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I- LA TERRE : UNE POTENTIALITÉ D’AVENIR
I- LA TERRE : UNE POTENTIALITÉ
D’AVENIR
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La réfexion sur la matière est au cœur du questionnement architectural marocain. Dans une époque où les formes tectoniques, souvent de par leur complexité programmatique, deviennent de plus en plus génériques, l’émancipation par la matière et par son savoir-faire semble une potentialité d’avenir. Entre expérimentation « high-tech » et « low-tech », la construction en terre passe d’un patrimoine ancestral à une solution régionaliste critique en devenir.
FIG 2: TYPES DE CONSTRUCTION EN TERRE CRUE
LE PISE : procédé qui consiste à construire des murs massifs en compactant de la terre humide dans des coffrages. UN MUR EN BAUGE : empilement des boules de terre malléables comme de la pâte à modeler. La bauge permet de faire des murs massifs, en se passant de co rage. L’ADOBE : technique qui consiste à façonner à la main ou mouler, sans compactage, des briques de terre crue et à les laisser sécher à l’air libre. Ces briques peuvent être cuites pour améliorer les performances mécaniques.
LES BLOCS DE TERRE
COMPRIMEE (BTC) : briques de pisé fabriquées manuellement ou mécaniquement, alternative à la brique cuite, moins énergivore, elle possède des propriétés structurelles intéressantes. Sources : R. Anger et L. Fontaine, « Bâtir en terre », Lùcon, 2009
I.1 Un matériau durable et pertinent au contexte
La question de la terre est une transcription ancrée dans la culture marocaine depuis des millénaires. Avant le protectorat, la culture constructive est diverse et multiple, dépendant de la localité et des ressources disponibles. « De la tradition savante des médinas andalouses, à la sensualité des constructions rurales, l’architecture au Maroc s’est toujours fabriquée dans une relation intime avec la matière, son économie et ses performances (1) ». Face à l’utilisation croissante du béton, l’architecture de terre semble être une alternative pertinente pour le contexte marocain puisqu’elle s’ancre davantage au lieu, à sa population et ses modes de vie. L’architecture de terre est une sorte de prolongement de l’œuvre de la nature. L’humanité fait preuve depuis des millénaires d’une étonnante capacité à bâtir en terre (2). À l’image d’un rocher artifciel, l’être humain construit son foyer en transformant les sédiments sous ses pieds en matériau solide, composant les murs, les toits, les voûtes, etc. Non seulement immédiatement disponible, la terre est aussi réutilisable et facilement recyclable par la nature : « lorsque ces maisons seront abandonnées par leurs habitants, la terre, et les grains retrouveront leur chemin dans l’histoire géologique de la planète (3) ». Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit dans une construction en terre
(FIG 1). Présentes dans pratiquement tous les continents, les constructions en terre témoignent de la diversité culturelle et des différents contextes ; garantissant une qualité de vie au quotidien et des innovations qui mêlent étroitement savoir-faire et audace, art et virtuosité (4). Cette technique a fourni à l’homme des solutions pour répondre aux contraintes de son temps, et propose de la même manière aujourd’hui, des pistes pour faire face aux défs énergétiques et climatiques, ainsi qu’à la crise mondiale du logement (5). Cependant, la plupart des acteurs du bâtiment la considèrent comme une boue sans valeur marchande, et négligent les différents atouts de cette architecture. Ce matériau disponible et très commun reste très différent d’une région à l’autre et admet une grande diversité de mises en œuvre. Celles-ci sont essentiellement catégorisées en deux parties : terre modelée ou comprimée (pisé, bauge…) ou bloc de terre (adobe, BTC.). (FIG 2)
FIG 1 : ARCHITECTURE EN TERRE DANS LE MONDE
Bien construits en terre inscrits sur la liste du patrimoine mondial Zone de construction
Sources : Gandreau et Dolboy, 2010
(1) Tarik Oulalou, Resistances et Resignation, « Matière, entre rituel et technologie », Architecture au Maroc 20042014, AAM Belgique 2014
(2) CRAterre, « Habiter la Terre », la Chaire Unesco, Architectures de Terre, Amàco, Martin Rauch, Francis Diébédo Kéré, Marcelo Cortes, Rick Joy et des dizaines de professionnels.
(3) & (5) R. Anger et L. Fontaine, « Bâtir en terre », Lùcon, 2009
(4) La ville des terres, Bellastock 2017, CRAterre
FIG 3 - MUR EN PISÉ DE MARTIN RAUCH, NK’MIP DESERT CULTURAL CENTRE, © ARCHDAILY
FIG 4 - VUE SUR LES TOITS D’UN QUARTIER RÉSIDENTIEL À MARRAKECH © LE PIGEON VOYAGEUR
Mais ces techniques ne sont pas fgées, elles évoluent en fonction des besoins (terre allégée, pisée préfabriquée) et peuvent même être combinées à d’autres structures à l’exemple du bois, de l’acier ou encore du béton. Ce matériau à la fois durable et local n’est pas seulement pertinent pour ses atouts écologiques et physiques, il révèle un certain esthétisme, mêlé à un confort de vie contextualisé. De par la richesse des textures qu’elle offre, mais aussi la stratifcation et l’histoire qu’elle raconte, la terre est une poésie de couleurs identitaires. En faisant référence à cet art ancestral, elle imprègne de sens et de valeur l’architecture qui dans ce cas n’est plus orientalisée de manière superfcielle, mais devient un produit du lieu ; pensé et utilisé par la société qui le conçoit. (FIG 3) La terre s’insère dans le climat et le paysage et a été le matériau le plus utilisé au Maroc, notamment dans les régions à forte contrainte climatique. En effet, les villes de l’Atlas comme Marrakech, Fès (etc.) ont une balance de température importante (entre le jour et la nuit, et entre un hiver très froid et un été très chaud), que les murs de pisé permettaient de réguler. Or, aujourd’hui, la majorité des maisons de Marrakech sont équipées d’un climatiseur, et d’un outil de chauffage, puisque les murs en parpaing de béton sont trop peu isolés pour permettre un confort de vie. Les habitants se retrouvent ainsi à dépenser beaucoup d’argent, surtout l’été, où les températures avoisinent 45 °C et où les climatiseurs n’arrêtent pas de fonctionner. Cependant, la nouvelle réglementation thermique marocaine exige d’avoir un coeffcient d’inertie important dans ces villes et surtout à Marrakech, nécessitant de ce fait des dépenses en isolant et en rénovation qui ne sont pas évidentes et pas toujours appliquées. La construction en pisé des terres de Marrakech est appelée en dialecte marocain « El hemri » signifant « ocre » faisant ainsi référence à la couleur de cette ville. Cette terre argileuse était donc très adéquate pour la région et permettait d’avoir des bâtiments bien insérés dans leur paysage, mais surtout dans leur climat. Aujourd’hui, cette couleur n’est rien d’autre qu’une peinture de façade dictée par l’agence urbaine pour attirer les touristes. Son surnom de « ville ocre » perd de ce fait toute sa valeur identitaire et devient un pastiche superfciel décevant. Réemployer la terre pour répondre à un grand nombre de problèmes, notamment les problèmes thermiques, représente un objectif nécessaire de nos jours. Cette ville porterait ainsi mieux sa couleur et gagnerait en notoriété par l’emploi des matériaux locaux et du savoir-faire local au lieu de créer des Hôtels orientalisés carburant à l’air conditionné. (FIG 4) Ce matériau ancestral aux potentialités multiples reste très peu répandu dans les constructions contemporaines. La terre, coincée dans une dimension patrimoniale et précaire, est rejetée par la société. Cependant, avec l’initiative de plusieurs acteurs individuels, son utilisation s’accroît et cherche à s’émanciper de l’omniprésence du béton. La réactualisation de cet héritage se heurte à de nombreux obstacles sociaux, politiques, et tectoniques.
FIG 5 - CONSTRUCTION D’UN MUR EN PARPAING DE BETON FACE À UN KSAR EN TERRE - FEGUIG •MAROC-TOURS « Les démarches d’écoconception poussent à l’utilisation de matériaux
locaux, réactivant une logique de l’architecture vernaculaire ».
Olivier Namias, Construire local au Maroc, Architecture d’Aujourd’hui nº 408
I.2 Patrimoine délaissé ou solution d’avenir
Depuis l’arrivée du béton, les matériaux alternatifs sont de moins en moins répandus. Instantanément adopté, le béton façonne le cadre bâti du royaume en répondant à l’urgence du besoin croissant en logement et libérant l’énergie créatrice des architectes. Aujourd’hui, en s’émancipant de ce monopole, les maîtres d’œuvre cherchent de nouvelles manières de construire. Comme nous l’avons vu précédemment, la terre constitue, de ce fait, une piste du développement futur intéressant. Malheureusement, celle-ci demeure enracinée dans une optique fgée et dépassée, constituant un patrimoine délaissé. Même si cet héritage est parfois préservé, il reste très peu investi dans les constructions
neuves.
« Les démarches d’écoconception poussent à l’utilisation de matériaux locaux, réactivant une logique de l’architecture vernaculaire (1) ». Identifée davantage au lieu, plutôt qu’aux traditions, la terre présente un avantage durable puisqu’elle utilise les matériaux disponibles. Son rôle est donc indispensable pour cet enjeu mondial. Or, plusieurs freins l’empêchent de se développer au Maroc. Ces barrières nombreuses viennent en premier lieu de l’administration. Même si le Royaume représente un foyer ancestral majeur de diffusion des techniques de pisé, les réglementations marocaines ont pourtant banni pendant longtemps ce procédé. « Jusqu’en 2013, on pouvait dire que notre code de l’urbanisme était amnésique. Les agences urbaines sont donc à même de refuser des autorisations de construire en pisé. Les maîtres d’ouvrages, qu’ils soient privés ou publics, anticipent ce refus en excluant les matériaux naturels de leur choix de projet ». Témoigne Salima Naji (1), architecte militante pour rétablir ces techniques de construction. (Cf.II.2.3) Ainsi, ce rejet contamine l’ensemble des acteurs et conduit à la perte progressive de cet héritage. Que ce soit les bureaux d’études, les ingénieurs, les assurances ou encore les promoteurs, la majorité des professionnels de la construction refusent et craignent d’expérimenter cette architecture de terre pourtant séculaire et ayant fait ses preuves. Préférant encore et toujours le béton comme matériau de prédilection. Aux yeux de la population et des pouvoirs publics, celui-ci est perçu comme fantasme de la modernité et de la réussite sociale (cf.II.3.3), alimentant tout une économie de corruption et de lobby. Le paysage marocain devient ainsi « la première victime de cette pierre liquide universelle qu’est le ciment (1) ». Ravageant l’environnement, les constructions en béton se répandent à travers les villages fortifant ainsi les ksour en terre. (FIG 5)
(1) Olivier Namias, Construire local au Maroc, architecture d’aujourd’hui nº 408, P. 95
« Le matériau terre pâtit d’une connotation d’archaïsme technologique étant directement associé, dans les mentalités des décideurs, techniciens, et même de la population à un passé révolu. Il ne correspond pas aux aspirations ni aux idées de la modernité vers laquelle tend la population [...] L’absence de textes normatifs réglementant les pratiques de conception du projet d’architecture de terre et de l’exécution du chantier, et d’autre part des procédures de contrôle de qualité́ des matériaux et leur mode de mise en œuvre constituent un obstacle…».
L’architecture d’Aujourd’hui nº 20, 1948.
FIG 6 - CLAYONNAGE DE PLAFOND TATAOUI, SALIMA NAJI • A’A N° 408
Supplanté par la modernité, ce monde ancien de terre est méprisé laissant place à la méconnaissance et l’interdit. Cependant, plusieurs projets de sauvegarde sont lancés pour maintenir ce patrimoine longtemps abandonné, mais peu de constructions neuves l’expérimentent et cherchent à le réinventer. « Le matériau terre pâtit d’une connotation d’archaïsme technologique étant directement associé, dans les mentalités des décideurs, techniciens, et même de la population à un passé révolu. Il ne correspond pas aux aspirations ni aux idées de la modernité vers laquelle tend la population [...] L’absence de textes normatifs réglementant les pratiques de conception du projet d’architecture de terre et de l’exécution du chantier, et d’autre part des procédures de contrôle de qualité des matériaux et leur mode de mise en œuvre constituent un obstacle… (2) ». Cependant, ce procédé séculaire tend vers un requestionnement à travers les projets de réhabilitations de Salima Naji (cf.II.2.3). Celui-ci est remis au goût du jour de par ces nouvelles techniques de construction et de préservation, mais aussi du confort au prix très abordable qu’il permet dans une optique de développement durable et local pour tous. (FIG 6) C’est donc dans cette optique que le Maroc se dote en mai 2014, du premier règlement parasismique de la construction en terre, favorisant ainsi l’usage d’alternatives plus locales face au béton. Cette avancée législative permet donc à la société de faire des choix plus adaptés autrefois interdits par faute de réglementation. « Le matériau terre, étant le plus disponible, le plus confortable (thermique, hygrométrique, acoustique, etc.) et le plus facilement réutilisable, paraît être le matériau le plus prometteur pour un usage à grande échelle dans un avenir proche (3) ». De plus en plus investie, la construction en terre commence à voir le jour au Maroc, notamment dans des équipements et des maisons individuelles. C’est ainsi que l’on pourrait inscrire les projets de l’architecte Élie MOUYAL dans cette optique. Basé à Marrakech depuis 1987, il tente de batailler pour la construction en terre et la remise d’actualité des procédés vernaculaires dans une idée de développement durable. À cet effet, il opère dans la préservation et l’innovation de la terre crue et cuite dans le bâtiment à travers un grand nombre de maisons (« Dar » en arabe) à l’exemple de Dar si Drissi, Dar Mina, Dar Abna… mais aussi de certains équipements à l’exemple du Borj Majorelle, ou encore Borj Oualidia…
(2) CRAterre, « Marrakech 87 Habitats en terre », P.184, 1987
(3) Assia GOUDA, Construction en terre en milieu urbain : quel avenir ? Chantiers du Maroc - n° 135 - janvier 2016
(4) Élie Mouyal, extrait interview, « une vie consacrée à la Terre », Chantier du Maroc, n° 135 - janvier 2016
FIG 7 - DEFOULCAULT HOUSE, ÉLIE MOUYAL • ARCHITECTURE DE TERRE AU MAROC
FIG 8 - MUSÉE YVES-SAINTLAURANT, MARRAKECH • STUDIO KO
Malgré ces nombreuses réalisations, celles-ci restent de l’ordre de l’individuel. Peu d’interventions utilisant les procédés vernaculaires ont lieu à grande échelle et peu d’innovations sont apportées depuis 40 ans. « Aujourd’hui, l’expérience en architecture de terre ne se fait pas dans le tiers-monde, mais en Autriche, aux États-Unis, en Australie… C’est dans ces pays où les choses se font et avancent très vite (4) ». (FIG 7)
Néanmoins, une nouvelle esthétique de la terre commence à conquérir les critères sociaux marocains. Ces derniers voient en cette technique non seulement un avantage durable, mais aussi une identité profonde qui séduit de plus en plus. De ce fait, le musée Yves-Saint-Laurent à Marrakech, édifé en terre cuite et béton, vient dépeindre un paysage inscrit de par sa couleur sa matérialité et ses volumes dans un contexte enraciné dans la culture et l’identité marocaines.
Par ailleurs, la mise en place de la nouvelle réglementation thermique marocaine établie depuis novembre 2015, citée précédemment (cf.III.1.1) vise à sensibiliser la question du confort dans l’habitat. Issue d’un zonage climatique précis, cette réglementation reste cependant très peu appliquée dans les faits, pour cause du coût additionnel qu’elle engendre. La majorité des solutions thermiques est importée et n’est pas toujours très effcace. Cet élan constitue un point de départ pour une réfexion plus locale, cherchant à répondre aux problèmes actuels en conciliant cette tradition de terre et l’apport des nouvelles technologies afn de réinventer sa retranscription architecturale. (FIG 8)
(8) Lefaivre et Tzonis, Architecture of regionalism in the age of globalization: peaks and valleys in the fat world: Elizabeth Mock, introduction, « built in the USA since 1932 »
FIG 9 - CENTRE DE FORMATION AUX DÉVELOPPEMENTS DURABLES, MAQUETTE DU PROJET EN ARGILE • A’A N° 408
I.3 Innovation et réadaptation
Depuis quelque temps, l’image de la terre est de plus en plus acceptée, réappropriée et innovante, elle transmet une identité à l’échelle nationale et internationale. Plus sensibilisés, les acteurs du bâtiment cherchent à adapter cette architecture au goût du jour en expérimentant de nouvelles techniques basées sur une société écoresponsable. L’architecture de terre plus sensibilisée commence progressivement à être réappropriée par la société, assimilant de ce fait ses potentialités et ses bienfaits. « Faire aimer la terre » telle est la devise de nombreux acteurs engagés dans la réadaptation de ce procédé. À cet effet, Salima Naji, milite pour promouvoir les avantages de cette technique ancestrale avec une série de documentaires et de médiations libres d’accès à tous. Elle cherche donc à « faire aimer la terre et le pisé au Maroc à des personnes qui souvent la haïssent, la méprisent, ou la jugent archaïque (1) ». En montrant que ce procédé peut être évolué, mécaniquement assisté et contrairement aux a priori, constituer un matériau solide et durable dans le temps grâce à quelques combinaisons effcaces (ex. : Mortier à la chaux). Cette sensibilisation est visible à travers plusieurs domaines, l’exemple du centre de formation aux métiers du développement durable démontre cette tendance.
Conçu par l’architecte allemande, Ana Heringer au côté de Martin Rauch, Elmar Naegle, Ernst Waibel, et Salima Naji, le projet occuperait 10 000 m2 au nord de Chwiter, un nouveau pôle urbain distant d’une dizaine de kilomètres de Marrakech. En utilisant des technologies modernes, la terre constitue la base du bâti, agrémentée de patios et de jardins, faisant écho à la medersa urbaine. « Pour nous, il n’y a pas de contradiction entre la tradition et la modernité, la poésie et la fonction, l’économie et l’écologie, la durabilité et la beauté (2) ». Ainsi, ils délaissent la sophistication élitiste au proft de méthodes accessibles à tous visant l’équilibre entre le côté vernaculaire et moderne. (FIG 9) De plus en plus acceptée à l’échelle nationale, l’architecture de terre est aujourd’hui promue à l’internationale comme image emblématique du pays. Le Pavillon marocain construit pour la biennale de Milan en 2014 vient raviver ce matériau dans toute sa splendeur. Cet édifce de 2898 m2 n’est pas passé inaperçu et a transformé la vision de l’architecture marocaine à l’international, qui d’antan, n’était représentée que par un pastiche orientalisant et très peu évolué, voire quasiment semblable depuis sa première participation. Construire une Casbah en terre représente un déf audacieux et chargé de sens, que les architectes Oualalou + Choi surmontent avec ingéniosité. « Dépayser des millions de visiteurs par une structure monumentale a été un coup de maître (3) ».
(1) Salima Naji, faire aimer la terre, salimanaji.org, 25 avril 2017
(2) Équipe international d’Ana Heringer, Retour à la terre, Architecture contemporaine au Maroc, Architecture d’Aujourd’hui nº 408, p.56
(3) Selma Zerhouni, le pavillon marocain invente le pisé du futur, architecture du Maroc numéro 65, avril mai 2015
FIG 10 - PAVILLION DU WORLD EXPO MILAN • O + C
FIG 11 - FACADE COMPOSITION DE CADRE PRÉFABRIQUÉ, PAVILLION DU WORLD EXPO MILAN • O + C
Traversant du Nord au Sud le pays, les visiteurs traversent symboliquement 5 portes métaphoriques relatant des 5 ambiances majeures au Maroc : la méditerranée, le centre, l’Atlas, l’Atlantique, et le grand Sud. Le tout est ancré dans une construction en pisé biodégradable, sans béton ni métal, accentuant son côté provisoire et facilitant sa future destruction. Ainsi, au lieu de confner ce matériau dans une expression tectonique fgée et usuelle « défendant la matière et la manière », les architectes se saisissent de la terre comme matériau libre de formes : « la matière se sufft à elle-même, elle a sa propre vibration (4) ». En détournant le principe de « monter » le pisé en verticale, par celui de le « cadrer » avec une structure bois, les inventeurs révolutionnent la tradition et montrent la direction durable des savoir-faire ancestraux, intégrant les artifces vernaculaires des bâtisseurs, dans un processus moderne ingénieux et en perpétuelle invention. Ils imaginent ainsi, un pisé préfabriqué, dressé dans un cadre en bois de 2 m x 2,5 m, permettant d’être empilé et d’obtenir des hauteurs presque majestueuses allant de 6 à 12 m. Cette construction en terre crue prône non seulement une image remplit de sens, mais offre aussi, un parcours sensoriel à la régulation thermique naturelle, par le biais de fentes d’aération dispensant ainsi de climatisation. Ce processus d’industrialisation de la construction en terre représente une des solutions pragmatiques pour sa diffusion à grande échelle. Ainsi, l’usage de ce matériau ancestral qui autrefois subissait un mépris global devient dans ce cas une matière à modeler et à innover. (FIG 9 - 10 & 11) L’architecture vernaculaire n’est jamais fgée dans le temps, elle se développe pour s’adapter aux changements de la société. Par conséquent, la fnalité n’est pas dans le retour à la construction séculaire, mais dans l’évolution. On pourrait imaginer des modes de fabrications hybrides, qui permettraient par exemple d’utiliser la terre en remplissage et si nécessaire une ossature acier. Ces investigations de la matière donnent lieu à un nouveau style d’architecture, qui sollicite de longues recherches et de l’esprit critique le tout dans une optique durable et en fusion avec la société. Entre procédé « high-tech » et « low-tech », l’innovation de la terre ne cesse de s’imaginer pour promouvoir une architecture située et un confort pour tous. À cet effet, la société marocaine se mobilise dans le secteur du bâtiment pour créer ses propres labels et pallier les carences de la réglementation liées au confort de l’habitat. Dans le cadre de l’association World Green Building Council, le Morocco GBC joue un rôle d’accélérateur du changement pour la construction durable et cherche à sensibiliser le secteur de l’immobilier. « Les architectes peuvent devenir les promoteurs de nouvelles techniques de construction fortement inspirées des savoir-faire anciens. Ils ont les moyens de construire écologiques tout en inventant de nouveaux procédés, au même titre que le LEED, BREAM ou HQE (5) ».
FIG 12 - STRUCTURE, PAVILLION DU WORLD EXPO MILAN • O + C
(4) Conférence Oualalou, L’architecture au Maroc : réinventer, ré-enchanter l’espace, Hommage à Abderrahim Sijelmassi, Institut du Monde Arabe - Paris, 5 février 2015
(5) Selma Zerhouni, éditorial, « architecture écologique et développement durable », Architecture du Maroc, nº 65, avril mai 2015
Ainsi, l’organisation se mobilise pour encourager et accompagner la construction durable en mettant en place des labels, mais aussi en promouvant les start-ups et la recherche. Par conséquent, la communauté ENACTUS réunissant des élèves et des ingénieurs « s’engage à utiliser la puissance de l’action entrepreneuriale de transformer des vies et à façonner un développement meilleur et plus durable (6) ».
Poussées par l’innovation et l’expérimentation, ces jeunes start-ups sont pleines d’ambitions et cherchent à répondre grâce à l’architecture de terre, aux problèmes prédominants de logement et de confort. Ce nouveau mode de construction lancée par Eco-dôme Maroc a pour objectif de créer des maisons en terre économiques, résistantes et écologiques. En surpassant le monopole du béton, elles visent à être moins chères et plus rapides : 45 % moins cher que le béton armé et temps d’exécution réduit à 50 % par rapport aux constructions classiques (7). Le tout en « offrant une meilleure qualité de vie (7) » avec une régulation thermique naturelle. Le procédé de construction est inspiré de l’architecte Américo-Iranien Nader Khalili, elle est simple et fexible (sac de terre empilé et lié par un système de ferraillage), mais la forme proposée reste fgée à quelques modèles de dômes structurellement stables. Cependant, l’initiative demeure positive et inspirante, formant une alternative au logement pour tous, seulement applicable en milieu rural. (FIG 13)
Toutes ces déterminations et volontés d’innovation amènent à un espoir futur de la construction en terre, émanant de « ceux pour qui il paraît évident que le fonctionnement d’aujourd’hui ne peut plus être celui de demain (8) ».
(6) Clay construction, Eco dômes, dossier descriptif, ENACTUS, 2015
(7) http://www. ecodomemaroc.com
(8) Selma Zerhouni, éditoriale, « Innovez », Architecture du Maroc, nº 62, octobre novembre 2014
FIG 13 - CONSTRUCTION D’UNE MAISON EN SUPERADOBE À TIFLET, ECO-DOME MAROC
EXTÉRIEUR & INTÉRIEUR