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PARTIE 01: DÉFINITIONS
Pour fournir les clefs de lecture nécessaires à l’immersion dans le sujet que nous allons aborder, il est nécessaire d’en définir les termes. Nous nous attarderons d’abord sur celui de graffiti, sujet central de ce mémoire qui doit donc être appréhendé au mieux et que nous avons tâché de définir aussi précisément que possible. Après avoir étudié la notion du graffiti et son évolution jusqu’à la pratique telle que nous la connaissons aujourd’hui, nous nous focaliserons sur les thèmes du langage, de la contestation et des politiques urbaines en nous appuyant sur des sources bibliographiques diverses et propres à chaque sujet. Cette définition des termes nous permettra d’aborder la suite du mémoire en nous rapprochant d’échelles d’analyse auxquelles le cursus en école d’architecture nous a mieux habitué, à savoir les contextes spatiaux et urbains de chaque élément étudié. Afin de focaliser l’attention du lecteur sur le corpus que nous avons dressé pour ce mémoire, nous avons fait le choix de ne pas utiliser d’images autres que celles le composant, et qui seront regroupées en annexe de ce mémoire.
UNE BRÈVE DÉFINITION DU GRAFFITI
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Le graffiti a des origines floues, dues notamment au manque de définition du terme lui-même. Si l’on considère le graffiti comme l’expression de l’Homme sur ce qui forme son habitat alors on peut remonter jusqu’aux grottes préhistoriques et les scènes de chasse figurant sur leurs parois, en considérant les mains visibles à même la pierre comme les premiers pochoirs. On pourrait également parler des nombreux graffitis sauvegardés par l’éruption du Vésuve à Pompeii, témoignages légers d’une histoire qui n’est pas transmise jusque dans les livres. La pratique qui nous intéresse ici est cependant beaucoup plus récente, puisque nous étudierons dans ce mémoire le graffiti sous sa forme contemporaine, née autour des années 1960 de l’accession du grand public à un outil toujours aussi emblématique : la bombe aérosol. Comme nous le verrons plus loin, elle n’est pas et n’a jamais été le seul outil utilisé par les graffeurs pour recouvrir les villes, cependant elle a su devenir un symbole de cette pratique en alliant portabilité, accessibilité et polyvalence pour celles et ceux qui l’utilisent.
LES ORIGINES DU GRAFFITI ACTUEL
Avant toute chose il convient d’établir les limites de l’étude menée ici. On l’a vu, le graffiti a des origines anciennes. Nous n’étudierons dans cette partie qu’une fraction de son histoire au travers de deux prismes : un territoire l’ayant particulièrement influencé, les villes du Nord-Est des États-Unis dans
la seconde moitié du vingtième siècle ; et un autre qui nous est plus proche, la France sur une temporalité allant de la même période jusqu’à nos jours. Il va sans dire que le graffiti a déjà existé endehors de ces lieux spécifiques et qu’il a une histoire fournie que nous n’allons pas documenter ici. On peut toutefois noter l’utilisation de codes modernes du graffiti pour la réalisation de fresques monumentales avec le mouvement du muralisme mexicain, né dans les années 1920 avec la volonté de d’apporter l’art à tous par des œuvres publiques et monumentales. Rapidement le fruit de commandes d’État, les fresques qui en résultent illustrent l’histoire officielle du pays en la rendant accessible à tous sans distinction. Cet exemple n’en est qu’un parmi d’autres, c’est pourquoi afin de restreindre le propos nous n’évoquerons que la fraction citée plus haut de la production existante, sans nier l’intérêt des éléments que nous ne citerons pas.
LA PRATIQUE DU GRAFFITI AUX ÉTATS-UNIS
La bombe de peinture utilisée en tant qu’outil du graffiti est un détournement : à l’origine, elle était destinée aux carrossiers et devait leur permettre d’appliquer une couche de peinture de façon uniforme très rapidement et à bas coût, tout en autorisant une large gamme de déclinaisons de couleurs. Aux États-Unis, cet outil s’est vite vu attribuer un second usage, notamment dans les banlieues des grandes villes du NordEst comme New-York ou Philadelphie où des phénomènes de gangs sévissaient à cette époque. Pour trouver un autre moyen d’intégration sociale, de jeunes états-uniens ont alors utilisé des bombes de peinture pour écrire des pseudonymes correspondant à leur identité, par exemple en associant un surnom et un numéro correspondant à une rue précise indiquant leur provenance.1. Rapidement, cette pratique s’est répandue et codifiée en donnant de la valeur à certaines performances. Plus le territoire couvert par un graffeur était étendu, et plus son alter-ego était identifiable et respecté. Les tags, terme anglais signifiant « étiquette » et utilisé tout autour du monde pour désigner ces graffitissignature, ont évolué en se complexifiant pour augmenter d’autant la dangerosité de l’action effectuée et la gloire retirée de sa réalisation.2. Une pièce dont les lettres sont tracées d’un simple trait prend par exemple moins de temps à être réalisée qu’une autre dont les pièces présentent un contour défini et un remplissage. Multiplicité des couleurs, agrandissement des surfaces, complexification des dessins, ajout de fioritures diverses ont mené les graffeurs à mettre au point des crews (« équipage ») pour pouvoir travailler à plusieurs simultanément sur les mêmes éléments. Ce faisant, ils pouvaient non seulement apposer leur marque dans des lieux de plus en plus risqués (et donc, prestigieux dans la communauté d’initiés) mais aussi s’intégrer à des groupes sociaux dès le début de l’adolescence et ainsi constituer leur identité. Pratique accessible au plus
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.2 WACŁAWEK, Anna. Street art et graffiti. Paris : Thames & Hudson, 2012. 208p. (Collection l’univers de l’art). Tout au long de cette partie nous nous appuierons grandement sur ce livre dont nous ne pouvons que conseiller la lecture.
Musée des Beaux-Arts de Calais. Conquête urbaine, Street Art au musée. Catalogue d’exposition. Paris : LIENART éditions, 2019. 152p.
grand nombre par son prix, elle reste un véritable rocher de Sisyphe puisque les tags sont aussi nombreux que leur durée de vie est brève.
Le meilleur moyen d’exposer ses œuvres au plus grand nombre a rapidement été identifié comme étant le réseau du métro. Bien que sécurisés, les zone de dépôt des voitures se sont ainsi vues devenir la cible de graffeurs avides de faire leurs preuves, avec encore une fois la codification allant de paire avec la pratique. Si un groupe pouvait accéder à une rame de métro, il pouvait alors tenter de faire un top to bottom (allant du haut au bas de la voiture), un side to side (allant d’un côté à l’autre dans le sens longitudinal), un whole car recouvrant l’intégralité d’une voiture ou, dans les cas extrêmes, un whole train. Ces défis sont encore valorisés aujourd’hui et il existe des collectifs de graffeurs spécialisés dans l’entrée par effraction dans les dépôts afin de recouvrir de cette façon des trains de marchandises entiers. Bien que particulièrement dangereuse, une action de ce type garantit la reconnaissance par le milieu puisqu’elle est suivie d’une véritable parade des graffitis tout autour de la ville, introduisant cette pratique jusque dans les centres huppés. Si l’on prend le cas de New-York où le phénomène a été particulièrement virulent, cette arrivée du graffiti dans les centre a eu au moins deux effets notables. D’une part, on a assisté à la mise au point d’une politique anti-graffiti aussi virulente qu’inefficace de la part des autorités de la ville, puisque les graffeurs arrêtés étaient condamnés à effectuer des services d’intérêts généraux sous forme d’un recouvrement de leurs œuvres. Ce faisant, la ville ne faisait que leur fournir de nouvelles surfaces vierges de tout antécédent tout en montrant aux récidivistes les meilleurs murs de la ville. Cela a généré un climat de rejet du graffiti qui culmine de façon assez curieuse avec la théorie de la vitre cassée, citée par de nombreux graffeurs et tirée d’un article paru dans l’édition de Mars 1982 du journal The Atlantic. Intitulé Broken Windows et rédigé par George L. Kelling et James Q. Wilson, ce billet.3 décrit le lien qu’il y a à faire entre incivilités manifestes dans un quartier et hausses de la criminalité. Le graffiti est alors identifié comme un élément qui, si on le laisse perdurer dans l’environnement urbain, causera un sentiment général d’insécurité et ouvrira la porte à des délits plus graves par la suite. Selon une notion que l’on retrouve dans Tags et graffs : les jeunes à la conquête de la ville, publié en 2001 par Stéphanie Busquets et MarieLine Felonneau chez l’Harmattan.4, ce fantasme de la dangerosité du graffiti est entretenu par son caractère hautement visible mais incompréhensible. Un tag est une signature, il témoigne du passage d’un individu, étranger à soi puisqu’on ne comprend pas ce qu’il a communiqué. L’invisibilité de l’auteur devient alors menaçante puisqu’elle contraint le passant à accepter le fait indéniable qu’il navigue dans un environnement qu’il ne peut contrôler. Pour revenir à la théorie
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.4 KELLING, George et WILSON, James. Broken Windows, the police and neighborhood safety. The Atlantic [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.theatlantic.com/magazine/ archive/1982/03/broken-windows/304465/ BUSQUETS, Stéphanie et FELONNEAU Marie-Line. Tags et graffs : les jeunes à la conquête de la ville. Paris : L’harmattan, 2001. 205p. (Collection Psychologiques).
de la vitre brisée, celle-ci indique que si un immeuble montre un signe visible de dégradation comme un graffiti et que celui-ci n’est pas rapidement corrigé, cela agira comme un indicateur du faible niveau de préoccupation pour le maintien de l’ordre existant dans cet immeuble et le quartier l’environnant. Suivant cette idée, lutter contre les dégradations matérielles devient primordial afin d’offrir un cadre sécurisant et maîtrisé aux usagers de la ville. C’est pendant longtemps cette doctrine qui a guidé le rapport des politiques publiques au graffiti sous toutes ses formes.
Un autre effet notable de l’arrivée du graffiti dans le centre New-Yorkais a été sa popularisation auprès d’un tout autre public, celui de la scène artistique vibrante des milieux alternatifs de la ville. C’est au tournant des années 1970 qu’ont eu lieu les premières expositions en galeries réalisées par des graffeurs, mais c’est véritablement au début de la décennie suivante que le graffiti commença à être perçu comme une expression artistique et leurs auteurs de véritables artistes.5 . Le point marquant de cette période est souvent identifié comme étant le Times Square Show, une exposition qui a rassemblé en Juin 1980 des noms comme Jean-Michel Basquiat, Kiki Smith ou Keith Haring dans un ancien institut de massage abandonné. Le lieu, investi le temps de l’exposition, a rassemblé plus d’une centaine d’artistes des domaines de la danse, de la musique, de la vidéo et du graffiti, qui n’était alors que l’un des mediums présentés par le lieu. D’autres expositions ont suivi durant les années 1980, qui ont favorisé le contact des graffeurs entre eux, les faisant se voir eux-mêmes comme de véritables artistes, et entraînant l’apparition de nouveaux noms. Parmi ceux-ci on compte celui de Keith Haring, dessinateur prolifique qui se sera fait remarquer au moyen des œuvres au style clairement identifiable qu’il a disséminées dans le métro New-Yorkais. Utilisant les panneaux d’affichage comme supports et la craie sur fond noir comme outil, il s’assurait ainsi une identification assurée dans le paysage urbain de la ville, reprenant les codes du graffiti signature (utilisation de l’espace public, répétition d’un style reconnaissable à divers endroits) sans toutefois être motivé par la même démarche identitaire. Son travail sera rapidement repéré par les galeristes qui le feront intégrer le circuit culturel traditionnel pour lui donner la renommée qu’il a atteint aujourd’hui. D’autres noms semblables ont émergé de la scène graffiti, comme celui de Jean-Michel Basquiat qui avait signé ses premières œuvres du sigle SAMO (correspondant à Same Old Shit). Ces deux créateurs sont un exemple parmi d’autres qu’après cette période, le graffiti s’est vu accepté par les institutions et a commencé à être dédiabolisé auprès d’un public auparavant très peu réceptif.
LA PRATIQUE DU GRAFFITI EN FRANCE
Si aux États-Unis le graffiti a suivi une trajectoire allant de l’extérieur des villes jusqu’à leur centre où il a trouvé une certaine légitimité artistique, en Europe et plus spécifiquement en France son
.5 MARTINIQUE, Elana. Times Square Show 1980. Widewalls [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.widewalls.ch/magazine/timessquare-show-1980
évolution est assez différente. Dès 1963, un détournement de la bombe aérosol dans l’espace public apparaît avec les Éphémères de Gérard Zlotykamien.6 , silhouettes éthérées apparaissant sur les barrières de chantier du trou des Halles à Paris. Ces formes humanoïdes, dessinées par un trait matérialisant un contour sans remplissage, sont formellement très simples et présentent une suggestion, un gabarit de corps surmonté par une tête à l’expression triste. L’ensemble de cette série effectuée dans les années 1960 a été inspiré par les fantômes d’Hiroshima, des silhouettes laissées dans la ville par les corps vaporisés par l’explosion atomique de 1945. On retrouve la même démarche chez une autre tête de file de l’art urbain français, Ernest Pignon-Ernest, qui choisit de représenter ce même traumatisme nucléaire directement dans la rue, sans passer par le cadre policé d’une galerie d’exposition.7 . Zlotykamien et Ernest PignonErnest développent alors un rapport autre avec la rue en la considérant comme un medium signifiant en lui même. Le propos n’est pas identitaire comme celui du tag et de la culture graffiti telle qu’elle est en train de voir le jour aux États-Unis, il témoigne ici d’un geste artistique prémédité et conscient de lui-même. Quand Ernest Pignon-Ernest choisit, dès 1966, de couvrir le Vaucluse de pochoirs faisant voir ces silhouettes, volontairement qu’il décide de « stigmatiser » l’espace urbain afin de faire ressentir la menace qu’il éprouve à la vision des images du bombardement. Il poursuivra dans cette visée d’interpellation du passant avec le reste de son œuvre, notamment avec son intervention sur la commune de Paris qui verra en 1971 des centaines de gisants se matérialiser sur les espaces investis par le passé.8. La technique change ici, avec un emploi de la sérigraphie qui crée une véritable surépaisseur dans l’espace de la rue contrairement au pochoir jugé comme créateur d’un rapport trop binaire. Les années 1960 ont vu naître en France cette manière autre de s’approprier la ville en la considérant comme un support d’expression artistique. Elles ont aussi été le théâtre d’une appropriation par la contestation qui a marqué les mémoires : les manifestations de mai 1968. Ce mouvement initialement étudiant s’inscrit dans une remise en question de l’autorité présente tout autour du globe. En France, elle atteint son paroxysme lors de la nuit des barricades qui opposa entre le 10 et le 11 mai étudiants et forces de l’ordre dans un affrontement violent et ravageur qui donnera une toute autre échelle à ces revendications.9. En parallèle de ces affrontements directs on voit fleurir sur les murs une autre forme de rébellion avec la généralisation des slogans et autres diatribes revendicatrices. L’occupation de la Sorbonne ou d’autres université françaises en témoigne, avec la répétition de slogans tels que « Le pouvoir est dans la rue, pas dans les urnes » ou encore « La police vous surveille, surveillez la police » relevé dans le quartier latin de la capitale.
.6 PUJAS, Sophie. Gérard Zlotykamien, pionnier du street art. Le Point [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.lepoint.fr/pop-culture/lifestyle/ gerard-zlotykamien-pionner-du-streetart-21-03-2017-2113506_2944.php
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.8 PIGNON-ERNEST, Ernest. L’origine. Ernest Pignon-Ernest [en ligne]. Disponible à l’adresse : http://pignon-ernest.com/
WOLIN, Richard. Events of May 1968. Encyclopedia Britannica [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.britannica.com/event/eventsof-May-1968
Ibid.
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L’absence de pérennité de ces éléments rend difficile son archivage. On peut toutefois difficilement nier l’héritage qu’ils ont suscité, le slogan bien connu « Sous les pavés, la plage » ayant par exemple largement dépassé en portée la devanture sur laquelle il a été initialement bombé. Cette appropriation de la rue, utilisant toujours l’aérosol comme outil, a ici pour but de transmettre et diffuser un message de façon claire, de ne pas uniquement faire état d’une présence mais aussi de transmettre un propos identifiable. Ce ne sont évidemment pas les premiers graffitis de ce type identifiables dans un milieu urbain, cependant il semble pertinent d’identifier les actions de mai 68 comme ayant impacté leur perception dans l’imaginaire collectif en leur donnant une véritable épaisseur en tant qu’outil de contestation. Signal d’un procédé où l’individu est mis en retrait par rapport à son propos, très peu des inscriptions citées ci-dessus sont signées, rendant leurs auteurs anonymes dès lors qu’ils ont fini leur travail d’écriture. La pratique du graffiti français est donc dès ses débuts le fait de sachants, qu’ils soient des artistes assumés et conscients de leur geste ou des individus effectuant cette action dans une volonté de transgression qui se retrouve dans leur propos. Les galeries n’ont alors pas joué le rôle de légitimisatrices du graffiti auprès du grand public, puisque les acteurs de ce milieu revendiquaient dès l’origine de leur pratique une démarche artistique la motivant. Ce n’est que par imitation du modèle étatsunien que l’on a vu l’émergence de pratiques proches du graffiti-signature en France, touchant alors les mêmes milieux qu’outre Atlantique et suivant un parcours d’acceptation comparable dans les mentalités. Le tag français n’a tout de même pas eu exactement les mêmes codifications que son modèle, basé entre autres sur la numérotation des rues à l’américaine. Le plus ancien writer répertorié est par exemple Taki183.10, qui tire son nom de la 183e rue dans laquelle il habitait (Washington Heights, au Nord de Manhattan). En France un tel exercice est impossible et c’est plutôt la graphie des lettres elles mêmes ou leur sonorité (les graffeurs s’interpellent par leurs pseudonymes) qui représente un critère signifiant. Si l’on a parlé des premiers artistes français utilisant la rue comme medium, bien d’autres ont suivi par la suite.11. Dès les années 1970-1980 mais avec une pratique qui s’étale jusqu’à nos jours on peut citer Blek le Rat ou Miss Tic qui ont attiré le regard sur les habitants de la rue (respectivement les sans-abris et les travailleuses du sexe). On note que contrairement à Zlotykamien et Pignon-Ernest, ces artistes emploient un pseudonyme dissimulant leur véritable identité et les protégeant sommairement dans leurs interventions illicites. Plus tard on peut citer des noms comme ZEVS, habitué des détournements publicitaires ambitieux et des recherches plastiques comme il en a fait preuve avec ses « graffitis propres ».. Ces derniers
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.11 Musée des Beaux-Arts de Calais. Conquête urbaine, Street Art au musée. Catalogue d’exposition. Paris : LIENART éditions, 2019. 152p. AZIMI, Roxana. Avant Banksy ou JR, Ernest Pignon-Ernest, Pionnier du StreetArt. M, le magazine du Monde [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/ article/2019/06/28/avant-banksy-ou-jrernest-pignon-ernest-pionnier-du-streetart_5482616_4500055.html
renversent le code usuel du graffiti en impliquant non pas une addition mais une soustraction de matière sur le mur visé, l’intervention nettoyant le mur plutôt que de le repeindre. On peut également citer JR dont le travail de photograffeur basé sur des portraits plaqués dans l’espace public à une échelle monumentalequestionne d’autant notre rapport à la rue et à ses usagers. Concernant la popularisation du graffiti auprès d’un grand public, on peut également noter sa correspondance avec la vie culturelle lui étant contemporaine, notamment en terme de scène musicale. Le tag tel qu’il est né dans les banlieues New-Yorkaises a par exemple rapidement trouvé son pendant musical avec le rap.12 , élément fondateur d’une culture hip-hop encore balbutiante. Ce type de graffiti, dont les acteurs utilisent un langage stylisé par leurs soins pour se démarquer les uns des autres, incarne alors une expression visuelle de ce mouvement jeune et contribue à le rendre identifiable hors des cercles où il est popularisé habituellement. En Europe, c’est à une autre mouvance musicale contestataire que le graffiti se rattache dans les années 1970 avec l’esprit punk et son imaginaire do it yourself.13. Ce n’est pas le tag qui est utilisé ici mais plutôt le pochoir. Facile à réaliser et ne nécessitant pas de connaissances particulières au préalable (se rattachant ainsi aux réalités de certains groupes qui apprenaient parfois à jouer une fois sur scène), il est un moyen de diffuser une idée en mobilisant un minimum de moyens. Il illustre ainsi non seulement l’esthétique mais aussi l’esprit punk et ses détournements de certains codes tirés du monde militaire (comme le pochoir ou les crânes rasés).
.12 Gary 1983. Italian anti fascist rap music (#15). Toy Division Graffiti Podcast. Spotify, diffusé le 10 juillet 2020. Durée : 1h10min47s.
.13 ABARCA, Javier. Punk graffiti : stencils en tags since 1977. Urbanario [en ligne]. Publié le 22 octobre 2008 [Consulté le 10 janvier 2021 à 11h51]. Disponible à l’adresse : https://urbanario.es/en/articulo/ punk-graffiti-stencils-and-tags-since-1977/
Le graffiti tel qu’on l’aborde dans ce mémoire a donc des origines multiples liées à ses contextes spatiaux, sociaux, culturels et politiques. Toutes ont pour point commun d’avoir utilisé en priorité la bombe de peinture, un outil polyvalent dont l’industrialisation a permis l’accès en masse à un équipement peu cher et surtout intuitif dans son utilisation et ne demandant pas de savoir-faire au préalable. Dans les banlieues New-Yorkaises il a autorisé des individus en quête d’intégration sociale à développer leurs propres codes, qui ont ultérieurement été reconnus en tant que démarche artistique. En France, des artistes s’en sont emparé et l’ont utilisé pour sa lisibilité dans un espace urbain qu’ils voulaient marquer d’une empreinte autre. Partout, la bombe aérosol a permis une expression libérée par sa simplicité d’usage et sa couvrance exceptionnelle des surfaces, quelle que soit la technique derrière son utilisation. Cela s’est notoirement traduit par les événements de mai 68 sur notre sol, mais la contestation étudiante était généralisée et existait également dès 1964 dans la faculté de Berkeley par exemple. Les pratiques ont par la suite évolué et ont progressivement été acceptées par les critiques, le public et les institutions pour faire aujourd’hui partie intégrante de l’imaginaire de la ville.