La France des grands ensembles, vers une réhabilitation sociale et architecturale ?

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Alice Estruch

La France des grands ensemble, vers une réhabilitation sociale et architecturale ?



La France des grands ensemble, vers une réhabiliitation sociale et architecturale ?

MÉMOIRE DE RECHERCHE

Alice Estruch

SOUS LA DIRECTION DE

Khedidja Mamou

MEMBRES DU JURY

Annabelle Iszatt - Encadrante PFE • Khedidja Mamou - Encadrante recherche • Marina Ramirez - Architecte enseignante ENSA Montpellier • Mathieu Percebois Architecte enseignante ENSA Montpellier • Stéphanie Jannin - Architecte enseignante ENSA Montpellier • Christophe Cousy - Architecte enseignant ENSA Toulouse • Clément Bodin - Urbaniste personnalité extérieure



L’élaboration de ce travail de recherche, entamé en septembre 2018, aussi enrichissante que fastidieuse, n’aurait été possible sans le soutien de mes proches et enseignant·es. Parmi ces personnes, je souhaite remercier en particulier : Khedidja Mamou, ma directrice de mémoire, pour sa disponibilité et son écoute, qui m’a aiguillée dans l’élaboration d’un objet de recherche par le terrain en m'encourageant à toujours plus expliciter mes interprétations. Anabelle Iszatt, mon encadrante de Projet de Fin d’Études qui, de par son regard d'architecte praticienne et chercheuse, m'a guidée vers la construction de l'argumentaire au service du projet architectural. Les doctorant·e·s des laboratoires LIFAM et CRH pour m’avoir accueillie dans leurs locaux et donné un aperçu de ce qu’était le travail de chercheur·euse. L’agence Avenier-Cornejo, dont le stage à leur côté m'a permis de davantage me projeter dans la pratique professionnelle. Marilou, Clara, Axelle, Carla et Aude pour leurs précieuses relectures et mots de réconfort laissés en marge. Ma famille, pour m’avoir soutenue autant moralement que financièrement au cours de ces longues études, ainsi que mes colocataires et ami·e·s, qui amplifient quotidiennement la valeur que je porte à mon « chez-moi ». Je tiens également à remercier les habitant·e·s des résidences Jupiter et Mercure, de la tour Saint-Martin, les membres des associations Maison Pour Tous, Radio Clapas, City Citoyen, Jasmin d’Orient, ainsi que Jean-Philippe Vassal, Nathalie Ravinal, Julien Prieur, Jean-Michel Miramond et Véronique Meneux pour avoir pris le temps de répondre à mes questions et permis de nourrir ce projet de recherche.



SOMMAIRE


PARTIE 1

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

PARTIE 2

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

PARTIE 2

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2


INTRODUCTION

13

HABITER UN QUARTIER DE GRANDS ENSEMBLES

25

Spatialisation d’une « dés-intégration » sociale 33 Actions locales et réceptions habitantes

45

L’ARCHITECTE FACE À L’HABITAT

57

Une commande publique astreignante Dépasser les contraintes

65

79

RÉHABILITATION SOCIALE ET ARCHITECTURALE Réhabiliter l'habitant ­– utilité sociale de l'architecte Réhabiliter l'architecture ­– Valorisation du bâti

97 103

113

CONCLUSION

129

BIBLIOGRAPHIE

135

ANNEXES

143



INDICE DE LECTURE

Ce mémoire de recherche, qui s’articule avec un travail d’architecture présenté dans la notice de projet jointe, a été rédigé en deux temps : Avant l'amorce du projet – de septembre 2018 à novembre 2020 – puis pendant projet – en mai et juin 2021. Les deux premières parties de ce mémoire, qui s'appuient sur des lectures scientifiques et sur l'enquête de terrain, ont été peu modifiées lors de la réécriture. Celles-ci ont permis de déterminer le choix du sujet du PFE : la réhabilitation de la tour Saint-Martin. Les nouvelles réflexions amenées par le passage à l'opérationnalité ont davantage été développées dans la troisième et dernière partie. La notice de projet explore plus précisément les caractères architecturaux propres à l’étude de cas de la tour Saint-Martin. Des intercalaires jaunes la référençant sont glissées dans le mémoire. Celles-ci visent à clarifier le dialogue entre les problématiques amenées par le projet et le sujet de recherche.



INTRODUCTION



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« A l’écart d’un univers social saturé d’impuissance, de simulacre et d’animosité, parfois de violence, dans un monde à l’horizon bouché, la maison desserre l’étau. Elle permet de respirer, de se laisser exister, d’explorer ses désirs. Bien sûr, on pourra hurler à l’individualisme ; mais j’aime l’image à laquelle recourt l’architecte américain Christopher Alexander : si une personne ne dispose pas d’un territoire propre, attendre d’elle qu’elle apporte une contribution à la vie collective revient à « attendre d’un homme qu’il se noie pour qu’il en sauve un autre ».1 »2 Mona Chollet

1 ALEXANDER, Christopher. A pattern language: towns, buildings, construction. Oxford university press, 1977. 2 CHOLLET, Mona. Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique. La découverte poche, 2016, 356 p., (page 11).


16

Introduction générale

« Chez-moi », la cuisine, espace de partage, de danse et de convivialité. Photographie personnelle, Montpellier centre, mars 2020.


17

En lisant le livre de Mona Chollet pendant la période de confinement, je me suis sentie faire partie des personnes qui vivaient bien l’obligation de rester « Chez soi ». Bien que mon habitat reste modeste et que je regrettais parfois le manque d’un espace extérieur, je me suis retrouvée dans la description que fait l’autrice d’un lieu de réconfort, dans lequel je me suis délectée d’avoir (enfin) le temps d’habiter chacun de ses recoins alors que tout semblait s’écrouler au-dehors. Il me paraît à présent difficile de détacher le « chez-moi » matériel du « chez-moi » spirituel : le temps qui m’était accordé dans mon cocon en était autant qui m’était libéré pour me reconnecter avec moi-même, ce qui, dans une société qui valorise productivisme et consumérisme, peut apparaître comme rare. Mais quand Courrier international titre « Vu d’Allemagne. Les banlieues françaises grandes oubliées du confinement. »1, le sujet de ce mémoire refait surface et me renvoie à mes privilèges. Je m’aperçois que le confinement renforce à nouveau des inégalités socio-spatiales face à la question du logement. Cet article et de nombreux autres2 font échos à ceux que nous pouvions lire depuis les « émeutes » de 2005 : qualifiées de « ghettos urbains », « quartiers difficiles », « zones de non-droits »3, les banlieues françaises apparaissent dans les médias comme des lieux où se concentrent la violence, le chômage, la déscolarisation et la pauvreté de notre pays. Cette image médiatique participe à l’idée que je me suis faite en débutant ce mémoire que les grands ensembles, figure architecturale constitutive de ces quartiers, y compris lorsqu’il s’agit de copropriétés ne bénéficiant pas du statut HLM sont, par leur état de délabrement et la pauvreté des revenus de leurs habitant·e·s, des « logements sociaux de fait »4.

1 HUMMEL, Tassilo. Vu d’Allemagne. Les banlieues françaises grandes oubliées du confinement. Courrier international, 02 avril 2020. 2 Guet-apens, agressions: la contagion de la violence en banlieue inquiète la police (Le Figaro, 21 avril 2020). Avec le confinement les banlieues sont à bout (La dépêche, 23 avril 2020). Vers l’insurrection dans les banlieues ? Confidences de policiers et éducateurs des territoires perdus du confinement (Valeurs actuelles, 04 avril 2020). 3 Le ghetto français (Le Monde, 20 mars 2005), Dans les quartiers difficiles, les jeunes policiers souvent démunis (La Croix, 23 février 2017), Dans les zones de non-droit, la situation se durcit (Le Figaro, 24 juillet 2010). 4 Situé dans le parc privé, il s’agit généralement de copropriétés anciennes et vétustes, qui abritent une population de propriétaires-occupants et de locataires aux revenus trop faibles pour se loger dans le parc privé et/ou ne répondant pas aux critères imposés par les bailleurs sociaux (revenus instables ou informels, sans-papiers, etc.) pour accéder au logement social. Pour autant, ces habitants appartiennent à la même classe de revenus que celle des habitants de HLM. SANTANA, Lilia et NOWERSTERN, Marcelo. Définition et historique du logement populaire et social en France. 2006, http:// base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-6910.html. Consulté le 6 août 2020.


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Introduction générale

Bien qu’aujourd’hui le logement social1 français ne se résume pas uniquement à la figure du grand ensemble, il reste emblématique dans la construction urbaine, paysagère et sociale de nos villes. En effet, afin de remédier à la crise du logement dans laquelle la France était plongée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a été instauré en 19532 le « plan Courant » dans l’objectif de reloger la population victime des dégâts matériels dans des habitats décents en construisant massivement des logements sociaux3. Pour y parvenir, les politiques s’appuient sur une pensée urbanistique issue de la Chartes d’Athènes (1933)4 ainsi que sur les grands principes de la doctrine fonctionnaliste énoncés par Le Corbusier tels que : « séparation du piéton et de l’automobile, interdiction d’orienter des logis au nord, employer le bénéfice des techniques modernes pour concentrer en hauteur les logis et étendre à leurs pieds de vastes surfaces vertes. »5. L’architecte promeut l’industrialisation ou la préfabrication du béton qui permettent la construction en un temps record de logements répondant aux normes de conforts contemporains comme l’accès à l’eau courante, à des cuisines équipées, des sanitaires modernes ou des pièces spacieuses aux larges ouvertures6. Les innovations techniques apparaissent pour les architectes comme un moyen d’expérimenter de nouveaux modes de conceptions écono1 Définition logement social : Un logement social ou HLM est un logement construit avec l’aide de l’État et qui est soumis à des règles de construction, de gestion et d’attributions précises. Les loyers sont également réglementés et l’accès au logement condition- né à des ressources maximales. Logement social (HLM) : définition, catégories, financement, attribution, acteurs. 2020, https://www. cohesion-territoires.gouv.fr/ logement-social-hlm-definition-categories-financement-attribution-acteurs. Consulté le 10 août 2020. 2 Le plan « Courant », du nom du ministre de la Reconstruction, est constitué d’une série de dispositions visant à fournir au secteur de nouveaux moyens financiers, afin d’atteindre un objectif minimum de 240 000 nouveaux logements par an. DRIANT, Jean-Claude. 1850-1995 - Les étapes de la politique du logement en France. Réalités Familiales, n°98/99. 2012, https:// www.unaf.fr/spip.php?article14718. Consulté le 20 juin 2019. 3 MENJOULET, Jeanne. Filmer les grands ensembles. [Film]. Films du CHS, 2014-2015. 43min. Disponible sur: https://www.you- tube.com/watch?v=VDUBwVPNh0s&t=1526s. Consulté le 20 janvier 2020. 4 « Manifeste rédigé par un groupe d’architectes en 1933 (4e Congrès international d’architecture moderne), donnant en formules simples des principes essentiels pour l’aménagement des villes. Elle comporte cinq grandes rubriques : habitation, loisirs, travail, circulation, patrimoine historique. La Charte d’Athènes a été remise en forme et publiée par Le Corbusier en 1942. » Encyclopédie Larousse. https://www.larousse.fr, consulté le 18 avril 2020. 5

EPSTEIN, Jean. Les bâtisseurs. [Film], Ciné-Liberté, 1938. 48 min.

6 CUPERS, Kenny. La banlieue, un projet social. Ambitions d’une politique urbaine, 1945-1975. Parenthèses Editions, 2018.


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miques du logement qui se traduit en France par la figure architecturale du grand ensemble. Cependant, alors que les grands ensembles semblent être, par leur densité et la rapidité de leur mise en œuvre, une solution efficace pour reloger une partie de la population face à la crise du logement, ils sont aujourd’hui fortement décriés jusqu’à être considérés comme « dégâts du progrès » (Daniel Pinson)1. Là où le Corbusier vantait les mérites de la standardisation, Daniel Pinson y voit une homogénéisation du bâti déshumanisante : l’architecture de tours et de barres, par son gigantisme et sa répétition, s’impose à son environnement en ignorant le reste de la ville et apparaît comme « un tableau avant d’être un ensemble habité »2. La critique s’appuie sur l’idée que la production de masse du logement sous forme de « cellules empilées » donne l’image d’une société qui partage des valeurs sans que la diversité des familles et des individus qui la compose ne soit représentée. À cette critique d’une déficience typologique et morphologique, s’ajoute un manque d’entretien qui entraîne l’obsolescence accélérée des grands ensembles et explique leur désaffectation par les classes moyennes. Celles-ci se voient remplacées par une population pauvre, majoritairement composée de familles immigrées, renforçant l’idée d’une fracture socio-spatiale entre ville et banlieue reléguée par les médias. Lorsque Mona Chollet cite l’architecte Christopher Alexander, elle nous met face au paradoxe de notre société qui semble attendre que chaque citoyen·ne participe au bon fonctionnement de la vie collective, notamment par le travail, alors que le manque d’un espace sécurisant l’empêche d’exister en tant qu’individu·e. L’un des premiers présupposés qui m’a accompagnée à l’amorce de ce travail, était que le devoir de l’architecte, plus que de lutter pour le droit au logement est de s’engager pour le droit à un logement qualitatif pour chacun·e : une architecture digne revient pour moi à respecter l’humanité de son habitant·e, condition sine qua none à son intégration sociale. Alors lorsque nous parlons de « ghettos urbains » pour désigner les quartiers de grands ensembles, il peut sembler que ces logements sociaux ne répondent pas, ou du moins ne répondent plus, à un idéal de confort favorisant l’intégration sociale des classes les plus défavorisées. Au contraire, habiter en banlieue apparaît comme un vecteur 1 PINSON, Daniel. Les grands ensembles comme paysage. Cahiers de la Méditerranée, 2000, vol. 60, no 1, p. 157-178 (page 4). 2

Ibid.,, (page 5).


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Introduction générale

de discrimination. Face à la détérioration matérielle et à l’accentuation du malaise social de ces quartiers, l’année 1973 marque l’arrêt officiel de la construction en France des grands ensembles. Dans le même temps, est créée l'opération Habitat et Vie Sociale (HVS), premier maillon d’une chaîne, ininterrompue jusqu’à aujourd’hui, de « politiques de la ville »1. La loi Borloo (2003), par son Plan National de Rénovation Urbaine (PNRU), vise à rebâtir certains d’entre eux afin d’apporter de la « mixité sociale » et modifier leur image dépréciée. Les plans de rénovation urbaine dans les quartiers dits « prioritaires » se succèdent en s’axant notamment sur une politique de démolition-reconstruction. La radicalité de la destruction de ces ensembles habités pose alors question : ces lieux sontils réellement dénués de qualités qui justifieraient leur préservation ? La construction des logements neufs aujourd’hui est-elle réellement plus qualitative que celles des grands ensembles ? Ces questions apparaissent comme d'autant plus légitimes dans un contexte où l'État, afin de pallier la crise du logement, encourage la production des bâtiments en facilitant l’investissement des promoteurs et bailleurs, notamment par la mise en place de la loi ELAN2. Dérogation à l’obligation de passer par un concours, démantèlement de la loi MOP3, généralisation de la conception-réalisation, ces nouvelles mesures réduisent les missions accordées à l’architecte dans le domaine du logement et diminuent par conséquent l’encadrement de la qualité architecturale. En favorisant la rentabilité dans la production du logement, la situation apparait comme paradoxale : l’aspect quantitatif semble prévaloir sur la qualité, alors qu’il s’agit de la critique faite à l’égard des grands ensembles, notamment par Daniel Pinson lorsqu’il évoque une massification du logement « déshumanisante »4.

1 LÉGER, Jean Michel. Politique du logement, Analyse et débat. 2016, https://politiquedulogement.com/dictionnaire-du-logement/g/ grands-ensembles/. Consulté le 12 juillet 2020. 2 La loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. 3 La loi no 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite loi MOP est une loi française qui encadre, pour les marchés publics, la relation entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. 4

PINSON, Daniel. Les grands ensembles comme paysage. Op.cit.,


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En opposition à la représentation faite des banlieues par les médias, j’ai été marquée en tant que lycéenne par la découverte du travail du photographe JR, 28 mm – Portrait d’une génération. Entre 2004 et 2006, l’artiste a réalisé un affichage sauvage dans les quartiers chics de Paris avec des portraits grotesques des jeunes de Clichy-Sous-Bois. Originaire de cette cité connue par la violence de ses émeutes, il a souhaité en dépeindre un autre visage que celui présenté par la presse, tourner à la dérision les préjugés des passant·e·s en provoquant le rire plutôt que la peur. Cette image contrastée, outre de dénoncer la stigmatisation engrangée par les discours politiques et médiatiques, porte à réfléchir sur la distinction entre la perception de ces quartiers et la manière dont ils sont vécus par les habitant·e·s. La réalisation d’entretiens et enquêtes de terrain, puis l’analyse, par le projet architectural des logements de la tour Saint-Martin, ont été un moyen de déconstruire le regard que je pouvais porter sur des grands ensembles en confrontant mes aprioris aux points de vue de leurs habitant·e·s.

« Un logement digne de ce nom ne devrait pas représenter un but, une finalité, mais un point de départ - vers des destinations inconnues et imprévisibles. Car il n’est pas seulement un abri : il est aussi un tremplin. »1

La problématique de ce mémoire de recherche, traduite dans son opérationnalité par le projet de la réhabilitation de la tour Saint-Martin, soulève la question de la posture de l’architecte face aux enjeux sociaux et architecturaux que pose la réhabilitation des grands ensembles. Dans quelle mesure et par quels moyens l’architecte d’aujourd’hui peut/doit articuler la promotion d’un habitat digne favorisant le bien vivre d’habitant-e-s défavorisé-e-s aux contraintes d’adaptations de ces logements détériorés et décriés aux modes de vie contemporains ? La première partie s’appuie sur le présupposé que l’habitant·e détient un savoir, par sa maîtrise d’usage, nécessaire à la compréhension du terrain ainsi qu’à l’élaboration d’un projet. Il s’agit donc de s’intéresser à la perception qu’ont les premier·e·s concerné·e·s de leur habitat – à l’échelle du quartier – et des actions locales menées par les associations et municipalités. Afin de cerner les marges de manœuvre de l’architecte dans le processus de conception du 1

CHOLLET, Mona. Op. cit., (page 115).


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Introduction générale

logement contemporain, la seconde partie vise à appréhender le cadre dans lequel s’exerce le métier, et de s’intéresser à la pratique de celles et ceux qui tentent de dépasser les contraintes posées pour proposer des habitats dits qualitatifs. Tout l'enjeu de cette partie est d'interroger la définition de qualité de l'habitat dans un contexte de marchandisation du logement collectif – et social – français. Il s’agira enfin d’analyser la place de l’architecte et de l’habitant·e dans les processus de conception de réhabilitation de grands ensembles en France afin d’éclairer les enjeux opérationnels que posent le projet architectural. Le fil rouge de cette dernière partie étant d’interroger dans quelle mesure le processus de projet réhabilitationnel peut être un levier vers la réaffiliation de ses habitant·e·s.


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JR, 28 Millimètres, Portrait d’une génération, Christoph, Paris, 2004. Source : https://jr-art.net/fr/



PARTIE 1. HABITER UN QUARTIER DE GRANDS ENSEMBLES



Introduction

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« […] quartiers « ghettos », « défavorisés », « pauvres », « sensibles », « en difficulté » etc. Non seulement ces termes sont vagues mais ils sont tous négatifs. On ne définit les quartiers que par les problèmes qu’ils posent. Cette question est d’autant plus importante que les mots ne sont pas neutres et qu’ils assignent aux situations et aux populations une identité et une signification. »1

Dans son article « La question des quartiers dits « sensibles » à l’épreuve du ghetto : Débats sociologiques. », le sociologue Cyprien Avenel interroge l’utilisation du terme de « ghetto » pour qualifier la situation des quartiers en France. Bien que l’auteur admette la situation de crise dans laquelle se trouvent les banlieues françaises, (contexte de détérioration matérielle de certains quartiers, racisme, exclusion économique, « émeutes », etc.), il développe l’idée selon laquelle la définition de ghetto comme « concentration de l’exclusion, dans laquelle vit une population ethniquement homogène, fonctionnant comme une microsociété, et publiquement discréditée »2 pose davantage de problèmes qu’elle n’en résout. En effet, pour lui, elle « ne parvient pas à définir la population autrement qu’à travers un langage invalidant qui redouble la stigmatisation collective des quartiers et masque une réalité multiforme »3. L’ambiguïté du terme semble alors se trouver dans son utilisation qui pourrait, au mieux, attirer l’attention sur une concentration spatiale de pauvreté subie par la population, au pire, accentuer son exclusion en rejetant sur elle la responsabilité des problèmes. En procédant par une analyse comparative de deux quartiers prioritaires de la ville (QPV) de Montpellier, mon objectif était de me rapprocher de cette « réalité multiforme » pour mieux cerner les spécificités des réalités et celles qui semblent symptomatiques à la question des quartiers de grands ensembles. Le premier quartier vers lequel je me suis tournée a été celui de La Mosson, aussi connu sous le nom de « La Paillade ». Alors que j’ai emménagé à Montpellier en 2014, je me suis rendue pour la première fois dans ce quartier en janvier 2019, dans le cadre du workshop « Une Ha1 AVENEL, Cyprien. La question des quartiers dits « sensibles » à l’épreuve du ghetto: Débats sociologiques. Revue économique, 2016, vol. 67, pp.415-441, (page 417). 2

Ibid., (page 425).

3

Ibid., (page 417).


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PART.1 Habiter un quartier de grands ensembles

bitation en Loyer Modéré » organisé par Marion Devillers, enseignante à l’École d’architecture de Montpellier. L’objectif du workshop était de réaliser des entretiens avec les habitant·e·s de la résidence Jupiter, HLM géré par le bailleur social ACM Habitat, en vue de produire leurs portraits sous forme de récits et de gravures. Ces entretiens ont été complétés par la suite avec celui d’une habitante de la résidence Mercure1, puis de Julien Prieur, Directeur des politiques de la ville chez ACM habitat, et enfin de l’architecte Jean-Michel Miramond, de l’agence « Caremoli-Miramond », qui travaille actuellement dans le quartier sur des projets de logements neufs et en réhabilitation avec ACM habitat2. Si je n’étais jamais allée à La Paillade, les échos que j’en avais eu m’en donnaient l’image d’un quartier constitué de grands ensembles vétustes, lieu de trafic de drogue, où il ne vaut mieux pas se promener seule sans en être habitante. Bien que consciente que ma vision était construite par un discours médiatique et ne reflétait probablement pas la réalité, au cours de ma première expérience dans le quartier j’ai spontanément adopté des mécanismes « d’auto-préservation » qui m’accompagnent lorsque je me sens en insécurité : trajet de jour, pantalon, smartphone rangé au fond de mon sac et évitement des trottoirs avec des attroupements masculins. Déjà, mon comportement m’interrogeait : étaitce une prudence légitime ou était-elle seulement fondée sur des aprioris ? En septembre 2019, par le biais du semestre 9, je me suis retrouvée à travailler sur un second QPV de Montpellier : le quartier Saint-Martin. Contrairement à la Mosson, ce dernier est considéré par ses habitant·e·s comme n’ayant « pas de bonne ou de mauvaise réputation » soit « un quartier sans grande identité »3. Saint-Martin semblait se distinguer de la Mosson par son tissu plus hétérogène, entre maisons pavillonnaires et grands ensembles, qui de prime abord paraît engranger une mixité sociale plus importante à l’échelle du quartier. Mon enquête s’est faite au travers de la réalisation d’entretiens avec les membres de nombreuses associations du quartier, telles que la « Maison Pour Tous », « Jasmin d’Orient », « City Citoyen », ou encore « Radio Clapas », puis celui de l’architecte Nathalie Ravinal qui travaillait alors 1 Résidence HLM située à la Paillade Montpellier appartenant au bailleur social ACM habitat dont l’ANRU2 prévoit une destruction partielle. 2

Ces trois entretiens ont été réalisés à quelques jours d’intervalles en septembre 2019.

3 Entretien avec Lucie (anonymisée), journaliste de radio Clapas et membre du point information jeunesse (PIJ). 12 septembre 2019, Saint-Martin, Montpellier.


Introduction

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sur une démarche de diagnostic urbain participatif dans le quartier, diagnostic intitulé « les marches exploratoires des femmes », ainsi que la rencontre de plusieurs habitant·e·s. Au cours de ces entretiens, j’ai pu constater que la référence au quartier de la Mosson était fréquente, la comparaison de leur situation à celle d’un quartier « pire » que le leur permettant d’atténuer les difficultés rencontrées. Des propos tels que « Certes, on ressent un manque de mixité, peu de personnes viennent finalement à Saint-Martin, mais ça va encore, on n’est pas à la Paillade. »1 m’interrogeaient sur la manière dont les quartiers se définissent et le poids induit par l’image projetée sur eux. Ainsi, l’analyse comparative entre un quartier prioritaire fortement stigmatisé et un autre à l’image plus neutre visait à vérifier l’hypothèse selon laquelle les termes utilisés dans les discours politiques et médiatiques affectent la construction identitaire des habitant·e·s et contribuent à renforcer un sentiment d’exclusion. Par la confrontation de la représentation de ces quartiers à la manière dont ils sont vécus par ses habitant·e·s, ce premier chapitre vise à mieux appréhender le « problème social » des quartiers et à comprendre les attentes des habitant·e·s en termes de politiques de la ville. Enfin, outre que d’être deux quartiers prioritaires de la ville de Montpellier comprenant des grands ensembles, ils ont en commun d’être actuellement sujets à des projets de renouvellement urbain. Près d’Arènes, par l’arrivée de la Zone d’Aménagement Concertée (ZAC) de la Restanque ; projet piloté par l’architecte Emmanuel Nebout2 qui devrait accueillir 7 500 logements, dont 30 % de logements sociaux3 sur une superficie de 126 hectares. La Mosson est quant à elle soumise au Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), au nom évocateur d’ « Ensemble pour la Paillade », qui prévoit notamment certaines destructions / reconstructions de logements et pôles éducatifs, la réhabilitation énergétique de grands ensembles dégradés, la requalification d’espaces publics et le développement écono-

1 Entretien avec Jérémie (anonymisé), membre de la Maison Pour Tous « L’Escoutaire ». 05 septembre 2019, Saint Martin, Montpel- lier. 2

Architecte DPLG, enseignant à l’ENSAM.

3 Montpellier Méditerranée Métropole. La ZAC de la Restanque : première application du manifeste de Montpellier. 2019, https:// www.montpellier3m.fr/actualite/la-zac-de-la-restanque-premiereapplication-du-manifeste-de-montpellier. Consulté le 31 juillet 2020.


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PART.1 Habiter un quartier de grands ensembles

mique par l’implantation de nouvelles activités1. Dans le cadre de ce contexte d’urbanisation, initié par les politiques de la ville qui promeuvent la « concertation habitante », il s’agissait dans un second temps d’analyser les apports et limites des projets politiques et actions locales mises en place au sein de ces quartiers, afin de remédier aux problématiques socio-spatiales repérées.

1 Site de Montpellier. Retour sur la réunion d’information ANRU 2. 2019, https://www.montpellier.fr/evenement/23653/3624-retour- sur-la-reunion-d-information-anru-2-quartier-mosson-04-04-2019. htm. Consulté le 30 juillet 2020.




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CHAPITRE 1 SPATIALISATION D’UNE « DÉS-INTÉGRATION » SOCIALE

« Peu à peu, le logement social apparaît aux gens comme un lieu de résidence forcé où ne vont vivre durablement que ceux qui n’ont pas de place ailleurs. C’était le contexte du plein emploi et la mobilité des individus qui rendaient le hlm appréciable. Alors que tout se cristallisait sur un modèle de l’ascenseur social et des espoirs d’intégration, on semble alors succomber à celui de la relégation spatiale et du désespoir d’insertion. »1

Lorsque Cyprien Avenel aborde la question du « problème des banlieues » françaises, il expose la situation paradoxale des quartiers de grands ensembles qui, construits dans l’objectif de permettre l’intégration sociale en garantissant de meilleures conditions de vie notamment par l’offre à des logements modernes, revêtissent aujourd’hui la figure opposée, celle d’une « relégation spatiale et du désespoir d’intégration »2. Le chapitre qui suit vise, au travers de l’analyse des deux quartiers montpelliérains retenus, à comprendre les facteurs de cette spatialisation des inégalités de la société qui semble générer discriminations et exclusion des habitant·e·s.

Inscription spatiale des inégalités sociales : une réalité multiforme Les photographies aériennes de 1963 (figure 1) montrent que l’urbanisme de Saint-Martin précède à celui de La Paillade, et tandis que le premier vient s’appuyer sur un tissu préexistant pour le compléter, le second s’implante sur une zone rurale non urbanisée, « page vierge » à l’extérieur de la ville. À Montpellier, les premiers grands ensembles se sont, dans un premier temps, construits autour de la ville, dans une logique d’expansion urbaine. Le quartier Saint Martin était dans 1 AVENEL, Cyprien. La construction du « problème des banlieues » entre ségrégation et stigmatisation. Journal français de psychia- trie, 2009, vol. 34, pp.36-44. 2

Ibid.,


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PART.1 Habiter un quartier de grands ensembles

Photographie aérienne de Saint-Martin, 1963 Source : portail IGN, « remonter le temps »

Photographie aérienne de Saint-Martin, 2018 Source : portail IGN, « remonter le temps »

Photographie aérienne de La Paillade, 1963 Source : portail IGN, « remonter le temps »

Photographie aérienne de La Paillade, 2018 Source : portail IGN, « remonter le temps »

Fig. 1 : Photographies aériennes de l’évolution des quartiers Saint-Martin et La Paillade


CHAP.1 Spatialisation d’une « dés-intégration » sociale

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les années cinquante constitué d’un tissu pavillonnaire et d’un parcellaire rural, majoritairement au sud de la rue Maréchal Leclerc. Dans un contexte national de construction massive de logements, les terres libres de bâtis ont été récupérées pour construire des tours et des barres, modifiant la densité, le paysage et l’échelle du quartier. En 1961, en parallèle à l’urbanisation déjà lancée de Saint Martin, François Delmas déclare le territoire agricole de La Paillade comme Zone à Urbaniser en Priorité. Le maire a l’ambition de créer une « cité satellite » sur cette zone rurale, encore peu habitée et enclavée par les hautes garrigues à l’Ouest. Ce projet est celui d’une ville autonome, isolée du reste de la métropole par des exploitations agricoles, qui disposerait de ses propres activités et équipements1. Au terme d’un concours, l’urbanisme de la cité est confié à l’architecte Edouard Gallix. L’esquisse du projet proposé en 1962 propose des grands ensembles comme motif principal de la ville et des méga-structures sur dalles pour créer de nouvelles centralités urbaines. « La vie s’organise, ce qui n’était qu’un chantier devient une vraie ville avec ses rues, son centre commercial, ses avenues. »2

Dans son livre « La banlieue, un projet social », Kenny Cuppers parle de « mantra de l’intégration » dans l’urbanisme de ces villes indépendantes, dans le sens où la « philosophie qui sous-entend ces initiatives repose sur la conviction que l’intégration des équipements collectifs contribuerait à l’épanouissement individuel comme au développement communautaire. »3. Si dans les années soixante, La Paillade apparaît comme synonyme de confort et de « ruralité urbaine » par sa proximité avec la campagne montpelliéraine et la pluralité des activités qu’elle offre, les entretiens avec les habitant·e·s ont permis de révéler une nostalgie face à la dégradation du quartier ces dernières années : « Depuis 10 ans ça s’est bien dégradé, on n’a plus de cafés, plus de lieu qui fait du lien. Avant il y en avait cinq et ils ont tous fermé. On trouve plus que des

1 CHÉDIAC, Sophie. Montpellier, la ville inventée, Résidentialisation de la Mosson. Plate-forme d’Observation des Projets de Stra- tégies Urbaines. 2008, http://www.popsu.archi.fr/sites/default/files/nodes/document/766/files/montpellier-residentialisation-mos- son.pdf. Consulté le 20 juillet 2019. 2

Devenir de la ZUP de la Paillade, [Vidéo]. Archives INA, 22 mars 1972.

3

CUPERS, Kenny. Op. cit., page 301.


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épiceries à La Paillade. »1

« C’est un endroit où il fait bon vivre, c’est dommage que ce se soit autant dégradé par rapport aux poubelles et au manque de civisme des gens. [...] Et ils vont nous enlever le stade alors que les matchs font partis des seuls moments où des gens de l’extérieur viennent à La Paillade, et ça, ça me fait beaucoup de peine. Encore une fois on nous confine, on nous pénalise et nous sommes vus comme les parias. »2

Manque d’attractivité, disparition des commerces de proximité, saleté, dégradation des espaces publics ou encore obsolescence des équipements et des logements sont autant de critiques qui revenaient de manière récurrente dans les discours des personnes rencontrées à l’égard d’un quartier qui semble se refermer sur lui-même. Afin de modifier l’image très stigmatisée du quartier, la Mairie de Montpellier, présidée par George Frêche, renomme le quartier en 2001 « Mosson ». La décision est cependant discutée par les habitant·e·s qui y voient davantage une volonté de camouflage qu’une réelle dynamique de changement : « Les vrais pailladins diront toujours La Paillade. Ils ont changé le nom pour redorer l’image du quartier et pourtant nous, nous aimerions bien la retrouver, La Paillade. »3

Cet extrait traduit une nostalgie plus générale de ce qu’était le quartier et un regret de sa dégradation qui ne semble pas se résorber aux yeux des palladin·ne·s ou des habitant·e·s des autres quartiers. Si a priori Saint-Martin n’apparaît pas comme un quartier enclavé au même titre que La Paillade, de par sa proximité au centre-ville et son tissu urbain plus mixte, entre maisons pavillonnaires et grands ensembles, les discussions avec les habitants et membres des associations 1 Entretien avec M. Benard (anonymisé), habitant résidence Jupiter, 25 janvier 2019, La Paillade, Montpellier. 2 Entretien avec Mme López (anonymisée), habitante et membre du collectif habitant·e·s de la résidence HLM Mercure. 16 sep- tembre 2019, La Paillade, Montpellier. 3 Entretien avec Mme Zerrour (anonymisée), habitante de la résidence Jupiter. 06 janvier 2019. La Paillade, Montpellier.


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ont permis de révéler une certaine fracture à l’intérieur du quartier. En effet, l’axe Maréchal Leclerc sépare l’ancien tissu pavillonnaire et logements collectifs de moyennes hauteurs du cœur de la « cité Saint Martin », constituées des tours et barres de très grandes hauteurs héritées des années 1960. Cette scission entre le quartier nord et le quartier sud, m’est apparue de manière d’autant plus claire par la rencontre d’habitant·e·s des deux « rives » : leurs perceptions et pratiques du quartier semblaient distinctes. Tout d’abord la définition géographique du quartier Saint-Martin différait selon les espaces qu’ils fréquentaient. Aussi, selon un membre de l’association « City citoyen »1 le quartier Saint-Martin ne se définit que par la partie comprenant des grands ensembles, tandis que la limite géographique définie par l’agglomération s’étend bien au-delà (figure 2). Il parlait alors d’une population relativement homogène, pour la plupart issue de l’immigration, d’un manque de mixité sociale et d’âge, sans prendre en compte les habitant·e·s des maisons pavillonnaires qui ne pratiquent pas ce qui pour lui était le « cœur du quartier Saint-Martin ». Et effectivement, en discutant avec une habitante extérieure à la « cité Saint-Martin », sur l’avenue Palavas, il est apparu qu’elle préférait aller à la Poste et faire ses courses dans le centre de Montpellier, étant donné l’état de détérioration du centre de la cité qui la rendait « un peu hostile ». « Au-dessus de l’axe Maréchal Leclerc c’est Versailles à côté de la cité. »

Cependant, bien que toutes les personnes interviewées à Saint-Martin s’accordaient pour valoriser le calme du quartier, les nombreux équipements et la bienveillance des habitant·e·s, les critiques correspondaient à celles entendues à la Paillade : un soucis de mixité, la présence d’un trafic de drogue, la disparition des commerces de proximité ou encore un manque d’entretien des espaces publics et des logements.

1 Association implantée depuis 2005 à Saint Martin, a pour objectif d’encourager la mixité sociale et les relations intergénération- nelles autour de quatre axes : loisir, éducation, services et formation. Entretien réalisé le 14 septembre 2019.


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Avenue Maréchal Leclerc Tour Saint-Martin Logements individuels R+0 | R+1 Logements collectifs R+2 |R+4 Logements collectifs R+5 | R+18 Fig. 2 : Cartographie du quartier Saint Martin. Réalisation personnelle.

Homogénéisation des populations & stigmatisations Cette dégradation progressive des quartiers, notamment induite par la détérioration généralisée des grands ensembles, « vieillissement accéléré des matériaux, nombreuses défectuosités, fissures, infiltrations, absence d’équipements, mauvaises implantations urbaines »1, ainsi que la montée des soulèvements populaires et de la délinquance qui accroissent le sentiment d’insécurité, provoque dès les années soixante-dix le départ de nombreux foyers. Jacques Donzelot2 parle de « sécession » de la population aisée qui désire se soustraire de la solidarité avec les pauvres et fuit ces quartiers pour habiter un « ensemble homogène ». Remplacées par des familles plus pauvres – touchées par la montée du chômage, les emplois précaires et l’insé1 TOUBON, Jean-Claude et TANTER, Annick. Les grands ensembles et l’évolution de l’intervention publique. Hommes & Migrations, 1991, vol. 1147, no 1, pp. 6-18. 2 DONZELOT, Jacques et JAILLET, Marie-Christine. Fragmentation urbaine et zones défavorisées : le risque de désolidarisation. Hommes et Migrations. La ville désintégrée ?, 1999, n°1217, pp. 5-17., (page 14).


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curité sociale – ou immigrées, cette fuite des personnes qui en ont les moyens renforce l’isolement social des quartiers. Si la question du chômage apparaît comme un premier facteur d’exclusion dans notre société où le modèle socio-économique dominant valorise la productivité des individu·e·s, l’intégration semble alors d’autant plus compliquée pour les familles immigrées auxquelles s’ajoute la question ethnique. « Moi je sens que la mixité elle a beaucoup diminuée, et qu’ils ont beaucoup confiné la Paillade pour les maghrébins. Rien qu’à la tour d’Assas il y avait vingt-deux nationalités dans les années quatre-vingt. […] La mixité sociale apportait tellement de richesse à la Paillade. »1

Pour Cyprien Avenel, c’est la mise à distance du marché du travail des « jeunes des cités », amplifiée par la discrimination raciste qui fabrique « une personnalité agressive ». Sentiment d’abandon, racisme et violences policières subies2 engendrant une colère qui se traduit par des violences urbaines, un rejet des institutions et une montée de la délinquance. Cette image généralisée du « jeune des cités » largement relayée par les médias, participe à la stigmatisation des quartiers comme des lieux risqués. L’auteur insiste sur les conséquences de cette stigmatisation sur la construction identitaire de ses habitant·e·s qui finissent par endosser le rôle dans lequel ils et elles sont catégorisé·e·s : « Ils peuvent ainsi jouer à l’intimidation en renvoyant l’image des « mauvais garçons », et incarner de façon presque caricaturale le rôle qu’ils croient que l’on attend d’eux. Ensuite, ils développent souvent l’attitude inverse en se positionnant comme des victimes d’une image négative véhiculée par les médias. »3

1 Entretien avec Mme López (anonymisée), habitante résidence Mercure. Entretien du 16 septembre 2019, La Paillade, Montpellier. 2 Je pense notamment à Zyed Benna et Bouna Traoré, morts dans l’enceinte d’un poste électrique en voulant échapper à un contrôle policier. Évènement déclencheur des soulèvements de 2005. Je pense aussi à la période du confinement durant laquelle les habi- tant·e·s des cités ont dénoncé de nombreux abus : contrôles abusifs, propos racistes, insultes dégradantes, violences physiques etc. 3 AVENEL, Cyprien. La question des quartiers dits « sensibles » à l’épreuve du ghetto : Débats sociologiques. Revue économique, 2016, vol. 67, pp.415-441. (page 431).


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Cette tension, entre stigmatisation et construction de soi, se retrouve aussi dans le documentaire « Village vertical », de Laure Pradal1. Les habitant·e·s évoquent l’importance et la difficulté, notamment induite par le racisme, à s’ancrer et se sentir appartenir à un lieu. En effet, l’utilisation courante de termes péjoratifs tels que « ghettos » ou « communautarisme » dans les discours politiques et médiatiques, qui entendent le regroupement de personnes issues d’un milieu social, culturel et ethnique proche, accentue le sentiment d’exclusion des habitant·e·s, tout en compliquant leur quête identitaire. Ainsi peut-on par exemple entendre dans ce documentaire : « En France je suis perçu comme marocain, au Maroc je suis perçu comme français. » ou encore : « C’est le fait de se sentir jugé ici, pas « à sa place » qui donne le besoin d’aller au Maroc. Je suis née en France et pourtant j’ai besoin d’aller chercher quelque chose au Maroc. Aller chercher mes racines ailleurs ». Il apparaît au cours du documentaire, qu’un réseau de solidarité et des liens de socialisation forts sont établis dans la tour d’Assas. Les habitant·e·s parlent d’un « village vertical » dans lequel tout le monde se connaît et s’entraide, un sentiment d’appartenance en opposition à l’exclusion renforcée par les stigmates dont ils et elles sont victimes : « Il y a de la solidarité, comme une grande famille. Les jours de fête comme le ramadan il y a une ambiance qu’on sait qu’on ne retrouvera pas ailleurs. » La tour apparaît comme un « cocon » qui joue une fonction de sécurité identitaire, en même temps qu’elle enferme par la ségrégation dont sont victimes les habitant·e·s. La stigmatisation particulièrement prononcée à l’égard du quartier de la Mosson, se ressentait jusqu’à Saint-Martin, où le désir de non-affiliation à ce quartier était clairement exprimé par les habitant·e·s : « À la Paillade, le phénomène de ghettoïsation y est installé. Ici, il faut lutter contre ça. »2

« Certes, on ressent un manque de mixité, peu de personnes viennent finalement à Saint-Martin, mais ça va encore, on n’est pas à la Paillade. »3 1

PRADAL, Laure. Le Village vertical [Film]. Pages & Images, 2009. 52 min.

2 Entretien avec Ahmed (anonymisé), City citoyen. Entretien du14 septembre 2019, Saint Martin, Montpellier. 3 Entretien Jérémie (anonymisée), avec Maison Pour Tous. Entretien du 05 septembre 2019, Saint Martin, Montpellier.


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« A La Paillade moi je ne me sens pas en sécurité. Tu sens qu’on te regarde, que tu n’es pas du quartier. A Saint-Martin ça va déjà mieux. »1

Attachement au quartier Bien que dans les deux quartiers les habitant·e·s attestaient des problèmes réels qui impactent leurs conditions de vie, telles que les dégradations des logements, « On vit dans des passoires : on chauffe en hiver et on a froid, alors qu’en été il fait beaucoup trop chaud. »2, des problèmes de drogues, « Il y a des seringues qui traînent dans le parc de jeux, ce n’est pas possible d’emmener nos enfants là-bas ! »3, ou encore des soucis de voisinage « Les gens ne respectent rien. La cage d’escalier c’est un dépotoir. »4, la majorité valorisait davantage les aspects positifs de leur quartier, témoignant parfois jusqu’à un profond attachement à celui-ci : « Pour les enfants on a la piscine, un terrain de tennis, le stade… Et depuis l’arrivée du tramway on est à quinze minutes du centre de Montpellier. On est bien. »5

« La Paillade n’est pas une cité comme les autres, il y a beaucoup d’associations qui participent au bien vivre de la Paillade ! »6

« Comparé à d’autres quartiers, on a des équipements publics de qualité et on ne peut pas dire qu’on en manque. On a un tissu institutionnel et associatif qui fait qu’on se sent bien dans le quartier. Regardez à 10h du matin, vous ne

1 pellier.

Entretien avec Nathalie Ravinal, architecte. Entretien du 20 novembre 2019, Saint Roch, Mont-

2 Entretien avec Mme López (anonymisée), habitante et membre du collectif habitant·e·s de la résidence HLM Mercure. 16 sep- tembre 2019, La Paillade, Montpellier. 3 pellier.

Entretien avec Nadjia (anonymisée), Jasmin d’Orient. 04 novembre 2019. Saint Martin, Mont-

4

Entretien avec Mme López. Op. cit.

5 Entretien avec Mme Zerrour, (anonymisée) habitante résidence Jupiter. Entretien du 26 janvier 2019, La Paillade, Montpellier. 6

Entretien avec Mme López (anonymisée). Op cit.


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devinerez pas que vous êtes dans un quartier prioritaire ! »1

« J’habite plus à la tour, j’ai voulu partir, mais je ne veux pas tout couper à 100%, je ne pourrais pas. Je continue à la voir quand je suis au travail, je vois les gens quand je vais acheter du pain. »2

De la même manière que Laure Pradal permet aux habitant·e·s de la tour d’Assas de parler de leur habitat, Radio Clapas, une radio locale et Point d’Informations Jeunesse, a réalisé une série de podcast intitulée « 33 tours et un micro ». Ces podcasts, qui présentent sous forme de portraits audios les habitant·e·s de la tour Saint-Martin, ont pour objectif de « donner la parole à celles et ceux qui ne l’ont pas ». La comparaison des propos au sujet des deux tours, a permis de voir que la figure pourtant dévalorisée du grand ensemble, « dégât du progrès » (Daniel Pinson)3, apparaît comme un élément structurant du paysage habité des résident·e·s. La dimension symbolique et affective se retrouvait dans les discours des habitant·e·s notamment au travers l’utilisation d’allégories telles que le « phare » (Tour Saint-Martin) ou le « village vertical » (Tour d’Assas). L’image du phare ne va pas sans évoquer ce point de repère dans le quartier qui permet d’identifier le lieu habité : « J’ai deux bons souvenirs : quand on part en vacances et qu’on voit la tour qui est derrière, puis, quand on rentre de nuit et que la tour elle est devant nous avec toutes ces lumières ».4 La pluralité des entretiens a permis de rendre visible certaines contradictions dans les discours. Parfois, les habitant·e·s allaient dénoncer avec vigueur les conditions de vie dans leur habitat, « Je suis souvent amenée à faire des réflexions aux gens parce qu’ils ne respectent pas le travail de la femme de ménage. Il n’y a pas de respect. Les gens ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont. »5, pour aussitôt après évoquer la crainte de devoir potentiellement quitter le quar1

Entretien avec Jérémie (anonymisé). Op cit.

2

PRADAL, Laure. Op. cit.

3 PINSON, Daniel. Les grands ensembles comme paysage. Cahiers de la Méditerranée, 2000, vol. 60, no 1, p. 157-178 (page 4). 4

PRADAL, Laure. Op. cit.

5 Entretien avec Mme López (anonymisée), habitante et membre du collectif habitant·e·s de la résidence HLM Mercure. 16 sep- tembre 2019, La Paillade, Montpellier.


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tier, suite aux opérations de démolitions prévues par l’ANRU : « C’est un endroit que je vais beaucoup regretter. Parce qu’on est bien desservi, il y a pas mal d’organismes qui aident les habitants et c’est un endroit où il fait bon vivre, c’est très agréable. […] La Paillade est perçue comme un lieu où il ne faut pas aller. Alors qu’il y a plus dangereux et pire qu’à La Paillade. »1. Entre stigmatisation des autres habitants et valorisation du quartier, cet extrait illustre ce que Cyprien Avenel décrit comme la « double face d’une même réalité » : « […] stigmatiser, parfois avec affabulation, les conditions de vie rendues pénibles par les dégradations, le sentiment d’insécurité et les conflits de la cohabitation ; et se distinguer, dès lors, sans grande difficulté, d’un environnement qui semble si peu honorable socialement, conformément aux stratégies de détournement et de retournement du stigmate. Mais la pesanteur de cet effort à se démarquer symboliquement de l’entourage ne signifie pas que les relations de voisinage sont inexistantes. Au contraire, chacun laisse entrevoir indirectement son insertion active dans des liens sociaux et conviviaux. En fait, les habitants dénoncent bien plus leur quartier parce qu’il les stigmatise que parce qu’ils n’aiment pas y vivre. »2

Bien que les cas de La Mosson et de Saint-Martin semblent revêtir un enclavement à des niveaux différents – l’un vis-à-vis de la ville de Montpellier, l’autre à l’intérieur même du quartier – les deux situations présentent une problématique similaire : celle d’une fragmentation sociale, renforcée par une image négative projetée par les habitant·e·s extérieur·e·s au cœur des grands ensembles. Stigmatisation qui accentue le malaise social et la difficulté d’intégration de ses habitant·e·s. Cependant, la parole habitante a également permis de révéler un vif attachement, des liens sociaux renforcés par de forts réseaux associatifs, qui offrent un contrepoint à l’exclusion. Il s’agit maintenant d’interroger les actions mises en place par les politiques de la ville et associations en vue d’améliorer la situation des quartiers prioritaires.

1

Ibid.,

2

AVENEL, Cyprien. Op. Cit., (page 432).



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CHAPITRE 2 ACTIONS LOCALES ET RÉCEPTIONS HABITANTES

Dans leur article « Un tournant discret : la production de logements sociaux par les promoteurs immobiliers », Matthieu Gimat et Julie Pollard1 analysent la question des logements sociaux à l’aune de la conception de la mixité sociale. Définie comme une « répartition équilibrée des individus sur le territoire, en fonction de critères socio-économiques, culturels ou ethniques », les auteur·e·s décrivent comment cet objectif de mixité sociale s’impose depuis les années 90 comme « un gage de cohésion sociale et un moyen de lutter contre la ségrégation spatiale ». Ainsi les politiques nationales semblent s’engager dans une double lutte : construire davantage de logements sociaux pour pallier le manque tout en favorisant la mixité sociale afin d’éviter la marginalisation des classes les plus défavorisées. Au sein des quartiers prioritaires de la ville, ces politiques se traduisent notamment par les projets de rénovation urbaine ou la construction de Zone d’Aménagement Concerté2, dont le taux de construction de logements sociaux est contrôlé par la municipalité. En tant que quartiers prioritaires de la ville, Saint-Martin et La Mosson sont soumis aux politiques de la ville : La Mosson dans le cadre du plan de rénovation urbaine de l’ANRU et Saint-Martin avec l’arrivée prochaine de la ZAC de la Restanque. La multitude d’instances et d’actions mises en place aux échelles nationales et locales m’a semblé complexe et il a d’abord été difficile de cerner leur organisation. Ainsi, en me renseignant sur cette politique de la ville, je me suis questionnée sur l’accessibilité de ces projets pour les habitant·e·s du quartier, à savoir si ces aménagements sont perceptibles pour les premier·e·s concerné·e·s. L’étude des quartiers de La Mosson et de Saint-Martin a été l’occasion de confronter les regards des habitant·e·s face aux projets d’urbanisation de leurs quartiers. Dans le cas de Saint-Martin, je me suis intéressée aux actions menées par les associations de 1 GIMAT, Matthieu et POLLARD, Julie. Un tournant discret : la production de logements sociaux par les promoteurs immobiliers. Géographie, économie, société, 2016, vol. 18, no 2, p. 257-282, (p. 261). 2 « Une ZAC est une zone à l’intérieur de laquelle une collectivité publique, ou un établissement public y ayant vocation, décide d’intervenir pour réaliser ou faire réaliser l’aménagement et l’équipement de terrains, notamment ceux acquis ou à acquérir en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés. ». Site des collectivités locales, https://www.collecti- vites-locales. gouv.fr/lamenagement-urbain. Consulté le 11 octobre 2020.


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terrain ainsi qu’à l’analyse d’un diagnostic urbain participatif mené dans le quartier, intitulé les « marches exploratoires des femmes ». Pour le quartier de la Mosson, je me suis focalisée sur le programme de rénovation urbaine, ANRU, du point de vue des habitant·e·s et des bailleurs sociaux.

La sollicitation du réseau associatif par la politique de la ville Comme nous avons pu le voir dans le chapitre précédent au travers des entretiens avec les habitant·e·s, les deux quartiers ont en commun d’avoir un réseau associatif très présent. Sous forme de comité habitant dans les résidences, de maisons de quartier, de Point Informations Jeunesses, de nombreux·euses acteurs·trices s’investissent afin de rassembler les habitant·e·s, développer des liens sociaux à l’intérieur du quartier, mais aussi les accompagner dans le processus « d’intégration sociale ». Cette présence associative, je l’ai particulièrement ressentie à Saint-Martin. J’ai tout d’abord rencontré des membres de l’association la Maison Pour Tous qui m’ont mis en réseaux avec les autres associations du quartier : City Citoyen1, Jasmin d’Orient2, Radio Clapas3. Ce réseau solidaire collabore en organisant tous les six mois des réunions afin de faire des points sur la situation du quartier et leurs projets respectifs. Cours de français, aide aux devoirs ou administrative, cours de sports, sorties diverses, loisirs créatifs : bien que leurs terrains d’action divergent, ces associations ont en commun de vouloir rassembler les habitant·e·s autour d’activités favorisant le lien social ou de les accompagner dans leurs projets. Leurs locaux, situés dans le centre de la cité Saint-Martin, en font des lieux accessibles et visibles. Lors de l’entretien avec l’association Jasmin d’Orient, qui organise des sorties culturelles, 1 Association basée depuis 2005 dans le quartier. Elle propose des activités en termes de loisirs (création de jardins partagés, ateliers jeux d’échec, etc.), éducatifs (soutien scolaire, sorties culturelles ou pédagogiques), services (aide pour faire les dossiers administra- tifs, demandes sociales, etc.), formation (informatique). 2 Association féminine créée en 2005. Son objectif principal est de favoriser l’intégration des familles étrangères par le biais des femmes. Elle propose des activités et loisirs (cuisine du monde, gymnastique, sorties culturelles, etc.) ainsi que des cours de français. 3 Radio et Point Information Jeunesse, implantée dans le quartier depuis une dizaine d’années. La Radio a notamment réalisé une série de podcasts, intitulée « 33 tours et un micro », faisant les portraits des habitant·e·s de la tour Saint Martin dans l’objectif de « donner la parole à ceux qui ne l’ont pas ».


CHAP.2 Actions locales et réceptions habitantes

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sportives, expositions, généralement à l’extérieur de la ville, il est apparu que la majorité des personnes engagées dans la vie associative du quartier étaient des femmes, généralement sans emploi. Les associations permettent de créer du lien social autour d’activités, mais aussi de s’intégrer socialement autrement que par le travail. Cette question de l’intégration des femmes est d’ailleurs évoquée dans le documentaire « Village vertical »1 par une jeune habitante de la tour d’Assas : « Pour nos mères c’est dur. Nos pères ils sont arrivés avant, ils ont eu le temps de s’intégrer, d’apprendre à parler français. Et puis eux, ils sortent, ils travaillent, ils ont une vie. »2

L’association offre alors une alternative vers l’intégration sociale pour les personnes les plus touchées par l’exclusion (barrière de la langue, sans emploi, racisme, etc.). Au cours de l’entretien avec la journaliste de Radio Clapas3, il est ressorti une nécessité particulièrement présente, dans les quartiers prioritaires, à « aller vers » les habitant·e·s : « Pour venir dans notre local radio, il faut sortir de la cité Saint-Martin et traverser la route, c’est déjà trop loin. Si on veut se faire connaître, il faut aller à la rencontre des habitant·e·s et toquer à leur porte. »4

Cette démarche a été mise en application par le biais du projet de podcast « 33 tours et un micro ». L’objectif, en « donnant la parole à celles et ceux qui ne l’ont pas » était de réaliser le portrait du quartier du point de vue des habitant·e·s qu’elle définissait comme des « experts du territoire » par leur maîtrise d’usage. De par leur contact et connaissance des habitant·e·s et des enjeux du quartier, les associations apparaissent comme le lien principal entre habitant·e·s et institutions. En effet, nombreuses interventions menées par les politiques de la ville se servent du « réseau » et des 1

PRADAL, Laure. Op. cit.

2

Ibid.,

3 Entretien avec Lucie (anonymisée), journaliste de radio Clapas et membre du point information jeunesse (PIJ). 12 septembre 2019, Saint-Martin, Montpellier 4

Ibid.,


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PART.1 Habiter un quartier de grands ensembles

acteurs associatifs dans leur processus. Il apparaît, notamment depuis la création de l’ANRU, que les politiques semblent être en faveur d’une intégration des habitant·e·s aux processus urbanistiques en poussant vers la concertation habitante ou des processus participatifs. C’est le cas notamment à la Mosson avec l’instauration de « réunions de concertation » dans le cadre de l’ANRU, ou à Saint-Martin avec la mise en place des « marches exploratoires de femmes ». Il s’agit d’un diagnostic urbain national mené conjointement par des groupes de femmes habitant le quartier et par des représentant·e·s des instances locales. A Saint-Martin, ces marches ont été encadrées par l’architecte DPLG Nathalie Ravinal, qui a pratiqué dans le domaine de la conception de logements sociaux et été doctorante sur le sujet de la qualité de vie dans la ville durable, et encadre aujourd’hui les « Atelier Villes »1. J’ai eu l’opportunité de la rencontrer lors du vernissage de l’exposition « Paroles de femmes, images de femmes » organisée au centre d’art « La Fenêtre » sur un ensemble de travaux réalisés par les habitantes du quartier, en partenariat avec les associations de Saint-Martin.

Les marches exploratoires à Saint-Martin Né au Canada dans les années 1990, ce dispositif a pour objectif d’établir un diagnostic urbain et spatial sur le thème du sentiment d’insécurité, à partir de l’expérience des femmes dans l’espace public. Le point de vue genré de la démarche, justifié par l’idée que « lorsque les femmes ne sont plus exclues, l’inclusion profite à tous »2, part du présupposé que les femmes seraient plus vulnérables que les hommes dans l’espace public. Les femmes sont considérées comme « expertes » de leur quartier par leur connaissance « des dangers et risques auxquelles elles sont confrontées au quotidien »3. Ce diagnostic a pour objectif de favoriser leur intégration par l’appropriation de leur quartier, en les rendant actrices des projets d’aménagement visant à sécuriser l’espace urbain. Cette démarche expérimentale initiée en 2010 avant de se diffuser plus globalement depuis 1 Les « Ateliers villes » sont des ateliers pédagogiques de sensibilisation à la ville et au territoire, apprentissage de la fabrique de la ville sous force d’exercices ludiques pour les enfants. Ces ateliers sont organisés depuis le centre d’art « La Fenêtre » depuis 2011. 2 Guide méthodologique des marches exploratoires. Cahier pratique. Les éditions du CIV. Disponible sur : http://www.ville.gouv.fr/ IMG/pdf/sgciv-guidemarcheexploratoire.pdf. 3

Ibid.,


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2014, s’inscrit dans une volonté émergente de la politique de la ville de promouvoir une participation active des habitant·e·s, notamment dans les quartiers prioritaires, pour les projets d’aménagement du territoire. Comme la loi de « programmation pour la ville et la cohésion urbaine » du 21 février 2014, qui crée des conseils citoyens, accordant un budget aux quartiers prioritaires pour favoriser les projets à l’initiative des habitant·e·s. Sur le principe, il s’agit de proposer un accompagnement et une aide supplémentaire aux projets citoyen·ne·s afin d’encourager l’appropriation de leur quartier. Dans son article « Logiques de genre dans des quartiers impopulaires », la sociologue Horia Kebabza interroge les implicites de la démarche du diagnostic « non-mixte » dans les quartiers prioritaires : « Focaliser l’attention sur le statut inégal des femmes dans les quartiers, et sur des hommes symbolisant à eux seuls la domination masculine, comporte une double particularité : celle d’atténuer l’infériorisation des femmes dans notre société (les diverses situations de discrimination sur le marché du travail ou en politique en témoignent), et celle de disqualifier une culture et une identité « arabe-musulmanemaghrébine» jugée trop voyante ou tapageuse, et bien trop éloignée des valeurs républicaines. Ultime injonction paradoxale en direction d’une population dont l’étrangeté naturalisée serait de toute façon irréductible à l’intégration... créant ainsi les conditions d’un « communautarisme » condamné par avance ? »1

Ainsi, pour la sociologue, mettre l’accent sur l’insécurité des femmes dans les cités – et le prétendu sexisme dont elles sont victimes dans l’espace public – est une manière sous-jacente d’incriminer la modèle culturel et identitaire des habitant·e·s, ce qui favorise leur stigmatisation. Selon Horia Kebabza, la focale sur les quartiers prioritaires de ce type de démarche suggère que les problématiques liées à l’insécurité des femmes sont plus concentrées dans ces quartiers. Bien que le terme de quartier « sensible » ait officiellement été remplacé par celui de « prioritaire » par les politiques publiques, la question de l’image des quartiers, leur 1 KEBABZA, Horia. Logiques de genre dans des quartiers impopulaires. Hommes & Migrations, 2004, vol. 1248, no 1, pp. 52-63., (page 63).


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PART.1 Habiter un quartier de grands ensembles

enclavement et les problèmes d’insécurité apparaissent comme un enjeu central dans les rapports publiés par l’Observatoire des Politiques Nationales de la Ville (ONPV). Or, lors de mes entretiens avec diverses habitantes de Saint-Martin ou de La Paillade, celles-ci m’affirmaient ne pas se sentir plus en insécurité dans leur quartier que lorsqu’elles se rendaient dans le centre de la ville de Montpellier. Le 20 novembre 2019, j’ai eu l’occasion de rencontrer Nathalie Ravinal, architecte recrutée par la déléguée du préfet pour encadrer les marches exploratoires de femmes dans le quartier Saint-Martin. Cette rencontre m’a permis de confronter les rapports et objectifs établis par le Comité Interministériel de la Ville à l’expérience de l’architecte, afin d’évaluer certaines limites et contradictions. La démarche des marches exploratoires pourrait s’intégrer dans celle des associations locales, dans le sens où l’objectif est d’ « aller vers » les habitantes, solliciter leurs points de vue afin de dresser un diagnostic. Ce processus expérimental vise à valoriser la parole de l’habitante, à s’approprier l’espace urbain en les rendant actrices de l’amélioration de leur « cadre de vie ». Mises en place par le passé dans d’autres quartiers de Montpellier, notamment à La Mosson en 2017, le cas des marches de St Martin à la singularité d’être encadré par une architecte. Habituellement, celles-ci sont davantage dirigées par des associations en lien avec la prévention de violence ou des droits des femmes1. C’est la préfète qui a fait le choix de faire appel à une architecte en estimant qu’elle pourrait apporter un regard extérieur, (« les [habitantes] faire regarder leur quartier autrement »2) tout en transmettant des notions d’architecture et d’urbanisme afin de « comprendre l’histoire du quartier, savoir pourquoi il a été implanté là, ce qui fait qu’il est aujourd’hui comme ça et ce qu’il se passera demain. »3. La démarche s’organise sous forme d’ateliers. Au moment de l’entretien trois ateliers avaient eu lieu : 1 er atelier : Explication du projet et de la démarche aux habitantes.

1 Guide méthodologique des marches exploratoires. Cahier pratique. Les éditions du CIV. Consulté sur : http://www.ville.gouv.fr/ IMG/pdf/sgciv-guidemarcheexploratoire.pdf. 2

Entretien avec Nathalie Ravinal, architecte. 20 octobre 2019, Saint Roch, Montpellier.

3

Ibid.,


CHAP.2 Actions locales et réceptions habitantes

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2 ème atelier : Situer sur un plan détaillé les lieux pratiqués dans le quartier, repérer les activités et les trajets en précisant leurs impressions selon différentes temporalités. Cet atelier était aussi l’occasion de faire connaissance avec les habitantes et d’observer leur comportement dans le groupe. 3 ème atelier : Retracer l’histoire du quartier et son évolution, puis définition du tracé de trois balades urbaines, à des horaires différents, de jour et de nuit. Pour autant, l’architecte n’avait pas de vision claire sur les débouchées des marches en termes de projets d’urbanisme, à partir des données collectées. Pour elle, l’enjeu se trouvait davantage dans le processus de la participation des habitantes : leur donner des clés pour observer et comprendre les dynamiques de leur quartier, à travers une analyse de son évolution et de la situation actuelle, afin qu’elles puissent exercer un regard critique dessus et en deviennent actrices.

Faire venir les habitant·e·s La première difficulté s’est posée dès le démarrage, lors de la constitution du groupe d’habitantes. Celui-ci a été formé à partir d’une liste fournie par les associations Jasmin d’Orient et la Maison Pour Tous répertoriant des personnes susceptibles d’être intéressées par le projet. Il s’est avéré que les personnes connues par les associations sont celles qui participent déjà à de nombreuses activités proposées par celles-ci. Ce sont donc des personnes actives au sein du quartier, investies certes, mais qui estiment être trop souvent sollicitées dans des projets sans réellement en voir les aboutissants : « Dès la première réunion je les ai senties réfractaires, elles disaient : Ça fait dix fois qu’on explique nos problèmes et il n’y a rien qui change. »1

Le groupe est apparu comme assez homogène en termes de statut social, d’âge et de situation économique et familiale. La majorité d’entre elles étaient des personnes déjà très intégrées à la vie du quartier, notamment par leur fréquente participation aux activités proposées par les 1

Entretien avec Nathalie Ravinal, architecte. 20 octobre 2019, Saint Roch, Montpellier.


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PART.1 Habiter un quartier de grands ensembles

associations. Ainsi, le groupe ne semblait pas représentatif de l’ensemble des habitantes du quartier et celles-ci « ne se sentaient pas tant concernées par les problèmes d’insécurité. »1 Une première restitution de ces ateliers a été réalisée lors de l’exposition au centre d’art « La Fenêtre » dans le quartier St Roch. Était présentée une série de photographies montrant des dysfonctionnements urbains (place de la voiture, absence de passages piétons, bancs dégradés, etc.), une carte mentale reprenant le trajet des marches exploratoires, des post-it avec les suggestions des habitantes et enfin une carte des lieux fréquentés ou inexploités. Le choix de ce lieu s’explique par la volonté de « faire sortir » les habitant·e·s de leur quartier. Nathalie Ravinal expliquait lors de l’entretien que si à Saint-Martin, la majorité des habitantes ne restaient pas cloisonnées dans leur quartier, ce n’était pas le cas dans tous les quartiers prioritaires : « J’ai travaillé pour le Petit Bard et ils ont refusé de venir à « La Fenêtre ». On a dû faire un module spécifique de leur exposition que nous avons mis à La Maison Pour Tous de leur quartier. »2

Or il apparaît comme nécessaire pour l’architecte d’emmener les habitant·e·s ailleurs, de montrer comment fonctionnent d’autres quartiers afin de permettre l’exercice d’un avis critique sur le leur et être à même de faire des propositions. Le présupposé induit par la démarche semble être que l’exclusion réside dans une sorte d’enfermement des habitant·e·s dans leur quartier, ce qui semble être le cas dans le quartier Petit Bard d’après l’expérience de l’architecte. Pourtant, au cours de mes entretiens avec les habitant·e·s de la Mosson ou bien de Saint-Martin, je n’ai pas ressenti ce sentiment de cloisonnement. Au contraire, la présence du tramway et des bus semblait rendre accessible le centre-ville où se rendaient fréquemment les habitant·e·s. Le cloisonnement m’a paru être plus réel dans le sens inverse : les habitant·e·s du centre-ville ne vont pas dans ces quartiers. Moi-même, en cinq ans de vie à Montpellier, je n’étais jamais allée à La Mosson ou à Saint-Martin avant d’axer ma recherche sur les quartiers prioritaires de la ville. Nous pouvons alors nous demander si l’intérêt de l’exposition dans ce centre d’art ne résiderait pas davantage dans l’ouverture – et la dé-stigma1

Ibid.,

2

Ibid.,


CHAP.2 Actions locales et réceptions habitantes

53

tisation – du quartier Saint-Martin au public habituel du centre d’art qui le connaîtrait peu.

Conflits d’intérêts Dans le cadre des réunions de concertation mises en place à La Mosson au sujet du plan de rénovation urbaine prévu par l’ANRU, si le bailleur social, Julien Prieur, affirmait que les habitant·e·s ne venaient pas aux réunions et ne se sentaient pas concerné·e·s par ce type de processus, la perception habitante différait. Mme López [nom modifié], membre du comité habitant de la résidence Mercure, y voyait davantage une explication de projets qu’une prise en compte réelle de leurs opinions : « C’est politique. On nous laisse poser quelques questions à la fin mais le projet passera quand même ».1

Les réunions en question concernaient l’avenir de sa résidence, dont le plan de rénovation prévoit une démolition partielle et la réhabilitation des bâtiments préservés. Il s’est avéré que la majorité des habitant·e·s se positionnaient en faveur de la réhabilitation lorsqu’elle était possible, de peur de devoir changer de quartier et d’être relogé·e·s dans des logements moins qualitatifs. « Les gens sont déçus par les logements, et puis ils sont beaucoup trop chers ! On a vu des logements où il n’y avait pas de fenêtre dans la cuisine, ce n’est pas un agencement respectable ça. »2

L’habitante ressentait une incompréhension face aux décisions de l’ANRU de détruire partiellement le bâtiment. La raison mise en avant dans les discours des bailleurs et des politiques était un risque d’effondrement. Ce que l’on voit dans de nombreux projets de rénovation urbaine c’est que la question de la sécurité paraît s’imposer comme un argument d’autorité en ne donnant pas la possibilité aux habitant·e·s, qui n’ont ni les connaissances techniques, ni 1

Mme López (anonymisée), habitante résidence Mercure. Entretien du 16/09/19, La Paillade.

2

Ibid.,


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PART.1 Habiter un quartier de grands ensembles

accès aux documents justifiants de la dangerosité du bâtiment, de le contester. Les réunions de concertation se déroulent de telle manière que les différent·e·s interlocuteur·ice·s ne sont pas dans un rapport d’égalité, ce qui limite fortement le dialogue ainsi que le pouvoir décisionnel des habitant·e·s1. « On m’a dit : « tu ne parles pas de l’éco-quartier en construction. » 2

Le quartier Saint-Martin est un quartier en mutation, notamment avec l’arrivée de la nouvelle ZAC à proximité. L’expérience des marches exploratoires a révélé des paradoxes dans la volonté des politiques, qui d’un côté prétendent vouloir rendre les habitantes actrices de leur quartier, mais qui d’un autre côté donnent la consigne à l’architecte de ne pas parler des projets d’urbanisme en construction. Ainsi l’architecte se trouve dans une situation délicate, en conflit d’intérêts entre donner les clés aux habitantes pour qu’elles puissent se positionner face au devenir de leur quartier et les politiques qui veulent à tout prix éviter de potentielles réactions qui pourraient altérer l’avancement des travaux. Cet impératif de rétention d’information, atteste que la concertation s’arrête souvent dès lors où les intérêts politiques commencent. Pour pallier ces situations symptomatiques dans les quartiers populaires, en 2014, a été montée la coordination nationale « Pas Sans Nous ». Elle réunit associations, citoyen·ne·s et universitaires, afin de donner des outils aux habitant·e·s pour s’organiser en « contre-pouvoir » face aux institutions : outiller et informer, dans l’intention de permettre une participation réelle des habitant·e·s. Il ne s’agit pas de s’opposer à la politique de la ville, mais de la rendre plus démocratiques principalement en (re) donnant voix aux habitant·e·s. Lors de la première réunion des marches exploratoires, les habitantes ont d’abord cru que l’architecte était une employée municipale envoyée pour faire l’inventaire des problématiques du quartier. Bien que de nombreuses actions soient mises en place localement – par 1 Source : DEBOULET Agnès, MAMOU Khedidja, « Une expertise citoyenne se construit : le premier projet de rénovation urbaine co- produit. La Coudraie, Poissy, Île-de-France », in Savoirs citoyens et démocratie participative dans les questions urbaines, sous la direction d’A. Deboulet et H. Nez, Co édition Adels/La Villette, 2013. Et DEBOULET Agnès, LELÉVRIER Christine, Rénovations urbaines en Europe, Rennes, PUR, 2014 2

Entretien avec Nathalie Ravinal, architecte. 20 octobre 2019, Saint Roch, Montpellier.


CHAP.2 Actions locales et réceptions habitantes

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le biais des associations ou des politiques – dans les quartiers prioritaires, ce qui semble témoigner d’une volonté positive à dynamiser les quartiers et proposer des activités pour les habitant·e·s, la multitude de projets ainsi que la diversité des intervenant·e·s semblent compliquer leur identification. Les habitant·e·s les plus renseigné·e·s étant finalement les « habitué·e·s », fortement intégré·e·s à ce tissu associatif et accoutumé·e·s au fonctionnement des institutions et politiques. La difficulté réside ainsi dans la mobilisation des « non-intégré·e·s ». Si les politiques nationales et locales se mobilisent et développent des moyens pour améliorer la situation de précarité de ces quartiers, nous pouvons noter des dysfonctionnements dans l’institutionnalisation de ces politiques. Dans quelle mesure est-il possible de croire à l’ « empowerment »1 de la population dans le cadre de rapports hiérarchiques institutionnalisés entre habitant·e·s et décisionnaires ?

L’enquête de terrain permet d'une part de souligner un écart entre le discours et la mise en place de ces politiques qui ne répondent pas nécessairement aux besoins formulés par les habitant·e·s. D’autre part, aucun pouvoir décisionnel n’est conféré aux habitant·e·s : ils et elles sont simplement « consulté·e·s ». Une manière d’augmenter l’acceptabilité sociale de ces politiques dont les habitant·e·s disent ne pas être dupes et en ressortent souvent bien déçu·e·s. Cet écart est ainsi renforcé par la multiplicité des acteur·ice·s qui complique leur identification2 et à la sur-sollicitation dont les habitant·e·s des quartiers prioritaires sont la cible. Cependant, si le processus de conception dite « participative » apparaît partiel et limité, ce n’est pas propre à la politique de la ville dans les quartiers prioritaires : les facteurs temporels, la pluralité des acteurs, les enjeux économiques ainsi que le caractère encore expérimental de la démarche rendent le procédé complexe dans son application.

1 Terme anglo-saxon désignant l’autonomisation, ou pouvoir d’agir. Source : CALVÈS Anne-Emmanuèle, « « Empowerment » : généalogie d'un concept clé du discours contemporain sur le développement », Revue Tiers Monde, 2009/4 (n° 200), p. 735-749. 2 AVENEL, Cyprien. La question des quartiers dits « sensibles » à l’épreuve du ghetto : Débats sociologiques. Revue économique, 2016, vol. 67, pp.415-441. (page 417).



PARTIE 2. L’ARCHITECTE FACE À L’HABITAT



Introduction

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« Le Mercure c’est sûr que ce n’est pas un des plus beaux bâtiments, mais les logements sont pourtant agréables à vivre. On a des pièces assez grandes, bien exposées et bien illuminées. Pour avoir entendu des personnes dire que certains logements sociaux « ce n’est pas tout à fait ça », moi je pense que ceux-là on va les regretter. »1

Bien que le grand ensemble soit fortement déprécié, les entretiens avec les résident·e·s des terrains enquêtés ont révélé un attachement général à leur habitat et ce qu’il en ressort c’est notamment que l’image qu’ils en ont diffère de celle véhiculée par les médias. Malgré le besoin urgent de travaux face à l’état de dégradation des logements, la disposition générale des pièces et la qualité des espaces semblaient convenir à leurs attentes en termes d’habiter. Le passage au projet et l'analyse typologique des habitats de la tour Saint Martin a permis de constater que, malgré l'état de dégradation de la tour et des problématiques d'orientation induites par la systématisation des logements, ceux-ci avaient de nombreuses qualités architecturales : appartements bi-orientés, cuisines indépendantes et ouvertes sur l'extérieur, salles de bain ventilées naturellement, double séjour, etc. Qualités que l'on peine à retrouver dans les logements neufs. Au cours de l’entretien de Mme López [anonymisée], il est ressorti que les habitant·e·s préféraient, lorsque c’était possible, rester dans leur quartier à un déménagement dans un logement social neuf, changement qui pouvait parfois être perçu comme un arrachement. Aujourd’hui, face à la crise du logement et à l’obsolescence de la plupart des grands ensembles, les politiques d’aménagement du territoire et les bailleurs sociaux oscillent entre deux approches : la destruction puis la reconstruction de logements neufs et la réhabilitation des bâtiments anciens. Depuis 1999 et la création du label « patrimoine de la seconde moitié du XXème siècle », une sensibilisation de l’État à l’égard de la préservation des grands ensembles semble s’être développée. Cependant, très peu de grands ensembles bénéficient de ce label et la politique de restructuration des villes, marquée par la création de l’ANRU en 2003, en-

1 Entretien avec Mme López (anonymisée), habitante résidence Mercure. Entretien du 16 septembre 2019, La Paillade, Montpellier.


QUALITÉS TYPOLOGIQUES DE LA TOUR SAINT MARTIN

Les premiers entretiens de l’enquête ont été réalisés dans des lieux neutres, ce qui ne permettait de récolter des données ethnographiques et architecturales. Il ne m’était pas possible de mettre en parallèle les propos des personnes interviewées à l’observation de leur « chez-soi ». La méthode employée dans le relevé nécessaire au projet architectural a permis d’affiner l’analyse typologique et de vérifier la richesse architecturale que proposent ces habitats. Ainsi, mon approche a été de croiser et faire dialoguer l’entretien avec les habitant·e·s des logements à un relevé mesuré des pièces et de leur aménagement. L’objectif était d’appréhender les usages et pratiques faites dans chacune des pièces afin de définir les enjeux architecturaux à projeter dans l’idée d’une réhabilitation de la tour Saint-Martin.

Le diagnostic des typologies est donc développé à la page 46 de la notice de projet.


Introduction

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traîne chaque année la démolition de nombreux bâtiments1. Une situation qui peut apparaître comme paradoxale étant donné le contexte de crises plurielles dans lequel nous nous trouvons : manque de logements abordables, crise économique et crise écologique. Par ailleurs, le statut de copropriété d’une partie des grands ensembles complexifie la question : le montant des travaux nécessaires à la réhabilitation est généralement au-dessus des moyens de copropriétaires majoritairement pauvres. Bien que l’État tente, au travers d’actions interministérielles, telles la « prime rénov » proposée par l’Agence Nationale de l’Habitat2 (ANAH) ou encore le programme REHA développé par le PUCA3, de débloquer des fonds afin d’aider les copropriétaires les plus démunis, j’avais pour hypothèse en débutant ce mémoire que la nature des travaux, lorsqu’ils sont réalisés, se limitait à une mise aux normes sécuritaires et thermiques ou une réfection de façade sans prendre en considération les pratiques habitant·e·s. D’autre part, la politique privilégiée par l’État pour pallier la crise du logement et faciliter la construction, me paraissait être, a priori, d’encourager des opérateurs privés à intervenir sur le plan du logement social. La controverse s’accentue avec le passage de la loi ELAN4 en 2018, qui réduit la marge de manœuvre de l’architecte afin de faciliter la production de bâtiments, prévalant l’aspect quantitatif au qualitatif. Ce qui apparaît comme paradoxale étant donné qu’il s’agit de la prin1 "L’article 6 de la loi prévoyait la démolition de 200 000 logements sociaux entre 2004 et 2008. La loi « Lamy » de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 a modifié cet article en portant l’objectif à 250 000 démolitions entre 2004 et 2015." Source : LELÉVRIER Christine, DRIANT Jean-Claude. Mai 2021. Extrait du "dictionnaire de l'habitat : Démolition (des logements sociaux)". Site : https://politiquedulogement.com/dictionnaire-du-logement/d/ demolition-des-logements-sociaux/ [Consulté le 10/06/2021]. 2 L’Agence nationale de l’habitat est un établissement public placé sous la tutelle des ministères en charge de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, de l’Action et des Comptes publics et du ministère de l’Economie et des Finances. Sa mission depuis près de 50 ans est d’améliorer l’état du parc de logements privés existants pour lutter contre les fractures sociales et territoriales. L’Anah encourage ainsi les travaux de rénovation et réhabilitation des logements en accordant des aides financières aux propriétaires occupants modestes et aux syndicats de copropriétés fragiles et en difficulté. Elle propose également aux propriétaires bailleurs privés un contrat pour faciliter la mise à disposition d’un parc locatif rénové à loyer abordable. Source : https://www.anah.fr/ Consulté le 23 mai 2021. 3 Le Plan Urbanisme Construction Architecture (Puca) est une agence interministérielle créée en 1998 afin de faire progresser les connaissances sur les territoires et les villes et éclairer l’action publique. Le Puca initie des programmes de recherche incitative, de recherche-action, d’expérimentation et apporte son soutien à l’innovation et à la valorisation dans les domaines de l’aménagement des territoires, de l’urbanisme, de l’habitat, de l’architecture et de la construction. Source : http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/ Consulté le 23 mai 2021. 4 La loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

cipale critique faite à l’égard des grands ensembles : la rapidité de leur mise en œuvre et leur gigantisme ayant engendré des impairs en termes d’urbanisme, vecteurs des disparités socio-spatiales vues précédemment. Dans cette partie, il s’agit de comprendre le cadre dans lequel s’exerce le métier d’architecte face au sujet du logement social neuf et en réhabilitation. En m’appuyant sur les constructions récentes réalisées à la Paillade et Saint Martin, ainsi que sur des entretiens, je me suis intéressée à des opérations dites « courantes », bâtiments reconnus comme représentatifs de la production actuelle, puis à des exemples plus « exceptionnels », soit des constructions ayant pu recevoir des reconnaissances publiques mettant en valeur leur qualité. Pour cela, je suis allée à la rencontre de bailleurs sociaux, ainsi que d’architectes travaillant sur le sujet du logement social. Je me suis d’abord tournée vers des acteurs et actrices opérant sur les quartiers étudiés : Jean-Michel Miramond, architecte travaillant sur des projets de logements neufs et en réhabilitation à La Mosson, Nathalie Ravinal, qui a par le passé conçu des logements HLM en agence, doctorante sur la thématique de la « qualité de vie dans la ville durable  » et responsable des « marches exploratoires de femmes » évoquées précedemment, et Julien Prieur, directeur des politiques de la ville chez ACM habitat, principal bailleur social de Montpellier. Par la suite, mon expérience de stage dans l’agence Avenier-Cornejo ainsi que la lecture de revues d’architecture et l’écoute de conférences, m’ont ouvert sur la pratique d’architectes qui tentent de proposer des habitats innovants malgré le cadre restrictif de la commande contemporaine. Je me suis particulièrement intéressée au travail de Sophie Delhay, architecte primée pour la qualité typologique de ses projets de logements sociaux neufs, et à l’agence Lacaton-Vassal1, dont le travail, tant sur la conception de logements neufs que sur la « transformation » de grands ensembles en français, leur a valu le prestigieux Pritzker Prize 2021. Sophie Delhay et Jean-Philippe Vassal sont deux architectes dont je qualifie l’approche « d’engagée » par leur volonté de dépasser les contraintes et paradoxes présents dans la production du logement social – standardisation des plans des programmes de logement face à une po1 Les propos reccueillis sur l'agence Lacaton & Vassal proviennent d'un entretien réalisé auprès de Jean-Philippe Vassal en novembre 2019, et d'une conférence présentée par Anne Lacaton au cours d'un séminaire proposé par l'ENSAM en mars 2021.


Introduction

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pulation hétérogène, ou encore démolition de bâtiments dans un contexte de crise du logement – afin de proposer une architecture qui fait sens dans ce qu’elle produit comme habitat. L’objectif de cette partie est donc de comprendre le contexte généralisé de la production de logements sociaux en France, tout en examinant des leviers possibles vers une qualité architecturale au travers l’exemple d’architectes qui cherchent à avoir un impact sur la production du logement.



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CHAPITRE 1 UNE COMMANDE PUBLIQUE ASTREIGNANTE

25 août 2020, Saint-Palais-sur-mer. Je suis en pleine rédaction du mémoire quand Tom, 14 ans, jeune habitant en région parisienne, m’interrompt : «

C’est sur quoi ton mémoire ?

-

Ça traite des logements sociaux en France.

-

Ah ouais, les tours là ? »

L’assimilation spontanée que fait Tom, un ami de mon petit cousin, quand je lui parle de logements sociaux à la figure de la tour révèle que l’architecture des grands ensembles reste aujourd’hui une représentation commune, y compris pour les plus jeunes. Mais lorsqu’au cours de mes entretiens avec Jean-Michel Miramond, Julien Prieur ou Nathalie Ravinal, je posais la question de ce qui pour elle et eux était un logement social « qualitatif », la réponse était à chaque fois unanime : un logement social de qualité est un logement dont on ne peut pas deviner qu’il s’agit d’un HLM. « Depuis qu’on fait du logement social, le challenge est toujours le même. C’est que, une fois le logement terminé, on ne doit pas pouvoir distinguer le logement social. Il doit se fondre réellement dans une lecture positive et identique et très comparable à tout ce qui se trouve autour. Ça, c’est la volonté de tous les maîtres d’ouvrage publics. De tous les bailleurs sociaux. »1

Dans son texte « Les grands ensembles comme paysage »2, Daniel Pinson explique que, par leur gigantisme, la tour et la barre inversent le rapport d’échelle traditionnel de la ville occidentale : historiquement, les habitations sont de dimensions inférieures aux constructions ayant un rôle politique ou symbolique, telles que l’église, l’hôtel de ville ou bien un siège de banque. Selon l’auteur, la monumentalité des grands ensembles servirait davantage à symboliser 1

Jean-Michel Miramond, architecte. Entretien du 03/09/19, La Croix-d’Argent.

2 PINSON, Daniel. Les grands ensembles comme paysage. Cahiers de la Méditerranée, 2000, vol. 60, no 1, p. 157-178.


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

« l’entreprise publique du logement » que l’habitant·e qui se retrouve « noyé dans une immensité répétitive de fenêtres ». Nous en trouvons l’exemple à Saint Martin dont la paroisse, en plus d’être encadrée par des barres de deux fois sa hauteur, est dominée par la tour dont les dixhuit étages s’installent sur un socle un mètre au-dessus le niveau de la rue (figure4). Daniel Pinson émet l’hypothèse que le grand ensemble, en bouleversant le rapport d’échelle des villes traditionnelles, a des conséquences sur la perception que se fait la société sur les bénéficiaires du logement social : « Comme traduction de l'œuvre grandiose de l'État-providence, elle [la tour comme la barre] projette sur l'habitant une image d'assisté qui se traduit dans certains comportements de honte, lorsqu'il s'agit de dire à autrui où l'on habite, et a fortiori lorsqu'il s'agira d'aller jusqu'à l'invitation : le grand ensemble est devenu un paysage matériel qui produit rétroactivement une représentation de soi et pour les autres négatives. »1

Fig. 2 : Schéma illustrant les rapports de hauteurs de bâtis à Saint Martin. Réalisation personnelle.

1 PINSON, Daniel. Les grands ensembles comme paysage. Cahiers de la Méditerranée, 2000, vol. 60, no 1, p. 157-178, (page 7).


CHAP.1 Une commande publique astreignante

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La volonté des architectes et des bailleurs sociaux apparaît être aujourd’hui de se détacher de la figure architecturale du grand ensemble qui, associée à l’image de « l’État bâtisseur », favorise la discrimination à l’adresse. En réalisant des logements sociaux d’apparence similaires aux logements privés, l’idée semble être de ne pas catégoriser son habitant·e comme bénéficiaire des aides publiques, statut dénigré par le terme assez répandu d’« assisté ».

« Contrairement aux idées préconçues sur le logement social, nos réalisations répondent à des critères de qualité environnementale et architecturale aussi élevés que ceux exigés dans la promotion privée. »1

Cependant, bien qu’architectes et bailleurs s’entendent sur ce point, nous pouvons nous interroger sur ce qu’est un logement qualitatif, qu’il soit social ou non. En débutant ce mémoire, j’avais une vision très négative des projets de logements collectifs qui naissent à La Paillade ou Saint-Martin. J’y voyais des immeubles aux façades colorées sans grande identité architecturale, un « patchwork » de projets déconnectés du paysage. Pour moi, ces logements étaient réalisés dans un objectif de rentabilité plus que de qualité architecturale et paysagère : face à la défiscalisation du logement, j’avais pour idée que les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux percevaient davantage le logement comme un bien marchand qu’en sa qualité d’habitat.

Représentation graphique Au cours de mes recherches, je me suis étonnée de la difficulté à trouver les noms des architectes réalisant les chantiers de logements collectifs « courants » dans la région de Montpellier. Je me rendais sur les sites de promoteurs et ne trouvais que très peu d’informations sur ces logements tels que la superficie, la localisation ou des éléments de programmation, soit, des renseignements utiles à la vente. Dans le rapport PUCA* « Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010) », datant de 2012 et dirigé par la sociologue Monique Eleb et l’architecte Philippe Simon, nous pouvons lire que : 1 ACM habitat. Tisser les liens de la vie. https://www.acmhabitat.fr/propos-dacm-habitat/ notre-patrimoine/nos-realisations. Consulté le 10 aout 2020.


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

« De nombreux promoteurs ne souhaitaient pas divulguer le nom de leurs architectes car ils estimaient être autant « auteur » que les architectes qu’ils ne convoquaient que pour « emballer » des plans qu’ils avaient mis au point et qu’ils estimaient « bons puisque tout était vendu », comme ils nous l’ont souvent affirmé. »1

Ce qui tend à valider l’hypothèse selon laquelle d’une part, la qualité du logement est jugée par sa valeur marchande et que, d’autre part, la marge de manœuvre de l’architecte face à la question de la conception du logement tend à s’amenuiser : il apparaît comme le « designer de façade » d’un projet pré-conçu. En consultant le site du bailleur social ACM habitat, peu d’informations supplémentaires étaient indiquées. En effet, tous les projets apparaissent dans une forme d’uniformité : une image de synthèse présentant la façade extérieure (figure 2 et 3) ainsi qu’un tableau précisant l’architecte, le quartier, le nombre de logements et la date de livraison. Heureuse de trouver le nom des « concepteurs », je me suis rendue sur différents sites internet d’agences et le constat était toujours le même : absence de plans des projets ou de photographies post-livraison des bâtiments. À nouveau, les seuls documents présentés étaient majoritairement des perspectives qui montraient l’extérieur des bâtis et parfois un plan masse. S’il était possible de trouver des informations techniques, telles que la maîtrise d’ouvrage, la localisation, le coût ou la superficie du projet, rares étaient les architectes qui décrivaient leurs intentions et partis pris architecturaux. La question de la représentation en architecture ne me paraît pas neutre : par les éléments produits et présentés, l'architecte affiche une certaine posture et approche du projet. Or l’absence de plans et éléments techniques permettant la lecture du projet, ainsi que la similitude dans les modes de représentations graphiques des images produites, poussent à se demander si les projets sont aussi uniformes qu’ils le paraissent.

1 ELEB, Monique et SIMON, Philippe. Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). PUCA Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer. 2012, 172 p. (page 26).


CHAP.1 Une commande publique astreignante

Fig. 2 : Images de synthèse. Réhabilitation résidence Céres, Montpellier. Lebunetel Architectes Urbanistes (architectes), ACM (maîtrise d’ouvrage).

Fig. 3 : Images de synthèse. Réhabilitation résidence Les Gémeaux, Montpellier. Caremoli-Miramond (architectes), ACM (maîtrise d’ouvrage).

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PART.2 L’architecte face à l’habitat

La rencontre avec Jean-Michel Miramond, architecte travaillant sur des projets de logements sociaux et privés, neufs et en réhabilitation, dont à la Paillade, a été l’occasion d’aborder la question des conditions dans lesquelles sont montés ces projets. Cela m'a permis de prendre plus grande mesure de la réalité des contraintes de production, conception et réalisation du logement collectif qui façonnent le métier d’architecte. Le principal problème évoqué dans la question du logement collectif, qu’il soit privé ou social, semble être lié au manque de foncier. La demande de logements étant beaucoup plus forte que l’offre, l’architecte affirmait que les promoteurs aujourd’hui parviennent à vendre tous leurs logements, « qu’ils soient mal placés ou qu’ils aient eu du mal à le vendre par le passé, aujourd’hui tout part ». Ainsi, dès qu’un terrain se libère, la première mission de l’architecte va être de réaliser une étude de faisabilité afin de déterminer la surface de projet envisageable, celui-ci étant généralement alloué à « celui qui arrive à trouver des astuces pour faire le plus de surface possible ». Cette crise du foncier et recherche de rentabilité entravent généralement la qualité du projet : « On arrive parfois à des aberrations avec des immeubles qui se compliquent pour trouver des excroissances à droite, à gauche (…), tout ça pour perdre le moins de m2 et faire la meilleure offre possible. »1

A cette problématique de manque de foncier s’ajoutent celles des normes abondantes dans le sujet du logement (thermiques, sécuritaires, d’accessibilité, environnementales, etc.). Afin de répondre à la multiplicité de ces normes, il s’avère que la maîtrise d’ouvrage fait appel à des bureaux d’études spécialisés – acoustiques, environnementaux, économistes, maîtrise d’exécution, etc. – multipliant le nombre d’acteurs en charge du projet, répartissant les missions traditionnellement allouées à l’architecte et réduisant par conséquent sa maîtrise du projet : « On est privés de chantiers les architectes depuis pas mal de temps maintenant, on a perdu la confiance des opérateurs, or les bailleurs sociaux avec qui ça reste systématiques, et ils confient la maîtrise d’œuvre d’exécution à des bureaux d’étude qui se sont spécialisés là-dedans. »2 1

Jean-Michel Miramond, architecte. Entretien du 03/09/19, La Croix-d’Argent.

2

Ibid.,


CHAP.1 Une commande publique astreignante

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Jean-Michel Miramond évoquait l’image de l’architecte dans le monde professionnel du bâtiment qui est fortement dénigré·e, perçu·e comme un·e « poète·sse», déconnecté·e des réalités du chantier. Depuis les trente ans qu’il exerce le métier, il a vu les responsabilités offertes aux architectes autour du projet diminuer. « Le rôle des architectes tend à s’amenuiser en ce qui concerne les usages dans les cahiers de prescriptions ou les documents programmes, certains maîtres d’ouvrage produisent souvent une suite de restrictions censées élever la qualité. Ces prescriptions s’ajoutent à la stratification des normes du logement qui s’imposent à l’architecte et finissent par produire un logement qui en est directement issu, donc un « logement réglementaire », adapté à on ne sait plus à quel mode de vie, ligoté par des injonctions liées le plus souvent à des questions financières et constructives. »1

Si dans les années soixante l’architecte semblait avoir une place centrale dans la conception de l’urbanisme et des logements de l’époque, le logement semble se définir comme un bien remis aux mains des investisseurs économiques. La place de l’architecte dans la conception des logements collectifs apparaît comme minime, contrainte par une demande de « rentabilité » et des normes très restrictives. Dans ce contexte, la production de logements sociaux et privés semble en pâtir, comme en témoigne la forte homogénéité architecturale. Le contexte de production actuel du logement semble privilégier une conception standardisée et pré-programmée pour des raisons économiques, reléguant en second plan l’habitant·e, soit la maîtrise d’usage, ainsi que la maîtrise d’œuvre. « On a trois facteurs dans l’acte de bâtir : l’architecture, la technicité et l’économie. Quand on fait des projets d’État comme la grande Arche, là c’était architecture, technicité, et puis l'économie c’était je ne dirais pas secondaire, mais bien qu’on ait dans ce cas tenu l’objectif financier c’est arrivé sur d’autres grands projets qu’il soit dépassé. A l’inverse de ça, dans le logement social aujourd’hui c’est économie, architecture, et technicité. Architecture, OK restons sobre ! Et la technicité du logement social elle se réduit à Castorama, ou 1

ELEB, Monique et SIMON, Philippe. Op. cit., (page 10).


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

Leroy-Merlin. Il n’y a pas de grande technicité. »1

Du dessin à sa construction « On bosse bien. Et on a cette réputation sur la place de Marseille (...).[...] Nous notre qualité d’architectes, en-dehors du côté créatif qui n’est d’ailleurs pas souvent apprécié, c’est de donner les chantiers en temps et en heure et des dossiers bien ficelés sur lesquels les entreprises n’ont pas trop de variantes, de faire des chantiers qui se passent bien, dans des conditions de respect du prix. On n’est pas que des artistes dans le mauvais sens du terme, on est aussi des techniciens." (architecte, Marseille). »2

Lors de l’entretien réalisé avec Jean-Michel Miramond, ce dernier mettait l’accent sur les composantes économiques, constructives et programmatiques du projet. À aucun moment n’a été abordé la question d’ « écriture architecturale », ou de « concept », au contraire, il regrettait l’image de l’architecte « poète », répandue dans le secteur du bâtiment, qui tend à décrédibiliser la profession. Les enjeux du projet qui ont été évoqués étaient de répondre aux contraintes posées (normatives, programmatiques, géographiques, etc.), tout en assurant le bon déroulement des travaux dans un temps et un budget imparti. Une approche pragmatique de l’architecture, qui vise à répondre à la commande de la maîtrise d’ouvrage. De cette manière, l’architecte se profile comme un·e bon·ne technicien·ne et coordinateur·ice qui se démarque par son professionnalisme, son savoir-faire sur le chantier et sa capacité à entretenir de bons rapports avec les différent·e·s acteur·ice·s du projet. Dans le rapport « Enjeux, critères et moyens de qualité dans les opérations de logements » réalisé par Véronique Biau et François Lautier3, sont présentés des outils que développent des architectes, afin de « tenir le projet » jusqu’à sa livraison. Tel que le « descriptif » qui vise à « tout représenter » : 1

Jean-Michel Miramond, architecte. Entretien du 03/09/19, La Croix-d’Argent.

2 BIAU, Véronique et LAUTIER, François. Enjeux, critères et moyens de la qualité dans les opérations de logement. 2004, 118 p. (page 65) 3

Ibid.,


CHAP.1 Une commande publique astreignante

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« Maîtriser le projet dans son déroulement, s’assurer de sa rigueur, passe donc bien par la qualité de ce descriptif, nécessaire pour une plus fine appréciation des coûts, et donc pour des économies ou des marges possibles. En ce sens, elle devient un élément de la qualité du projet. »1

Dans l’agence Avenier Cornejo2, ce descriptif se retrouve sous la forme d’un « carnet de détails ». Il s’agit d’un document, à destination des entreprises, dans lequel chaque pièce du projet est représentée par des éléments techniques légendés (plan de sols et de plafonds, coupes, élévations, axonométries, vues montrant la matérialité, couleurs et ambiances), ainsi qu’une fiche récapitulative détaillant la totalité des prestations (marques, modèles, teintes, finitions des matériaux, luminaires et autres éléments décoratifs). Cette précision vise à réduire au minimum la marge d’erreur possible entre le dessin et la réalisation du projet. L’enjeu étant de parvenir à mener un projet qui une fois construit correspondra à l’image projetée par les architectes. L’agence Avenier Cornejo, particulièrement attachée à la recherche d’une « écriture architecturale » accorde beaucoup d’importance au travail de la façade, à la qualité des matériaux et prestations choisis, à la cohérence des plans, au détail des finitions. Le projet participe à dessiner le paysage de la ville et du quotidien de ses habitant·e·s, ainsi l’aspect esthétique n’est pas considéré comme superficiel. Il participe à créer une atmosphère propice au bien-être pour celles et ceux qui le pratiqueront, et fait donc gage de qualité architecturale. Ce stage a permis d'amener le constat que la maîtrise d’ouvrage est généralement plus ouverte à la négociation pour les sujets relatifs à la façade, soit l’image visible du bâtiment. Ainsi, la principale bataille des architectes réside dans la transposition de cette qualité dans les espaces habités et cachés.

Le cas de la réhabilitation L'une des hypothèses préalables à ce mémoire était que, contrairement à la construction de 1

BIAU, Véronique et LAUTIER, François. Op.cit. (page 65)

2

Agence dans laquelle j'ai effectué un stage de septembre 2020 à janvier 2021.


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

logements sociaux neufs dont il est difficile, selon les procédures d’attribution des logements, de connaître les futurs locataires, la réhabilitation était un moyen de s’intéresser à la maîtrise d’usage dans la conception des projets. Pourtant les entretiens ont révélé que le processus de réhabilitation ne semble pas échapper à cette standardisation du logement. En effet, les travaux effectués lors de réhabilitations servent généralement à remettre aux normes et sécuriser le bâti ainsi qu'à améliorer son aspect extérieur. Les mises aux normes thermiques, les réfections des peintures et des cages d’escaliers, parfois les réaménagement des espaces extérieurs améliorent certes le cadre de vie de l’habitant·e mais semblent aussi, et surtout, permettre de donner une image positive du « produit » et du bailleur. Il s’agit donc d’une réhabilitation plutôt superficielle toujours dans une volonté de ressemblance à la production des logements privés, qui n’interroge pas les usages des espaces intérieurs : « On intervient parfois essentiellement sur l’extérieur, parfois uniquement sur l’extérieur et le plus souvent ça s’accompagne malgré tout d’interventions sur la qualité de confort des logements notamment sur la qualité des pièces humides, revêtements de sol, assez rarement mais ça arrive, mais c’est surtout réfection, remplacement de chaudières, de salles d’eau, d’éviers enfin voilà. Puis amélioration et mise en sécurité aussi de tout ce qui est électrique. »1

La réhabilitation apparaît davantage comme une rénovation thermique et sécuritaire qui, de prime abord, ne prend pas en considération les pratiques habitantes et leurs expériences des lieux. Limiter la réhabilitation à un ravalement de façade me semble insuffisant : là où les grands ensembles ont été au cœur d’une expérimentation architecturale et techniques, telle que la préfabrication ou la systématisation, aujourd’hui la réponse donnée pour répondre à leur état de dégradation est une application stricte de la norme. Rares sont les projets qui interrogent l’évolution des modes d’habiter au travers de l’usage fait de ces lieux.

Une plus grande liberté dans secteur du logement social que privé S'il apparaît que la recherche de rentabilité de la maîtrise d'ouvrage semble être une contrainte 1 BIAU, Véronique et LAUTIER, François. Enjeux, critères et moyens de la qualité dans les opérations de logement. 2004, 118 p. (page 24).


CHAP.1 Une commande publique astreignante

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qui peut entraver la qualité architecturale des projets de logements, Jean-Michel Miramond avait pourtant un discours positif à l’égard des bailleurs sociaux. Bien que certains d’entre eux semblent chercher cette économie de moyen, tant Nathalie Ravinal que Jean-Michel Miramond s’accordaient pour dire que la majorité était ouverte aux propositions. En effet, selon Jean-Michel Miramond, de nombreux bailleurs commencent à comprendre que choisir des matériaux pour leur esthétique et qualité, bien qu’ils soient fragiles, était possible dans le logement social : il s’agit d’une marque de confiance donnée aux habitant·e·s qui généralement en prennent du coup plus soin. « Depuis quelques années, le logement social se développe d’une autre manière. Ce sont des opérateurs privés qui réalisent et vendent au bailleur. Là, par contre, on a de toutes les approches. Les bailleurs eux avaient vraiment pour ambition de tirer vers le haut là où d’autres cherchent à tout calculer au minimum. On est arrivé à faire des logements sociaux avec plus de moyens que des logements privés. »1

Au cours du stage chez Avenier-Cornejo, agence parisienne réalisant principalement des projets de logements avec des opérateurs privés et publics2, l’un de mes collègue architecte DE depuis cinq ans, évoquait régulièrement ses difficultés à travailler avec des maîtrises d’ouvrage privées qui « se passeraient bien de l’architecte ». De son point de vue, l’architecte apparaît comme la personne qui, par la recherche de la maîtrise totale et de perfectionnement du projet, ralentit le chantier lorsqu’il est chargé de la maîtrise d’exécution. Cela entre ainsi en conflit avec les intérêts du promoteur qui sont de clôturer au plus vite le chantier dans un objectif de rentabilité. Le bailleur social semble pour les architectes, beaucoup plus concerné par le bien-être de ses habitant·e·s et donc à la recherche d’une plus grande qualité que dans le cas des opérateurs privés. Là où le bailleur social, en tant que propriétaire, va chercher une qualité pérenne, beaucoup de promoteurs semblent davantage essayer d’accroître la marge entre le prix de construction et le prix d’achat. Le promoteur vendant les logements n’a pas d’intérêt à faire 1

Jean-Michel Miramond, architecte. Entretien du 03/09/19, La Croix-d’Argent.

2

Agence Avenier Cornejo, stage de septembre 2020 à janvier 2021.


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

des économies sur la durée (en termes de consommation, du choix des matériaux, etc.). Ces observations ont permis de déconstruire le regard que je pouvais porter sur la construction du logement social en débutant ce mémoire : là où le logement social me paraissait être une construction « low-cost » du logement privé, il se trouve que la recherche de rentabilité excessivement présente dans le secteur privé tend à rendre ce dernier parfois plus bas de gamme que les logements HLM. « La promotion privée tend à considérer le logement comme un produit, ce qui renvoie à des notions de consommation immédiate et sans durabilité, mise à part la garantie décennale obligatoire. »1

Dans ce contexte de standardisation du logement, le défi de l’architecte semble être de se détacher de ce statut « d’exécutant », de sortir des carcans des projets généralisés pour proposer de nouveaux modèles d’habitats aux bailleurs, tout en respectant les contraintes économiques et financières du sujet.

1

ELEB, Monique et SIMON, Philippe. Op.cit, (page 163).


CADRE DU PFE VERSUS CONTRAINTES DU SUJET

La problématique économique du projet Saint Martin a longtemps posé question : comment se positionner, en tant qu'étudiante, face au sujet de la réhabilitation d'une copropriété pauvre dégradée ? Bien qu'il m'ait été confirmé par Véronique Meneux, coordinatrice du quartier Près d'Arènes, que la tour Saint Martin serait probablement éligible aux aides de l'État proposées par l'ANAH ou le PUCA, celles-ci ne suffiraient probablement pas à financer le projet tel que dessiné. Dans le cadre d'un projet réel, le travail d'estimation des travaux aurait été réalisé avec des bureaux d'études spécialisés. C'est pourquoi il m'a paru injouable, dans le temps et avec les moyens impartis, de prétendre proposer un projet viable économiquement. Si certaines propositions tentent de répondre à une économie de projet, notamment par l'utilisation d'un principe constructif systématisé, le caractère fictif de l'exercice et l'absence de la totalité des acteur·ice·s m'a donc permis de me détacher de certaines contraintes présentées dans le chapitre précédent, afin de m'attarder sur la recherche d'un espace qualitatif pour ses habitant·e·s.



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CHAPITRE 2 DÉPASSER LES CONTRAINTES

« Les opérateurs n’étant pas résidents, ils se moquent de la qualité. Pour que le système fonctionne, il doit être le moins cher possible. »1

Dans le cadre de projets où commanditaires et usager·e·s sont distinct·e·s, il peut s’avérer que la conception d’un logement dit « qualitatif » soit compromise au profit de la rentabilité de l’opération. Dans le rapport « Enjeux, critères et moyens de qualité dans les opérations de logements » réalisé par Véronique Biau et François Lautier2, sont définis trois « stratégies de qualité » adoptées par les architectes dans leur positionnement face à la maîtrise d’ouvrage : « Du côté des architectes, les stratégies de qualité prennent aussi des formes différenciées : -

Une première position identifiable est celle où l'architecte fait siennes

les exigences du maître d'ouvrage et cherche à lui fournir, avec les meilleures garanties de sérieux (exhaustivité des dossiers produits, respect des budgets, disponibilité, fiabilité) la réponse "attendue". -

A l'extrême opposé se trouve la position de l'architecte qui revendique

une certaine autonomie de son savoir-faire, de son travail de conception et même de sa définition des objectifs à atteindre, quitte à "tirer" vers le haut les attentes du maître d'ouvrage, en particulier sur le plan des usages ou sur celui de l'insertion dans le paysage urbain. -

En position intermédiaire, on a défini un profil d'architecte-stratège,

qui recherche une qualité passant par la satisfaction des exigences considérées comme légitimes du maître d'ouvrage mais ne cédant pas sur la revendication à conserver d'une opération à l'autre une "écriture", un style, une démarche 1 ABITTAN, David. Sophie Delhay : «Je ne suis pas seulement architecte, je suis aussi habitante». [Podcast]. Tema archi, 20 janvier 2020, 1h. Disponible sur: http://podcast.archi/articles/hors-concours-podcast-interview-sophie-delhay-architecte. Consulté le 23 juillet 2020. 2 BIAU, Véronique et LAUTIER, François. Enjeux, critères et moyens de la qualité dans les opérations de logement. 2004, 118 p.


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

spécifique. »

Soit, un·e architecte ayant une posture d’exécutant, avec à l’opposé un·e architecte qui impose sa vision du projet à la maîtrise d’ouvrage, et en position intermédiaire, un·e architecte ayant une approche négociatrice. Dans le chapitre précédent nous avons présenté le contexte de production du logement qui pousse beaucoup d'architectes à adopter la posture d'« exécutants ». L’objectif du chapitre qui suit est de s’intéresser à la pratique de concepteur·ice·s qui cherchent à dépasser les carcans de la production généralisée du logement social, afin de proposer des solutions innovantes en termes d’habitat. Il s’agit au travers l’analyse de ces approches que je qualifie « d’engagées », de poser des éléments de réponses possibles face aux paradoxes posés dans la production contemporaine des logements sociaux, dans le cas de logements neufs, et dans le cas de réhabilitation de grands ensembles. « Architectes, nous sommes confronté·e·s à des programmes de logements qui sont issus d’une idée de la société qui correspondait probablement aux années soixante, alors qu’aujourd’hui la société évolue, elle vieillit. Les générations sont beaucoup plus larges, on parle de quatre générations. Il y a une atomisation, avec les séparations et recompositions. Notre travail est de libérer ces programmes qui sont très ficelés et finalement assez inadaptés à la société d’aujourd’hui. »1

Innovation typologique : projeter l'habitat contemporain Afin de renouveler les productions de logements sociaux et encourager à « l’innovation », Union Habitat organise chaque année des congrès HLM qui réunissent acteurs et actrices de la production du logement social. C’est aussi l’occasion de valoriser le travail de certains bailleurs et d’encourager à l’amélioration de l’habitat social. Lors du congrès de 2019, Sophie Delhay remporte le prix « Innovation architecturale et environnementale », avec son projet « la 1 École Spéciale d’Architecture. Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. [Conférence]. Champs Critiques, 11 mars 2019, 1h05min. Disponible sur : https://vimeo.com/342531910. Consulté le 19 mars 2020.


CHAP.2 Dépasser les contraintes

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Quadrata », une résidence composée de quarante logements modulables dans l’écoquartier Via Romana à Dijon. Projet qui lui a également valu les prestigieux prix AMO 2019 « Prix de la typologie la plus créative » ainsi que l’Équerre d’Argent dans la catégorie « Habitat » en 2019. Ce projet a été récompensé notamment pour l’innovation en termes de typologies qu’il propose. Les appartements se composent selon un principe de pièces « non affectées » : toutes les pièces, hormis les espaces techniques (cuisines et salles d’eau), sont « neutres ». D’une dimension de 13 m2, elles permettent aux habitant·e·s de leur attribuer l'usage souhaité. Ces pièces polyvalentes, amples et hautes sous plafond, s’organisent sans hiérarchie pour composer un espace multipolaire : « Comme si à l’appartement traditionnel correspondant à la tribu patriarcale répondait à un nouveau modèle plus en phase avec les transformations récentes de la cellule familiale – monoparentale ou recomposée – et des comportements, plus centrés sur l’individu »1. Face à la diversification et à l’évolutivité des modèles familiaux de ces dernières décennies, Sophie Delhay cherche à développer des dispositifs qui permettent une flexibilité et une appropriation du logement selon les modes de vie et la composition des familles de ses occupant·e·s. Ainsi, un appartement composé de quatre pièces neutres peut comporter une à trois chambres, facilitant l’aménagement en cas de modification de la structure familiale (figure 4). La pratique de l’architecte montre une réelle réflexion sur les modes d’habiter contemporains. Lorsque Sophie Delhay aborde la question de l’intime, elle dit qu’il n’est pas « réservé à [l’échelle de] la ville d’habiter avec les autres. »2, d’où cette volonté de proposer des logements pouvant être favorables à une cohabitation bienveillante. De la même manière que le logement apparaît comme un lieu de repli dans la ville, lieu à soi et pour soi, la pièce, dans les logements de Sophie Delhay, a aussi cette fonction. Les appartements, amputés de tout espace jugé comme « superflu » (couloirs, corridors et

1

SCOFFIER, Richard. R. D’architecture. N°280. Mai 2020. (page 16).

2 ABITTAN, David. Sophie Delhay : « Je ne suis pas seulement architecte, je suis aussi habitante ». [Podcast]. Tema archi, 20 jan- vier 2020, 1h. Disponible sur : http://podcast.archi/articles/ hors-concours-podcast-interview-sophie-delhay-architecte. Consulté le 23 juillet 2020.


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

dégagements) se composent donc de pièces carrées de dimensions égales, reliées les unes aux autres par de larges portes coulissantes qui permettent de les connecter les unes aux autres (ou au contraire les isoler) selon les besoins de partage ou d’intimité (figure 5). La richesse des projets de Sophie Delhay se trouve dans ce que le principe (« pièce non-affectée ») apporte au projet : évolutivité, usages, appropriation, des logements s’adaptant à une diversité de familles et différentes temporalités. Lors d’une discussion informelle avec des collègues durant mon stage1, deux d’entre eux débattaient sur leurs préférences entre les typologies d’appartement avec cuisine ouverte sur le salon, ou avec des pièces clairement séparées. Bien que leur « profil » pouvait s’apparenter, étant donné qu’ils sont tous les deux des architectes masculins âgés d’une trentaine d’année, ils ne trouvaient pourtant pas de terrain d’entente sur la question : convivialité et partage lorsque l’on reçoit, contre la gêne de cuisiner face aux autres, l’inconfort des odeurs, du bruit et du besoin de replis dans le quotidien contre favoriser une large pièce à plusieurs espaces « étriqués ». Cette discussion, que j’écoutais sans en prendre part, illustrait pour moi le fait que même dans des milieux sociaux très proches, nous pouvons avoir des rapports bien distincts à l’espace dans notre quotidien. Il m'a paru d’autant plus pertinent, dans le cas de logements sociaux, soumis à la location et donc à un changement plus ou moins fréquent d’habitant·e·s issu·e·s de cultures ou structures familiales variées, de proposer des logements adaptables. La modularité permettant aux occupant·e·s de s’approprier l’espace et de l’interpréter selon l’usage souhaité, solution alternative aux plans figés du logement « standard ».

Conception : la méthode au service du projet Au cours du podcast « Hors concours »2, Sophie Delhay affirme que le rôle de l’architecte est pour elle de voir au-delà des normes et contraintes posées par le sujet du logement, afin de répondre à l’idée qu’elle se fait d’un habitat de qualité : un logement dans lequel elle souhaiterait elle-même habiter, gage d’une satisfaction du travail effectué. Bien que l’exercice puisse s’avérer compliqué pour les raisons soulignées dans le chapitre précédent – abondance de 1

Agence Avenier Cornejo, stage de septembre 2020 à janvier 2021.

2

ABITTAN, David. Op.cit,


CHAP.2 Dépasser les contraintes

Fig. 4 : Plan du projet de Sophie Delhay présentant trois possibilités d’aménagement. Source : http://sophie-delhay-architecte.fr/

Fig. 5 : Plan du projet de Sophie Delhay les différentes liaisons possibles entre les pièces. Source : http://sophie-delhay-architecte.fr/

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PART.2 L’architecte face à l’habitat

normes, difficulté à avoir la confiance des entreprises ou des bailleurs sociaux, aléas du chantier – Sophie Delhay lutte contre le découragement et cherche à tout prix à éviter de tomber dans la lassitude du projet. L’architecte qualifie sa méthode de « jeu », en cherchant à renouveler perpétuellement la manière d’aborder le sujet du logement. Ainsi, si le projet présenté plus haut propose une solution typologique à une modularité de l’habitat, chaque projet de Sophie Delhay a son identité, sa proposition face à l’idée de ce que peut être habiter un logement collectif. Dans ce même podcast, Sophie Delhay se montre critique à l’encontre de la situation du logement en France : mené par des maîtres d’œuvre qui n’habitent pas les projets financés, il est par conséquent fréquent que ces derniers voient facilement à la baisse les prestations liées à la qualité d’usage du logement. Cependant, elle tempère ses propos en soulignant qu’il existe encore aujourd’hui des opérateurs ouverts d’esprits, sensibles à son approche originale de l’architecture. Lors d’une conférence intitulée « Le logement, un espace de liberté »1, Sophie Delhay aborde la question du bailleur social. Au travers de l’exemple de son expérience avec le projet « Machu Picchu », elle illustre le fait que de nombreux bailleurs sociaux sont prêts à soutenir des projets innovants lorsque la démarche est bien argumentée et réaliste. Projet de 53 logements sociaux, il se caractérise notamment par la proposition forte de créer, sur chaque niveau, des espaces partagés en plein air, libre d’appropriation pour les habitant·e·s (figure 6). Ces lieux de partage, connectés les uns aux autres, proposent un parcours alternatif à la circulation rapide par ascenseurs. Chacun de ces six espaces étant uniques par leurs orientations, niveau ou morphologies, l’architecte a réalisé un travail de « carte d’identité » afin de proposer des usages possibles pour chacun d’entre eux. Zone de projection, espace propice aux repas partagés, lieu d’exposition, chaque lieu est pensé pour permettre une pluralité de pratiques. Lors de la conférence, l’architecte cite la réaction du bailleur social suite à la présentation orale de son projet : 1 École Spéciale d’Architecture. Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. [Conférence]. Champs Critiques, 11 mars 2019, 1h05min. Disponible sur : https://vimeo.com/342531910. Consulté le 19 mars 2020.


CHAP.2 Dépasser les contraintes

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« Ça fait cinquante ans qu’on construit, et ça fait trente ans qu’on a des difficultés de gestion avec nos locataires puisqu’il y a une paupérisation très forte de nos locataires, et ils sont un peu comme des lions en cage chez eux. Il y a un enfermement, une violence petit à petit qui se fait, et vous, vous avez parlez d’architecture, mais vous avez surtout parlé de ces relations de voisinage, de ces possibilités d’habiter au-delà de chez-soi, etc. Et on s’est dit, il ne faut pas se poser de questions, il y a une proposition, il faut y aller. On ne savait pas que l’architecture pouvait apporter des réponses là-dessus. »1

Fig. 6 : Axonométrie du projet « Macchu Picchu », en rose, les paliers partagés. Source : http://sophie-delhay-architecte.fr/ 1

Ibid.,


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

Sophie Delhay parle alors d’une expérience d’architecture très stimulante, notamment grâce à la volonté du bailleur de suivre la pensée du projet et du mode d’habiter proposé par l’architecte. Le bailleur social a notamment pris soin d’installer des locataires artistes de profession dans les logements à proximité de l’espace galerie afin qu’ils encadrent le montage d’expositions. Cette relation « main dans la main » entre maîtrise d’œuvre et d’ouvrage a ainsi permis, non seulement un bon déroulé des travaux, mais aussi de réfléchir à la temporalité du projet post-livraison : penser une organisation, une gestion du bâtiment en accord avec les usages qu’il propose.

Représentation de l’espace habité Dans le chapitre précédent, j’affirmais que la question de la représentation en architecture ne me paraissait pas neutre. La prise en compte du rapport entre usage(r)s et architecture dans les pratiques Sophie Delhay, se retrouve dans ses choix de documents graphiques. « Les chercheurs en architecture qui ne portent pas intérêt à l’usage des espaces rejettent la représentation des objets indépendants de l’architecture pour ne retenir qu’un dessin faisant apparaître les volumes enveloppés par les éléments de construction. Pour ceux des architectes qui, dans leur pratique de conception, prêtent attention à la destination des espaces – ce qui est devenu un enjeu avec la rationalisation des surfaces du logement à caractère social –, l’indication des meubles s’est imposée […]. Quant à l’occupation effective de l’espace, à travers l’attribution des pièces à des personnes, leur ameublement et leur mise en valeur décorative (ou leur abandon), elle intéresse le chercheur qui s’attache à rendre compte de l’appropriation des pièces et de leurs « coins ». La photographie aide à capter les traces de cette occupation, et elle peut être un auxiliaire pour la réalisation du relevé, mais il lui manque l’intelligence de l’œil relié au cerveau pour faire le tri des objets accumulés dans telle ou telle pièce. »1

1 PINSON, Daniel. L’habitat, relevé et révélé par le dessin : observer l’espace construit et son appropriation. Espaces et sociétés, (n ° 164-165). 2016, pp. 49-66. https://www.cairn-int.info/revue-espaceset-societes-2016-1-page-49.htm. Consulté le 12 juillet 2020.


CHAP.2 Dépasser les contraintes

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Nous distinguons ici trois « types » de postures, celle qui ne représente pas les objets et considère l’architecture uniquement dans les « éléments de constructions » ; celle qui les représente afin de formuler une hypothèse d’ameublement ; et la dernière qui s’intéresse à l’appropriation réelle, notamment par l’usage de la photographie. Les plans de Sophie Delhay illustrent l’importance qui est accordée dans la conception à la notion d'un usage : sont représentés en traits noirs les éléments fixes (« éléments de construction ») et en traits roses les meubles « mobiles » (figure 7). Pour chaque typologie, l’architecte dessine plusieurs hypothèses d’aménagement afin de vérifier que les espaces permettent une libre appropriation par son usager·e. Par la suite, un an après livraison du projet, Sophie Delhay fait le choix d’effectuer un « relevé habité » des 250 pièces qui constituent son projet de « pièces non-affectées ». Cette étude post-livraison est un moyen d’avoir un retour critique afin d’alimenter son travail, tout en vérifiant les hypothèses faites durant la phase de conception. Plus que donner une échelle au dessin, placer le mobilier dans les éléments graphiques permet de se projeter en tant qu’habitant·e et vérifier l’habitabilité des espaces conçus. Je me suis moi-même prêtée à cet exercice lors de la phase de conception du projet : dessiner les meubles des habitant·e·s relevés lors du diagnostic, afin de m’assurer que les typologies soient adaptées aux pratiques des familles observées.

Fig. 7 : Hypothèses d’aménagement des plans de Sophie Delhay, selon trois structures familiales. Source : http://sophie-delhay-architecte.fr/


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

La "plus-value" de l'architecte dans le suivi d'exécution De la phase de conception s'ensuit la phase chantier et ses aléas. Au cours de la phase de construction de ce même projet de Sophie Delhay, le béton, coulé en hiver, a été beaucoup moins bien réalisé que prévu. On trouve par exemple de nombreuses cassures aux lieux des trous de banches. Afin de rattraper ces bavures, l’architecte a demandé à tous les ouvriers du chantier, au cours d’une réunion, de dessiner le contour de leur main sur une feuille. Ces dessins ont servi à réaliser des pochoirs afin de couvrir les imperfections du béton proprement (figure 8). Ce parti pris original et assumé a une valeur symbolique forte, laisser la trace de ceux qui ont bâti de leur main, avec une pointe d’humour car « lorsqu’on veut cacher quelque chose, généralement, on met la main. »1. Cet exemple illustre une fois de plus, comment l’architecte peut dépasser les contraintes posées par le processus du projet, de la conception à la réalisation. Ainsi, la pratique de Sophie Delhay me paraît particulièrement intéressante dans la démonstration qu’elle fait d’une possibilité de dépasser les normes établies et d’innover dans la conception du logement social. Son approche, dans une volonté de stimuler la rencontre et le partage au sein du logement, développe la question de l’habiter à toutes les échelles. Le rapport du bâtiment dans son paysage, dans ses espaces collectifs et partagés, jusqu’à l’intérieur de la cellule du logement.

La recherche comme levier d'action face aux pratiques institutionnalisées « L’alternative de la démolition, c’est de reproduire des plans types qui sont proposés par des promoteurs et des investisseurs, et avec un architecte se contentera de faire le « décorateur de façade ». Je pense qu’à terme on pourra se passer de l’architecte et qu’un ingénieur sera très bien capable de reproduire des logements standardisés. »2

1

Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. [Conférence]. Op.cit,

2

Jean-Philippe Vassal, architecte. Entretien du 04 novembre 2019, par skype.


CHAP.2 Dépasser les contraintes

Fig. 8 : Photographie des finitions de « rattrapage » Source : http://sophie-delhay-architecte.fr/

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PART.2 L’architecte face à l’habitat

Face aux politiques gouvernementales qui font la « part belle » aux destructions des grands ensembles, en 2004, l’agence d’architecture Lacaton & Vassal, accompagnée de Frédéric Druot, engage une recherche qui s’appuie sur le paradoxe suivant : dans un contexte de déficit de logements sociaux, doublé d’une crise écologique, économique et sociale, pourquoi prévaloir la reconstruction alors que nous avons des logements existants ? Intitulée « PLUS - Les grands ensembles de logements - Territoire d’exception »1, ce titre est associé à l’idée qu’ils défendent dans leur recherche : il est préférable d’améliorer l’existant que de démolir pour reconstruire. Pour ces architectes, le grand ensemble est un espace qui, malgré sa mauvaise réputation, à des qualités architecturales et typologiques dont la destruction revient à nier ses qualités ainsi que le tissu social existant. En se positionnant radicalement contre la destruction des grands ensembles, jugée comme une violence envers ses habitant·e·s, les architectes de l’agence Lacaton & Vassal expriment clairement leur engagement politique : « C’est absolument scandaleux ce qu’il s’est passé en France avec ces démolitions. La démolition on accepte ça en temps de guerre mais c’est d’une violence inouïe. »

La recherche des architectes, lauréats du Pritzker Prize 2021, a par la suite été mise en application au travers du projet de la Tour-le-Bois-le-Prêtre en 2011, qui leur a valu le prix de l’équerre d’argent en 2014. Système que l’agence a réadapté dans l’opération du grand parc à Bordeaux, un projet de réhabilitation d’une barre de 530 logements qui lui a valu en 2019 le prix Mies Van Der Rohe. Cependant, la démarche architecturale de Lacaton & Vassal se basant sur leur recherche « PLUS » apparaît comme une figure d’exception en France et à l'étranger. Les architectes restructurent en profondeur les grands ensembles sur lesquels ils interviennent, afin de repenser les cellules du logement et améliorer ses qualités d’usages. Une approche singulière dans un contexte où la majorité des réhabilitations des tours et barres 1 DRUOT Frédéric, LACATON, Anne & VASSAL, Jean-Philippe. Plus - Les grands ensembles de logements - Territoire d’exception. Le Ministère de la Culture et de la Communication et la Direction de l’architecture et du patrimoine. 2004, Extrait 2p (page 1).


CHAP.2 Dépasser les contraintes

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semble se limiter à une remise aux normes des logements et une réfection de façade. « Les réhabilitations qui ont été faites jusque-là, qui tournent autour de 10 000 euros par logement, sont absolument insuffisantes. Le principe de démolition - reconstruction, on dépense environ 250 000 euros par logement. Il nous semblait intéressant de dire qu’entre la réhabilitation minimum et la démolition-reconstruction, il pouvait y avoir une position à 50 000 euros par logement, ce que l’on essaie de faire, qui donne de bien meilleurs résultats que la démolition-reconstruction. »1

En réponse à un contexte de crise économique et de recherche de rentabilité dans la question du logement social, les arguments avancés sont d'abord économiques : il revient moins cher de mettre des moyens plus importants dans des projets de réhabilitations profondes, qui proposent de réelles qualités d’usages, que de démolir pour reconstruire un nouveau logement. La démarche des architectes vise alors à proposer un système peu coûteux pouvant revaloriser ces architectures dépréciées en y ajoutant de l’espace, de la lumière, et des usages. Le système élaboré par l’agence Lacaton & Vassal, est celui d’une extension à la façade, double peau épaisse qui permet d’ajouter une pièce supplémentaire à chaque logement, tout en modifiant l’image de cette façade dégradée. L’extension est une structure indépendante qui vient se rattacher à la façade, ce qui permet une installation rapide, cinq jours par logement, répondant à la volonté de déranger le moins possible les locataires. Large de 3,80 mètres, divisés en une pièce « jardin d’hiver » de 2,80 mètres de largeur et en un balcon filant d’1 mètre de large, ces nouveaux espaces permettent d’agrandir considérablement la surface habitable et de stockage des habitant·e·s. L’architecte explique que dans une démarche de travaux d’extension, la surface de celle-ci ne multiplie pas le coût du projet : ce qui revient cher étant l’installation des échafaudages et le montage de l’extension, légitime le fait d’être généreux lorsque l’on décide d’intervenir. « La générosité c’est ça : quant à faire une extension autant faire un grand jardin d’hiver, un endroit où on peut mettre une table, des chaises, des plantes, 1

Ibid.,


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

pleins de choses. Il vaut mieux faire les choses de manière ambitieuse que de façon limitée. »1

Au cours de l'entretien, Jean-Philippe Vassal insistait sur cette nécessité à faire « acte d’architecture » en assumant ses partis-pris. La majorité des extensions que nous pouvons trouver sur des projets de réhabilitations courantes de grands ensembles sont de tailles minimes : elles sont généralement un outil pour la restructuration de la façade mais ne permettent pas de réels usages. Le système élaboré par l’agence Lacaton & Vassal est à l’inverse un traitement de l'intérieur, agrandissement des logements, dont découle l'aspect extérieur, réfection de la façade. « Aujourd’hui, faire des logements de très bonne qualité et peu chers, c’est possible. Ce n’est pas au niveau de l’architecte que ça se joue, c’est à un autre niveau. Le problème c’est de favoriser un système capitaliste, de bâtisseurs privés. En tant qu’architecte ça me paraît important cette question de logement : comment faire une habitation qui n’est pas seulement une habitation de « contraintes » mais une habitation de bonne qualité, dans laquelle les gens peuvent ressentir de la liberté, ne pas être dans des boîtes à chaussures toutes petites, c’est pour ça que moi j’ai appris l’architecture. »2

Face aux incohérences que pose la commande publique et les politiques nationales à l’encontre de la question sociale (destruction de logements, programmation standardisée des habitats, exclusion des habitant·e·s du processus, etc.), la recherche apparaît comme un levier pour interroger la production généralisée. Que ce soit la recherche par la pratique, comme l'exerce Sophie Delhay en élaborant de nouvelles "règles du jeu" à chaque projet, ou empirique, tel que le travail préalable au projet effectué par l'agence Lacaton & Vassal. Cependant, malgré la critique faite à l'égard des politiques nationales qui, de prime abord, semblent privilégier une production capitalisée du logement, il est nécessaire de souligner que les architectes ne sont pas les seul·e·s à s'engager pour un habitat qualitatif et innovant. 1

Ibid.,

2

Ibid.,


CHAP.2 Dépasser les contraintes

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En effet, des organismes tel que l'Union Social pour l'Habitat propose des programmes d'accompagnement pour aider les bailleurs sociaux à améliorer leurs parcs locatifs, le dispositif "REX Rénovation" propose des outils et conseils sur la rénovation énergétique en s'appuyant sur des retours d'expériences d'acteur·ice·s de la filière, et des missions interministérielles, telle que le Puca, investit des moyens, au travers le programme "REHA", dans la recherche et le financement de projets de réhabilitations lourdes de logements dégradés – dans le parc public comme privé. Mais étant donné le caractère encore minoritaire de ces procédures, dans un contexte contemporain qui favorise l'économie au projet, la recherche permet aux architectes de démontrer la pertinence de leur démarche afin de convaincre la maîtrise d'ouvrage de les accompagner. Ainsi, ils et elles parviennent à contourner les carcans de la production généralisée et faire évoluer la commande publique. Cette posture engagée de l'architecte est définie, dans le rapport « Enjeux, critères et moyens de qualité dans les opérations de logements »1, sous le terme d'architecte « moteur·trice » : « Il y a une dimension pédagogique et militante dans cette posture. Pédagogique, surtout envers le maître d'ouvrage dont ce type d'architecte a le souci d'infléchir les décisions en fonction d'un savoir-faire qu'il pense être seul à détenir : la synthèse, l'anticipation. [...] La dimension militante va au-delà, quand l'architecte "se bat" contre son maître d'ouvrage pour l'amener à mieux faire. »2

Bien que les sujets traités par les architectes Sophie Delhay et Jean-Philippe Vassal sont distincts (projets de logements neufs d’une part, réhabilitations de grands ensembles d’autre part), leurs démarches visent à proposer des solutions alternatives à la standardisation du logement. Et apporter des réponses réalistes et constructibles qui impactent sur la production des logements sociaux en France, où la marge de manœuvre de l’architecte tend à s’amenuiser.

1

BIAU, Véronique et LAUTIER, François. Op.cit.(Page 72)

2

Ibid.,


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PART.2 L’architecte face à l’habitat

Le succès et la reconnaissance de leurs opérations révèlent que par la recherche et l’argumentation, en étant « force de propositions », il est possible d'amener les bailleurs sociaux vers d'autres conception de l'habitat.


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ORIENTATION DE PROJET De l'intérieur vers l'extérieur

Le projet a été l'occasion de réfléchir aux moyens d'adapter une typologie héritée des années 60 aux modes d'habiter contemporains : Qu'est-ce qu'habiter aujourd'hui une tour dans la ville de Montpellier ? Les problématiques soulevées par Sophie Delhay, que sont la multiplicité des modèles familiaux, font partie des constats forts, vérifiés dans la tour, qui ont guidés les orientations de projet vers la recherche d'adaptabilité, modularité et évolutivité des logements. Le sujet de la réhabilitation posait quant à lui des contraintes techniques (gaines existantes, structure, etc.) et de surface, m'engageant à développer mes propres "règles du jeu".



PARTIE 3. RÉHABILITATION SOCIALE ET ARCHITECTURALE



Introduction

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« Les logements sociaux ont été construits sur un modèle simple, unique : celui du couple hétérosexuel actif où le mari est ouvrier, l’épouse, employée ou à la maison, avec deux à quatre voire cinq enfants. Aussi ces logements ont une pièce de vie, le séjour ; une pièce fonctionnelle, la cuisine, destinée à l’épouse ; des pièces d’hygiène, toilettes et salle de bains ; des chambres. Or on s’aperçoit aujourd’hui que ce modèle n’est pas intemporel. »1

Si nous avons signalé plus haut que, face à la dégradation des grands ensembles, les politiques nationales oscillent entre démolition puis reconstruction des grands ensembles et réhabilitation, la citation de Patrick Bouchain attire l’attention sur le fait que l’obsolescence de ces logements est aussi due à leur inadaptation aux modes d’habiter contemporains. Face à une société qui évolue, vieillit, mais qui est aussi traversée par une multiplicité de cultures et de modèles familiaux, les plans standardisés, conçus pour la « famille nucléaire » des années soixante, ne semblent plus appropriés. Pourtant, si Patrick Bouchain constate l’obsolescence de ces immeubles, il se positionne aussi contre leur démolition : « les logements sociaux existent, il est absurde de les démolir. Je les considère comme une propriété sociale, dotés d’une histoire positive, parfois érodée. Ils pourraient alors faire l’objet d’une transformation menée par les offices HLM et les habitants. »2. Lorsque nous avons abordé la problématique de l’architecture des grands ensembles dans la première partie, il est apparu comme difficile de séparer la question sociale (sentiment d’abandon, exclusion, racisme, pauvreté, inconfort, etc.) à son aspect formel. L’architecture étant destinée à accueillir des usages, il me semble que sa qualité ne peut se définir qu’au travers de la manière dont elle est vécue par ses habitant·e·s : « L’architecture n’est pas seulement un art, pas seulement l’image des heures passées, vécues par nous et par les autres : c’est d’abord et surtout le cadre, la scène où se déroule notre vie. »3 1 BOUCHAIN, Patrick. Covid #7 | Avec et pour les habitants. 29 mai 2020, https://topophile.net/ savoir/covid-7-avec-et-pour-les- habitants-parole-a-patrick-bouchain/. Consulté le 05 aout 2020. 2

Ibid.,

3

ZEVI, Bruno. Apprendre à voir l’architecture. Les éditions de minuit. 1959. 135p


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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

Or, dans les procédures de production et de livraison des logements sociaux en France (conception, construction, attribution des logements), que ce soit dans le cas de constructions neuves comme en réhabilitation, il apparaît que les habitant·e·s, pourtant premier·e·s concerné·e·s, ne sont pas – ou peu – concerté·e·s. Si nous avons pu voir, au travers de l’exemple de la pratique de Sophie Delhay ou de Lacaton & Vassal, que la question de l’usage et du bien vivre des habitant·e·s peut être centrale dans la phase de conception pour certain·e·s architectes, cette pratique s'inscrit dans un cadre conventionnel (réponse à un appel d’offre, conception en agence, suivi de chantier, livraison). Cette figure de « l’architecte d’agence » semble donc exclure, a priori, l’habitant·e en tant qu’acteur·ice actif·tive du processus de projet. Au cours d'une année de césure réalisée en 2017, j’ai effectué un stage de cinq mois dans un organisme chilien, « Un techo para Chile », dont l’objectif est d’accompagner les habitant·e·s des campamentos1 dans une procédure de relogement vers un habitat social, neuf et décent. L’organisme, divisé en trois pôles : « intervention », « développement de l’habitat » et « financement », s’implique aussi bien dans les problématiques sociales [rencontrées par les habitant·e·s] (aide à la constitution d’un dossier, accompagnement scolaire pour les enfants, aide à la recherche d'emploi, etc.) qu’architecturales par la production de logements sociaux neufs. Malgré les très fortes contraintes budgétaires, les habitant·e·s sont consulté·e·s à intervalles réguliers pour discuter du projet et réfléchir ensemble à la manière d’encadrer la gestion de cet habitat collectif. L’objectif, n'est pas de concevoir une architecture séduisante, mais de solidariser le groupe de résidant·e·s pour qu’il puisse cohabiter dans les meilleures conditions possibles une fois le projet livré. Suite à cette expérience à l’étranger, j’avais pour hypothèse que la co-conception, ou du moins les processus de projets incluant les habitant·e·s, pouvaient être un levier pour préparer un logement qui ne soit « pas seulement un abri » mais aussi un « tremplin » vers « des destinations inconnues et imprévisibles »2. Un moyen de traiter la question sociale par l’architecture, qui me paraissait d’autant plus justifié dans des situations particulièrement touchées par l’exclusion, et déjà habitées telles que pose le sujet de la réhabilitation d'un grand ensemble. Dans un premier temps, je me suis tournée vers la pratique de l’architecte Patrick Bouchain, 1

Bidonvilles chiliens.

2

CHOLLET Mona, Op.cit., (page 115)


Introduction

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titulaire du grand prix de l’urbanisme en 2019, qui se caractérise par la recherche expérimentale et la place centrale qu’il attribue à l’habitant·e dans ses processus de projet. L'étude de cas de son expérience de « permanence architecturale » à Boulogne-sur-Mer, permettant de donner un autre regard sur les projets de réhabilitation que ceux promus dans les procédures institutionnalisées. Le passage à l'opérationnalité par l'amorce du projet architectural, a permis d'aborder de nouvelles contraintes – structurelles, morphologiques, typologiques, économiques – que pose le sujet de la réhabilitation d'un grand ensemble dégradé, mais aussi de mettre en lumière les nombreuses qualités architecturales de ces ensembles pourtant très critiqués. Cette nouvelle grille de lecture, induite par le regard d'une étudiante devant faire projet, a permis d'interroger les notions de processus de conception et de parti-pris architecturaux en vue d'une revalorisation du bâti pour ses habitant·es. Ainsi, tout l'enjeu de cette dernière partie est d'interroger le rôle de l'architecte, et de l'architecture, ainsi que la place à accorder à l'habitant·e dans un processus de projet réhabilitationnel.



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CHAPITRE 1 RÉHABILITER L'HABITANT·E ­– UTILITÉ SOCIALE DE L'ARCHITECTE « La première qualité d’une architecture c’est la surface et le volume ; la deuxième qualité, c’est la lumière ; la troisième, l’acoustique ; et ce qui fait la beauté de l’architecture, c’est l’harmonie des gens qui l’habitent, alors seulement l’architecture prend forme. »1

Lors de la Biennale de Venise en 2006, l’architecte Patrick Bouchain décide d’investir le Pavillon Français en l’habitant. En présentant un lieu habité, qui se construit et se transforme avec les usages, il nous invite à observer le processus de construction du projet tout en nous interrogeant sur la finalité de l’architecture. Bien souvent dans ce domaine, un projet va être considéré par ses concepteurs et conceptrices une fois achevé, lors de sa livraison. Or, pour Patrick Bouchain, l’architecture n’est pas une chose figée, mais un cadre qui prend forme et évolue par l'usage qui en est fait, soit par l’action d’habiter. Cette performance faite par l’architecte-urbaniste s’inscrit dans la continuité de sa démarche qui s’appuie sur l’action du « faire » : « Elle [l’architecture] pourrait être le résultat d'un acte non prévu, l'expression chargée de sens et non une forme préétablie, produire une architecture inconnue, reflet d'une imagination sociale perdue. Elle pourrait d'ailleurs ne jamais venir. Elle devrait être l'architecture du désaccord, de la solidarité, de l'hospitalité, de la liberté de penser et de faire. »2

Cette pratique de l’architecture implique de ne pas dissocier la construction de la phase de conception. Le choix de laisser place à une certaine liberté et une incertitude favorise la rencontre des différent·e·s acteurs et actrices du projet, laissant naître des idées qui n’auraient

1 BOUCHAIN, Patrick. Covid #7 | Avec et pour les habitants. 29 mai 2020, https://topophile.net/ savoir/covid-7-avec-et-pour-les- habitants-parole-a-patrick-bouchain/. Consulté le 05 aout 2020. 2

BOUCHAIN, Patrick. Permis de faire. Cité de l’architecture et du patrimoine. 09 janvier 2019.


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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

pu être anticipées. Il s’agit d’une posture héritée de l’incrémentalisme krollien1, qui interroge sur l’importance du processus de réalisation d’un projet architectural en y voyant un terrain de transmission, de partage et d’improvisation. L’incrémentalisme, notion développée par le couple d’architectes-urbanistes Lucien et Simone Kroll, est une méthode de travail participative par l’ajout progressif. Au travers de la réalisation de la « Mémé » (Maison Médicale), les architectes endossent le rôle de coordinateur·ice·s davantage que concepteur·ice·s en laissant une liberté d’expression aux différent·e·s artisan·e·s qui interviennent sur le chantier. Pour Lucien et Simone Kroll, l’architecture doit être la résultante des individualités habitantes qui la composent et non une forme figée inaltérable, comme le promeut l’approche rationaliste corbuséenne.2

Permanence architecturale Suite à la performance réalisée pour le pavillon de la Biennale de Venise, Patrick Bouchain a voulu approfondir cette recherche avec une expérimentation qui explore les dimensions sociales d’un projet architectural. En 2010, à Boulogne-sur-mer, une soixantaine de maisons au caractère très social situées sur le bord du littoral sont, face à leur état de délabrement et à l’attractivité de leur foncier, menacées d’être détruites et ses occupant·e·s délogé·e·s. Le maire, craignant les conséquences que pourraient avoir ces destructions pour le devenir de ses habitant·e·s déjà fragiles, et pour certain·e·s présent·e·s dans les lieux depuis plus de trente ans, fait appel à Patrick Bouchain afin d’envisager une préservation de ces logements. Dans le cadre d’une consultation préparée par l’office HLM, Habitat de Littoral, l’architecte propose alors un projet expérimental d’accompagnement à l’auto-réhabilitation, pour un budget équivalent au coût de la démolition, soit 40 000 euros par maison. Patrick Bouchain promeut la « réparation » du bâti plutôt que la destruction | reconstruction. Pour l’architecte, l’habitat, quel qu’il soit, est riche du vécu des habitant·e·s, de leur histoire, 1 HALLAUER, Édith. Habiter en construisant, construire en habitant : la « permanence architecturale », outil de développement urbain ? Métropoles, 2015, no 17. (Page 10) 2 DIONNE Caroline. L’ar­chi­tec­ture in­cré­men­ta­liste au ser­vice du sa­voir-vivre. Source : https://www.espazium.ch/fr/actualites/larchitecture-incrementaliste-au-service-du-savoir-vivre


CHAP.1 Réhabiliter l'habitant – utilité sociale de l'architecte

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de leurs usages. Déplacer des personnes ayant vécu des violences revient pour lui à enfouir un problème qui se trouve être social avant d’être spatial. « 10 milliards d’euros ont été consacrés à la seconde opération ANRU. (…) Or on ne peut pas faire une architecture réglementaire et technocratique. Un autre modèle doit être choisi. On ne peut pas démolir des logements au prétexte que la densité est dangereuse sur le plan social ! En réalité, il s’agit de diffuser la pauvreté afin de la rendre invisible… »1

Un autre modèle, c’est ce que propose Patrick Bouchain avec l’expérience de Boulogne-surMer. Face aux problématiques d’exclusion de la population, l’architecte décide de pousser la notion d’hospitalité initiée au travers de l’expérience de la Biennale de Venise, en proposant le concept de « permanence architecturale ». Cette pratique expérimentale consiste à ce que l’architecte investisse physiquement le site du projet en devenant habitant·e. En se détachant de son statut de « tiers », il ou elle met en œuvre un processus horizontal questionnant les places et enjeux de la pratique courante du métier. Il ou elle se détache de son rôle de concepteur·trice du projet pour endosser celui d’ « accompagnateur·trice » d’une « auto-réhabilitation ». L’architecture se développe alors autour de la notion de l’hospitalité, avec un·e architecte qui devient « hôte accueillis » chez un habitant·e, son « hôte accueillant·e ». L’humilité et la bienveillance que requiert cette démarche visent à privilégier les échanges et la transmission réciproque à la maîtrise du projet.

« L’objectif est de réintroduire le savoir-vivre, à tous les niveaux. Le gros problème des grands ensembles est dû à l’association forcée de populations, qui ne se serait pas faite naturellement. C’est contraire à cette osmose culturelle, cette agrégation de savoir-faire des grandes communautés de l’histoire de l’humanité. Il faut donc rechercher le savoir-vivre de ces gens qui vivent ensemble. Il ne s’agit évidemment pas de donner « une leçon de savoir-vivre ». En vivant ensemble nous allons apprendre mutuellement. Manger, dormir, avoir des 1 BOUCHAIN, Patrick. Covid #7 | Avec et pour les habitants. 29 mai 2020, https://topophile.net/ savoir/covid-7-avec-et-pour-les- habitants-parole-a-patrick-bouchain/. Consulté le 05 aout 2020.


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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

problèmes de couple. »1 Sophie Ricard, jeune architecte devant réaliser son HMONP, se porte volontaire pour devenir, pour une durée de trois ans, habitante de Boulogne-sur-mer. L’expérience se décompose en trois phases d’un an : diagnostic, conception, chantier.

TEMPS 1 – LE DIAGNOSTIC PAR LA PRATIQUE : INTÉGRATION DE L’ARCHITECTE La première année est consacrée à l’emménagement de l’architecte dans la ville de Boulognesur-Mer et l’élaboration d’un diagnostic social et architectural. Sophie et son compagnon emménagent et réalisent des travaux dans la maison qui leur est allouée. Durant cette période Sophie Ricard doit dans un premier temps s’intégrer au quartier, pour pouvoir comprendre les problématiques sociales et architecturales, collectives et individuelles, auxquelles sont confronté·e·s les habitant·e·s. L’enjeu est de sortir de ce statut de « tiers », « intruse » envoyée par les institutions pour remédier aux maux du quartier, afin de développer une réelle relation de voisinage. « Aujourd’hui je ne suis pas seulement « l’architek » comme le disent les enfants mais bel et bien une voisine, une locataire, une habitante, en confrontation avec la réalité d’une rue délaissée, d’une rue vivant repliée sur ellemême et fonctionnant en autarcie avec son propre réseau social, sa propre économie. »2

En réalisant elle-même les travaux de sa maison, en cultivant la terre de son jardin et en conviant les enfants à participer, Sophie Ricard parvient petit à petit à dissiper la méfiance que pouvaient avoir ses voisin·e·s à son égard. En effet, les habitant·e·s craignaient de premier abord que l’architecte soit « une sorte d’espionnage de l’Office HLM sur les pratiques ré-

1 HALLAUER, Edith. Strabic: Patrick Bouchain: Ma voisine cette architecte. Edith Hallauer. 28 juillet 2011, http://strabic.fr/Pa- trick-Bouchain-ma-voisine-cette-architecte-1. Consulté le 30 juin 2020. 2 JULIENNE, Loïc, EYMARD, Sébastien, RICARD, Sophie. Ensemble à Boulougne-sur-Mer, Rénovation de 60 maisons au Che- min Vert. Construire. 2013, 14 p. (Page 4)


CHAP.1 Réhabiliter l'habitant – utilité sociale de l'architecte

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gissant le quartier »1. Suite à ce temps d’intégration, l’architecte parvient, par les relations qu’elle noue avec les habitant·e·s, à cerner les dynamiques internes au quartier ainsi que les problématiques ciblées sur le logement. Ainsi, elle peut dresser un état des lieux du bâti, la nature des travaux nécessaires ainsi qu’un ordre de priorités. Sophie Ricard, en tant qu’architecte mais aussi voisine, devient une personne « référante » du quartier, qui fait le lien entre les locataires et les institutions. Elle investit aussi une maison mitoyenne à la sienne pour en faire une « maison de chantier », un lieu commun fixe, pouvant accueillir les habitant·e·s pour travailler et échanger sur les projets en cours dans le quartier.

Immatérialité du projet : les gens En intervenant de manière douce, en allant à la rencontre des usager·e·s, la démarche de Patrick Bouchain questionne les enjeux de l’architecture : face à l’exclusion, la problématique n’est pas uniquement matérielle, elle est aussi sociale. L’architecture n’est pas seulement constituée de quatre murs et d’un toit, mais existe « au travers de l’harmonie des gens qui l’habitent. »2. Tout en leur permettant de garder leu’r maison, le projet vise à développer des liens et une cohésion entre les habitant·e·s, apprendre mutuellement à « vivre ensemble ». Le cœur du projet semble alors davantage se trouver dans l’immatériel, c’est-à-dire les relations et les souvenirs qui se créent au cours du processus, que dans l’objet architectural construit. « Tenter de faire ce que toute architecture peut faire : construire en habitant, habiter en construisant, et se reconstruire en habitant. »3

TEMPS 2 – CO-CONCEPTION : UN PROCESSUS HORIZONTAL La deuxième année était axée sur la phase de conception du projet de réhabilitation. Dans 1 HALLAUER, Édith. Habiter en construisant, construire en habitant : la « permanence architecturale », outil de développement urbain ? Métropoles, 2015, no 17. (Page 10) 2

BOUCHAIN, Patrick. Op.cit.

3 HALLAUER, Edith. Strabic: Patrick Bouchain: Ma voisine cette architecte. Edith Hallauer. 28 juillet 2011, http://strabic.fr/Patrick-Bouchain-ma-voisine-cette-architecte-1. Consulté le 30 juin 2020.


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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

un projet de réhabilitation classique, l’architecte travaille dans les locaux de son agence et est responsable de la mission de conception. En habitant sur place, Sophie Ricard endosse davantage un rôle d’accompagnatrice et fait le lien entre les habitant·e·s et les institutions. Il s’agit de trouver avec elles et eux des solutions pour améliorer leur habitat. Il s’agit d’un processus horizontal qui vise à renverser la figure de « l’architecte savant·e », en considérant les compétences individuelles des habitant·e·s ainsi que leur « expertise d’usage » comme un enrichissement du projet. Nous pouvons alors parler d’une forme d’utilité sociale de l’architecte qui ne réhabilite pas seulement un logement dégradé, mais aussi ses habitant·e·s socialement dévalorisé·e·s par le manque d’estime en leurs capacités. « Avec la modestie de quelqu’un de candide, une jeune qui apprend son métier. Révéler que les gens habitant ces maisons ont des savoir-faire professionnels, autant que les siens. »1

Dans ce processus de conception participative, l’architecte se doit de trouver des outils accessibles à des personnes n’ayant pas les références et éléments de langage habituellement utilisés dans la profession. En effet, les termes et documents techniques peuvent apparaître abstraits pour les non-initié·e·s. C’est pourquoi, afin de faciliter les échanges, Sophie Ricard développe notamment un document de travail ressemblant à un roman photo : il s’agit d’un descriptif des travaux à effectuer, sorte d’état des lieux, illustré par des photographies et annotations. Patrick Bouchain, dans l’entretien réalisé par Edith Hallauer, souligne que la jeunesse de Sophie Ricard s’est avérée être un atout dans ce type de démarche : contrairement à un·e architecte plus expérimenté·e, Sophie Ricard n’est pas encore imprégnée des réflexes de la profession qui auraient pu parasiter l’expérience. Elle apprend ici avec les habitant·e·s, développe avec elles et eux des outils, ce qui accroît l’horizontalité du processus.

Immatérialité du projet : l’argent L’habitant·e, en tant qu’usager·ère est considéré·e ici comme expert·e de son habitat, c’est la personne la plus à même de déterminer les problématiques de son logement. Dans ce 1

Ibid.,


CHAP.1 Réhabiliter l'habitant – utilité sociale de l'architecte

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projet, un budget fixe était alloué à chaque logement, l’objectif était donc de déterminer avec chaque foyer comment il voulait le répartir, quelles étaient leurs priorités. Cette étape apparaît comme importante car elle permet à l’habitant·e d’ « établir une vision d’ensemble du bâtiment, de l’impliquer dans la gestion du budget consacré à sa maison, afin d’envisager une gestion plus durable par l’habitant du foyer qu’il occupe »1. Le présupposé étant que l’habitant·e ayant conscience du coût des travaux et étant obligé·e de faire des choix vu la limite du budget, serait plus apte à réfléchir à comment investir cet argent dans une stratégie de pérennité et à prendre soin par la suite de son habitat.

TEMPS 3 – LE CHANTIER : DÉVELOPPER LES CIRCUITS-COURTS Le troisième temps a été celui de la transformation, soit le temps du chantier. La démarche étant de s’adresser de manière directe aux problématiques auxquelles sont confronté·e·s les locataires, c’est naturellement que Patrick Bouchain a souhaité pousser cette logique dans la phase de construction. La majorité de ces habitant·e·s travaillant dans le secteur du bâtiment, il est apparu de bon sens de profiter de ce chantier pour employer les petites entreprises familiales locales, donnant du travail aux personnes bénéficiaires du projet. Privilégier les circuits courts a permis de rendre d’autant plus perceptibles les bénéfices de ce projet : les impacts étant dans leur sphère privée comme professionnelle, la dimension sociale avait d’autant plus d’ampleur. Il s’agit donc dans cette démarche, du début à la livraison du projet, de se détacher de la contrainte posée par la pression économique et la standardisation du logement. Réfléchir à comment répondre de manière simple et sensée aux problématiques matérielles (réhabilitation des maisons fortement délabrées) et immatérielles du projet (développer un « vivre ensemble » avec des personnes marginalisées accordant peu de confiance aux institutions). Boulogne-sur-Mer étant particulièrement touchée par l’exclusion sociale, le principal enjeu était donc de créer une dynamique sociale positive.

1 HALLAUER, Édith. Habiter en construisant, construire en habitant : la « permanence architecturale », outil de développement urbain ? Métropoles, 2015, no 17.


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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

Les contraintes du processus Cette situation apparaît cependant comme assez « exceptionnelle », dans le sens où la proposition faite à Patrick Bouchain par une municipalité encline à l’expérimentation est une opportunité rare. D’autre part, la petite échelle, ainsi que la longue durée du projet paraissent compromettre sa reproductibilité dans le cadre de renouvellements urbains au sein des quartiers prioritaires. D’abord parce que ceux-ci sont plus denses, et qu’ils semblent subir des contraintes beaucoup plus importantes, posées par les cadres institutionnels. Les enjeux politiques étant plus conséquents à l’échelle de la métropole, comme nous avons pu le voir dans la partie précédente par l’exemple de la ZAC Saint-Martin, il peut arriver que les politiques préfèrent éviter la confrontation avec les habitant·e·s afin de répondre plus librement à leurs ambitions ainsi qu’à un calendrier serré dans les démarches d’aménagements urbains. En effet, cette expérience pourrait difficilement fonctionner dans une temporalité plus courte. Pour que Sophie Ricard soit intégrée et identifiée comme figure référente, lien entre les institutions (offices HLM et municipalité) et les habitant·e·s, il a fallu développer une authentique relation avec elles et eux, gagner leur confiance, ce qui nécessite du temps. Cette démarche est par ailleurs personnellement très engageante : la frontière entre vie professionnelle et privée de Sophie Ricard est fine. Il s’agit d’un processus coûteux en énergie qui demande à l’architecte un fort investissement personnel en modifiant son mode de vie dans le cadre de son travail. D’autre part, une fois ce projet entamé et la confiance des habitant·e·s gagnée, il me paraît important de souligner la responsabilité de l’architecte à aller au bout du processus, quel qu’en soit le résultat. En effet, lors des entretiens avec les habitant·e·s des quartiers Saint-Martin et La Paillade, j’ai pu observer une désillusion de la part de ces dernier·e·s. À plusieurs reprises, ils et elles ont indiqué ne pas percevoir d’amélioration effective de leur situation, malgré les nombreuses sollicitations dans le cadre de procédures institutionnelles. En réalité, l’investissement demandé dans ces projets, le temps et l’énergie qui y sont consacrés, placent les habitant·e·s dans l’attente d’une amélioration de leur situation, qui, si elle reste inchangée, peut amener à la déception. Cependant, malgré la complexité de ce processus expérimental, il permet de révéler qu’une


CHAP.1 Réhabiliter l'habitant – utilité sociale de l'architecte

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approche plus sociale de l’architecture peut s’avérer concluante et qu’il est possible d’envisager des pratiques, postures et démarches alternatives au modèle dominant. Face à une société qui favorise une conception productiviste de l’architecture sociale, détachées des réalités des habitant·e·s, Patrick Bouchain et Sophie Ricard montrent que d’autres voies sont possibles. Pour Patrick Bouchain l’architecture n’est qu’une hypothèse et c’est par l’expérimentation, en sortant du cadre trop normatif et restrictif du contexte généralisé de la construction du logement, que nous pouvons tenter de trouver des solutions aux problématiques posées. Dans le cadre du logement social, cette expérience permet de percevoir les vertus d’un processus architectural participatif avec des habitant·e·s fragilisé·e·s. L’architecte en vient à interroger la définition même de son métier, dont l’ambition semble être dans ce cadre-là de traiter le social tout en traitant le spatial par l’intégration des usager·ère·s aux processus.1

1 Il pourrait être intéressant de se questionner également sur une éventuelle mise en place de processus participatifs dans la concep- tion de logements sociaux neufs. Emergent notamment, dans certaines villes, des SCIC qui attribuent des logements sociaux préala- blement à leur construction à des habitant·e·s volontaires pour s’engager dans une co-conception de leur futur habitat. (Exemple : SCIC Faire Ville à Toulouse).



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CHAPITRE 2 RÉHABILITER L’ARCHITECTURE ­– VALORISATION DU BÂTI

« Dans les décisions de démolition, on démolit tout, on revient à zéro. Or c’est impossible de penser qu’il n’y a 0 valeur dans une situation. Souvent on voit l’extérieur, on se dit que cet extérieur est en mauvais état, de mauvaise qualité, personne ne l’aime, souvent il y a des problèmes d’électricité, des problèmes de bruits, de salles de bain, dans les cuisines, des choses comme ça. Mais il y a aussi la vie des gens qui sont là depuis vingt ou trente ans, qui ont produit jour après jour des qualités d’intérieurs, et ça représente une richesse incroyable donc on ne peut pas faire abstraction de ça. »1

Dans le cas de réhabilitations de grands ensembles, l’architecte intervient dans un lieu qui a une histoire, marqué par des pratiques habitantes avec lesquelles il doit, selon Jean-Philippe Vassal, composer. L'aspect extérieur dégradé et l'image stigmatisante qui en est faite, tend à faire oublier que ces bâtiments ont des qualités architecturales (qu’elles soient typologique, de surface, de lumière, etc.), issues de leur conception initiale ou des adaptations qui ont été faites par leurs habitant·e·s. La problématique posée par le sujet de la réhabilitation d'un grand ensemble habité semble alors être : comment prendre en considération les pratiques habitantes pour améliorer et valoriser le cadre dans lequel elles et eux habitent ? Si Patrick Bouchain, s’inscrit clairement selon moi dans un engagement politique contre les procédures institutionnalisées en mettant l’individu·e au cœur de sa pratique, rares sont les architectes qui ont les moyens intellectuels ou matériels de faire de même. Ce type de processus de participation actif requiert un investissement conséquent en temps pour les architectes et les habitant·e·s, et dépend d’une logistique complexe. De manière différenciée, les architectes de l'agence Lacaton & Vassal ne mettent pas en place de processus à proprement dit « participatif » (l'habitant·e n'a pas de pouvoir décisionnel lors 1

Jean-Philippe Vassal, architecte. Entretien du 04 novembre 2019, par skype.


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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

des phases de conception). Pourtant, leur architecture traduit une sincère prise en compte des pratiques habitantes et offre de réelles qualités d’espaces et d’usages. Le parti pris des architectes est d’améliorer le cadre de vie de l’habitant·e en faisant « acte d’architecture »1, soit par la démonstration de leur capacité à produire des espaces nobles, esthétiques et généreux à partir de l’existant. Le passage au projet m'a poussé à prendre position face à la manière dont je souhaitais aborder le sujet de la réhabilitation et quant à la place que je souhaitais ­– et pouvait, en vertu des contraintes que pose le cadre du PFE – accorder à l'habitant·e dans le projet. Ainsi le chapitre qui suit vise à interroger le rapport qu'entretien l'architecte avec le bâtiment « à réparer »" et ses habitant·e·s.

L’habitant·e dans son logement « C’est absolument scandaleux ce qu’il s’est passé en France avec ces démolitions. La démolition on accepte ça en temps de guerre mais c’est d’une violence inouïe. »

L’engagement des architectes Lacaton & Vassal contre la démolition des grands ensembles vise à défendre l’histoire et le tissu social existant de ces quartiers. L’un de leurs objectifs était également de s’assurer auprès des bailleurs sociaux que les loyers resteraient inchangés, la promesse de leur projet étant d’améliorer les conditions de logement des locataires sans qu’ils et elles subissent un appauvrissement de leurs ressources, ou soient contraint·e·s de déménager par manque de moyens, comme c’est très souvent le cas à la suite d’un projet de réhabilitation architecturale. Lorsque nous avons abordé la manière dont était perçu le projet par l'habitant·e au cours du processus, Jean-Philippe Vassal expliquait qu’avaient été mises en place quelques réunions de concertation, qui visaient à expliquer la procédure et les objectifs de l’intervention. La plus grande difficulté abordée était d’aider les habitant·e·s à se projeter. Habitué·e·s aux dé1

Jean-Philippe Vassal, architecte. Entretien du 04 novembre 2019, par skype.


CHAP.2 Réhabiliter l’architecture – valorisation du patrimoine bâti

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ceptions et désillusions face aux interventions faites dans leur quartier, l’un des premiers enjeux formulé par Jean-Philippe Vassal était d’apporter une « lisibilité » de ce à quoi allait ressembler leur habitat. Dans le cadre du projet de la Tour-du-Bois-le-Prêtre, première « transformation » réalisée par l’agence, il est apparu que les outils de représentation généralement utilisés par les architectes, tels que les plans, coupes ou élévations, étaient difficilement compréhensibles pour des personnes non-initiées. L’agence a donc réalisé un appartement témoin, pratique répandu dans les projets de grande envergure, afin de faciliter la projection des locataires qui pouvaient visiter un logement « type ». Pour le projet de Bordeaux, rénovation d'une barre de 530 logements, l’agence d’architecture avait organisé une visite des appartements de la Tour-duBois-le-Prêtre, afin que les habitant·e·s puissent aussi échanger avec celles et ceux qui avaient expérimenté ce premier projet. Ces rencontres, au-delà du retour positif des usager·e·s a permis de rassurer les habitant·e·s qui exprimaient une certaine méfiance et réticence, et de pouvoir, par la suite, composer dans de bonnes conditions le projet. « Dans toute démarche de participation, je pense qu’il est important de sortir des contraintes pré-existantes, car finalement ces contraintes elles sont extrêmement délicates, difficiles, et c’est difficile de discuter dans ces conditions-là. Il y a donc un premier travail qui consiste à améliorer la situation initiale afin de redonner une forme d’espoir, de lisibilité, de clarté d’un futur qui peut être beaucoup plus positif. Une fois cette capacité supplémentaire est posée, on peut vraiment travailler au niveau de la participation avec les gens. »

Dans le cadre de la réhabilitation d'un grand ensemble, sujet particulièrement complexe par sa densité ou les problématiques sociales et économiques qu'il soulève, il est pour les architectes nécessaire de réaliser un diagnostic de l'existant et d'avoir une idée préalable de la nature des travaux envisageables, avant de s'adresser aux habitant·e·s. En effet, nous avons pu voir dans la première partie que les habitant·e·s des quartiers prioritaires sont déjà très sollicité·e·s par les politiques urbaines, et que le manque de résultats entraîne une désillusion et un manque de confiance croissant envers les institutions. Ainsi une participation mal amenée peut s'avérer plus dommageable qu'un projet bien construit en amont.


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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

Si la démarche de Lacaton & Vassal n’entre pas dans le cadre de l’architecture participative, une phase de recherche préalable au projet architectural vise à observer les pratiques habitantes afin d’offrir des espaces en adéquation à leurs besoins. Ainsi les architectes ont le soucis d’intégrer dans leur architecture des dispositifs qui permettent l’appropriation de l'habitat. Je pense notamment au principe du « jardin d’hiver », pièce « en plus » qui permet une liberté d'usages et un agrandissement considérable des appartements. Cependant la particularité des dispositifs proposés par les architectes nécessite de donner des consignes sur comment bien utiliser leur architecture : fonctionnement du rideau thermique, ventilation naturelle, etc. Les réhabilitations traditionnelles, dont l'enjeu consiste à « mettre aux normes » thermiques les bâtiments, ont tendance à sur-isoler sans prendre en compte les pratiques des habitant·e·s. Il s'agit donc ici d'un accompagnement qui d'une part, sensibilise les habitant·e·s aux enjeux environnementaux, et d'autre part permet de répondre aux besoins d'économies énergétiques de manière plus écologique. La recherche de Lacaton & Vassal est également alimentée par des suivis post-livraisons afin d’avoir des retours sur comment sont vécus les habitats par les locataires, il s’agit d’un moyen de vérifier les hypothèses émises au cours de la conception du projet, et d’évaluer la qualité de leur architecture dans le but d'améliorer leurs futurs projets : « Avoir le retour des habitants et voir comment ils s’emparent de l’espace est pour nous la meilleure façon de juger le succès d’un projet. Nous sommes toujours surpris, c’est toujours plus que ce que nous imaginions. La plupart des espaces doivent pouvoir être appropriés, nous essayons de faire des interviews des habitants pour comprendre leur utilisation. Les gens sont très créatifs, ont beaucoup d’idées et c’est toujours très satisfaisant à voir. […] Pour en revenir aux logements sociaux que nous avons réhabilités, nous voyons que la requalification des espaces a changé leur vie. Pour la plupart, maintenant, ils se sentent mieux, plus relaxés. »

Les architectes documentent leur site internet avec une grande quantité de photographies prises après l’aménagement des habitant·e·s. Dans le cadre des réhabilitations, cette docu-


ÉVOLUTION DE LA DÉFINITION DU PROJET

Si à l'amorce du semestre de S10 je portais des ambitions quant à la mise en place d'un processus intégrant les habitant·e·s – présentation de l'avancement à différentes étapes de la conception – celles-ci ont été remises en question au cours du projet. Le diagnostic effectué par un entretien croisé au relevé architectural, le relevé des meubles et usages attribués aux pièces, a permis de définir les intentions de projets. Par la suite, la priorité a été donnée à la conception architecturale étant donné le laps de temps restreint du semestre. Le parti pris de projet n’est donc pas l’élaboration d’un processus, notamment participatif, mais une proposition de réponse architecturale à des problématiques observées et soulevées par les habitant·e·s. Il s’agit presque ici d’une troisième façons de faire, par rapport à celle des pratiques architecturales précédemment étudiées.


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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

mentation, composée de photographies avant/après projet, permet de valider l’hypothèse d’une architecture appropriable pour ses habitant·e·s. En présentant l’architecture telle qu’elle est vécue par les locataires – leurs objets, leur désordre du quotidien – on comprend un attachement à la valoriser comme un espace qu’ils qualifient d’ « extra-ordinaires ». Ainsi, il apparaît que la participation n’est pas la seule méthode permettant d’articuler question sociale et architecturale : une réhabilitation de qualité, qui prend en considération les pratiques habitantes d’une part, et qui offre d'autre part des qualités typologiques, de lumière, de matériaux et d’orientation, à un impact sur le bien-être de ses habitant·e·s.

"Incrémentalisme" versus "écriture architecturale" « De droite à gauche, de bas en haut, l’empilement des «cellules» redit cette «ration» de logement qu’est le logement de masse administrativement attribué des années 1950, alors que la plus modeste baraque des mal lotis portait l’infime message d’une identité toujours digne dans son dénuement. »1

Lorsque Daniel Pinson évoque le grand ensemble comme « cellules » empilées, il émet la critique selon laquelle cette architecture, ne prend pas en compte la diversité des familles qui l’habitent. Les familles semblent donc se retrouver noyées sous une immensité répétitive de fenêtres, qui est « un tableau avant d’être un espace habité »2 . En réponse à cette même critique, les architectes Lucien et Simone Kroll soutiennent dans leur travail l’idée selon laquelle il faut permettre aux habitant·e·s une liberté d’appropriation. Selon eux, par la juxtaposition de désirs individuels, le grand ensemble peut trouver une échelle de dimension « humaine » (figure 11) dont on maîtrise la construction mais pas l'objet. Une éloge d'une architecture de « désordre vivant » pleine de « contradictions, hésitations, superpositions, piratages, atavismes, non-sens, juxtaposions, inégalités et même maladresses »3 à 1 PINSON, Daniel. Les grands ensembles comme paysage. Cahiers de la Méditerranée, 2000, vol. 60, no 1, p. 157-178. (page 166) 2

Ibid., (page 161)

3 ODOS, Valérie. Lucien et Simone Kroll : construire pour que les gens soient bien. France télévision, 22/06/2015.


CHAP.2 Réhabiliter l’architecture – valorisation du patrimoine bâti

Fig. 11 : Lucien Kroll, Enfin chez soi… Réhabilitation de préfabriqués, Berlin-Hellersdorf, Allemagne, 1994 Source : https://www.amc-archi.com/

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SUPPORT | APPORT Notice de projet page 84.

Cette question de la liberté de choix est un sujet qui revenait au cours du processus de réhabilitation, d’autant plus justifié étant donné le statut de copropriété de la tour Saint Martin où une partie des occupant·e·s est propriétaire des lieux : doit-on donner une cohérence à l'ensemble ou à l'inverse laisser une liberté totale d’appropriation ? Les deux points de vue me paraissant défendables. Pour ce projet, le parti pris a été de proposer une architecture modulaire sur un système de « support-apport » : travailler une trame de poteaux et de dalles qui définit l’enveloppe du bâti, support à des extensions apportées selon les besoins et désirs de chacun·e. Cette appropriation encadrée permet de casser le systématisme et l'homogénéité de la façade.


CHAP.2 Réhabiliter l’architecture – valorisation du patrimoine bâti

Fig. 12 : LAN (architectes) Projet de rénovation urbaine, 2009-2015 Source : https://www.lan-paris.com/

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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

l'encontre de « l’alignement disciplinaire »1 hérité du dogme fonctionnaliste. Cette posture diffère de la pratique de Lacaton & Vassal, ou encore de la proposition de l'agence Lan quant à un projet de réhabilitation de tours à Lormont (figure 12). Ces deux projets proposent un système constructif généralisé sur l'ensemble des bâtiments, qui redéfinit la façadela façade, lui donnant une identité forte, marquée par le geste de l'architecte : celui-ci en valorisant l'aspect esthétique extérieur du bâti, donne une nouvelle valeur au bâtiment déprécié. Le sujet de la tour, et sa visibilité dans la ville, pose la question de la façade que l'on offre à voir : comment celle-ci s'inscrit dans un paysage et dans un contexte urbain ? Doit-elle découler d'une multitude d'individualités, au risque de compromettre son esthétique, ou doit-elle avoir une écriture contrôlée par l'architecte ? La problématique de l’inscription de la tour dans le paysage est abordée par l’architecte Audrey Courbebaisse dans l’article : « La réhabilitation de la tour en grand ensemble, de l’unité à la rupture Le cas de la tour des Mazades (1958-2020) »2. Elle y aborde l’étude de cas d’une tour de Toulouse qui a fait l’objet de plusieurs réhabilitations ces dernières années (figure 13). La tour, qui a été conçue par l’architecte Jean Montier en 1958, s’inscrivait dans une logique compositionnelle et esthétique d’ensemble, avec les mêmes caractéristiques que les barres alentours ( « ossature poteaux-dalles apparente en façade, le quatrième niveau est marqué par l’interruption des balcons continus sur les immeubles barres en petits balcons et l’apparition de balcons sur la tour qui n’en possède pas sur les autres niveaux, structure apparente et jeu des balcons soulignés par l’utilisation de deux couleurs d’enduits »3). Or il s’agit du seul bâtiment à avoir fait l’objet du projet de réhabilitation. L’auteure s’avère critique envers le parti pris des architectes, Axel Letellier et Louise Fouillant, qui a été de traiter la tour comme élément signal dans la ville en la transformant en objet architectural, désolidarisé des autres bâtiments : « L’histoire du projet de l’architecte concepteur et ce qui en fait la singularité 1

Ibid.,

2 COURBEBAISSE, Audrey. La réhabilitation de la tour en grand ensemble, de l’unité à la rupture Le cas de la tour des Mazades (1958-2020). Docomo, Hermann, 2020, les immeubles de grande hauteur en France. Un héritage moderne, 1945-1975, pp158-169. 3

Ibid., (page167)


CHAP.2 Réhabiliter l’architecture – valorisation du patrimoine bâti

Fig. 13 :Façade ouest de la tour en 1963, à gauche (Terra STU01453 B). La tour en cours de réhabilitation,à droite (Audrey Courbebaisse, septembre 2019).

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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

sont ignorés et ne semblent pas pouvoir faire le poids face à l’urgence des mises en conformité et de l’amélioration énergétique. L’intégration dans l’environnement est davantage synonyme de résolution des problèmes d’occupation des rez-de-chaussée et d’une attractivité dont la nouvelle image pourrait être le dépositaire. »1

Audrey Courbebaisse soulève donc la problématique liée à la réhabilitation des grands ensembles qui tend à nier les qualités architecturales et patrimoniales existantes afin de créer un nouvel « objet ». De cette manière se pose le sujet de l’intégration de la réhabilitation du cas dans une lecture d’ensemble.

De l'intérieur vers l'extérieur Le processus de projet développé par Lacaton & Vassal se caractérise également par leur traitement « de l’intérieur » vers « l’extérieur ». En intervenant d'abord depuis la cellule du logement, les architectes réparent le bâti, cherchent à en améliorer les qualités d’espaces et d’usages afin de permettre aux habitant·e·s de disposer d’un lieu agréable à vivre. Cette approche se distingue de la pratique généralisée dans les projets de réhabilitation de logements types grands ensembles qui se résume, d’abord et surtout, à des travaux de mises en conformité et de réfection de façade. La transformation de la façade dans les projets de Lacaton & Vassal (figures 9 et 10) est une résultante des agrandissements apportés aux logements. L’aspect extérieur, bien qu’esthétique, est déterminé par des partis pris constructifs et le choix de matériaux économiques qui servent au projet architectural, et non un « habillement » de la façade dans le but d’en faire une architecture « objet ». Par ce parti pris, les architectes parviennent à atteindre un double objectif : réhabiliter l’architecture en lui rendant les qualités d’un habitat esthétique, spacieux et lumineux, et réhabiliter l’habitant·e de son droit à un logement digne et non stigmatisant. 1

Ibid., (page 169)


CHAP.2 Réhabiliter l’architecture – valorisation du patrimoine bâti

125

Cette intervention architecturale répond également à la problématique sociale soulevée par Mona Chollet, vue au début de ce mémoire : Comment attendre d’une personne qu’elle apporte une « contribution à la vie collective » si elle ne dispose pas d’un « territoire propre » qui lui permet d’exister ?1 En effet, Lacaton & Vassal font la démonstration par leur savoir-faire que l'intégration de l'architecture dans le paysage urbain est possible, y compris lorsque l'esthétique de sa façade découle de l'amélioration intérieure des habitats. Ainsi, en choisissant pour sujet la tour Saint-Martin, élément paysager fort de la ville de Montpellier, l'objectif était de faire dialoguer ce double rapport qu'entretien l'habitat avec son environnement : Comment valoriser un élément du paysage urbain déprécié par les montpelliérain·e·s, et comment investir cet espace habité qui offre un regard sur la ville ?

1 CHOLLET, Mona. Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique. La découverte poche, 2016, 356 p., (page 11).


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PART.3 Réhabilitation sociale et architecturale

Fig. 9 : Transformation de 530 logements, quartier du Grand Parc – Lacaton & Vassal, Druot, Hutin Façade avant travaux Crédit : Frédéric Ruault Source : https://www.lacatonvassal.com/


CHAP.2 Réhabiliter l’architecture – valorisation du patrimoine bâti

Fig. 10 : Transformation de 530 logements, quartier du Grand Parc – Lacaton & Vassal, Druot, Hutin Façade après travaux Crédit : Frédéric Ruault Source : https://www.lacatonvassal.com/

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CONCLUSION


. .


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À l’amorce de ce mémoire j’affirmais que, pour moi, le rôle de l’architecte, plus que de lutter pour le droit au logement pour tou·te·s, était de lutter pour le droit à un habitat qualitatif pour chacun·e. Lorsque Cyprien Avenel aborde la notion de construction d’une « personnalité agressive » que finissent par adopter des « jeunes de cités » en réponse aux stigmates dont ils sont sujets1, il met en lumière les conséquences sociales que peut avoir une représentation péjorative sur les individus. Ainsi, nous pouvons nous demander si une revalorisation des grands ensembles aujourd’hui mal perçus, ne permettrait pas de montrer de la considération pour ses habitant·e·s (et leurs espaces habités) et de favoriser leur intégration sociale.

Par ailleurs, le travail d’enquête sur le terrain, puis la rencontre des habitant·e·s de la tour Saint-Martin lors du passage au projet, ont permis de révéler de nombreuses qualités dans ces quartiers pourtant très critiqués : diversités d’activités et d’événements, commerces, réseaux de solidarité, richesse en termes d’équipements, dynamisme associatif, etc. Il est apparu que les habitant·e·s étaient généralement attaché·e·s à leur quartier et ne souhaitaient pas en changer. Le diagnostic de la tour Saint-Martin a également permis d’attester des nombreuses qualités typologiques de cet héritage des années soixante malgré son état de détérioration. Constats qui tendent à vouloir promouvoir une réhabilitation du cadre bâti plutôt qu’une politique de démolition | reconstruction, d’autant plus dans le contexte de construction du logement contemporain, où la commande publique apparaît très contrainte par des normes et une recherche de rentabilité qui peut se faire au détriment de la qualité des habitats. Cependant il est nécessaire de souligner que des leviers sont possibles, notamment au travers de nombreuses aides proposées par l’État. En effet, des organismes interministériels se mobilisent (tels que le PUCA, l’ANRU, l’ANAH, etc.) en finançant des projets et recherches sur l’innovation dans le logement, en neuf comme en réhabilitation. L'étude menée dans le cadre de cette recherche sur des architectes aux pratiques diverses a montré que tous et toutes s’efforçaient de produire des logements sociaux dits « qualitatifs ». Chacun·e se distingue par les critères de qualité mis en avant dans ses projets : ils et elles s’inscrivent de fait dans un rapport ambivalent entre positionnement face à la commande 1 AVENEL, Cyprien. La question des quartiers dits « sensibles » à l’épreuve du ghetto : Débats sociologiques. Revue économique, 2016, vol. 67, pp.415-441. (page 431).


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Conclusion générale

publique (contraintes normatives, économiques, temporelles, programmatiques, etc.), approche de la conception architecturale (usages, esthétiques,

Néanmoins, la commande publique reste conçue comme une procédure « descendante » qui laisse finalement peu de possibilités à l’habitant·e de s’exprimer pour devenir acteur·ice de l’amélioration de son « cadre de vie ». En effet, nous avons pu observer que, dans les processus de concertation proposés dans le cadre institutionnel de l’ANRU comme dans les processus de conception de projets (neuf et réhabilitation), le pouvoir décisionnel de l’habitant·e reste faible. « Journaliste :

En quoi le petit nourrit le grand, c’est-à dire la vision de ce

que l’on pourrait faire sur le territoire français ?

Bouchain :

Je pense que le cas est un moyen de travailler sur l’ensemble

(...) on ne peut pas parler à la masse, on ne peut parler qu’à l’individu et voir si l’individu se rattache à l’ensemble. Donc je ne veux pas entendre cette critique de dire qu’il y a des petites choses et des grandes choses, si on travaille sur l’Homme, il n’y a que des grandes choses, c’est la grande échelle de l’humanité. »1

Lorsque Patrick Bouchain parle du « cas » comme « moyen de travailler sur l’ensemble »2, l’architecte émet une critique envers la commande publique du logement social qui ne rend pas compte de l’hétérogénéité des situations dans lesquelles elle intervient. La démarche de l'architecte reste cependant peu répandue, en partie à cause des moyens matériels et immatériels qu'elle requiert. L’exercice du projet a été assez révélateur de ces difficultés (en termes de moyens, de logistique et de temporalité) : le cadre temporel court dans lequel s’inscrit le projet de fin d’études, 1 MASBOUNGI, Ariella. Interview de Patrick Bouchain, Grand Prix de l’urbanisme 2019. [Interview]. batinfo.com, 13 janvier 2020, 30min. Disponible sur: https://batinfo.com/video/interview-de-patrick-bouchain-grand-prix-de-lurbanisme-2019_14491. Consulté le 14 juin 2020. 2

Ibid.,


133

ajouté au contexte de restrictions posé par la crise sanitaire, a limité les échanges possibles avec les habitant·e·s. Si j’avais envisagé une démarche plus proche du terrain, ces contraintes ont cependant permis d’aborder le projet sous un nouvel angle en m’intéressant à la pratique d’architectes, tels que Lacaton & Vassal ou Sophie Delhay, qui intègrent l'usager·e dans leur architecture sans pour autant les solliciter lors du processus de conception. Ainsi ce travail croisé de recherche et d’architecture a permis d’alimenter une réflexion réciproque et non-figée à travers cet effort constant de va-et-vient entre considérations théoriques, politiques, sociales et enjeux architecturaux techniques et opérationnels. Ce mémoire et le projet présenté sont une restitution en l’état d’un objet de recherche qui m'a nourrie au long de ces études et qui continuera de s'approfondir, de se mettre en doute et de s'affirmer au fil de prochaines expériences et rencontres.



BIBLIOGRAPHIE



137

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Vidéos Devenir de la ZUP de la Paillade, [Vidéo] Archives INA, 22 mars 1972. MASBOUNGI, Ariella. Interview de Patrick Bouchain, Grand Prix de l’urbanisme 2019. [Interview]. batinfo.com, 13 janvier 2020, 30min. Disponible sur: https://batinfo.com/video/interview-de-patrick-bouchain-grand-prix-de-lurbanisme-2019_14491. Consulté le 14 juin 2020. École Spéciale d’Architecture. Le logement : un espace de liberté, Sophie Delhay. [Conférence]. Champs Critiques, 11 mars 2019, 1h05min. Disponible sur: https://vimeo.com/342531910. Consulté le 19 mars 2020.


141

Podcasts ABITTAN, David. Sophie Delhay : «Je ne suis pas seulement architecte, je suis aussi habitante». [Podcast]. Tema archi, 20 janvier 2020, 1h. Disponible sur: http://podcast.archi/articles/ hors-concours-podcast-interview-sophie-delhay-architecte. Consulté le 23 juillet 2020.



ANNEXES



145

PRÉSENTATION DES ASSOCIATIONS

Dans le cadre du projet du semestre 9, en septembre 2019, ont eu lieu les premières rencontres du réseau associatif de Saint-Martin. Les pages suivantes présentent une brève restitution de ces échanges informels.

Repérage des lieux où on été rencontrées les associations de Saint-Martin, Septembre 2019.


Annexes

146

Crèche familiale, septembre 2019.


147

La Maison Pour Tous, septembre 2019.


Annexes

148

City citoyen, septembre 2019.


149

Radio Clapas | Point Information Jeunesse, septembre 2019.


Annexes

150

Propos relevés.


151


Annexes

152

Propos relevés.


153


154

Annexes

CHRONOLOGIE DES ENTRETIENS NOM

FONCTION

M. Bernard Anonymisé

Habitant de la résidence Jupiter, La Paillade

Mme Zerrour Anonymisée

Habitante de la résidence Jupieter, La Paillade

Jean-Michel Miramond

Architecte

Jérémie Anonymisé

Membre de la Maison Pour Tous

Julien Prieur

Directeur des politiques de la ville chez ACM habitat (bailleur social)

Mme Petit Anonymisée

Assistante maternelle à Saint-Martin et habitante dans une maison pavillonnaire du quartier

Lucie Anonymisée

Journaliste chez Radio Clapas

Mme López Anonymisée

Habitante de la résidence Mercure, La Paillade

Jean-Philippe Vassal

Architecte

Nathalie Ravinal

Architecte et responsables des "marches explotoires des femmes" de Saint-Martin

Emna et sa famille Anonymisée

Habitante de la tour Saint-Martin

Véronique Meneux

Coordinatrice du quartier Près d'Arènes

Mme Descombles Anonymisée Et famille Ly Anonymisée

Agente immobilière Habitant·e·s de la tour Saint-Martin


155

LIEU

DATE

CONTEXTE

La Paillade

25/01/2019

Entretien dans le cadre du workshop "Une Habitation à Loyer modérée", dirigé par Marion Devillers, ENSAM

La Paillade

26/01/2019

Entretien dans le cadre du workshop "Une Habitation à Loyer modérée", dirigé par Marion Devillers, ENSAM

La Croix d'Argent

03/09/2019

Entretien

Saint-Martin, sur le parvis 05/09/2019 de la Maison Pour Tous

Discussion informelle

Aiguerelles, dans les locaux d'ACM habitat

09/09/2019

Entretien

Saint-Martin, dans un jardin partagé

12/09/2019

Discussion informalle

Saint-Martin, dans les locaux de la radio

12/09/2019

Discussion informelle

Écusson

16/09/2019

Entretien

Skype

04/11/2019

Entretien

Centre d'art "La Fenêtre", Saint-Roch

20/11/2019

Entretien

Au pied de la tour SaintMartin puis chez-elle

24/01/201 et 30/01/2021

Entretien puis relevé chez-elle

Téléphone

17/02/2021

Entretien

Tour Saint-Martin

04/04/2021

Visite d'un appartement venduloué




29.06.2021 ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE MONTPELLIER


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