TEASING
À découvrir dans ce numéro... «LA MÉMOIRE DU WEB EST EN PÉRIL»
FÉM IN IS M E
HOT-CLUB
SQUATS
ANKOU
«ZONE D’URGENCE TEMPORAIRE ARTISTIQUE»
CYBERCAFÉ AUTOGESTION
DISTRICT
BAGNARDS
«PARTIR EN RETRAITE À MOBYLETTE»
ÉDITO
FÊTARDS, PAS CRIMINELS La crise sanitaire a eu un mérite : rappeler à tout le monde qu’il ne fait pas toujours bon d’aimer faire la fête. Classées comme non essentielles, la musique et la danse ont également pu se voir considérer comme illégales, transformant ceux qui s’y adonnaient en, au mieux, des irresponsables, au pire, des criminels. Particulièrement pointés du doigt ces derniers mois : les teufeurs. Tout l’été, les préfectures de Bretagne ont multiplié les arrêtés pour interdire ces « rassemblements festifs à caractère musical ». Une position qui pourrait faire sourire (c’est vrai que les rave-parties sont habituellement autorisées…) si cela ne précédait pas des événements plus tragiques. Dernier en date : la free-party de Redon en juin qui a donné lieu à des affrontements avec les forces de l’ordre. Violence symbolique (avec une destruction injustifiée du matériel de sonorisation), mais surtout violence physique avec un participant qui perdra sa main, arrachée par une grenade. Un contexte – pas franchement inédit, certes – qui a poussé le monde culturel a exprimé sa colère et son désarroi. En juillet, 300 acteurs (des musiciens de tout style, des programmateurs, des directeurs de structures…) ont signé un manifeste, pointant « un degré de violence sans précédent ». Un constat partagé par le collectif finistérien “Arts & cultures” (qui réunit des sound systems et défend la « fête libre »). Dans une tribune relayée par Le Télégramme en août, il fustige « cette répression qui redouble d’effort » afin, estime-t-il « de torpiller le mouvement ». Empêcher les gens de faire la fête est « peine perdue », expliquait, dans notre numéro de février, le sociologue Christophe Moreau, pour qui ces restrictions des pratiques festives doivent nous amener à nous questionner : « Vers quelle société va-t-on ? » La rédaction
SOMMAIRE 6 à 11 WTF : animal, féminisme, anniversaires, ZUT... 12 à 23 Génération web 1.0 24 à 29 Squat else 30 à 35 La Bretagne à bon pore 36 à 43 Le foot est mort, vive le foot ? 44 à 51 RDV : Magenta, Gardien Party, Pepper White, Gwendoline, QuinzeQuinze... 52 & 53 Le Hot-Club de Rennes 54 BIKINI recommande 4
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Ce numéro a été bouclé le 18 août. Si annulation ou report de spectacles en raison de la crise sanitaire, consulter les sites des salles, musées et festivals.
Directeur de la publication et de la rédaction : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Brice Miclet, Isabelle Jaffré, Melrine Atzeni / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Consultant : Amar Nafa / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos partenaires, nos lieux de diffusion, nos abonnés, Émilie Le Gall, Louis Marchand. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - 1 bis rue d’Ouessant BP 96241 - 35762 Saint-Grégoire cedex / Téléphone : 02 99 25 03 18 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2021.
WTF
QUEL ANIMAL ALLER VOIR ?
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EURÊKA !
L’ ART S’EST TOUJOURS INSPIRÉ DE LA NATURE. AU MOMENT DE CHOISIR LEUR NOM DE SCÈNE, CES GROUPES ET ARTISTES ONT DÉCIDÉ DE RENDRE HOMMAGE À NOS AMIS LES BÊTES. TOUR D’HORIZON DE LA MÉNAGERIE.
Franck Alix
« Des idées pour changer le monde. » Telle est la promesse des conférences TEDxRennes qui reviennent pour une 10e édition. Un événement où l’on pourra écouter Rudy Reichstadt de Conspiracy Watch, l’autrice féministe Typhaine D ou encore le navigateur Vincent Grison. Belle brochette. Le 25 septembre à Rennes.
SERPENT David Marques
AROUND THE WORLD
L’Atlantique Jazz Festival dédie sa 18e édition aux migrations. À l’image de sa programmation métissée qui réunit, entre autres, la guitare du Franco-Suédois Paul Jarret, la folle batterie de l’Américain Makaya McCraven (photo), la folk psyché vénézuelienne d’Insólito Universo. Du 2 au 17 octobre à Brest, Châteaulin, Morlaix….
UNIVERSALISME
plaidoyer Après Noire en 2019, Tania de Montaigne présente L’Assignation. Une conférence spectacle où l’autrice s’attaque aux pensées communautaires et aux logiques identitaires. Les 1er et 2 octobre au TNB à Rennes. 6
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Dix ans après la sortie de son entêtant tube La Forêt, le chanteur Lescop met entre parenthèses son aventure solo et déboule avec un nouveau projet, accompagné de quatre musiciens. Celui-ci se nomme Serpent et navigue entre post-punk et funk. Un mariage vénéneux, à l’image du mordant single Distant Call. Quand ? Le 3 septembre à Art Rock à Saint-Brieuc
LE SUPER HOMARD
Nom de scène du musicien Christophe Vaillant, Le Super Homard s’est associé à Maxwell Farrington, fantasque crooner australien basé à Saint-Brieuc. Le duo (photo) a sorti au printemps l’album Once, curieux disque de pop orchestrale. Quand ? Le 10 septembre à Art Rock à Saint-Brieuc, le 5 novembre aux Indisciplinées à Lorient et le 6 novembre à L’Échonova à Saint-Avé
MACADAM CROCODILE ROUGE GORGE Né il y a trois ans dans un studio à Montreuil, ce duo réunit deux musiciens expérimentés : Xavier Polycarpe (ex-Gush) et Vincent Brulin (qui a joué pour Fortune, Izia ou encore Alain Chamfort). Forts de leur background musical, les deux gaziers délivrent une jam new-disco scintillante, qui va chercher du côté de l’afro-punk et de l’électro pop. Quand ? Le 24 septembre à Baisers Volés à Saint-Malo
Un drôle d’oiseau que ce Robin Poligné, ancien chanteur lyrique qui, après un passage dans le coma, a perdu la puissance de sa voix et a dû en apprivoiser une nouvelle. Cette renaissance donnera vie, en 2019, à l’album René. Un disque de synthpop minimaliste qui rappelle Jacno, Étienne Daho ou encore Taxi Girl. Quand ? Le 1er octobre à La Passerelle à Saint-Brieuc
WTF
DU FÉMINISME TOUT TERRAIN
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Marie Rouge
Vincent Curdy
LITTÉRATURE, DANSE, HUMOUR... LA LUTTE POUR L’ÉGALITÉ DES SEXES SE FAIT SUR TOUS LES FRONTS. LA PREUVE AVEC CES TROIS RENDEZ-VOUS QUI QUESTIONNENT LA CONDITION FÉMININE.
DANGEREUSES LECTRICES
VICTORINE
LAURENT SCIAMMA
Le festival rennais de littérature féministe revient pour une troisième édition. Thème retenu cette année : le cœur. Questionnant l’amour et l’amitié, le rendez-vous accueillera notamment les autrices Pauline Harmange et Wendy Delorme, ainsi que la journaliste Victoire Tuaillon (photo) pour des tables-rondes. Quand ? Les 25 et 26 septembre aux Ateliers du Vent à Rennes
Le chorégraphe Sébastien Laurent s’empare de Votez Victorine. Un livre jeunesse signé Claire Cantais qui s’interroge sur la condition féminine à travers le personnage de Victorine Meurant, modèle de Manet, dans le tableau Déjeuner sur l’herbe. Une héroïne dont on suivra la libération. Quand ? Les 19 et 20 octobre au Triangle à Rennes, le 22 octobre au Pôle Sud à Chartres-de-Bretagne
Faire rire en prônant l’égalité des sexes. C’est l’habile démarche de ce stand-upper qui dégomme les stéréotypes et déconstruit les représentations qui pèsent sur les hommes et les femmes. Frère de la réalisatrice Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu), ce trentenaire fait mouche avec son premier spectacle Bonhomme. Quand ? Le 19 octobre au Théâtre de Cornouaille à Quimper
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INCANDESCENT
Grosse rentrée pour les fougueux Brestois de Bantam Lyons qui, le 15 octobre, sortent leur second album, Mardell, sur le label Music From The Masses. Un disque de noise pop mélancolique, entre new wave et shoegaze, à découvrir sur scène le 16 septembre à La Carène à Brest et le 11 décembre au Novomax à Quimper.
RIGHT HERE, RIGH NOW Rendez-vous pluridisciplinaire, le festival Maintenant poursuit ses explorations hydrides mélangeant arts, musique et technologies : la géométrie augmentée d’A.I.L.O, les tableaux sonores de Tristan Ménez et Benjamin Le Baron, la fresque interactive de Guillaumit… Un saut dans le futur qui se tient du 1er au 10 octobre dans la capitale bretonne. 8
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Yohan Gérard
HAPPY BIRTHDAY
PRÉPARER LES GATEAUX ET SORTEZ LES BOUGIES : C’EST L’HEURE DE CÉLÉBRER TROIS ANNIVERSAIRES ! QUAI DES BULLES Le festival de la bande dessinée fête sa 40e édition. Un anniversaire que le rendez-vous célèbre cette année sur quatre jours. Parmi les réjouissances, une série d’expositions (signées Pénélope Bagieu, Emmanuel Reuzé ou encore Patrick Prugne), ainsi que des rencontres avec un paquet d’auteurs. Quand ? Du 29 octobre au 1er novembre à Saint-Malo
MASS PROD Le label punk rennais Mass Prod fête ses 25 ans. Un quart de siècle d’activisme musical à revivre dans un ouvrage sorti il y a peu. Portraits de groupes, photos de concerts, chroniques... Près de 500 pages qui sentent bon la sueur et la 8·6 pour célébrer un acteur majeur de la scène rock bretonne.
FERAROCK Trentième anniversaire pour la Fédération des radios associatives musiques actuelles (Ferarock) ! Pour arroser ça, ce réseau regroupant 24 stations dans toute la France (dont Canal B à Rennes, Mutine à Brest et Radio Activ’ à SaintBrieuc) organise un marathon radio : 30 heures d’antenne en direct du Jardin Moderne à Rennes et, en bonus, un concert de Mad Foxes (photo). Quand ? Les 9 et 10 septembre 9
WTF
MAIS C’EST QUOI LES « ZUT » ?
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CRÈME ANGLAISE
Chaque automne, Dinard se transforme en capitale du cinéma britannique. Le festival revient du 29 septembre au 3 octobre pour une 32e édition. À l’affiche, comme d’hab, la crème de la production british.
M. de Sinéty
L’HYMNE DE NOS CAMPAGNES
En 1972, Madeleine de Sinéty découvrait, par hasard, Poilley, un village de 500 habitants en Ille-et-Vilaine. Cette photographe y restera dix ans, réalisant plus de 50 000 clichés consacrés à la vie rurale. Une exposition, témoin d’un temps disparu, à découvrir au Musée de Bretagne à Rennes. Du 22 octobre au 27 mars 2022.
PHYSIQUE-CHIMIE
souffre
S16, c’est le nom du dernier album de Woodkid. C’est aussi la formule du souffre sur le tableau périodique des éléments chimiques. Sept ans après The Golden Age, l’artiste multi-casquette confirme avec son électro symphonique, sulfureuse et mélancolique. Le 23 octobre au Liberté à Rennes, le 10 novembre à l’Arena à Brest et le 13 novembre aux Rendez-vous Soniques à St-Lô. 10
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C’est un appel à la fête qui a été lancé le 18 juin. Initié par Technopol et La Villette à Paris, le concept de ZUT (zones d’urgence temporaire artistique) a essaimé tout l’été et se poursuit en septembre dans de nombreuses villes. Le principe ? La création de « lieux éphémères extérieurs visant à accompagner une reprise de l’activité artistique et festive », avec un accent fort sur les musiques électroniques qui ont bien morflé depuis le début de la crise sanitaire. C’est notamment ce dernier point qui a poussé Alice Boinet, programmatrice d’Art Rock à Saint-Brieuc, à développer une ZUT sur sa prochaine édition qui se tient en cette rentrée. « C’est une réponse à ces deux années qu’on vient de vivre. La scène électro a galéré plus que les autres. La ZUT est une façon supplémentaire de défendre les artistes et, plus largement, de défendre le droit à la fête. » Ainsi le 12 septembre, Ascendant Vierge (photo), Deena Abdelwahed et Bernardino Femminielli investiront le parc du grand pré à Langueux. « Le fait que ce soit une proposition gratuite, c’est aussi une façon de brasser les publics. On souhaite toucher aussi bien les teufeurs que les familles. » Un projet qu’on retrouvera également à Panoramas, fin septembre, où une ZUT prendra place au SEW. Au sein de l’ancienne manufacture des tabacs, se succèderont Gwendoline, Silly Boy Blue, ainsi que les collectifs Canal 16 et Bre.Tone. « Cela corres-
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CES « ZONES D’URGENCE TEMPORAIRE ARTISTIQUE » FLEURISSENT DEPUIS LE DÉBUT DE L’ÉTÉ. EN BRETAGNE, DEUX SE METTENT EN PLACE LORS DES PROCHAINES ÉDITIONS D’ART ROCK ET DE PANORAMAS.
pond sur de nombreux points à ce qu’on pouvait déjà imaginer dans nos propositions en journée, pose Eddy Pierres, le directeur du rendez-vous morlaisien. Mais la ZUT, qui est un dispositif soutenu par le ministère de la culture, permet de labéliser la chose et de réunir différents acteurs, notamment les politiques, autour de la table. Pendant la crise, ces derniers ont un peu oublié la jeunesse… » Si la ZUT n’a pas vocation à s’inscrire dans le temps, le concept peut en revanche donner des idées. « Un one shot dont on pourra s’inspirer. Sur l’open air DJ set par exemple, une forme qu’on aimerait à nouveau développer à l’avenir », fait savoir Alice Boinet à Art Rock. Même chose du côté de Pano où Eddy Pierres souhaite faire perdurer le principe d’une telle zone en journée. « Même s’il s’agit de questions déjà abordées par de nombreux festivals, il faut également que les réflexions portées par la ZUT se poursuivent. Parmi celles-ci, la mise en avant des artistes locaux et la place des femmes dans les musiques actuelles. » J.M
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GÉNÉRATION WEB 1.0
INGÉNIEURS, INFORMATICIENS, MODÉRATEURS... IL Y A 30 ANS, ILS ONT PARTICIPÉ AU DÉVELOPPEMENT DE L’INTERNET GRAND PUBLIC. UNE RÉVOLUTION QUE NOUS RETRACENT LES PIONNIERS BRETONS.
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ombien de temps passez-vous chaque jour en moyenne à consulter vos sites favoris, scroller sur les réseaux sociaux, lire et écrire vos mails ? N’ayez pas honte, on est tous ou presque devenus complètement dépendants : en 2020, la consommation journalière était de 2 h 25 pour l’ensemble des Français et de 4 h 23 chez les 15-24 ans. La drogue en question qui nous rend si accro est pourtant récente : la première page web dans le monde a vu le jour il y a seulement 30 ans. C’est le 6 août 1991 très exactement qu’elle a été publiée en provenance du Cern, labo scientifique suisse, par un chercheur britannique passé depuis à la postérité et nommé Tim Berners-Lee. S’en est suivie une bonne décennie de balbutiements pour que ce nouveau mode de communication finisse par s’imposer comme une évidence pour le grand public. Ces années 1990 étaient l’époque des modems qui font « scrchhhh scrchhhhh… », des communications limitées à quelques heures par mois proposées sur CD-ROM par AOL, Club Internet ou Liberty Surf, des pages perso bariolées et des premiers forums de geeks. C’était l’Internet sans les GAFA, sans les réseaux sociaux, sans Spotify et sans les publications gênantes du tonton sur Facebook (ou plutôt « face de bouc » comme il aime encore l’appeler). C’était un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître et qui a connu ses pionniers locaux. Retour en étapes sur une révolution incontournable.
1969 : ARPANET, LA PRÉHISTOIRE Avant le world wide web de Tim Berners-Lee lancé en 1991, il faut remonter plus de deux décennies en arrière pour revenir aux origines d’Internet. Car Internet et le web sont deux choses bien différentes, rappelle l’universitaire rennais Alexandre Serres : « Internet a largement préexisté au web. Il définit la connexion à distance de réseaux informatiques, ce qu’on peut communément appeler un “réseau de réseau”. Le web – ou world wide web dans sa version longue – n’en est qu’un support physique, une mise en application parmi d’autres comme le transfert de données ou le courrier électronique. » C’est en 1969 aux États-Unis qu’un premier réseautage informatique voit le jour entre quatre universités de l’ouest-américain : Los Angeles, Stanford, Santa Barbara et l’université d’Utah. « Ce projet initial baptisé Arpanet est né du contexte de la guerre froide qui était alors à son paroxysme. Le ministère US de la défense souhaitait mettre au point un système de sauvegarde infaillible en cas d’attaque soviétique : si les dossiers sensibles d’une faculté venaient à être ciblés, le réseautage permettait d’en transférer des copies ailleurs dans le pays », précise Gérard Le Lann, dont le nom figure parmi les pionniers cités sur la plaque “Birth of the Internet” inaugurée à San Francisco en 2005. C’est que l’ancien informaticien a été l’un de ceux que le gouvernement de Georges Pompidou a missionné pour monter un « Arpanet à la française » : le projet Cyclades.
« Le Minitel a été un frein à l’explosion d’Internet » 14
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« En 1972, je m’installe à Rennes dans les locaux de l’IRIA (Institut de recherche en informatique et en automatique, école d’ingé devenue depuis INRIA, ndlr) pour travailler en équipe réduite sur de la simulation de réseaux à commutation de paquets. Pour faire simple, il s’agissait de fragmenter les messages en unités pour les faire passer dans un réseau. » Un an plus tard, Le Lann est envoyé aux États-Unis pour améliorer la collaboration entre chercheurs français et américains. « Nous avons mis au point le protocole de transmission TCP/IP qui va s’imposer comme la référence de ce qu’on va d’abord appeler l’internetting, puis Internet à partir du début des années 1980. »
1981 : UN CONCURRENT, LE MINITEL Durant la décennie précédente cependant, la France va orienter sa stratégie sur le développement d’un terminal concurrent : le Minitel. « Il y a eu guerre de clochers entre d’un côté les informaticiens, convaincus de l’avenir d’Internet, et de l’autre les ingénieurs des télécommunications,
Inria
plus nombreux et plus influents dans les années 1970 et qui vont imposer leur vue pour une technologie de commutation téléphonique », contextualise Guy Pichon, ancien informaticien affecté au Centre commun d’études de télévision et télécommunications (CCETT), basé à Rennes à partir de 1972. La capitale bretonne voit ainsi à l’époque cohabiter les deux écoles : le projet Cyclades cher à Gérard Le Lann et le CCETT où travaille Guy Pichon. Pour le premier nommé, « le Minitel s’est vite avéré très archaïque, bien qu’il ait longtemps fait la fierté de la France. Ses concepteurs pensaient avoir inventé un nouveau mode de communication mais l’utilisation du Minitel ne sera jamais pensé au-delà des frontières hexagonales, ce qui a considérablement limité son développement ». Tout le contraire d’Internet, dont Guy Pichon reconnaît les mérites. « La commercialisation du Minitel à partir de 1981 n’a été qu’un frein à l’explosion inéluctable d’Internet. »
1991 : LES DÉBUTS HÉSITANTS DU WEB D’autant plus qu’à partir de 1989 au Cern en Suisse, Tim Berners-Lee com15
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DOSSIER
mence à travailler à un usage grand public d’Internet, ce qui aboutira deux ans plus tard à la publication d’une première page web. « Tout cela a été rendu possible car le protocole TCP/IP est passé dans le domaine public dès 1983, fait savoir Gérard Le Lann. Dès lors, la technologie était “mûre” pour une diffusion à grande échelle de son utilisation. » Il faudra néanmoins
attendre les années 1993-1994 pour qu’Internet sorte de l’usage des seuls initiés et chercheurs. « C’est à cette époque que sont lancés les premiers moteurs de recherche qui se sont vite avérés d’indispensables outils pour se repérer dans ce qu’on appelait alors naïvement “la toile d’Internet” : AltaVista, Lycos, Yahoo… Avant l’apparition de Google en 1998 qui va finir par s’imposer
aux autres », indique Alexandre Serres. Dans la salle informatique de Villejean à Rennes, l’enseignant découvre alors, émerveillé, un monde à portée de clic (ou de « mulot », comme l’appelait Jacques Chirac dans un fameux sketch des Guignols de l’Info, témoin de cette difficile phase d’apprentissage aux nouveaux outils numériques). « Je me souviens de débats très vifs, presque philosophiques, entre d’un côté les partisans d’Internet, dont les plus fervents défenseurs pensaient qu’il allait presque révolutionner nos modes de gouvernance grâce à un accès immédiat à l’information pour tous, et de l’autre des opposants parfois farouches – y compris chez de jeunes étudiants – qui craignaient un monde virtualisé et la perte de contacts physiques. Internet a-t-il amélioré ou abîmé nos démocraties ? La question reste d’actualité aujourd’hui », ajoute Alexandre Serres.
« J’AI FAIT PARTIE DES PREMIERS MODOS SUR LE NET » À la fin des années 1990, un début de démocratisation des tarifs Internet permet au web de décoller. Club Internet propose par exemple une formule à 22 centimes de franc par minute (oui par minute !). Mais c’est AOL qui, en 2000, frappe fort avec un forfait illimité pour 99 francs (environ 15 euros) par mois. Et qui dit davantage d’abonnés, dit davantage de partage du savoir... mais surtout beaucoup plus de conneries en ligne. Notamment sur les chats et forums, ancêtres de nos réseaux sociaux. 16
Pour contrôler tant bien que mal ce qui s’y dit, ces espaces de discussions trouvent alors un solution peu coûteuse : des modérateurs bénévoles. « Pour avoir ma ligne gratuite, j’étais modérateur sur les forums AOL », raconte ainsi Olivier. Ce Breton, aujourd’hui installé à Brest où il travaille comme informaticien, habitait alors dans l’Est de la France et était donc chargé du forum de sa région. Avec lui, une quarantaine de “modos” qui se répartissaient les différents salons de discussion (thématiques
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ou géographiques). « Notre rôle était de guider les nouveaux et de vérifier que les conversations ne partent pas en vrille. » Alors, le web, c’était mieux avant ? « C’était les mêmes problèmes qu’aujourd’hui : injures, harcèlement, racisme, homophobie, arnaques... Globalement, c’était souvent la foire au slip quand même », se souvient-il. Face aux propos problématiques, les modérateurs pouvaient lancer des avertissements et aller jusqu’à « bâillonner » le
contrevenant, qui ne pouvait alors plus intervenir. « Pour certains salons, comme ceux pour la communauté gay, il n’y avait pas d’avertissement. Au moindre truc homophobe, c’était “au revoir” direct. Après, on signalait à Dublin (le siège d’AOL en Europe, ndlr) qui gérait les sanctions. On n’était pas mis au courant de ce qui se passait après. » Pour choisir ses bénévoles, qui devaient suivre un planning et donner quatre heures de leur temps par semaine, AOL réalisait des entretiens
1996 : LE GRAND DÉCOLLAGE Malgré les réticences, Internet va connaître un important développement dès la deuxième moitié des 90’s. En 1995, François Fillon est nommé jeune ministre des “technologies de l’information”, ancêtre de l’actuel secrétariat d’État au numérique. Lors des élections municipales de la même année, le maire de Brest Pierre Maille, réélu, est l’un des premiers en France à créer une nouvelle délégation en charge du développement du numérique dans sa ville. La tâche revient à Michel Briand, qui va se passionner pour cette nouvelle mission où « tout était à inventer, avec peu de moyens et de budget. C’était un changement de civilisation considérable et difficile à imaginer aujourd’hui, à l’heure de la 4G et du wifi partout ». Grâce à lui et son équipe, la cité du Ponant équipe plus vite que la moyenne du pays ses écoles, universités, hôpitaux et bâtiments publics. « En Bretagne, le défi était d’autant plus difficile que les auprès des nombreux volontaires. Les heureux élus étaient en suite formés en ligne – déjà –, mais sans Zoom ou Skype, les connexions de l’époque ne supportant pas vraiment la vidéo. « En plus de nous payer la ligne Internet, AOL nous réunissait une fois par an pour un week-end à Paris ou Marseille, séjour tout compris et open bar ! C’était cool », se remémore Olivier. Mais l’expérience des modérateurs bénévoles a tourné court quand le fournisseur d’accès s’est fait rattraper par la patrouille pour travail dissimulé entre 2003 et 2005. La grogne gagnait de toute façon dans les rangs de ces modos corvéables à merci. « Si c’était à refaire, je le referais, tempère l’ancien guide AOL. C’est grâce à cette expérience que j’ai décidé de faire ma carrière dans l’informatique. » Isabelle Jaffré 17
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télécommunications sont un fleuron de l’économie de la région : Alcatel à Lannion, le Minitel à Rennes… Il a fallu lutter contre une forme de patriotisme économique », se souvient l’ancien élu. Étudiant en BTS informatique à Châteaulin en 1997, Sébastien Le Corfec (un des cofondateurs du fameux site Copains d’Avant, pionnier des réseaux sociaux) se rappelle également le peu d’engouement de ses camarades pour Internet. « Quasi toute la promo s’était orientée vers des voies professionnelles plus sûres comme le secteur bancaire quand j’avais opté pour le développement de sites web. Ma soutenance de diplôme avait d’ailleurs consisté à présenter le site Internet de la commune de Saint-Renan que j’avais conçu à l’époque en HTML sur FrontPage, avec animations en flash, détaillet-il. C’était il y a moins de 25 ans et pourtant je vous assure que c’était très exotique et audacieux : il y avait encore très peu de sites français à l’époque, encore moins locaux. » Parmi ceux-ci on comptait celui du quotidien Le Télégramme, l’un des premiers médias français à se numériser dès 1996 (la même année que Libé et Le Monde, un an avant le New York Times – classe ! – et quatre ans avant le concurrent OuestFrance). « Pour la petite histoire, on a commencé par publier des images de phoques prises à Océanopolis, raconte son premier administrateur João-Luis Pereira. Les dirigeants du journal, Édouard Coudurier en tête, avaient ce côté découvreur de terres
inconnues et Internet en était une ! On a d’abord été lu par la diaspora bretonne même si les audiences étaient au départ insignifiantes : très peu de gens étaient connectés. C’est devenu plus important au début des années 2000 quand nous nous servions du site pour couvrir l’actualité des festivals : l’Interceltique, les Vieilles Charrues… »
2004 : CHANGEMENT D’ÈRE L’histoire était en marche et le passage au nouveau millénaire a tout changé. En France, le nombre d’utilisateurs d’Internet passe de seulement 300 000 en 1996 à plus de 6 millions cinq ans plus tard en 2001 (et 53 millions aujourd’hui…). « On est passé d’un web 1.0 de simple consultation à un web 2.0 d’interaction, avec la création coup sur coup entre 2004 et 2006 de Facebook, YouTube et Twitter », signale Alexandre Serres.
« Les audiences étaient
insignifiantes au départ » 18
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Si le web actuel n’a donc plus rien à voir avec celui d’hier, tous ses pionniers aiment se remémorer ces premières années de découverte. Aujourd’hui administrateur web chevronné, Antoine Vergos (à qui on doit notamment le premier site Internet du club de foot de l’En Avant de Guingamp) se rappelle avec nostalgie de ses premières années de bidouillage DIY depuis sa chambre de lycéen à Morlaix en 1996. « J’ai hébergé mon premier site consacré à l’actualité du foot sur un Mygale.org, qui était une création étudiante fonctionnant sur le mode associatif. J’ai aussi connu l’époque des débuts d’OVH où on pouvait directement échanger avec son concepteur Octave Klaba. Nous étions une toute petite communauté d’autodidactes. » Les explorateurs d’un monde libertaire qui ressemblait au far west. « Tout nous semblait possible, abonde Sébastien Le Corfec. C’était, pour les découvreurs que nous étions, une excitation difficilement imaginable aux internautes d’aujourd’hui. » Régis Delanoë
Amélie Ruaud
Morgane Tual, journaliste rennaise, autrice du livre Le Web d’avant. Que reste-t-il du web des années 1990 ? Peu de choses. C’est comme de la géologie, avec une superposition de couches qui écrasent les précédentes. Les plus jeunes internautes peuvent difficilement imaginer ce qu’ont vécu leurs prédécesseurs d’il y a 20 ou 25 ans : les sites perso par exemple, avec page d’accueil, livre d’or, compteur qui enregistrait le nombre de consultations, fond étoilé… L’Internet d’avant était-il vraiment si différent ? Oui, car ce sont les GAFA qui ont standardisé le fond comme la forme. Les concepteurs des premières pages web étaient tous des amateurs un peu geek qui utilisaient les polices de caractère de leur choix, avec couleurs criardes et cliparts qui peuvent paraître de mauvais goût aujourd’hui. C’était foutraque, baroque, mais Internet avait une poésie qui a disparu. Est-il bien archivé ? Non, la mémoire d’Internet est en péril car trop peu de chercheurs s’y intéressent, hormis certains organismes comme “Internet Archive”. Selon l’adage, « Internet n’oublie jamais », mais c’est faux. C’est une histoire trop récente et sans doute pas considérée comme assez précieuse. Ces pages oubliées que les premiers utilisateurs d’Internet consultaient sont pourtant les manuscrits de la fin du 20e, dont les historiens du futur auront besoin pour documenter notre époque. Reste qu’archiver Internet est un défi car la matière est gigantesque. Mais chaque tweet ou chaque commentaire d’article mérite-t-il d’entrer à la postérité ? 19
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YVES-FRANÇOIS DEHERY, LE PAPA RENNAIS Que vous téléchargiez un album, connectiez votre enceinte Bluetooth ou écoutiez de la musique en streaming, sachez que c’est en grande partie grâce au travail de Yves-François Dehery, un ingénieur passionné par le son et la musique, aujourd’hui à la retraite. Sa carrière démarre chez France Télécom à la fin des années 1970, mais prend un tout autre essor lorsqu’il intègre le Centre commun d’études de télévision et télécommunications (CCETT), basé à Cesson-Sévigné, en 1982 afin de travailler sur la partie audio de la future télévision par satellite. Il y gravit vite les échelons. Cinq ans plus tard, un collègue lui propose de plancher sur un projet nommé DAB, pour “Digital Audio Broadcasting”, consistant à numériser la bande FM. « On était très en avance, assure-t-il. J’avais une super équipe de chercheurs et de techniciens, on avait envie de tout révolutionner et de casser la baraque. » Par un jeu d’alliance, ils font équipe avec l’institut de recherche allemand de l’IRT et le mastodonte Philips. Ils nomment leur nouvelle technologie “Musicam”. Une seconde, intitulée “Aspec” (développé par l’institut allemand Fraunhofer et l’industriel Thompson notamment), fait aussi son apparition et les deux formats musicaux cohabitent donc. En 1988, un nouveau projet international voit le jour. Il s’appelle MPEG, pour “Moving Picture Expert Group”, et cherche à développer la vidéo numérique qui donnera les CDRom et les éphémères CD vidéo. En charge de travailler sur cette future nouvelle technologie, Yves-François Dehery se rend à une de ces réunions 20
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aux États-Unis où des groupes d’ingénieurs s’affrontent sur ce nouveau format. « C’était un gratin d’experts. Mais on a convaincu le président de MPEG, Leonardo Chiariglione, de lancer une autre compétition visant à définir la norme de compression audio. » En clair, il s’agit de diminuer la taille d’un flux audio afin de pouvoir le lire sur des supports plus petits. Musicam se retrouve donc dans une nouvelle bagarre contre l’Aspec. L’enjeu : « Savoir qui allait déposer les brevets et faire du business avec. On a défini les modalités de compétition, des critères de simplicité technologique, de taille du produit fini, et surtout de qualité sonore. » Grâce à leurs précédentes recherches sur le DAB, Musicam a une belle avance. À l’été 1990, MPEG décide de tester les trouvailles de chacun. Tout le monde se rend en Suède où la radio publique locale a réuni des « oreilles d’or » pour départager les concurrents. « Il y avait des professionnels du son et des anonymes. Entre eux et les enceintes, on avait
placé un rideau noir. Ils écoutaient à l’aveugle. On avait enregistré tous les instruments d’un orchestre, j’avais même proposé de mettre de l’accordéon et une cornemuse. Et puis il y avait des voix de femmes, ce qui est très difficile à manier. » L’algorithme de Musicam l’emporte haut la main, porté par une qualité de son bien supérieure. « Durant nos recherches, nous avions en fait développé deux systèmes. Le Layer 1, que Philips destinait à sa future cassette numérique et qui servira bien plus tard pour la technologie Bluetooth, et le Layer 2 que nous avons présenté en Suède, rembobine Yves-François Dehery qui, sur les conseils de Leonardo Chiariglione, collaborera avec ses concurrents du MPEG pour développer le Layer 3. C’était l’auberge espagnole, un fatras d’inventions. » Cependant, Yves-François Dehery exige du Layer 3 qu’il soit un fichier informatique. On doit pouvoir le copier-coller, le lire en aléatoire, avancer ou reculer dans l’extrait
Photos : Bikini et DR
DU MP3
sonore… Au sein du produit fini, on retrouve plusieurs particularités des Layer 1 et 2 brevetés par Musicam. Son nom complet : MPEG-1/2 Audio Layer 3. MP3 pour les intimes. Son importance explosera avec la démocratisation d’Internet et les grandes années du peer-to-peer (Ahhh Napster et Kazaa <3 !). Parallèlement, les sociétés Mpman en Asie et Eiger Labs aux États-Unis développent les premiers baladeurs numériques dès 1998, permettant au quidam d’embarquer une multitude de fichiers MP3 dans sa poche. L’industrie musicale s’apprête à être bouleversée pour toujours. Mais plus Yves-François Dehery voit ce format être utilisé par les grands industriels du secteur, plus il s’aperçoit que les brevets déposés par Musicam ne sont pas honorés. L’ingénieur va donc passer les quinze dernières années de sa carrière à traquer les entreprises leur devant des droits. Parmi cellesci : Samsung ou encore Apple, qui cet automne, fête les 20 ans de son iconique iPod. Brice Miclet 21
DOSSIER
Pour ceux qui ont grandi dans les années 1990, se connecter à Internet ressemblait à ça : on s’installait au bureau familial, on veillait à ce que le téléphone soit raccroché, on ouvrait Lycos (« Va chercher ! ») et ça y est, on était paré pour parcourir “les autoroutes de l’information”. Celles qui permettaient de faire des recherches sur AltaVista ou de demander « ASV ? » (âge, sexe, ville) sur les chats de CaraMail. Et pour ceux qui n’avaient pas encore la chance d’avoir un PC à la maison, il y avait les cybercafés. Le principe de ces lieux, ayant aujourd’hui (quasi) tous disparu, était simple : un accès à un ordinateur et une connexion à Internet payable à la minute. En Bretagne, parmi ces établissements pionniers, on comptait le Seven à Vannes, l’Ar Ménez à Douarnenez, le Baratin à Quéven… Tous avaient choisi d’installer dans leur bistro un ou plusieurs ordinateurs. « C’était un outil fantastique. Pour 60 francs de l’heure (environ 10 euros), les gens venaient au bar pour voir concrètement ce qu’était le web. Beaucoup de premières adresses mail se sont créées chez nous, témoigne Yann Pothier, l’ancien patron de La Cordée, un café devenu cyber en 1997, à Quimperlé. Nous avions trois ordinateurs avec écran couleurs et une capacité de 1,6 Go. On a eu une assez grosse clientèle et surtout très variée : des étudiants et beaucoup de retraités curieux. Certains venaient matin et soir pour consulter leurs mails, le cybercafé avait cette fonction de boîte à lettres. » Delphine Grégoire, ancienne associée du cybercafé Les Années Bleues à Brest se souvient particulièrement de 22
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Ina
LE CYBERCAFÉ, UN HISTORIQUE EFFACÉ
la qualité de la connexion de son bar en 1994. « C’était terrible… Qu’est-ce que c’était lent ! Nous avions aménagé une salle à l’étage du bar avec trois PC aux écrans si gros, qu’on aurait dit des postes de télévision. » Pour Samuel Austin, ancien propriétaire d’un “cybergarage” à BelleÎle-en-Mer, c’est surtout le monde, attiré par le phénomène, qui reste mémorable. « En 1999, j’ai eu l’idée d’installer une dizaine d’ordinateurs dans un local que je possédais. Au début, j’utilisais SUSE, une distribution de Linux. Mais les clients étaient totalement perdus, j’ai donc préféré installer Windows 98 par la suite. Très vite, les gens sont venus en masse, rembobine-t-il. C’était une époque où on avait plein d’idées. En 2000, on a par exemple fait la retransmission en ligne d’une compétition de surf qui avait lieu à Belle-Île. On avait installé une caméra, et on s’était branché sur la prise téléphonique du local des sauveteurs en mer. L’image était toute petite, mais ça marchait ! » Pour Valérie Schafer, historienne et coautrice de l’ouvrage Dans les coulisses de l’Internet, les cybercafés ont eu un rôle crucial pour les Français :
« Ils ont permis une éducation et une familiarisation au web, en évitant aux utilisateurs d’avoir à débourser des sommes trop importantes. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, à la fois l’équipement mais aussi la souscription à un FAI (fournisseur d’accès à Internet) étaient très onéreux. » Des lieux qui, selon l’experte, ont par la suite connu plusieurs phases d’évolution, jusqu’au déclin. « Après les cybercafés un peu artisanaux, on a vu naître des grosses infrastructures, portées par des chaînes. On parle là de surfaces de plus de 1000 m2 avec, parfois, plus de 300 PC installés…, expose-t-elle. Puis, petit à petit, le prix des machines grand public a commencé à baisser, de même que les forfaits Internet, et les Français ont commencé à s’équiper. Ce qui a provoqué la fin des cybercafés. » Mais pour Yann Pothier, l’expérience était nécessaire : « En voyant arriver Internet, on savait que notre quotidien allait changer, mais on ne pouvait pas mesurer à quel point. J’aime l’idée que les cybercafés ont aidé les gens à se familiariser avec ce nouveau monde. » Melrine Atzeni
DOSSIER
SQUAT ELSE
UN CHAPITRE DE LA CULTURE ALTERNATIVE RENNAISE SE FERME : L’ÉLABO DOIT QUITTER SON FIEF HISTORIQUE. UN TOURNANT POUR CE SQUAT ARTISTIQUE AUJOURD’HUI COINCÉ ENTRE DÉSIR DE RECONNAISSANCE ET VISCÉRALE VOLONTÉ D’INDÉPENDANCE. 24
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Photos : Camille Alric et Bikini
DOSSIER
’est un crève-cœur de partir. Ici, les lieux sont gorgés d’histoire : 24 ans de rencontres, d’échanges, de fêtes… Mais aujourd’hui, on n’a pas le choix : on doit s’en aller. » Niché depuis 1997 dans la plaine de Baud, à l’est du centre-ville de Rennes, le collectif de L’Élaboratoire est en plein dans les cartons. En cette rentrée, ce squat artistique doit en effet quitter le hangar du 17 bis avenue Chardonnet (ancien bâtiment désaffecté reconverti en pôle dédié au spectacle vivant), ainsi que le « terrain des chap’ », où une dizaine de caravanes sont installées. Un premier déménagement avant celui, d’ici deux ans, de son espace au 48 boulevard Villebois Mareuil qui abrite des ateliers de plasticiens, une salle d’exposition et des caravanes où logent une trentaine de personnes. Après de nombreuses années de négociations avec la mairie (qui est, rappelons-le, propriétaire des différents terrains occupés), les heures de L’Élabo semblent donc – vraiment – comptées dans le quartier BaudChardonnet. Un emplacement qui n’a cessé de fondre, l’ancienne friche industrielle étant aujourd’hui au cœur d’un plan d’aménagement XXL qui prévoit notamment 2 600 logements sur ce site de 35 hectares. « Ça grignote, ça grignote… Les tours et les immeubles poussent comme des champignons. Avant, on avait une vaste étendue. Aujourd’hui, on ne pourrait même plus y mettre un chapiteau », pestent Greg, Camille et Fabien, porte-paroles du collectif. Membre historique de L’Élabo, Benoît Guérin, “Gros Ben” pour les intimes,
constate lui aussi le terrain réduit à peau de chagrin. « Je n’ai jamais vu autant de grues au même endroit. Les chantiers successifs ont mangé tout l’espace, reléguant les caravanes au bout de l’avenue. Avec les travaux, c’est devenu tout sauf agréable, reconnaît l’artiste de rue. Cela n’a rien à voir avec ce qu’on a pu connaître. Il faut imaginer cette ancienne friche : une grande plaine, des arbres… Y avait un côté campagne à la ville. » Un temps révolu, symbole de ce que le ministère de la culture allait nommer les “nouveaux territoires de l’art”, que regrette Benoît, nostalgique des grandes heures de L’Élabo. « En 1998, lors de notre premier festival Élabohème, on avait invité 80 compagnies qui avaient donné plus de 120 spectacles. Cela avait duré un mois, se souvient celui qui avait alors 22 ans. C’était une époque formidable. Il y avait une énergie incroyable, une création non stop, une ébullition permanente. Des compagnies venaient de partout. Tout le monde était à fond ! »
« De jour comme de nuit »
Suivront des épisodes heureux (la grosse nouba pour les vingt ans notamment, avec des festivités pendant vingt jours) et des moments tragiques (le 21 mars 2018, “La Villa”, une annexe du squat, était détruite par un incendie. Un homme décédera des suites de ses brûlures). Le tout ponctué de discussions plus ou moins tendues avec la municipalité. Jusqu’à cette dernière lettre reçue avant l’été, demandant de faire place nette. « Nous sommes obli-
« Cela montre un désaveu
de notre travail » 26
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gés d’engager ces procédures. Les travaux doivent se poursuivre dans le cadre du projet d’urbanisme : des logements vont être construits au terrain des chap’ et le bâtiment du 17 bis va devenir un équipement à vocation socio-culturelle pour les riverains, expose Daniel Guillotin, l’élu de quartier, qui pointe des problèmes de sécurité pour le 48 boulevard Villebois Mareuil, proche de la Vilaine. Un dernier contrôle montre que la digue protégeant cet espace est corrodée et peut tomber à tout moment. Le projet de la ville est de revenir à l’état naturel du site, ce dernier pouvant être inondé en cas de crue. » Le long de cette berge, un futur axe piétons-vélos sera aménagé et permettra de rejoindre la gare. Des plans qui n’intègrent pas l’Élabo (malgré une pétition lancée avant l’été pour le maintien du collectif) mais cela est tout sauf une surprise. « Ça a toujours été clair avec eux. Depuis dix ans, on leur explique le projet, en les invitant à réfléchir à la suite. Cette échéance était connue de leur part, se défend Benoît Careil, adjoint à la culture qui, en septembre, doit
Photos : Bikini
à nouveau rencontrer des membres du squat pour trouver des solutions de repli. À court terme, les artistes travaillant au 17 bis pourront répéter au sein d’autres structures rennaises, via le dispositif de “plateaux solidaires”. Puis, en prévision de l’échéance dans deux ans, nous allons discuter du possible site qui pourra accueillir le collectif de façon durable. » Une relocalisation sur laquelle Greg, Camille et Fabien, respectivement couturier, photographe et mécano, se veulent exigeants. « Il faut que cela soit intrarocade afin de garder un contact avec la ville. Nous avons également besoin d’un espace suffisamment grand qui réponde à nos besoins : cela doit être à la fois un lieu d’habitation et de création avec un accès de jour comme de nuit. Les différents espaces s’articulent, on ne peut les dissocier », arguent les trois membres qui se désolent que L’Élabo ne soit pas reconnu comme un acteur à part entière dans la vie culturelle rennaise. Un avis que partage Gros Ben : « Prenons le 17 bis : on va remplacer un lieu déjà usité par un nouveau lieu. Cela montre bien un désaveu de notre travail. On répond pourtant à des besoins que des usagers ne trouvent pas ailleurs : on 27
Photos : Bikini et Emmanuelle Pays (echappees-photographiques.com)
DOSSIER
« Dans une démarche
d’éducation populaire » accueille des artistes qui se cherchent et qui ne sont pas encore prêts pour des lieux plus institutionnels. » Si Benoît Careil reconnaît l’importance d’un tel lieu (« C’est un espace de liberté pour des artistes qui ont besoin de se mettre en marge des circuits conventionnels pour créer. Des endroits comme celui-là sont nécessaires »), l’élu rappelle néanmoins les difficultés chroniques pour échanger avec le collectif. « L’Élabo est une entité mouvante. On ne leur demande pas la même rigueur que les autres acteurs culturels, mais on peut tout de même définir un cadre dans lequel ils peuvent intervenir. Jusqu’à présent la ville a fait preuve de patience et de tolérance. Mais en prévision du futur lieu qui sera mis à leur disposition, il faudra établir une convention, comme on le fait avec n’importe quelle autre structure. » Une « concession » qu’est prêt à accepter le collectif malgré son ADN punk et libertaire. « Signer un papier, c’est déjà un gros truc pour nous… 28
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On veut bien se formater un peu. On sait que la case “convention” est obligatoire. Le problème, c’est qu’on ne rentre pas dans les cases : on déborde ! Nous avons un mode de vie basé sur l’autogestion et l’indépendance. Cela ne correspond pas aux normes administratives. Un carré aura toujours du mal à rentrer un rond. »
« Un lieu d’hybridité »
Un laborieux mariage de la carpe et du lapin que l’on retrouve également à Brest où la municipalité tente tant bien que mal de négocier avec le collectif de l’Avenir. Réunissant habitants du quartier, artistes et militants politiques, ce groupe squatte un terrain à deux pas de la place Guérin depuis 2015. Un dossier épineux pour la mairie, même si Yohann Nédelec, l’élu de quartier, se montre confiant pour la suite des événements. « En août 2020, j’ai pris contact avec eux leur expliquant que je voulais renouer le lien. Une première rencontre a eu lieu en décembre. Les
choses mettent du temps à se mettre en place, du fait de leur fonctionnement très horizontal, mais c’est un premier pas positif, se satisfait-il, avouant cependant faire face à de la défiance. Certains des membres ont une relation compliquée avec les institutions. Et notamment avec les politiques. » Si le collectif autogéré n’a pas souhaité répondre officiellement à nos questions, deux de ses habitués rencontrés sur place justifient leur position vis-à-vis de la mairie, évoquant les différents rebondissements depuis la démolition, en 2010, de l’ancien équipement culturel et sportif qui occupait les lieux. « La construction d’une nouvelle salle avait été votée, avant d’être abandonnée quelques années plus tard, soit disant faute de budget. Puis, il y a eu un projet immobilier privé (qui a mis le feu aux poudres et déclenché l’occupation du terrain en 2015, ndlr), puis celui d’une crèche. Tout ça fait que nous sommes méfiants », explique Patrice qui parle aujourd’hui d’un « rapport de force » avec la municipalité. « Ce qu’il faudrait, c’est refaire une maison de quartier, ouverte à tous. La plupart des gens qui viennent ici sont déjà dans une démarche d’éducation populaire. Des concerts sont organisés, mais aussi différentes sortes d’ateliers : forge, bois, four à pain… », illustre Pascal. Si un nouvel hangar a été érigé par les membres de l’Avenir, la mairie concède que l’installation ne peut pas rester en l’état. « Il faut d’abord sécuriser la chose, afin de pouvoir accueillir correctement le public. Il s’agit d’un terrain municipal, il faut donc être aux normes, pose Yohann Nédelec. Restera ensuite à imaginer ensemble et dans une relation de confiance un projet qui viendra
s’intégrer au plan d’aménagement actuellement en cours place Guérin. » Parmi les pistes privilégiées par l’élu, un projet de “communs” : « un espace cogéré, construit de façon collaborative, ouvert sur la ville, un lieu de passage urbain… Un modèle qu’on retrouve dans d’autres villes européennes mais qui n’existe pas encore sur Brest. » Transformer une occupation illégale en un partenariat avec une municipalité, une perspective que n’exclut pas le collectif Oups (pour “Occupation d’Utilité Publique Surprise”) à SaintBrieuc. Le 25 janvier 2020, ce groupe réunissant une trentaine d’artistes de rue, musiciens et plasticiens a réussi un joli coup en investissant 800 m2 de locaux vides au premier et second étages d’un immeuble du centre-ville. « Un lieu inoccupé depuis trente ans, précise Gaspard Verdure, à l’initiative de cette occupation sauvage. Il était évident que le propriétaire allait refuser qu’on s’y installe, on s’est donc rendu à l’évidence qu’il fallait le squatter. Avec cette envie d’en faire un endroit qui n’existait pas à Saint-Brieuc : un lieu d’hybridité où des artistes pourraient venir librement pour créer et expérimenter. » Cela sera le cas pendant plusieurs semaines, jusqu’à leur départ le 11 mai 2020, à la suite d’une décision de justice. Un happening « d’abord à vocation artistique » mais également politique. « C’était une façon de mettre en lumière l’absurdité de la vacance commerciale qui touche Saint-Brieuc et de nombreux centres-villes. Pendant notre squat, on a d’ailleurs eu le droit au défilé des candidats alors en lice pour les municipales. Si l’adjoint à la culture nous a indiqué qu’il ne pouvait soutenir l’illégalité de notre démarche, il a reconnu que cela soulevait de bonnes questions. » Julien Marchand 29
DOSSIER
TRISKEL, HERMINE, GWENN HA DU... MAIS PAS QUE ! DEPUIS DES SIÈCLES, LA RÉGION ENTRETIENT UN RAPPORT INTIME AVEC LE TATOUAGE. DES MARINS AUTREFOIS AUX TOURISTES AUJOURD’HUI, MAIS POURQUOI ONT-ILS LA BRETAGNE DANS LA PEAU ?
Alain Amet / Musée de Bretagne
n petit voilier rouge et noir. De chaque côté, deux phares : ceux de Port-Maria et des Birvideaux. Le tout encadré d’une ancre, de chardons sauvages, du Gwenn ha Du et de la devise de Quiberon : « E kreiz an avel atao » (Toujours au milieu des vents). Ce tatouage, c’est celui de Clément. Une inscription au style vintage que capture Alain Amet, photographe, dans le studio des Champs Libres, à Rennes. « On va centrer sur ton épaule, mais je vais essayer d’avoir ton visage aussi. » Clément fait partie de ces tatoués à avoir répondu à l’invitation du Musée de Bretagne. Un appel à participer à un projet photo sur ces personnes ayant la Bretagne dans la peau, littéralement. « Rien qu’une semaine après notre annonce, on avait déjà reçu plus de 800 candidatures. Aujourd’hui, on n’en est à plus de 1 200, le tri est difficile ! », fait savoir Manon Six, conservatrice du patrimoine au Musée de Bretagne, qui ne s’attendait pas à autant de participants. Alors que ce projet s’inscrivait au départ dans le cadre d’une exposition temporaire sur l’héritage celtique en Bretagne (prévue pour mars 2022), 30
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l’équipe des Champs Libres envisage à présent de monter une exposition à part entière sur ces Bretons tatoués. « On n’y croyait pas trop au début, on pensait recevoir simplement quelques propositions. Mais très vite, on s’est rendu compte que le tatouage breton avait peut-être quelque chose de particulier. Les symboles qu’on a pu voir sont très stylisés, réfléchis, et représentent des histoires intimes. »
« Comme un expatrié »
L’intime, c’est d’ailleurs ce qu’Alain Amet essaye de représenter dans ses photos. « J’ai rencontré beaucoup de personnes qui ont voulu me montrer leurs tatouages réalisés avant de partir habiter dans une autre région, voire dans un autre pays, comme si elles ne voulaient pas oublier d’où elles viennent. » Pour Clément, l’histoire est presque la même. Originaire de Quiberon, c’est après avoir vécu à Bordeaux puis à Paris que ce trentenaire a décidé de se faire tatouer sa presqu’île. « J’avais le sentiment d’être comme un expatrié loin de son caillou. Du coup, j’ai voulu ancrer Quiberon dans ma peau. Surtout que je ne sais pas si je pourrai un jour retourner y vivre. La pression sur l’immobilier est telle qu’il est compliqué pour beaucoup de locaux de s’y installer. Cela m’inquiète un peu car j’aimerais bien que mes futurs enfants puissent eux aussi y grandir. » Une histoire qui a manifestement plu à Alain Amet. « Tu vois, le tatouage de Clément, c’est un dessin personnel, qui raconte quelque chose. Je priorise les tatouages comme celui-là qui ont un sens ou une esthétique originale. Ça sort du style celtique classique : triskel, hermine, nœud sans fin, triquetra… » Se marquer la peau pour marquer son origine : un phénomène qui selon Éric Guillon, historien du tatouage et jour31
DR
Bikini
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naliste, remonte à l’âge du Fer, au temps des Celtes et des Pictes. « Ces populations s’adonnaient déjà à la peinture corporelle. On en retrouve des traces jusqu’en -550 avant notre ère. D’ailleurs, ce sont les Romains qui les ont nommés ainsi, ils étaient surpris de les voir se dessiner sur la peau (”picti” signifie “ceux qui sont peints” en latin ). » Un moyen d’affirmer son identité. « À l’époque, vous auriez pu tout connaître d’une personne rien qu’en regardant ses tatouages : ils représentaient la place dans la société, la culture du tatoué. » Au fil de l’histoire, l’invasion romaine va mettre à mal ces traditions. « Les religions monothéistes vont elles aussi voir le tatouage comme un outrage aux livres sacrés, c’est ce qui explique
que la pratique décline peu à peu jusqu’à devenir presque inexistante ». Pour qu’aiguilles et encre sortent du placard, il faut attendre l’époque des grandes découvertes et traversées maritimes avec des explorateurs comme l’Anglais James Cook ou le Français Louis-Antoine de Bougainville qui vont rapporter de leurs voyages des descriptions détaillées de tatouages tribaux. Bougainville par exemple, parti de Brest vers le Canada en 1756, expliquait notamment à quel point il était subjugué par la pratique du tatouage de ces « sauvages ».
remettre au goût du jour le tatouage en Europe. « Pour les matelots, se tatouer était non seulement possible, mais c’était même commun. Au tout début, leurs tatouages étaient religieux : les marins se tatouaient des portraits du Christ, des passages de la Bible, dans l’espoir de se protéger de la noyade… Il n’y a que la foi qui sauve comme on dit ! », développe Éric Guillon. Malgré le peu de moyen à bord, les hommes trouvaient facilement des techniques pour se piquer. « Ils utilisaient du charbon de bois, de la suie. Il la mélangeait à un peu d’eau et en résultait une encore noire. Ils « Épines de porc-épic » utilisaient ensuite des aiguilles (on a Une révélation (notamment les même retrouvé des épines de porcmarquages polynésiens) pour de épic !) qu’ils trempaient dans cette nombreux marins qui vont alors encre avant de se dessiner les uns sur les autres, ou eux-mêmes », détaille Erwan Ménez, initiateur d’un musée éphémère du tatouage qui devait se tenir lors l’édition (annulée) des Fêtes maritimes de Brest en 2020.
« Pour l’encre, ils utilisaient de la suie et de l’eau » 32
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Si beaucoup de marins se sont d’abord tatoués à bord, ils vont ensuite le faire à quai, notamment dans les tavernes. Longtemps destinés à conjurer le mauvais sort, les motifs dessinés vont progressivement se transformer. Au cours des 18e et 19e siècles, le tatouage de marins devient aussi ornemental : hirondelles, poissons, boussoles, cœurs percés et autres prénoms féminins vont commencer à fleurir sur la peau des matelots.
« Bagnards brestois »
Un art qui va se développer jusqu’à la fin du 19e siècle, avant de rencontrer un virage important avec la montée en popularité du tatouage carcéral. L’historien Philippe Jarnoux, de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), a étudié les registres du bagne de Brest et a participé à leur numérisation, en collaboration avec le SHD (service historique de la défense). « Au début du 19e siècle, on ne peut pas dire que les bagnards 33
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« J’en avais besoin pour passer à autre chose » étaient majoritairement tatoués. Sur 30 000 détenus brestois, quelques dizaines seulement, étaient indiqués comme “marqués”. Ce n’est qu’ensuite, à partir de 1850, qu’on peut voir la mention ”tatoué” de plus en plus fréquente dans les descriptions physiques. » Ancres marines, femmes, fleurs et étoiles fleurissent sur les bras et pectoraux des bagnards, et il n’est pas rare de voir indiquer précisément une description des tatouages en question sur les registres. C’est le cas par exemple de ce prisonnier, Prosper Le Corre, condamné à Vannes en 1858 : « Tatoué sur le bras droit de deux cœurs entrelacés et surmontés d’une croix, du millésime 1826, d’un buste de femme et du mot Eli. Sur le bras gauche d’un Napoléon. Sur la colonne des mots “Gloire à Dieu - Honneur aux braves”. »
C’est le cas du Finistérien Jean-Luc Moal dont le premier tatouage remonte aux années 1980. Des dizaines suivront, tous uniquement consacrées à sa région : un triskel, un drapeau, l’Ankou (la mort personnifiée en Bretagne), une scène de danse bretonne… « Ça fait plus de trente ans que je me fais tatouer. J’ai choisi des symboles bretons au sens large, mais aussi des plus personnels. Sur mon bras gauche par exemple, j’ai un bélier, parce qu’on surnommait mon père “maout”. » En cette journée de juillet, au studio Kornog à Brest, c’est l’inscription “Breizh” que Jean-Luc ajoutera au bas de son dos. Mais pourquoi un tel marquage monomaniaque ? Le quinquagénaire s’explique : « J’ai grandi dans un monde où je pouvais affirmer que j’étais breton, à la différence de ma mère, née en 1932.
Une époque où elle se faisait punir si elle parlait sa langue maternelle. Mes tatouages constituent une sorte de revanche. » Des motifs régionaux que Mike, le gérant de Kornog, ne compte plus. « Ce type de tatouages se détache totalement des tendances. C’est quelque chose de constant qui ne varie pas comme une mode. Il y a les gens de passage pour qui ce tatouage est un souvenir de leur séjour breton. Et puis les locaux pour qui c’est une façon de montrer d’où ils viennent et qu’ils en sont fiers. »
« La mort derrière soi »
Un engouement autour des motifs celtiques qui, naturellement, s’explique par « la forte identité de la région », pose Manon Six du Musée de Bretagne. Éric Guillon poursuit : « Je pense que les Bretons, avec leur histoire particulière et leur relation avec la France, montrent au travers du tatouage le sentiment d’ostracisme qu’ils ont pu ressentir. C’est une façon de s’affirmer aujourd’hui
« Après avoir été l’apanage de certains groupes sociaux, comme les marins ou les bagnards, c’est à partir de la seconde moitié du 20e siècle que le tatouage va se démocratiser et toucher un large public en France, et en Bretagne en particulier », poursuit Éric Guillon. C’est en effet dans la région, dans les années 1970 et 1980, que quelques pionniers de la profession vont installer les premiers “vrais” salons de tattoo : Gilles à Brest, Alain à Lorient, Vercingétorix à Saint-Malo… Des noms qui parlent aux Bretons tatoués de cette génération. 34
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« Une revanche »
clairement comme Bretons, de se singulariser. Ce que partagent peu d’autres régions. » Grégory Cariou a lui une vision plus personnelle de son tatouage. Ce CentreFinistérien de 36 ans fait partie des modèles de l’exposition Western du photographe Stéphane Lavoué, actuellement présentée aux Champs Libres. On le découvre agenouillé dans l’église de Brasparts, exhibant une large représentation de l’Ankou qui couvre l’entièreté de son dos. « Il y a quelques années, j’ai perdu mon père. Et l’année suivant sa mort, j’ai eu un grave accident de deux roues dans lequel j’ai failli y passer, raconte-t-il sans détour. Quand j’ai commencé à aller mieux et à me reconstruire, j’ai voulu avoir un tatouage qui représente mon histoire. J’ai non seulement choisi l’Ankou, mais j’ai surtout choisi de l’avoir dans le dos : c’est tout un symbole de mettre la mort derrière soi. J’en avais besoin pour passer à autre chose, comme une thérapie. »
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Melrine Atzeni
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LE FOOT EST MORT, VIVE LE FOOT ? AUDIENCE TÉLÉ EN BERNE, CHUTE DU NOMBRE DE LICENCIÉS, CLUBS QUI METTENT LA CLÉ SOUS LA PORTE... SI LE MONDE DU BALLON ROND TIRE LA LANGUE, CERTAINS TENTENT D’IMAGINER UN FOOT PLUS VERTUEUX, PLUS ÉTHIQUE, PLUS COOL. ’est sous un plombant cagnard que Jérémy regoûte aux joies du terrain. Après plusieurs années de pause, ce trentenaire a ressorti ses gants, ses crampons et son maillot de l’OM floqué “Djé” pour retrouver son poste de prédilection : gardien de but. Et pour son premier entraînement, il « en chie » pour reprendre son expression. Le soleil frappe fort, tout comme ses deux coachs, Jimmy et Gaëtan, qui lui envoient des grosses cacahuètes pour l’échauffer (photo). Une première pour Jérémy, mais aussi pour l’ensemble de l’équipe. 36
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Car en ce vendredi de la fin juillet, les joueurs inaugurent leurs nouvelles couleurs, celles des “Écureuils de Gueltas”. Un club de foot qui, après une mise en sommeil de trente ans, renaît sous l’impulsion de Mathieu Héno et de Florent Bidan, deux garçons de 22 et 21 ans, originaires de cette commune du centre-Morbihan de 500 habitants. « De mes 4 ans jusqu’à l’an passé, je suis passé par différents clubs du coin, mais cela ne me satisfaisait plus. Il n’y avait pas vraiment d’ambiance familiale. Au niveau amateur, c’est pourtant la chose la plus importante dans un
club. Avec Les Écureuils, c’est ce qu’on espère trouver, justifie Mathieu dont le père et le grand-père faisaient partie de l’équipe dirigeante à l’époque. Ils sont contents que je reprenne le flambeau et que je contribue à faire vivre le foot dans le village. » Malgré un démarrage au plus bas échelon du foot français (en D4, quatrième et dernière division de district), tous les joueurs confessent une certaine excitation à se lancer dans cette nouvelle aventure en montant leur propre club. En témoigne leur application lors de cette première
séance : footing, jeux de passes, séries de pompes, confrontation 5 contre 5… Si certains finiront avec des crampes, des premiers automatismes se dessinent entre Arnaud, Thomas, Antoine, Alvin, Laurent, Yohan ou encore Bassirou (42 ans, le doyen de l’équipe). Un nouvel élan et un amour footballistique ressuscité qui tranchent avec le climat pas folichon que traverse le football depuis plusieurs mois. Aussi bien au niveau professionnel (en dix ans, la Ligue 1 a perdu la moitié de ses téléspectateurs ; la tranche d’âge 18-24 ans n’a jamais autant peu regardé le foot ; les épisodes MediaPro et SuperLeague ont fini de dégoûter bon nombre de supporters, écœurés des dérives toujours plus fortes du foot business…) qu’au niveau amateur (il suffit de feuilleter les pages locales du Télégramme et d’Ouest-France pour constater que les petites structures souffrent : déficit de joueurs, équipes qui préfèrent de ne pas s’engager en championnat, clubs qui décident carrément de tirer le rideau…).
« En sursis »
Une ambiance un peu tristoune que l’on retrouve à Caulnes dans les Côtes d’Armor. Impossible de manquer les panneaux et pancartes qui fleurissent à la sortie du bourg : “Recrute joueurs de foot”, “C’est toi que l’on recherche !”… Derrière ces messages, on trouve Sébastien Maillard, le président du Rance Football Club, qui les a posés en dernier espoir. « On essaie tous les moyens de communication pour attirer de nouveaux joueurs, mais c’est compliqué. Et ça l’est de plus en plus !, reconnaît celui qui est à la tête du club depuis quatorze ans. À l’heure actuelle, nous n’avons aucune certitude sur nos trois équipes engagées en championnat. Celle en D4 est clairement menacée, faute d’effectif suffisant. » 37
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Dans la région, un paquet de clubs vivent cette situation. C’est le cas de l’AS Trébédan, à une quinzaine de bornes au nord de Caulnes, qui a décidé de se mettre en sommeil pour la saison à venir. Une nouvelle qui attriste Céline Pauthonnier, la secrétaire de mairie de ce village de 430 âmes : « Le club de foot, c’était notre carte de visite, c’est lui qui faisait voyager le nom de la commune dans le département. Trébédan gagne pourtant des habitants, mais les nouveaux venus s’impliquent moins dans la vie locale. Et cela touche aussi les associations sportives. » Victime collatérale de cet épisode : le stade de foot. « Les filets dans les buts vont être enlevés. S’il était principalement dédié aux matchs du week-end, le terrain va être dorénavant utilisés pour diverses manifestations. On continuera donc d’assurer la tonte. » Un moindre mal pour cet équipement qui, avec l’église et la
boulangerie, constitue l’un des derniers repères encore debout dans de nombreux bleds. Un tableau plutôt sombre que craint Erwan Briand, président de l’AS Laz dans le centre-Finistère. Alors qu’il pouvait s’appuyer sur 25 licenciés l’an passé, il ne peut compter pour l’instant que sur… trois joueurs. Un peu djust’ pour espérer enchaîner les victoires. « Mais on pense monter jusqu’à huit d’ici le début du championnat. C’est sûr que c’est trop peu pour monter une équipe mais, heureusement, on s’est mis en entente avec le club de Saint-Thois (la commune voisine, ndlr) qui va venir compléter notre effectif. S’il n’avait pas été là, ça aurait été clair net et précis : on aurait dû arrêter, explique Erwan pour qui l’échéance n’est peut-être que retardée. Cela nous offre une année supplémentaire, mais ce n’est que du sursis. Pour la saison 2022-2023, c’est
« Le match, une des seules animations le dimanche » 38
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impossible de se projeter. L’avenir est, je le crains, plus que compromis. L’AS Laz est pourtant l’association la plus ancienne de la commune. Ça serait triste qu’elle disparaisse, elle fait partie du patrimoine. »
« De la casse »
Ce manque de combattants, Erwan à Laz et Sébastien à Caulnes l’expliquent par de nombreuses raisons. « Les plus jeunes ont d’autres loisirs et d’autres distractions. Il y a une multitude de sports aujourd’hui proposés aux ados. Cela n’est pas une mauvaise chose, mais forcément ça a un impact sur le foot qui, il y a trente ans, était souvent la seule activité dans de nombreuses communes », avance le président du Rance Football Club qui regrette par ailleurs que « l’amour du maillot existe de moins en moins : cela ne pose plus de soucis aux joueurs de changer de club ou d’arrêter du jour au lendemain ». Sans oublier la crise du Covid qui est aussi passée par là. « Avec les championnats qui se sont arrêtés, certains ont pris le pli de rester à la maison
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le week-end pour profiter davantage de leur temps libre ou de leur famille. Ce que je peux comprendre, même si cela est dommage : le match de foot est souvent une des seules animations le dimanche dans de nombreux bourgs à la campagne », poursuit le boss de l’AS Laz. Directeur de la Ligue de Bretagne de football, Philippe Georges est lui aussi conscient de ces problématiques, chiffres à l’appui. « Entre 2020 et 2021, on est passé de 148 500 à 137 000 licenciés : cela représente une baisse de 7 %. Une chute amorcée depuis 2016 où l’on comptait 151 000 licenciés, pointe-t-il avec la même précision que Guillaume Rozier. Mais la Bretagne reste la région de France où ça diminue le moins. On s’accroche aussi à d’autres signaux positifs : on bat le record d’inscriptions d’équipes bretonnes en Coupe de France pour cette saison et toutes les équipes de niveau ligue (N3, R1, R2 et R3) se sont réengagées. Après, au niveau district, on s’attend en revanche à avoir un peu de casse. Sur les dernières années, ce sont une quarantaine de clubs qui disparaissent chaque saison en Bretagne. » 39
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« Le capitalisme a façonné le foot comme il le souhaitait » Parmi les solutions adoptées pour éviter d’en arriver là, les fusions entre clubs pour constituer un effectif suffisant. Une douzaine s’opèrent, en moyenne, chaque année dans la région. « Un phénomène qu’on constate, qu’on trouve embêtant, mais on ne peut rien y faire », reconnaît Philippe Georges. Récemment, cela a été le cas de l’AS Scrignac, dans le Finistère, qui a fusionné avec l’US Poullaouen (« On le fait surtout pour éviter de mettre en péril l’équipe B, justifie Gaëtan Le Goff, le président scrignacais. Mais ce n’est pas un mariage forcé : on se connaît tous un peu, beaucoup de joueurs de chaque équipe sont collègues. On est dans le même état d’esprit »). Ou encore de Saint-Pierre de Plesguen, en Ille-et-Vilaine, qui a rejoint le club de Meillac pour fonder le “Football club de Haute-Bretagne romantique”. « Nous n’avions plus d’équipe senior depuis 2018. Avec cette fusion, cela va permettre aux joueurs de la commune de porter leurs couleurs en championnat, plutôt que de partir à Combourg ou Dinan comme ils devaient le faire jusqu’à présent, se félicite Rémi Mahé, 33 ans, président de cette nouvelle entité. Dans les années 1990, il y avait pourtant deux clubs à SaintPierre. Une autre époque. Le foot district est aujourd’hui en souffrance. Les gens sont, je pense, dans une vision consommatrice du sport : un engagement à la carte selon l’envie et l’humeur du moment. » Face ce constat, les instances tentent d’apporter des réponses et se disent 40
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« Futsal, beach soccer, fit foot (fitness avec un ballon, ndlr), golf foot, futnet (sur un cours de tennis, ndlr), foot en marchant… », énumère Philippe Georges pour qui ces nouvelles prêtes à expérimenter. Dans le viseur activités, encouragées par la Fédération de Philippe Le Yondre, président du française, ont pour objectif de gagner district d’Ille-et-Vilaine : le match du de nouveaux profils de licenciés. dimanche. Faire sauter cette tradition de la rencontre dominicale pourrait, « Rectifier le tir » selon lui, dissuader certains joueurs OK tout ça c’est super, mais n’y de ranger leurs crampons. « Il faut aurait-il pas moyen d’aller plus s’adapter aux vies professionnelles loin ? De réfléchir différemment et personnelles. De nos jours, jouer afin d’inventer un foot plus popule dimanche peut être vu comme une laire, plus sympa, plus éthique ? contrainte. C’est pour cette raison Des pistes que promet d’explorer que, depuis deux ans, nous proposons le festival “L’Autre Football” en sepaux clubs qui le souhaitent d’opter tembre à Rennes. Un rendez-vous pour le vendredi ou le samedi. Les qui a l’ambition de traiter diffédemandes sont en hausse pour la rents sujets (« Le foot est le miroir saison qui arrive, fait savoir l’élu qui de la société. Il permet d’aborder estime que le ballon rond est trop axé une multitude de problématiques : sur les championnats. Le foot doit droits du travail, discriminations, rester plus ludique que compétitif. migrations, économie, politique… », Chacun doit pouvoir trouver une détaille Nicolas Fily, à l’origine de façon de jouer qui lui convient, en l’événement) mais aussi de présenter développant notamment les pratiques des initiatives prônant un football loisir. » plus vertueux. « Le capitalisme
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s’est emparé du foot et l’a façonné comme il le souhaitait. Pour autant, cela n’empêche pas certains acteurs de vouloir agir autrement et de développer des projets qui permettent de rectifier le tir », poursuit Nicolas qui croit au pouvoir de « l’outil foot » : « Avec la famille et l’école, les clubs font partie des lieux de socialisation les plus importants. C’est un bon levier pour faire passer des messages. » Parmi ceux-ci, les gestes en matière d’environnement. Une préoccupation dont n’est pas exempté le monde du foot, estime l’association Football Écologie France, invitée du festival rennais. « On souhaite pousser les clubs à s’interroger sur leur impact écologique et à trouver de nouvelles solutions : inciter au covoiturage pour les déplacements, éviter les bouteilles en plastique, repenser l’alimentation d’après-match, acheter des ballons en matériaux biosourcés, réduire les intrants chimiques pour le traitement du terrain… Notre mission est d’apporter aux clubs un ensemble de bonnes pratiques sur lesquelles ils pourront s’appuyer », illustrent Guil-
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laume L’Oeillet et Aymeric Etienne, deux des responsables de l’antenne bretonne de Football Écologie France. Pour l’instant, une poignée de clubs amateur bretons se sont montrées intéressés : le Lamballe FC, les Cheminots rennais, le SC Morlaix… En attendant de convaincre le monde pro qui, selon les deux garçons, a un rôle d’exemplarité. « Le club modèle en la matière est le Forest Green Rovers en 4e division anglaise. Il a un stade en bois équipé de panneaux solaires, propose une nourriture vegan, affiche un bilan carbone neutre… Une démarche qui est plébiscitée par les supporters. Ces derniers sont aussi des citoyens avec des exigences écolo et des revendications sociétales. » En parallèle de ces nobles préoccupations, reste néanmoins un moteur central sur lequel le foot pourra toujours compter : la déconne. C’est sur ce créneau porteur que s’est créée l’une des plus belles aventures footballistiques du centre-Bretagne : le
doivent au cœur du projet. C’est sur cette promesse qu’on a réussi à attirer des joueurs qui ont tous un lien avec Dinan ou l’envie de s’y investir », déroule Jérémy qui est déjà en contact avec des jeunes du coin pour renouveler les futurs effectifs. Ce que n’a malheureusement pas réussi à faire le PMU qui, après cinq belles années, se résout à raccrocher. « On commençait à être en flux tendu, tout juste à onze sur certains matchs. On espérait pouvoir attirer de nouveaux joueurs, en vain… À l’issue de la saison qui vient, en juin 2022, on arrêtera donc, regrette Raphaël « Tournoi interbars » pour qui cette décision ne sonne pour Un souffle nouveau que revendique autant pas la fin complète du club. également le RC Dinan, monté l’an L’association restera toujours active. dernier par trois amis de longue date, On continuera les actions caritatives Jérémy, Romain et Nicolas. « On ne et, surtout, l’organisation de notre se retrouvait plus dans l’état d’esprit fameux tournoi interbars. » de nos précédents clubs. Des structures devenues des grosses machines Julien Marchand qui ne correspondaient pas à l’idée qu’on se faisait du foot amateur. La Festival L’Autre Football : camaraderie et l’ambiance familiale du 10 au 12 septembre à Rennes Plouyé Magic United (PMU). Un club fondé en 2017 par une bande de copains qui ne voulaient surtout pas se prendre au sérieux. « On ne s’est jamais entraîné. Une fois peutêtre, et encore…, se marre Raphaël Trebaol, membre du club. Cela ne nous a pas empêché de monter trois années de suite, même si nous avons refusé l’accession en D1 : on voulait prendre le contre-pied de cette logique de montée qui régit le foot amateur. C’est plus par plaisir de se retrouver entre potes que par goût de la compétition qu’est né le PMU. »
LE MFP, HISTOIRE D’UNE RÉVOLUTION MANQUÉE Auteur de l’ouvrage Le Mouvement Football Progrès, le Morbihannais Loïc Bervas a vécu de l’intérieur la tentative de dissidence qui, il y a près de cinquante ans, a voulu révolutionner le ballon rond. Il raconte. « En France, dans les années 1960, la conception du foot que souhaitaient imposer les instances n’était pas franchement portée sur le beau jeu : on jouait d’abord pour ne pas perdre, en essayant simplement de marquer un 42
but de plus que l’adversaire. On appelait cela le “jeu réaliste”. Pour ma génération, des jeunes alors âgés de la vingtaine, cela nous rebutait, nous qui avions eu nos premiers émois avec Pelé, Kopa et Fontaine durant la Coupe de monde de 1958… De plus, cela s’inscrivait dans un contexte où la Fédération française de foot (FFF) était paternaliste quand elle le voulait, autoritariste quand elle le décidait. Avec un fonctionnement très bureaucratique. Le détonateur de notre mou-
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vement a été un décret, en 1973, obligeant tous les clubs amateurs à avoir un entraîneur diplômé par la FFF. Une pétition pour s’y opposer est alors lancée par le Stade Lamballais et son entraîneur Jean-Claude Trotel qui, lui, prônait un jeu créatif. Cette contestation va connaître un certain succès en Bretagne et essaimer dans toute la France. Cela va aboutir à une réunion en décembre 1973, à Rennes, rassemblant joueurs, entraîneurs et l’équipe du journal
Le Miroir du Football. Tous souhaitaient agir différemment. Va naître le “Mouvement Football Progrès” (MFP) qui va sortir un manifeste portant sur trois points : la lutte contre la conception conformiste du football caractérisée par la commercialisation ; une opposition à l’emprise et l’autoritarisme des dirigeants (le Stade Lamballais revendiquait l’autogestion, par exemple) ; une envie du beau jeu. Pour mettre en place nos idées,
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nous avons organisé des stages, des rencontres, des conférences… Nous étions alors en conflit avec La Ligue de l’Ouest qui contre-attaquait en demandant à des mairies – principalement de droite – de ne pas nous prêter de terrains. Si le MFP a plutôt bien pris à ses débuts, notamment dans l’Ouest, il n’a pas réussi à perdurer. Marx disait que les idées dominantes sont celles de la classe dominante. Je suis assez d’accord avec ça et nous l’avons subi. Il y a eu un délitement du MFP, jusqu’à sa fin en 1978. Aujourd’hui, le foot a changé de modèle. Il est au stade ultime de la financiarisation. Mais l’idée du MFP reste vivante selon moi. Elle réapparaîtra, mais dans un autre environnement économique, social et idéologique. Un cadre qu’il reste à inventer. » 43
Gabriel Boyer
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QUADRICOLOR
SIX ANS APRÈS LA SÉPARATION DE FAUVE, QUATRE DE SES MEMBRES REVIENNENT AVEC LE PROJET MAGENTA, QUI MET LA DANSE ET L’ÉLECTRONIQUE AU CŒUR DE SON PROCESSUS MUSICAL. ROAAAAAAAR !
vant l’interview, nous sommes prévenus : personne ne nous dira avec quel membre nous allons discuter. Car Magenta ne s’exprime que sous la seule entité du groupe, et peu importe qui décide de prendre la parole. Un point commun avec Fauve, l’ancien projet des quatre musiciens qui a cartonné dans à peu près toutes les salles de France entre 2013 et 2015. Déjà à l’époque, le mystère était de mise autour de ce collectif hybride dont le rock au chant parlé a tant divisé la critique. « On se sent tous à l’aise pour répondre, 44
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justifie notre interlocuteur. Ça nous permet d’entretenir une sorte d’opacité qui nous arrange bien, qui gomme les individualités. À la base, c’était une question de pudeur et de timidité. Petit à petit, c’est devenu une manière de se protéger. » Après deux albums certifiés d’or et de platine, l’aventure Fauve s’arrêtait le samedi 26 septembre 2015, après un dernier concert au Bataclan. « Le lundi, on était en répétition, on branchait les machines et on débutait le projet Magenta. Fauve était un mantra. Cela faisait six mois que nous voulions changer
de direction artistique mais c’était impossible en gardant ce nom. Le groupe nous avait permis de fuir une routine, nous ne voulions surtout pas en créer une nouvelle. » Et puisque la formation est indépendante, aucun contrat ne les empêche de reprendre leur liberté. Pourtant, pendant quatre ans, c’est le silence radio. Jusqu’en octobre 2019 et la sortie du premier single de Magenta, Assez ?. D’emblée, l’esthétique électronique et le chant bien plus mélodique laissaient entrevoir un tout autre paradigme musical, entre future beat et chanson française.
En fait, durant tout ce temps, les Magenta se sont plongés dans un apprentissage intensif des machines. Certes, ils en utilisaient déjà occasionnellement à leur début et avaient tous digéré les grands tubes de la French touch. Sans pour autant en faire une influence revendiquée. Cette fois, c’est bien l’électronique qui ressort subitement et qui les pousse à s’enfermer pendant des mois pour bâtir leur premier album, Monogramme. Mais alors qu’il est presque prêt et que l’envie de retourner enfin sur scène se fait pressante, la crise sanitaire vient tout foutre en l’air. « On devait commencer à tourner en mars 2020. Ça a été un coup dur, mais on s’est adapté, on a retravaillé l’album, rajouté des chansons… » Le voici donc paru en avril 2021, quelques semaines avant la reprise (alors hypothétique) des festivals. À l’écoute, un premier mot vient à l’esprit : pessimisme. Comme les paroles du titre Fatigué, par exemple : « T’es si fatigué / Gavé, fatigué d’exister / T’es si fatigué / Blasé, fatigué de la réalité ». Pourtant, il faut bien tendre l’oreille. « On n’est pas fataliste, confie notre invité mystère. On est résilient. On se disait souvent que Fauve constituait des séances de psy qu’on n’avait jamais eues. Le constat était dur, mais les issues dont nous parlions semblaient lumineuses. Pas dans Magenta. Cette fois, c’est de la musique qui danse et qui pense, qui remplit ce rôle libérateur. Le tempo, le rythme effréné… Elle est là l’issue. Ce ne sont plus des séances de psy, mais des séances d’hypnose. » Brice Miclet Le 5 novembre au Vauban à Brest Le 6 novembre aux Sons d’Automne à Quessoy 45
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HORS CADRE ENTRE UN TABLEAU ET UNE SCULPTURE, ILS SONT LÀ. TRAVAILLEURS DE L’OMBRE, LES GARDIENS DE MUSÉE JOUENT LES PREMIERS RÔLES DANS LA NOUVELLE PIÈCE DE VALÉRIE MRÉJEN ET MOHAMED EL KHATIB.
Yohanne Lamoule
« Les gens ne nous demandent pas grand chose : Matisse, Chagall et les toilettes. » Personnages de l’ombre, les gardiens de musée ont beau faire partie des murs, on ne les regarde pas, à la différence des œuvres dont ils sont les garants. Dans leur spectacle Gardien Party, Valérie Mréjen et Mohamed El Khatib, tous les deux artistes associés au TNB, donnent la parole à ces agents rencontrés au Louvre à Paris, au MoMa à New York ou encore au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. « Ils expliquent leur quotidien, racontent leur intérêt (ou non) pour
l’art, partagent leur ressenti, livrent les réflexions parfois désobligeantes du public…, développe Valérie Mréjen qui a elle aussi effectué ce job quand elle était étudiante. Nous avons rencontré des gardiens dans plusieurs pays, tous ont des profils différents, mais cet ensemble de choses permet de dessiner un portrait de groupe. » À Rennes, ils seront six à témoigner dans une performance qui se tiendra, in situ, au Musée des beaux-arts « pour être environnés d’œuvres ». J.M Du 28 septembre au 5 octobre au Musée des beaux-arts de Rennes
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JEANNE DARK
Année 2021 à fond les ballons pour Jeanne Bonjour. Repérée l’an passé grâce à ses vidéos de reprise (Biolay, Oboy…), la jeune chanteuse rennaise a depuis assuré la première partie de Feu! Chatterton sur la scène de l’Olympia à l’occasion de la Fête de la musique. Elle a également bouclé son premier EP, intitulé 13 ans, qui sortira en cette rentrée. Un disque de résilience qui navigue entre pop, chanson et RnB, entre spleen et insouciance. Le 25 septembre à I’m from Rennes et le 20 novembre à l’Antipode à Rennes. 46
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POIVRE ET SEL
SUR SON PREMIER ALBUM SOLO, L’ANCIEN CHANTEUR DES MADCAPS PART EN BALLADES. Il y a un peu plus de deux ans, le groupe rock rennais The Madcaps donnait son dernier concert. « Quand l’aventure s’est arrêtée, ça m’a un peu coûté, se souvient le chanteur Thomas Dahyot. J’ai été très affecté, un peu comme un cœur brisé. Ça faisait quinze ans que je faisais de la musique, je me disais que j’avais peut-être fait le tour. Mais ça m’a rattrapé par le colbac. » Le voilà alors qui panse ses plaies et qui se remet à écrire, à composer petit à petit. Des chansons qui, pour beaucoup, sonnent comme des ballades, des envies de ralentir un peu le rythme effréné des années passées. Et puisque les cheveux ont eu le temps de quelque peu blanchir, il baptise son projet solo Pepper White. Prévu pour le 17 septembre, son premier album, The Lonely Tunes Of Pepper White, est donc une petite renaissance. Hanté par le spectre bienveillant des sixties, que ce soit de Lou Reed ou des crooners aux voix brutes, il y explore le mariage entre guitare acoustique et piano. « En studio, j’ai fait appel à des membres des Madcaps, des types qui me connaissent bien. » Le résultat est loin d’être une succession de titres homogènes. Pepper White y tente pleins de choses. « J’aime les albums bigarrés, qui provoquent surprise, les contrastes… » Et qui permettent de cicatriser. B.M Le 24 septembre à I’m From Rennes 47
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CLUB DES LOSERS DÉSABUSÉS ET JE-M’EN-FOUTISTES, LES DEUX GARÇONS DE GWENDOLINE CRACHENT LEUR CYNISME SUR FOND DE COLD WAVE. FANS DE TROIS CAFÉS GOURMANDS S’ABSTENIR. « Rendez-vous au PMU, à 8 h du matin ! Partir en retraite à mobylette, avec tous les copains ! » Ce refrain sonne la charge du morceau Audi RTT. Un cri de ralliement qui symbolise plutôt bien cette envie de tout envoyer péter que scande Gwendoline, duo d’origine rennaise qui s’établit aujourd’hui entre Nantes et Brest. Une fuite en avant enclenchée par Pierre et Micka, il y a maintenant près de quatre ans. « On a tous les deux eu des groupes qui n’ont pas duré (Olympia Fields, Constance, Cavale Blanche, ndlr). Quand on s’est
retrouvé plus tard le temps d’un été, on a recommencé à écrire. On avait besoin de cracher notre ressenti », retrace Pierre. Suivront trois semaines à écumer les bars rennais et à refaire le monde. « On avait le sentiment d’être perdus. Tous nos potes trouvaient leur voie, avaient des certitudes sur l’avenir. Alors que nous, c’était plutôt compliqué… Gwendoline, c’était une façon d’assumer le fait qu’on était encore des branleurs. » À l’image du morceau Chevalier Ricard (et de son gimmick « J’en ai rien à foutre »), les deux garçons de
26 ans et 29 ans oscillent entre nonchalance et amertume. Le tout dans un parlé-chanté (« on nous compare du coup parfois à Fauve, mais le propos n’est pas le même : eux sont dans la bienveillance et la justification permanente. Nous, plutôt dans le cynisme et la dérision ») sur une cold wave influencée par « Motorama, She Past Away, Bruit Noir… ». Après un passage aux Trans en 2020 (version en ligne, Covid oblige), Gwendoline annonce qu’il remet-
Julien Mignot
TRANSFONTALIER
Piers Faccini, musicien anglo-italien installé en France, a sorti au printemps son 9e album, Shapes of the Fall. Un disque de folk voyageuse qui va aussi bien chercher du côté des ÉtatsUnis, de l’Afrique et du Moyen-Orient. Le 6 octobre au Grand Soufflet à Rennes, le 16 octobre au Roudour à Saint-Martin des Champs et le 19 novembre aux Arcs à Quéven.
« IT’S THE EYE OF THE TIGER ! » Secrétaire médicale à la vie un peu plan-plan, Lise envoie tout valser après avoir vu Rocky III. Un uppercut cinématographique qui la pousse à quitter mari et travail, afin de reprendre son destin en main. Cette métamorphose, c’est le pitch de Stallone, une pièce mise en scène par Fabien Gorgeart et interprétée par Clotilde Hesme. Les 23 et 24 septembre à La Passerelle à St-Brieuc. 48
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ToMat
tra le couvert lors du festival rennais en décembre prochain. En attendant, épaulé par la team d’Astropolis à Brest et par Wart à Morlaix, le duo ressort en cette rentrée son premier album, Après c’est gobelet. Un disque de neuf titres où presque toutes les premières prises ont été conservées, « pour garder le côté punk, concret, vérité ». J.M Le 25 septembre à Panoramas à Morlaix Le 13 novembre aux Indisciplinées à Lorient
ICÔNE Attention, monstre sacré. Chanteur, guitariste et cofondateur de Sonic Youth, Thurston Moore continue son chemin à l’avant-garde de la scène rock, entre noise et musiques expérimentales. Il fait étape le 11 novembre aux Indisciplinées à Lorient.
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HERE COMES THE SUNDE
Délicate et intemporelle : voilà comment qualifier la folk de Jon Edward Sunde, trentenaire originaire du Wisconsin, qui a sorti l’an passé son quatrième album, 9 Songs About Love. Des ballades qui raviront les fans de Paul Simon, Leonard Cohen ou Elliott Smith. Le 22 octobre à Bonjour Minuit et le 7 novembre à l’Ubu à Rennes. 49
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POLYMORPHE Près de 15 000 kilomètres séparent la Polynésie française de la métropole. Mais lorsque le collectif QuinzeQuinze s’est formé à Paris il y a maintenant huit ans, la distance s’est alors faite bien plus courte. Deux de ses membres, à savoir Ennio et Tsi Min, sont originaires de ces archipels. Avec Robin, Julia et Marvin, ils en transposent la culture locale ancestrale en transe électronique, en chants habités ou susurrés. « Notre société est basée sur l’oralité et les légendes qui en découlent, raconte Ennio. Ce sont comme des guides mystiques que l’on appelle “oreros”. Dans les
Laurent Segretier
LE COLLECTIF QUINZEQUINZE PASSE LA MUSIQUE POLYNÉSIENNE À LA MOULINETTE DE L’ÉLECTRO.
titres où nous chantons en tahitien, ce sont elles qui nous inspirent. » Tous se sont rencontrés au sortir de leurs études de design et ont forcément tourné leur travail vers l’image et les visuels. « Aucun de nous ne vient de l’univers de la musique, assure Tsi Min. Le seul fait de faire de la musique, sans background strict, c’est déjà de l’expérimentation et de l’exploration. » Aux percussions polynésiennes et aux machines, ils mélangent aussi les rythmes uru-
guayens du candombe, les influences cubaines et le chant en anglais. En 2018, sortait un premier EP nommé Nevaneva. Puis, le second, Le Jeune, a fini d’installer le collectif comme une sensation underground hexagonale. Leur nouveau single Vega donne le ton : QuinzeQuinze se fait mouvant, énigmatique, dépaysant. B.M Le 10 septembre à Art Rock à St-Brieuc Le 24 septembre à Baisers Volés à St-Malo
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GARGANTUESQUE
Révélé en 2012 avec le morceau Aqualast, le chanteur a signé son retour cette année avec Eiskeller. Un troisième album que Timothée Régnier de son vrai nom a composé cloîtré sous terre, enfermé pendant plusieurs mois dans d’anciennes glacières bruxelloises. De cet environnement austère est né un disque flamboyant. L’occasion d’une tournée XXL qui passera le 25 septembre à Baisers Volés à St-Malo, le 7 octobre à L’Archipel à Fouesnant, le 8 octobre au SEW à Morlaix, les 20 et 21 octobre à L’Aire Libre à Saint-Jacques de la Lande, le 29 octobre à L’Échonova à St-Avé, le 30 octobre à Bonjour Minuit à St-Brieuc et le 5 novembre aux Indisciplinées à Lorient. 50
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FOCUS
LE HOT-CLUB DE RENNES SI RENNES EST AUJOURD’HUI QUALIFIÉE DE « VILLE ROCK », ELLE FUT UN DES BASTIONS FRANÇAIS DU JAZZ. DE 1941 À 1952, UN GROUPE DE JEUNES MUSICIENS, RÉUNIS AU SEIN DU HOT-CLUB, FAISAIT ALORS PARTIE DES MEILLEURS ORCHESTRES DU PAYS. UNE RÉÉDITION DE SES ENREGISTREMENTS SORT CET AUTOMNE.
UNE HISTOIRE MÉCONNUE C’est un épisode oublié qu’ont exhumé Lionel Besnard et Guillaume Michelet. Une plongée dans le patrimoine musical rennais que ces deux garçons ont entrepris il y a maintenant quatre ans. « C’est en consultant des ouvrages pour préparer une visite que je suis tombé sur cette histoire, rembobine Lionel, guide touristique. Il y faisait mention d’un club de jazz très actif durant la guerre. Avec Guillaume (ancien disquaire, ndlr), nous n’en avions jamais entendu parler. Alors, on a eu envie de creuser. » Cette histoire, c’est celle du HotClub. Une formation de jazz qui, il y a 80 ans, a rythmé les nuits rennais. « Nous avons réussi à retrouver un de ses anciens membres, Jean Quéinnec (aujourd’hui décédé, ndlr) qui y a joué de la guitare entre 1942 et 1946. Il avait 94 ans quand on l’a rencontré, mais il avait encore toute sa tête. Et par chance, il avait aussi conservé de nombreuses archives, des affiches… »
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septembre-octobre 2021 #53
DU BEAU MONDE Né en 1941, dans le sillon du “HotClub de France” basé à Paris, le Hot-Club rennais réunira entre une cinquantaine et une centaine de membres durant ses onze années d’activités. « Ils avaient tous la vingtaine. C’était principalement des étudiants, ce qui faisait que l’orchestre se renouvelait régulièrement. » Parmi ses principaux membres : Alain Gastinel (« la vedette de l’époque »), Marcel Lambot (« un célèbre résis-
tant belge ») ou encore Hervé Le Lann (« le père d’Éric Le Lann, trompettiste français reconnu »). Tout ce beau monde s’établira au 17 rue Saint-Georges. Une petite maison étroite à pans-de-bois où l’on pouvait écouter des concerts, assister à des conférences, emprunter des disques, danser et boire un verre (« ça restait des étudiants ! »). Un lieu ouvert tous les soirs, tous les jours de l’année.
MEILLEUR ORCHESTRE DE FRANCE Si au début des années 1940 le jazz est un genre plutôt méconnu dans la capitale bretonne (« les jeunes de l’époque écoutaient plutôt du musette ou de la java »), il gagne en popularité à la fin de la guerre. Des vents porteurs pour le Hot-Club de Rennes qui va alors remporter le titre du meilleur orchestre amateur de France, trois années de suite. Une consécration qui lui donne l’opportunité d’enregistrer des disques (« en dehors de celui de Paris, c’est le seul Hot-Club qui en aura l’occasion »). Sept 78 tours contenant chacun deux morceaux verront le jour. « Il s’agit de reprises de standards : St. James Infirmary, 720 in the Books, On The Sunny Side of the Street… À l’exception d’une composition, Breizonec Blues. Un swing explosif, certainement le premier morceau de jazz écrit en Bretagne. » Quatorze titres restaurés que Lionel et Guillaume ressortent en 33 tours.
DETRÔNÉ PAR LE ROCK’N’ROLL Un âge d’or qui, au début des années 1950, va se refermer. « Cela coïncide avec l’arrivée du rock’n’roll. Les activités du Hot-Club vont alors diminuer, jusqu’à sa fin en 1952. » Aucun héritier ne prendra le relais du jazz à Rennes et la plupart des anciens membres quitteront la ville. « Certains auront cependant de jolies carrières. Une grande partie d’entre eux travailleront dans la musique. Parmi ceux-ci : Jacques Souplet, le premier président du Hot-Club de Rennes, sera nommé PDG du label CBS Disques. Ou encore Bib Monville, un musicien antillais installé à Rennes, qui deviendra l’un des plus grands saxophonistes français. »
Julien Marchand « Le Hot-Club de Rennes, 1941-1952 », sortie programmée à l’automne, infos sur le Facebook de 3615 Records 53
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AGENDA
Fabien Breuil
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Rozenn Quere
RECOMMANDE
MONOLITHE NOIR
THYLACINE
COURT MÉTRANGE
GASPAR CLAUS
Le 9 oct. à Hydrophone à Lorient Le 10 oct. à Bjr Minuit à St-Brieuc
Le 5 sept. à Art Rock à St-Brieuc Le 15 octobre à La Carène à Brest Le 16 octobre à L’Étage à Rennes
À Rennes (Arvor, Gaumont…) Du 22 septembre au 3 octobre
À l’Antipode à Rennes Le 6 novembre
Vade retro satana ! Pour conjurer le mauvais sort et ces deux dernières années, le festival Court Métrange place sa 17e édition sous le signe du Diable. Une figure complexe, incontournable dans l’iconographie religieuse comme dans le cinéma fantastique. N’oubliez pas votre crucifix.
Signature du toujours exigeant label InFiné (Aufgang, Carl Craig, Rone, Lucie Antunes…), le violoncelliste Gaspar Claus sort son premier album solo, Tancade. Onze morceaux de pop expérimentale néo-classique pour un disque qui s’annonce comme l’une des jolies curiosités de la rentrée.
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Phil Sharp
Après avoir composé ses précédents albums à bord du Transsibérien et lors de périples en Argentine et aux Îles Féroé, le producteur Thylacine s’aventure dans la musique classique. Avec Timeless, il métamorphose les œuvres d’Allegri, Debussy ou Satie en de sublimes pièces électro.
Julie Hascouët
Installé à Bruxelles où il a créé le projet drone-ambient Monolithe Noir, le Breton Antoine Pasqualini s’attaque au chef d’œuvre documentaire de Nicole et Félix Le Garrec, Plogoff, des pierres contre des fusils. Un ciné-concert pour célébrer les 40 ans de cette lutte antinucléaire dans le sud du Finistère.
HEIMAT
THOMAS WIESEL
APPARAT
ANTIPODE
Le 1er octobre à La Carène à Brest Le 28 oct. aux Indisciplinées à Lorient
Au Ponant à Pacé Le 9 octobre
À La Carène à Brest Le 23 septembre
À Rennes En cette rentrée
Deux visages de la scène underground (Olivier Demeaux, le claviériste de Cheveu, et Armelle Oberle, la voix de The Dreams) se sont associés pour former Heimat, duo post-punk atypique, adepte de boucles électro et de chants incantatoires. Un OVNI.
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Ne pas se fier à sa tête de premier de la classe et à son flegme : Thomas Wiesel est drôle. Le stand-upper suisse, passé par Quotidien et France Inter, déboule avec Ça va, nouveau spectacle où l’humoriste excelle dans l’autodérision et les réflexions farfelues.
septembre-octobre 2021 #53
Attention, date unique dans l’Ouest. Membre de Moderat, Sascha Ring sera sur la scène de La Carène avec son projet solo Apparat. Le Berlinois y présentera son dernier album LP5, mêlant sonorités électroniques et organiques, pour un live planant et aérien.
Tout nouveau tout beau, le nouvel Antipode. La structure rennaise du quartier Cleunay investit un bâtiment flambant neuf doté de deux salles de concerts (de 900 et 250 places). Whispering Sons, Victor Solf et Joanna (photo), notamment, auront le plaisir de les inaugurer.