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II- ARCHIBIONIC : DOMESTICITÉ RÉINVENTÉE
Dans la recherche prospective du Maroc de demain, l’apport agonistique des architectes franco-marocains Myriam Soussan et Laurent Moulin (Agence Archibionic) est déclencheur d’inspirations et de mutations. « Nous pensons qu’il faut maintenant des exemples plus que des discours, et des exemples sans concessions (1) ».
FIG 1 : ARCHIBIONIQUE : BIONIQUE ET CYBERNÉTIQUE
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La BIONIQUE est la science qui recherche, chez les plantes et les animaux, des modèles en vue de réalisations techniques. La CYBERNETIQUE est la science des systèmes autorégulés, qui ne s’intéresse pas tant aux composantes qu’à leurs interactions, et où est pris en compte avant tout leur comportement global. Nous développons une approche cybernétique basée sur les RELATIONS qu’entretiennent les ÉLÉMENTS d’un SYSTEME en équilibre (système « logement autonome » dans notre cas). Les éléments doivent être le plus simples possible sur le plan formel et constructif, mais pouvoir établir des relations complexes entre eux. Le but est d’augmenter les possibilités compatibles de relations interéléments pour aboutir à de multiples combinaisons formelles (dont certaines sont non connues du concepteur). Il en résulte une architecture-systéme dynamique, évolutive et qui contient potentiellement de nombreuses confgurations spatiales.
Sources : Myriam Soussan et Laurent Moulin, www.archibionic.com
II.1 Une posture engagée
Dans un contexte marocain aux potentialités fortes en termes d’environnement, de territoires, mais aussi de techniques vernaculaires ancestrales inspirantes, le couple franco-marocain de l’Agence Archibionic s’y installe, à la recherche d’expérimentation et d’innovation dans un secteur qui leur tient à cœur : l’écoconstruction. Militants et engagés, ils œuvrent pour une architecture agonistique (cf. I.2.3 - Kenneth Frampton), et bioclimatique. En cherchant à prouver que ce combat et que cet espoir reste réaliste et judicieux, ils exposent non seulement leurs pensées, mais des exemples, voire même des prototypes révélateurs d’inventions et d’enthousiasme. En fltrant la commande, en persuadant leurs clients, mais aussi par l’autofnancement, ils prônent de par une réalisation, certes domestique, une architecture écologique, voire autonome, en rapport avec le contexte.
Inspirés par les notions d’Arte povera, de détournement de matériaux et de Land art, le couple a rapidement été interpellé par la fgure chaotique et toujours en mouvement, des bidonvilles périurbains, pour penser à une alternative plus responsable et bioclimatique. Engagés dans une pratique hybride entre les procédés ancestraux et les techniques modernes ; ils prônent une sorte d’interprétation du mélange « hasardeux » du paysage rural du Sud marocain, mélangeant les médiums et les savoirs (béton, terre, plastiques, tôles.). Luttant pour une architecture plus « responsable », plus écologique ; Archibionic adopte une posture agonistique et critique face au pastiche émanant des productions marocaines contemporaines. « Le pastiche était la norme : pastiche d’une architecture européenne (sans l’expérience des entreprises européennes) ou pastiche d’une architecture marocaine “mille et une nuits” consistant à plaquer sur des épures programmatiques brutes de béton une farandole de “signes” décoratifs extraits du passé et agencés en série… (1) » Ainsi, ils dénoncent la perte des matériaux et des savoir-faire locaux et sont conscients que la réponse aux problèmes demeure dans l’apprentissage du vernaculaire : aboutissant de générations d’expérimentations.
FIG 2 - MYRIAM SOUSSAN ET LAURENT MOULIN
(1) Myriam Soussan et Laurent Moulin interview, aMush, 25 juin 2009.
FIG 3 - CENTRALE SOLAIRE NOOR 1, À 20 KM DE OUARZAZATE AU MAROC, FÉVRIER 2016/© AFP/ ARCHIVES/FADEL SENNA
FIG 4 - DIAGRAMME DE LA VILLE AUTONOME • ARCHIBIONIC
« Notre travail se résume depuis, à cette recherche d’un modèle architectural marocain, contemporain et bioclimatique (2) ». Plein d’espoir, le couple considère que ce champ d’investigation est celui d’un avenir prometteur, dans lequel ils parient sur « la naissance d’un véritable courant (2) ». Cette mutation progressive se ressent dans l’investissement qu’ils portent à leurs projets, même si la commande pour de réelles investigations autonomes reste limitée. Ce changement écoresponsable commun à l’international est de plus en plus exploité au Maroc, et ce, dans tous les secteurs. Signataire du protocole de Kyoto, le royaume s’inscrit dans une politique volontariste et tente de se positionner grâce à son potentiel géo-environnemental, comme pays émule du développement durable. Libéré des lobbys économiques des énergies fossiles, pour la plupart des régions ; réel territoire de ressource renouvelable (rendement photovoltaïque supérieur, potentiel éolien important…), le développement futur du pays est aux mains de ceux qu’ils l’investissent : « il a encore le choix de stratégies audacieuses ». Il inspire et donne envie : « Concernant le potentiel du Maroc, il est tout simplement gigantesque (au point qu’un groupe de réfexion étudie en ce moment la possibilité d’une alimentation partielle de l’Europe en énergie photovoltaïque produite au Sahara)… ». (FIG 3) Mais ces grandes volontés restent cependant limitées dans les faits, confrontées à des diffcultés sociales (conformisme, alternatives peu acceptées), économiques (douane exorbitante pour les matériaux importés), mais aussi politiques (peu de réglementations et d’incitations). Engagés dans l’architecture bioclimatique, et à terme autonome ; les architectes considèrent que cet intérêt commun à toute l’humanité est avant tout crucial aux pays émergents, puisqu’ils possèdent des avantages décisifs qui permettraient un développement rapide. Par ailleurs, le climat marocain, contrairement à la plupart des pays développés, reste plus « chaud » et facilement isolable. Ainsi, l’utilisation de matériaux locaux (terre - pierre) ôte de ce fait les grosses factures de chauffage à l’énergie fossile. « Je suis convaincu que le Maroc va devenir un pays phare parmi les pays émergents sur ces choix énergétiques : c’est à nous architectes d’accompagner cette tendance en travaillant sur des solutions concrètes et surtout visibles par le plus grand ombre (2) ». (FIG 4)
« Je suis convaincu que le Maroc va devenir un pays phare parmi les pays émergents sur ces choix énergétiques : à nous architectes d’accompagner cette tendance en travaillant sur des solutions concrètes et surtout visibles par le plus grand ombre ».
Myriam Soussan et Laurent Moulin interview, aMush, 25 juin 2009.
(2) Myriam Soussan et Laurent Moulin interview, aMush, 25 juin 2009.
FIG 6 - VILLA EN ADOBE • ARCHIBIONIC
FIG 7 - PLAN ET COUPE VILLA EN ADOBE • ARCHIBIONIC
Les architectes s’investissent en termes de matériaux bioclimatiques, locaux et pertinents dans leurs projets. L’exemple de la villa en adobe réalisé pour M & Mme Idrissi proche de Casablanca révèle de cette démarche. Cet hôtel autonome, signé M. Soussan et L. Moulin, construit en brique de terre crue, assure l’isolation des murs ; agrémentée d’une isolation en toiture, permet une gestion thermique de l’ensemble sans chauffage énergivore. Branchée au réseau électrique, elle reste cependant autonome de par son alimentation en eau (installation de puits) et au chauffe-eau solaire.
Cette écriture architecturale aux allures contemporaines et « high-tech » reste tout de même enracinée au lieu, d’un point de vue esthétique (fnition en tadelakt intérieure et extérieure), mais aussi tectonique (3) . (FIG 5 & 6)
Basé sur une pensée minimaliste, le couple prône des modes de vie différents, dépassant la société consumériste, au proft d’objets plus intelligents aux multiples fonctions. Ce « Less is more » de Mies prend tout son sens à travers leurs interventions innovantes ; synthèse d’un équilibre complexe amenant une esthétique nouvelle dans une optique de révolution douce et critique. « Il est temps de passer à une civilisation “douce”, basée sur une économie circulaire, calée sur les cycles courts de la nature. Une civilisation qui sait que rien ne lui appartient sur cette terre, et qui de ce fait respecte l’intégralité du vivant, à commencer par l’homme (3) ».
FIG 5 - FACADE VILLA EN ADOBE, FINITION TADELAKT • ARCHIBIONIC
(3) Myriam Soussan et Laurent Moulin interview, aMush, 25 juin 2009.
FIG 8 - VILLE VERTICALE UTOPIQUE • ARCHIBIONIC
FIG 9 - UTOPIE DE VILLE VERTICALE •ARCHIBIONIC
II.2 Un laboratoire de recherche : entre utopies et expérimentations
Convaincu que l’architecture vivra une mutation inévitable dans les prochaines années ; Archibionic développe une vision avant-gardiste et utopiste de la production de demain. Persuadé que l’ensemble de la construction futur sera confronté à la rareté de la ressource et de l’espace ; l’urbanisation est pour eux, un acte qui sera lié à « l’autonomie » et non à « l’automobile (1) ». Réel laboratoire d’expérimentation, ils s’inspirent du bâti vernaculaire délaissé, pour prendre en compte les problématiques environnementales sans concessions. « Affranchis de la relation avec le client, nous nous consacrons uniquement au plaisir de la conception, laissant libre cours à notre créativité, enrichie de l’ouverture sur les domaines différents de notre univers personnel, en prise directe avec des programmes et projets très importants auxquels nous n’aurions pas accès (2) » Entre expérimentations domestiques dessinées jusqu’aux détails (mobilier, jardin, dispositifs énergétiques, lieux de vie…) et réfexions utopiques urbaines, leur démarche, alternant concours et petites réalisations minutieuses, ne les détourne pas de leur motivation expansive. La pensée sous-jacente de la démarche entreprise par Archibionic réside dans un développement durable et autonome (3). Engagés dans cette lutte, ils prônent une gestion hyper locale de tous nos besoins. Cette proximité impose une maîtrise des cycles d’énergies, d’eau et des déchets, en fusionnant les trois sphères (humaine, végétale et animale), au sein d’une même structure, afn d’optimiser les fux. Ils présentent un modèle utopique de la ville verticale, compacte et mélangeant ces trois sphères. Ce dispositif de grande échelle permettrait une certaine autarcie, avec une gestion des circulations courtes (horizontale et verticales), d’un microclimat agréable, le tout sous forme d’une tour urbaine à expansion progressive. (FIG 8 & 9) Cet aspect utopique d’autonomie n’est pas seulement pour eux un rêve, il devient une réalité à travers les expérimentations et les conceptions qu’ils entreprennent. Cette autonomie se traduit par une architecture bioclimatique et contemporaine inspirée du local et du vernaculaire. Dénonçant l’approche « écologique » universelle qui se résume en un placage d’éléments « green » sur une organisation spatiale occidentale (espaces monofonctionnels cloisonnés) ; Archibionic tente d’apprendre du mode d’habiter traditionnel polyvalent et mobile de l’architecture vernaculaire marocaine, pour le transplanter en un design moderne alliant progrès technique, normes, et confort. Dans le cadre du concours « Holcim Awards » de 2015, l’agence propose une unité d’habitation (pour 4 à 7 personnes) en région semi-désertique à Erfoud (sud marocain [4]). Dans un contexte aux écarts thermiques importants, et sous un ensoleillement constant, le projet allie le savoir-faire ancestral (pisé, feutre) et technologique (éolien, photovoltaïque…) pour contrer les problématiques de confort et d’autonomie.
(1) Myriam Soussan et Laurent Moulin, « la ville autonome », www.archibionic.com
(2) Extrait interview Myriam Soussan et Laurent Moulin, Geneviève Nouhaud, Architecture à vivre n° 42
(3) Autonomie : autos (soimême) et nomos (loi), www. archibionic.com
(4) Prix de reconnaissance Holcim Awards 2005,
FIG 12 2 SCHEMA MOBILITÉ BIONIQUE CYBERNÉTIQUE •ARCHIBIONIC
FIG 10 - HABITAT EN ZONE SEMI-DÉSERTIQUE, CONCOURS « HOLCIM AWARDS » • ARCHIBIONIC.
FIG 11 - MODULE M1 TAFDNA FERMÉ, SEMI-OUVERT, OUVERT
Pour s’adapter au lieu, les architectes hybrident deux concepts vernaculaires : la rigidité du ksar en terre, et la fuidité textile de la khaima (tente nomade) ; résultant en une simplicité presque land art, entre une forme massive introvertie et une légèreté de la toile mobile. (FIG 10) Dans la même optique, ils expérimentent un module autonome autofnancé en zone rurale proche de Tafdna, avec pour objectif de créer un logement familial (2 à 4 personnes), extensible (de 10 min 2 s à 50 min 2 s) et économique « pour le prix d’une voiture (5) ». Comparable au concept proposé lors du Holcim Awards, ce prototype mélange les références locales, dans une construction en pisé, en toile plastifée et feutre et à la structure en bois et acier. L’un des aspects importants de ce module est la fexibilité et la mobilité architecturale, permettant une adaptation ingénieuse « tel un vêtement sur la peau, ajusté aux saisons et aux lieux, à l’âge et aux moyens ponctuels de leurs occupants (6) ». (FIG 11) À cet effet, ils expérimentent la modularité des espaces en donnant la capacité de les transformer et de les rendre multifonctionnels. « C’est ainsi qu’un meuble pourra sortir d’un mur, se dilater pour défnir un espace adapté à son usage puis s’effacer à nouveau (7) ». Ils expriment ainsi cette notion par le biais de leur propre maison (un autre projet autofnancé) : « TIG 3 » ; en plein cœur de la médina de Rabat. Réel laboratoire expérimental, ils y fusionnent toutes leurs convictions dans un volume vertical existant : la maison traditionnelle de médina. « Ils proposent, sans renier l’héritage de la tradition, une image ou plutôt un mode de vie contemporain { …} dans des murs “vivants” { …} qui enchâssent dans leur épaisseur des meubles mobiles… (8) ».
Bionique et Cybernétique (FIG 1), deux concepts qui leur permettent de penser les nombreuses confgurations spatiales permises par une « architecture système » dynamique et évolutive. « Les éléments doivent être le plus simples possible sur le plan formel et constructif, mais pouvoir établir des relations complexes entre eux. Le but est d’augmenter les possibilités compatibles de relations interéléments pour aboutir à de multiples combinaisons formelles (dont certaines sont non connues du concepteur) ». (FIG 12) Cette démarche permet de créer des architectures/objets multipliant les fonctions, mobiles, convertibles et permettant diverses associations.
La démarche prospective de cette agence fait persister l’espoir en donnant des réponses ingénieuses, qui apportent une réfexion sur les solutions de demain. Profondément inspirés du local et de l’architecture vernaculaire, les dispositifs ancestraux apparaissent comme des pistes de recherches inédites. L’architecture de patio prend ainsi tout son sens dans l’approche bionique qu’ils préconisent. À cet effet, ce procédé de lumière zénithal est souvent repris par les architectes dans une réinvention contemporaine et contextualisée.
(5) Myriam Soussan et Laurent Moulin, « module autonome », www. archibionic.com
(6) & (7) Geneviève Nouhaud, « Bio climatisme marocain » Myriam Soussan et Laurent Moulin ; Architecture à vivre n° 42
(8) Florence Michel-Guilluy, « Maison expérimentale à Rabat, tout un art de vivre » Architecture du Maroc n° 53, septembre-octobre 2012
FIG 12 2 SCHEMA MOBILITÉ BIONIQUE CYBERNÉTIQUE •ARCHIBIONIC
« Il est vrai que la plupart de nos réalisations intègrent un patio ; qu’il soit en long, central, traité comme une véranda, un jardin ou une pièce à vivre, il est toujours présent dans nos conceptions et plus les années de travail s’additionnent, moins nous arrivons à nous en détacher… »
« … il faut dire que c’est un concept fabuleux, offrant un équilibre harmonieux à nos habitats, un entre-deux, un espace tampon qui relie la maison à la nature, il crée des jeux de lumière traversants, il prolonge les espaces intérieurs, il crée une certaine magie, et enfn, c’est la pièce maîtresse d’une maison bioclimatique ».
« … Adaptable à tout mode de vie, il est pour nous une réponse fondamentale dans l’architecture contemporaine ».
Myriam Soussan et Laurent Moulin, Archibionic, extrait d’entretiens personnels, mai 2018
FIG 13 PATIO, TIG3 • ARCHIBIONIC
II.3 Une réinterprétation contemporaine du patio
Le recours à l’architecture de patio, fait partie d’une forme ancestrale véhiculée depuis des siècles au Maroc, aboutissant à des architectures diverses, de la médina au grand Riad, toutes ayant en commun un contexte social, économique et environnemental adapté (cf.II.3.2). On retrouve cette ouverture zénithale, dans de nombreux projets, de l’Agence Archibionic.
La réutilisation du langage architectural du patio dans des projets plus contemporains n’est pas récente. L’exemple de néo-médina des Habous (vu précédemment II.3.2) mêle l’ordre et l’organisation moderne occidentale à la vision orientalisée des maisons introverties marocaines. Même si ces expérimentations résultent en un équilibre parfois inversé, elles demeurent une pratique inédite, révélant « la capacité des médinas à se réinventer en permanence pour répondre aux contraintes d’une époque particulière (1) ». Cette forme vernaculaire « la plus endurante » de l’architecture marocaine permet plusieurs avantages pertinents au contexte. Illuminée par le haut, la maison à patio permet plus de compacité et de densité puisque les dimensions latérales préservent l’intimité et sont limitées à l’accessibilité. Les relations spatiales internes sont donc primordiales dans l’architecture de patio. La relation visuelle vers l’extérieur est limitée, la maison se regarde elle-même. La cour intérieure devient donc un espace important et représente le cœur et le nœud de toutes les activités. Elle permet de capter un fragment de la nature : le vent, la pluie, les nuages, le parcours du soleil... et introduis ces éléments au sein du bâtiment permettant un microclimat adapté et agréable en évitant un ensoleillement direct. Inspirés du Riad, les projets d’Archibionic intègrent souvent un patio végétalisé et concentrant les circulations et les vues. L’expérimentation TIG. 3 (énoncé précédemment cf.III.2.2) en milieu diffcile au cœur de la médina, représente une architecture complètement déconnectée. En décidant de créer un nouveau style d’habitat totalement autonome ; les architectes réinvestissent la maison traditionnelle de Médina (petit Riad) en réinterprétant le procédé du Patio pour donner lieu à un projet compact, modulaire et lumineux. Les espaces s’articulent autour des deux patios et proposent une relecture des modes de vie traditionnels ouverte sur l’avenir. (FIG 13)
Cette réadaptation de l’architecture du patio existant permet d’imaginer de nouveaux projets réutilisant ce concept de multiples manières, à la fois dans des expérimentations urbaines et rurales.
(1) Dr Hassan Redoine, « La médina, évolution d’une typologie urbaine » L’Architecture d’Aujourd’hui n° 408, 2015 (8) Lefaivre et Tzonis, Critical Regionalism : Architecture and Identitity in a Globalized World.
FIG 14 - PATIO VILLA O •ARCHIBIONIC
FIG 15 - MODULARITÉ FELFLA •ARCHIBIONIC
L’un des projets d’Archibionic, grâce auquel j’ai eu la chance de connaître cette agence, est celui de mon oncle : La Maison O. au cœur de Casablanca. Celui-ci s’articule autour d’un patio intérieur, prenant la forme d’une faille centrale. Les façades pratiquement aveugles (lorsque les volets sont fermés) se transforment par l’usage de l’occupant et génèrent de nouvelles confgurations, au fl des saisons, permettant une adaptation thermique et lumineuse du bâtiment. Le patio protégé par une verrière représente une pièce maîtresse dans la maison, la circulation se passe autour et à travers. Étant végétalisé, il crée ainsi une ambiance d’extérieur à l’intérieur même de la maison et atténue les températures extrêmes en été et en hiver. Un système d’auvents et de baies mobiles pouvant s’orienter sud en hiver et Est en été protège de l’effet de serre qui pourrait y être engendré. Il produit ainsi une sorte de monde intérieur, de microcosme comme un poumon qui fait respirer l’habitat. À partir du patio, plusieurs éléments et dispositifs de lumière naturelle sont mis en place pour éclairer les pièces de la maison. Ces ouvertures engendrent ainsi des vues sur le logement lui-même, et une sensation d’intériorité permettant un avantage thermique et une sorte de sensation de « foyer » partagé culturellement. (FIG 14)
Ainsi, l’architecture de patio représente de réels avantages thermiques, en occurrence dans les zones arides, voire désertiques. En choisissant la diffculté, les architectes ont opté pour l’intégration d’un projet de maison d’hôte déconnecté : FELFLA, au cœur d’un écosystème complexe (faibles précipitations, et fort ensoleillement), afn de prouver qu’une architecture autonome et adaptée peut être obtenue dans tous les contextes possibles Panneaux solaires, récupération d’eau de pluie, gestion des déchets, potagers… tout est produit et recyclé localement de manière ingénieuse et pragmatique. La maison d’hôte cherche à promouvoir un écotourisme à petite échelle, sensibilisant ainsi les occupants provisoires au mode de vie autonome et au confort dans une architecture en symbiose avec son contexte. Mobile, bionique et cybernétique (cf.III.2.2), ce petit hôtel dans la forêt d’arganiers, au sud d’Essaouira, s’articule autour d’un patio central et se transforme au gré de son usager. « Architecturalement, le bâtiment fonctionne comme un grand meuble à multiples tiroirs : volets épais, baldaquins ou cabines de toilettes, pont-levis, bureaux ou assises : tous ces éléments pivotent, se déplacent ou basculent pour créer de multiples confgurations spatiales. (2) ». (FIG 15)
FIG - PATIO VILLA O •ARCHIBIONIC
(2) Myriam Soussan et Laurent Moulin, « module autonome », www. archibionic.com
D’un cube blanc fermé à une architecture entièrement ouverte et saccadée, l’apport lumineux central du patio est au cœur du projet, desservant les pièces, il régule les températures et offre un espace intime ouvert et végétalisé. « En fonction de l’heure ou de la météo, Felfa s’ouvre entièrement ou se referme hermétiquement. Lorsque le bâtiment étend ses modules, il rompt toutes les frontières avec l’extérieur (3) », il s’insère de manière épurée au lieu et au contexte.
Par conséquent, l’architecture de patio admet non seulement une densité et une compacité importante, mais permet également de réguler les températures afn de créer des microclimats intérieurs agréables. « Favoriser la conception de l’habitat en adéquation avec les besoins du territoire et de ses habitants permet sans nul doute la réduction de la facture énergétique (4) ». Ce procédé traditionnel utilisant les sources de chaleur naturelles disponibles et limitant les déperditions thermiques nous pousse à imaginer diverses formes et interprétations pour l’habitat de demain. A cet effet, le travail de fn d’études proposé par Abdessamad Azerfane : « Bayt », publié par le magazine Architecture du Maroc (5), présente une réadaptation du patio et de la médina, dans une optique de (re) logement social évolutif à Casablanca. « Le plan présente une combinaison des caractéristiques sociales et culturelles de la médina, l’inventivité du bidonville et le niveau d’effcacité de l’urbanisme occidental (6) ». Le patio, la médina, la modularité, l’autonomie… toutes ces caractéristiques œuvrent pour la mise en place d’une architecture adaptée, respectueuse et évolutive dans son contexte. Ces interventions, même si elles restent minoritaires, domestiques et prospectives pour la plupart, nourrissent un imaginaire d’espoir : celui où la localité et les traditions ancestrales se mêlent pour donner lieu à un mode de vie prometteur et d’avant-garde. Ces expérimentations vont de pair avec un débat toujours plus critique afn d’inventer le Maroc de demain.
(3) Jeanne Baudot, Caroline Gabrielli, « modularité ingénieuse », Maisons du Maroc, Mai-Juin 2014
(4) Mathilde Darras, « l’habitat de demain quelles solutions face au réchauffement climatique ? », Architecture du Maroc, nº 68, novembre décembre 2015
(5) Abdessamad Azerfane : « Bayt, une autre vision du logement social au Maroc », architecture du Maroc numéro 65, avril mai 2015
(6) Abdessamad Azerfane : « Bayt, une autre vision du logement social au Maroc », architecture du Maroc numéro 65, avril mai 2015
FIG 16 - PATIO FELLA • ARCHIBIONIC