11 minute read
Site et critères sélectionnés
Après avoir décrit les variations du graffiti selon ses contextes urbain et spatial et dégagé les trois démarches pouvant mener à sa production, nous allons expliciter les méthodes qui ont mené à la création du corpus utilisé dans ce mémoire. Tout d’abord, nous justifierons le choix de Lyon en tant que ville d’étude avant de préciser comment les prises de vue constitutives du corpus ont été sélectionnées. Enfin, nous aborderons la question des critères qui ont été retenus comme discriminants dans la réalisation du tableau typologique qui sera utilisé pour analyser la banque d’images constituée précédemment. On rappelle que cette étude cherche à comprendre ce qui fait du graffiti un langage contestataire malgré son intégration aux politiques urbaines. Nous déterminerons donc le degré de contestation de chaque graffiti en nous appuyant sur les définitions tirées des recherches de Luca Pattaroni.27 en début de ce mémoire, et sur la relation entre signifiant et signifié telle que décrite par Ferdinand de Saussure dans ses écrits.28 . Le signifié étant la notion de contestation, nous partirons à la recherche du signifiant à travers l’étude typologique autorisée par nos critères. Nous croiserons enfin ces analyse avec celle de la démarche que nous venons de définir pour comprendre au mieux chaque graffiti.
LE CHOIX DU SITE ET LA SÉLECTION DES PHOTOS
Advertisement
L’utilisation de la base de données réalisée pour La graffithèque a rapidement posé la question du tri de cette dernière. Composée au moment de la rédaction de
ce mémoire de 3356 photographies (dont 1199 venant de contributeurs extérieurs), elle constituait une bibliothèque d’images trop importante pour pouvoir être analysée dans le temps imparti. Heureusement les photos y sont classées selon des critères géographiques, ce qui a permis d’orienter la sélection sur la ville étant la plus représentée, à savoir Lyon avec un total de 508 prises de vue. Une étude rapide des images liées à une certaine connaissance du terrain a permis de se rendre compte de l’hétérogénéité de la représentation des quartiers de la ville dans les photos disponibles. Il a alors semblé approprié de trier ces images selon leur provenance, ce qui a dégagé cinq zones principales, toutes assez centrales. On note dans ce corpus l’absence de délaissés urbains tels qu’on les a qualifié précédemment, les mesures de restriction de déplacement des individus ayant compliqué l’exploration urbaine pendant la rédaction de ce mémoire.
Une fois le site choisi, il restait à déterminer les critères de sélection des photos qui seraient étudiées. La première étape a été celle du tri géographique. En recherchant le lieu de prise de vue approximatif de chaque photo on a pu déterminer que cinq quartiers de Lyon regroupaient 482 des photos étudiées. Ces quartiers sont la Presqu’île, sur une zone allant de la place des Terreaux à l’échangeur de Perrache, le quartier des Pentes de Croix-Rousse, la zone touristique du Vieux Lyon entourant la cathédrale Saint-Jean, le côté occidental du septième arrondissement et enfin les pourtours de la Saône et du Rhône. Ces zones ont été délimitées arbitrairement suivant une expérience d’habitant lyonnais de la perception de la ville et ne s’appuient pas sur des données statistiques précises ou des délimitations administratives. On peut dès cette distinction faite remarquer de forte disparités de la production graffiti dans ces différents espaces, avec une moyenne de 96 photos par zone identifiée mais une amplitude allant de 227 prises de vue pour le quartier des Pentes à 26 images seulement dans le vieux Lyon. Traiter la question du critère géographique revient à déterminer le contexte urbain propre aux œuvres étudiées. Nous allons maintenant aborder celle du support spatial propre à chaque graffiti. Les photos de ce corpus ont donc été réparties dans plusieurs catégories de supports, à savoir les surfaces, les ouvertures et le mobilier urbain. Si les termes de surfaces et de mobilier urbain ont été explicités auparavant il n’en est pas de même pour celui des ouvertures, que l’on va qualifier de percements réalisés dans le support bâti. Cela peut donc s’appliquer aux portes, rideaux métalliques, vitrines, volets ou dans certains cas aux ouvertures condamnées, mesure initialement temporaire empêchant l’appropriation sauvage d’un local non occupé. Ces trois catégories s’affinent avec un critère de hauteur pour les surfaces (le graffiti peut être placé sur le sol, en bas de mur, à hauteur d’œil ou en haut de mur) et un déterminant typologique pour le mobilier urbain permettant de désigner la famille d’éléments qui tient lieu de support au graffiti.
.27
PATTARONI, Luca. Art, espace et politique dans la ville gentrifiée, la contre-culture domestiquée. Genève : MetisPresses, 2020. 296p. (Collection vuesDensemble). .28 DE SAUSSURE Ferdinand. Cours de linguistique générale. Paris : Payot, 1971. 327p.
Le croisement de ces données a autorisé la création d’un tableau renseignant sur la proportion de graffitis selon les supports dans chaque quartier étudié. Nous avons pu de cette façon constater que la grande majorité (72%) de la production graffiti apparaît sur les surfaces de la rue, à savoir ses murs et son sol. Plus encore, c’est au niveau du regard du passant que sont placées la plupart des œuvres avec une part de 39% de l’intégralité du corpus, soit un total de 189 prises de vue. Le mobilier urbain arrive second avec 18% des prises de vue, suivi par les ouvertures qui en totalisent environ 10%. Une fois ce tableau effectué on a pu constater les différences existant entre les différentes zones concernant les supports de graffiti majoritaires. Nous avons ensuite pu procéder à la constitution d’un corpus de quarante images en en choisissant huit par aire géographique. Ce choix s’est fait d’une façon qui s’est voulue représentative de la production existant dans chaque quartier en respectant les proportions de présence sur chaque type de support listé précédemment. On rappelle que cette étude de terrain n’est pas exhaustive. Elle repose sur une base de données constituée dans le but d’une publication en magazine et n’est donc pas représentative de l’intégralité de la production graffiti existant à l’instant T dans les lieux cités. Les œuvres les moins esthétisées, notamment les tags, y sont donc probablement sous-représentés par rapport à leur nombre véritable. Nous pensons toutefois que le nombre de photographies global permet d’avancer des premières conclusions quant à une tendance générale, et que les méthodes d’analyse appliquées à cette base de donnée seraient reconductible sur un corpus prenant également en compte ces éléments. De plus, les prises de vues utilisées ici ne témoignent certes pas de l’entièreté de la production graffiti mais au moins de celle que l’on remarque le plus, et donc celle qui est le plus perçue par les usagers de la ville. Nous considérons donc pouvoir exploiter les résultats fournis par cette étude au moins pour dégager une tendance générale de la représentation du graffiti dans chaque quartier.
LES CRITÈRES DU TABLEAU
Une fois le corpus d’images réduit à quarante éléments, il est devenu exploitable dans le cadre d’une étude typologique précise. Dans ce but on a réalisé un tableau dont les critères permettent de mener une étude précise de chaque type de graffiti, notamment dans leur définition formelle. En premier lieu nous nous intéresserons à l’identification de chaque œuvre en qualifiant les techniques mobilisées dans leur création (pochoir, dessin à main levée, collage), les outil utilisés dans leur création (bombe aérosol, papier, autres) et enfin en déterminant si le graffiti présente une signature identifiable. Dans le cas des tags, le graffiti lui-même est une signature, il sera donc considéré en tant que telle. De même, la graphie de ces travaux peut être difficilement lisible, c’est pourquoi nous n’écrirons pas tous les pseudonymes que nous pourrons relever. Certains travaux portent des signes caractéristiques permettant d’identifier leur auteur pour ceux qui les connaissent déjà mais ne portent pas de signature en tant que telle, nous les classerons donc comme non signés. Le deuxième élément étudié par
le tableau est celui de l’insertion du graffiti dans son milieu. Cet aspect joue sur deux registres, la relation qu’il entretient avec son support physique et celle qu’il a avec les autres graffitis potentiellement présent sur le mur. Dans le cas du support physique on a déterminé deux cas de figure, celui d’une apposition et celui d’une valorisation. L’apposition correspond à un dépôt du graffiti sans relation particulière à son contexte direct ; la compréhension de ce dernier ne serait pas impactée par un changement de cadre spatial. Si un graffiti entretient une relation de valorisation avec son support alors le cas est différent, puisqu’il a été conçu spécialement pour le site où il est placé. Au niveau de l’interaction avec d’autres graffitis encore une fois plusieurs cas de figure existent. D’une part il est possible que le support ne présente qu’un seul graffiti sur la surface photographiée, dans ce cas la relation est d’office inexistante. S’il y a cohabitation toutefois, elle peut se faire dans une dynamique de superposition, de juxtaposition ou même d’interaction.
Nous nous pencherons ensuite sur le degré de complexité de l’œuvre, quantifié par plusieurs critères. D’une part nous pourrons déduire selon les techniques employées si une préparation préalable est nécessaire à sa réalisation. Nous examinerons ensuite si le graffiti étudié est monochrome, utilise trois couleurs ou moins ou s’il est polychromatique. Nous nous pencherons enfin sur le temps de pose estimé en nous basant sur des observations faites au préalables quant aux différentes techniques employées. Quatre niveaux de temporalité ont été retenus. Le temps inférieur à dix minutes correspond au temps court généralement nécessaire pour effectuer un pochoir, un collage ou une inscription. La tranche allant de dix minutes à une heure est nécessaire pour les pochoirs et collages plus complexes ainsi que pour les pièces de petite taille nécessitant un remplissage à la bombe aérosol. Le palier suivant est celui allant d’une à dix heures de réalisation, tandis que le dernier qui correspond aux œuvres ayant demandé plus de dix heures de travail sur site est quasiment réservé aux fresques monumentales assumant leur fonction de signal dans le quartier. Cette notion sera étudiée plus précisément par la définition du degré de visibilité des œuvres, reposant lui aussi sur trois critères. Le premier est sa hauteur par rapport à l’observateur, à savoir son positionnement par rapport à une ligne d’horizon représentant le regard du public. Le second est la surface occupée par l’œuvre, avec encore une fois des paliers définis arbitrairement selon des critères nous paraissant pertinents. Le premier palier est celui de la surface d’une feuille A4, relativement discrète dans l’environnement urbain. Le deuxième, avec une surface de moins de trois mètres carré, correspond grossièrement à la surface atteignable par un artiste sans qu’il ait à se déplacer pour effectuer son œuvre. Le palier des dix mètres carrés est celui atteint généralement par les grandes pièces de graffiti-signature, et les œuvres qui le dépassent sont celles qui nécessitent de prendre du recul pour pouvoir être appréciées. Dans cette lignée on a défini un critère de portée de l’œuvre, selon qu’on la distingue depuis le trottoir, accolé au mur concerné, depuis l’autre côté de la rue ou à l’échelle de l’îlot.
Le dernier axe d’étude du graffiti n’est pas formel et cherche à déterminer le degré du caractère contestataire
47.
du graffiti étudié. Nous nous baserons pour cela sur quatre critères dont trois nous viennent de l’analyse des contrecultures menée précédemment. Le premier sera celui du support, qui dans le cadre de l’expression d’une contreculture génère un contre-espace. On considérera donc que l’apposition d’un graffiti sur un support qui ne lui est pas dédié est par essence contestataire. De la même façon, si l’œuvre présente une esthétique tranchant avec le paysage urbain l’environnant elle sera considérée comme alternative. Le critère suivant est le vecteur valuatif de l’œuvre, pour lequel nous considérons que si une œuvre peut générer un profit personnel pour son auteur alors elle n’exprimera pas une contestation. Le dernier critère est celui du propos, qui s’il peut être jugé explicitement revendicatif pourra être considéré comme contestataire. L’addition de ces réponses nous permettra de juger du degré de contestation exprimé par le graffiti étudié. On souligne que le critère temporel pointé comme pilier de la contre-culture dans l’étude menée précédemment n’a pas été pris en compte. Étant donné le corpus d’études tel qu’il est défini ici nous n’avons pas les moyens de déterminer précisément la pérennité de chaque œuvre étudiée, c’est pourquoi nous l’avons écarté.
Des observations menées dans des milieux urbains distincts nous ont permis de distinguer une hétérogénéité de la production graffiti selon leur contexte et leur support qui se retrouve dans de multiples villes. Nous avons pu dégager de ces observations trois démarches que nous avons qualifiées d’identitaire, d’artistique et d’assertive et qui sont selon nous motrices de la création de graffitis dans le milieu urbain. En piochant dans une archive photographique centrée sur Lyon nous avons pu dégager un corpus représentatif de la production graffiti telle qu’elle existe dans cinq quartiers centraux de la ville en prenant en compte ses variations selon le support étudié. Nous avons ensuite développé un outil d’analyse sous forme de tableau typologique qui nous permettra d’étudier précisément chaque graffiti afin de déterminer quel élément impacte son caractère contestataire. Nous pourrons de la sorte établir si le graffiti constitue dans son entièreté une expression de contestation ou si c’est lorsqu’il mobilise certains outils ou est placé sur certains supports qu’il ne sera pas