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CONCLUSION : Utopies futures : entre inspiration et militantisme
UTOPIES FUTURES : entre inspiration et militantisme
Dans l’expérimentation prospective du Maroc de demain, plusieurs formes et sources d’inspirations sont possibles. Nous avons vu, dans un premier temps, que la remise en question de la matière, par la réinterprétation du procédé ancestral de l’architecture de terre, a révélé un avantage potentiel pour l’avenir. Ce patrimoine longtemps délaissé reprend sa place progressivement aujourd’hui, en se réinventant, et en offrant des confgurations contemporaines ingénieuses. Par l’expérimentation et le travail actif des acteurs engagés se forme la vision critique et prospective d’un avenir adapté aux localités. Ce changement se fait dans un premier temps par le refus de participer au pastiche imminent et commercial que connaît la pratique, puis par la lutte et la sensibilisation aux alternatives plus responsables, et enfn par l’utopie nourrissant l’imaginaire et inspirant les futurs. De ce fait, nous avons présenté dans un second temps, la démarche d’Archibionic : une agence d’architectes militants, sans concessions, pour une construction responsable, autonome et durable. Inspirée des architectures vernaculaires ancestrales et spontanées, leur travail stimule l’espoir et l’invention. En réinterprétant l’architecture du Patio, de manière contemporaine et pertinente, ils redonnent une nouvelle clé de lectures à toutes les singularités traditionnelles. Enfn, nous avons fni par exposer le travail engagé et critique de l’agence Oualalou + Choi, dans la quête de solutions et de procédés appropriés face aux prérogatives de demain. Défendant une vision d’architecture de « guérilla », l’agence prône la désobéissance et l’invention d’une construction pour tous adaptable et familière. Sans cesse dans la remise en question et dans la recherche de pertinences, les architectes réinventent le métier et se mobilisent pour médiatiser cette posture critique. Même si la position régionaliste critique n’est pas omniprésente au Maroc, elle reste légitime et pertinente de par ces quelques expérimentations offrant une projection vers un avenir meilleur.
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FIG- ARCHITECTURE COLLAGE. « UNE NOUVELLE UTOPIE MAROCAINE ? », •AIDA BOUZOUBAA 2018
Conclusion
Après avoir introduit l’approche du régionalisme critique, nous avons constaté son apport pragmatique dans la recherche d’une architecture adaptée à la fois au lieu et à la société. Ce terme désigne de ce fait une démarche plutôt universelle contrairement à son prédécesseur. Plus critique, il ne repose pas sur l’opposition entre le moderne et le traditionnel, mais plutôt dans la recherche d’un équilibre entre l’avancement de l’humanité et la localité. Cette approche est d’autant plus importante aujourd’hui face à l’urgence de demain, et permet une posture critique surtout dans les pays postcoloniaux. En effet, en raison de la puissante infuence occidentale dans les ex-colonies, ces régions deviennent vulnérables et risquent de perdre leur culture face à la mondialisation. Il est donc important de maintenir ces aspects locaux et de les protéger de la standardisation du monde. Le régionalisme critique semble de ce fait être une première solution pour le contexte marocain. La production architecturale au Maroc depuis les premières dynasties a toujours navigué dans cette préoccupation dichotomique entre une tradition perçue comme un passé identitaire nostalgique, et une modernité vue comme un modèle idéal à suivre. Même si la dimension critique ne représente pas une dimension générale aujourd’hui, l’équilibre entre ces deux aspects, vue comme antagoniste, se fait progressivement. Depuis le protectorat français, jusqu’à nos jours, le compromis hybride s’énonce par bribes d’espoir, entre des moments de prise de conscience et d’autres de récession et de répression diffcile. D’un côté, en adoptant une posture critique de l’entredeux moderne et locale, les remises en question de l’époque coloniale inspirent les générations suivantes d’architectes dans la recherche d’interprétations du vernaculaire et de réfexions innovantes. De l’autre, l’instrumentalisation orientaliste et identitaire lors des années de plomb (sous Hassan II) a enfoui cette démarcation expérimentale sous une façade décorative, superfcielle, à la recherche d’un drapeau parfois trop lourd à porter. La majorité des architectures contemporaines au Maroc, même si elle se proclame moderne, écologique, « verte » ou encore durable, représente le plus souvent une imitation de procédés universels importés d’un ailleurs plus développé et sur lesquels sont ajoutés un placage décoratif d’un « international Arab Style » de motif découpé au laser, ou encore de zelliges préfabriqués en Chine. « Contre une architecture objet, la vision défendue ici insiste sur les dimensions stratégiques du projet architectural, sa fonction, son sage, ses implications sociales, individuelles et politiques et ce, quelle que soit l’échelle du projet.(1)» En quête architecturale constante, le Maroc contemporain bascule entre exposition de la culture locale à l’internationale et revalorisation du patrimoine. Cette ouverture actuelle permet de dénoncer et de remettre en question les pratiques en vue d’une réinvention critique du métier. À travers des sensibilisations et des mobilisations militantes, un souffe d’espérance avenir est envisagé et rêvassé. Les paramètres intrinsèques à la spécifcité marocaine vers une forme plus critique émergent progressivement par une réinvention du vernaculaire vers un langage aux usages, matériaux, et méthodes de fabrications innovants et adaptés. À partir de ce constat, nous avons donc cherché, de manière prospective en examinant les quelques exceptions exposées, les alternatives adaptées et critiques en vue de solutions avantageuses pour le Maroc de demain. Trouver l’équilibre et le bon compromis dans la recherche d’un meilleur, représente une expérimentation presque nécessaire où plusieurs sources d’inspirations sont possibles.
De la remise en question de la matière par l’alternative de la terre, ou encore, du refus engagé d’acteurs militants, la vision critique d’une intervention plus locale devient la clé de lecture quant au développement futur. En se réinventant, et en offrant des confgurations ingénieuses, les procédés vernaculaires représentent des références inspirantes et surtout pertinentes. Entre architecture de terre, principe du Patio, vernaculaire spontané, ou encore, cannibalisme architectural ; les démarches d’interventions, pour une architecture pragmatique, sont multiples. En dénonçant le pastiche prédominant, en luttant par le biais d’expérimentations ingénieuses sans concessions et en adoptant une posture critique de « guérilla », les architectes réinventent leur métier et se mobilisent pour médiatiser un avenir des possibles. Ils prônent ainsi la désobéissance aux lois économiques régissant et limitant les projets, en vue d’une construction à la fois imaginaire et réelle mêlant familiarité et utopies. « À travers leur pratique, les architectes mobilisent le passé, observent le présent et reconstruisent au quotidien des liens, des cohérences ou des paradoxes temporels pour asseoir le futur { …} Quoi qu’on en pense, il est clair que la démarche prospective n’est pas près de s’éteindre, et que l’imagination sociale est une dimension constitutive de l’architecture { …} il vaut mieux imaginer le futur que le subir. (1)» Face aux prérogatives et à l’urgence de demain, la quête vers des solutions pertinentes est indispensable. Sans cesse dans la remise en question et dans la recherche de pertinences, la démarche régionaliste critique est légitime dans le contexte marocain même si elle reste très peu investie. À l’ère du manque général d’espace et de l’accroissement démographique de masse, repenser l’implantation architecturale est au cœur des réfexions de demain. Entre cannibalisme architectural, et architecture parasitaire, les alternatives sont multiples. Transformer l’existant, le recycler, l’adapter aux besoins actuels, n’est-ce pas la manière la plus durable de produire de l’architecture ? Une architecture responsable en soucis constants de son acte et de ses répercussions. En utilisant les matériaux immédiatement disponibles, en créant un esprit communautaire et d’entre aide, le dispositif de bidonville, paraît comme une source d’inspiration pertinente. Ce vernaculaire spontané issu de la volonté de la société elle-même en quête d’une vie meilleure loin des spéculations immobilières, s’est révélé pragmatique et plein d’espoir. En créant leur propre quartier, en mettant en place leur propre modèle utopique, régissant leurs propres règles, parfois même leur propre monnaie d’échange, les habitants se mobilisent pour une gestion locale, ciblée et durable.
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