VUE DÉGAGÉE VERS LES VESTIGES, MUSÉE VOLUBILIS, •O + C

Que ce soit en zone urbaine ou rurale, cette ouverture des possibles tend vers un imaginaire créatif et porteur d’espoir. « Les villes marocaines sont à la recherche d’un nouveau temps. Après la médina historique, les compositions urbaines savantes de la période coloniale, l’étalement urbain des années 80, la ville marocaine est en train de réinventer, souvent par tâtonnement, un nouveau rapport à son socle, un nouvel ancrage (2) ». Par conséquent, le Musée de Volubilis réalisé par Oualalou + CHOI démontre cette posture libératrice ancrée au grand paysage de manière critique. Ainsi réalisé au cœur de l’un des sites archéologiques les plus importants au Maroc : Volubilis

. Le projet se distingue par son rapport au sol. En effet, étant un site préservé de tout développement urbain, les architectes optent pour un bâtiment enterré, offrant une vue spectaculaire sur les ruines antiques. « Le site ressemble aujourd’hui à ce que les Romains voyaient en leur temps », soulignent les deux fondateurs de l’agence (3). Ainsi ils composent le projet par une succession de volumes suspendus le long d’un mur de soutènement comme une ligne dans le paysage s’intégrant parfaitement au site de par sa matérialité. En faisant écho au contexte aride ainsi qu’au paysage de ruine, ils élisent ainsi des matériaux différents endogènes au site ; à savoir la pierre, le bois et le béton (banché et laissé brut). (FIG 8 & 9)

Ces réfexions amènent au questionnement régionaliste critique : comment penser le contemporain dans un autre rapport au temps : là où attachement au passé et émancipation peuvent désormais se croiser sans s’exclure ? Le changement est donc en cours et même amplifé pour l’avenir. On assiste à une volonté croissante d’agir, une conscience qui se partage à travers les débats et même les écoles d’architectures. L’ENA (École Nationale d’Architecture) fondée à Rabat sous Hassan II dans les années 80 avait avant tout pour objectif une affrmation de soi. Dès lors, sous la volonté du Roi, le fait d’être architecte devait signifer quelque chose pour le pays : une conscience sociopolitique de ses actes, un acteur de sa société. Cet emblème s’est par la suite démocratisé avec la création des écoles annexes (Marrakech, Fès, et Tétouan), formant ainsi de plus en plus d’architectes au Maroc. Cet engouement et d’autant plus important, dans la mesure où les demandes d’inscription aux écoles sont accrues : pour 180 places par an, l’ENA recevait plus de 12 000 demandes (4) .

(2) Sol, Résistances et Résignations, architecture au Maroc 2004-2014, AAM Belgique 2014. P. 12

(3) « Vestiges et disparitions », Architecture d’Ajourd’hui, n° 408,

(4) « Architecture, six nouvelles écoles en projet », l’Économiste, 17 juin 2013.

FIG 10 - VILLAGE COP 22, MARRAKECH, 2016 •O + C

FIG 11 - PREMIER PAVILLON MAROCAIN À LA BIENNALE DE VENISE, 2014 •O + C

Non seulement par la construction, mais aussi par la pensée, les architectes ont ainsi été impliqués politiquement, à travers des assemblées (l’ordre national des Architectes), des associations (GAMMA, ANA, archimédia…), mais aussi au niveau des instances politiques (élus, Ouali…), et des politiques d’aménagement du territoire. Royaume de la Cop 22 et carrefour de l’Afrique, le Maroc émerge à l’international tout en cherchant sa place. Même si les réformes restent maigres et superfcielles (5), une réelle volonté et conscience des changements futurs sont ancrées dans les mœurs et pensées. (FIG 10)

Ainsi, de plus en plus sensibilisés, les architectes de demain se mobilisent par le biais de conférences et de médiations. L’exemple de l’AMÉA (L’Association des Marocains étudiants en architecture) témoigne ainsi de ce désir de métamorphose et de la remise en question des dogmes architecturaux pour une solution plus critique. La conférence « Quelle architecture pour un Maroc en mutation ? (6) ». Souligne ainsi, cet enthousiasme et l’ambition apportée par ces jeunes architectes, afn d’égayer les débats contemporains pour un avenir d’espoir. Les potentialités sont par conséquent importantes en matière d’idéaux et de territoires, mais aussi en ce qui concerne les programmes. Partant d’une production architecturale essentiellement issue de la commande publique, la constitution actuelle d’une maîtrise d’ouvrage nouvelle et ambitieuse, et l’émergence de nouveaux programmes, d’infrastructures (port, aéroports, gare, etc.), culturels (musées, théâtres, etc.) et urbains (aménagement urbain, villes nouvelles) ouvrent la scène à de nouveaux enjeux (7). Face à toutes ces fortes capacités s’additionne la question du Sahara comme un territoire des possibles et d’avenir. Dans cette optique, Oualalou + CHOI propose dans le cadre de la Biennale de Venise d’investir ce grand désert qui est au cœur des réfexions au Maroc depuis la Marche Verte de 1975, et au cœur des débats politiques internationaux. C’est pourquoi ils tentent de faire travailler les architectes sur cette question de manière spéculative, résultant des projets atypiques présentés lors de la biennale. (FIG 11)

Dans un espace qui semble infni représentant 60 % du territoire marocain et qui compte à peine 3 % de la population, l’investissement des natifs est fortement sollicité par les acteurs publics et privés. Que ce soit en terme économique (plus de 10 000 emplois créés), culturel (formation gratuite : OFPPT, Microsoft Maroc, Injaz Al Maghrib, etc.), énergétique (centrale solaire Noor), mais aussi immobilier (plus de 2,7 milliards de dirhams investit [environ 270 millions d’euros] en unités de logement, infrastructures…) (8), cette implantation révèle un réel tournant d’avenir en tant que laboratoire de réfexions architecturales et urbaines.

(5) RFI.fr, Climat : ce qu’il faut retenir de la COP22 à Marrakech au Maroc, 19-112016.

(6) Sakina Diouri, « AMÉA, l’association des architectes en herbe a de l’ambition », Archimedia.ma, 17 Avril 2012.

(7) Tarik Oulalou, Resistances et Resignation, Architecture au Maroc 2004-2014, AAM Belgique 2014.

(8) Christophe Sidiguitiebe, « En 2015, qui investit au Sahara », telquel.ma, 30 Mars 2015

Toutes ces contributions et potentialités restent cependant limitées dans la réalité construite.

Entre quête culturelle, préservation et invention ; l’architecture au Maroc est déterminée par son passé traditionnel autochtone, mélangeant ainsi la culture arabe et les infuences coloniales. On perçoit principalement ces fortes références, dans les mosquées et les bâtiments publics administratifs particulièrement en matière d’ornements. (FIG 12)

Celles-ci ont permis un requestionnement critique comme nous l’avons pu le remarquer précédemment. Cependant, les projets de logements restent fortement infuencés par la vision occidentale moderne ; ne s’enracinant pas toujours avec l’existant. Durant la période coloniale, les Européens étaient privilégiés de résider dans des projets de logements modernes en abstraction avec le contexte, alors que les populations locales se contentaient de logements moins modernes et moins développés (9). Les habitats coloniaux étaient situés dans des immeubles de moyenne et grande hauteur, avec une abondance d’équipement de proximité et d’aménités ; en contradiction avec les maisons marocaines introverties aux installations minimales. Cet héritage conduit vers une démocratisation de l’esthétisme puriste, qui devient donc une volonté de démarcation symbolisant la réussite sociale. Même si la construction de logement est importante, peu de réfexions critiques sont faites. Résultant de quartiers d’habitat purement économique miroir de l’inégalité sociale.

(9) Aziza Chaouni, ed. Depoliticizing Group Gamma: contestation du modernisme marocain, P. 64

FIG - CASABLANCA VUE AÉRIENNE

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