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Le climat change ET ÇA CHANGE QUOI POUR NOUS ?

Lors de la COP21 de Paris (en 2015), on espérait qu’en 2100, la hausse de température globale, comparativement à l’ère préindustrielle (1850), puisse être contenue sous les + 2 °C, et même idéalement + 1,5 °C. Ce qui fait aujourd’hui figure de scénario optimiste : on en est à + 1,1 °C, et le GIEC alerte désormais sur le risque de passer + 1,5 °C dès 2030, pour atteindre + 2,7 °C en 2100. Or, l’impact sur la Terre n’est pas proportionnel à l’élévation des températures. En interrogeant cinq chercheurs, nous avons passé en revue quelques-unes de ses conséquences prévisibles.

Texte A. Bloch

La fonte des glaces

« La surprise des dernières études, explique Christian Vincent, glaciologue au CNRS et à l’Institut de géosciences de Grenoble, c’est que, quel que soit le scénario climatique, les glaciers qui culminent à moins de 3 500 mètres (soit 80 % de ceux des Alpes françaises) auront disparu en 2050. » D’autres, comme la célèbre Mer de Glace, à Chamonix, résisteront mieux, mais « on a calculé que dans un scénario à + 3 °C, elle ne ferait plus que 20 % de sa surface actuelle en 2100 ». Car les glaciers fondent partiellement à la belle saison, contribuant à alimenter les rivières au plus fort de la période de sécheresse, puis se rechargent en hiver. Or, Depuis plusieurs décennies, ils ne sont plus du tout (du tout) à l’équilibre. Et le phénomène s’accentue : « Entre 2021 et 2022, les glaciers des Alpes ont perdu en moyenne 5 à 7 % de leur masse, et c’est irréversible. » Certes, concède le chercheur, « sous nos latitudes, l’impact sur la ressource en eau ne sera pas énorme, parce qu’on a des précipitations régulières ». Mais quid de l’Amérique latine ou du sous-continent indien, par exemple, qui comptent sur les eaux de fonte de la cordillère des Andes et de l’Himalaya ? Sans compter que, outre la disparition programmée de paysages éminemment « instagrammables », cela entraîne des risques, par exemple de décrochage des glaciers, ou de rupture de poches d’eau, qui peuvent occasionner des inondations monstres.

Le dégel du pergélisol

Plus connu sous son nom anglais de permafrost, « c’est un sol gelé sur plusieurs dizaines ou centaines de mètres de profondeur, parfois même plusieurs kilomètres », explique Antoine Séjourné, du laboratoire de géosciences de l’université Paris-Saclay : « Il couvre par exemple 70 % de la Russie, 50 % du Canada, et quasiment tout l’Alaska. » Sa fonte a un impact local, mais aussi global. Ainsi, il perturbe la régulation des températures : « Le climat sur Terre repose sur des échanges thermiques entre deux points froids, les pôles, et un point chaud, l’équateur, rappelle le scientifique. On est donc en train de perdre les points froids, alors même que le point chaud est de plus en plus chaud. Mais ce qui fait du pergélisol une bombe climatique, c’est qu’il emprisonne 1 500 gigatonnes de carbone, notamment sous forme de matière organique. Avec la fonte, il sert de nourriture à des communautés bactériennes, qui relarguent des gaz à effet de serre. »

D’ici à 2100, ce phénomène pourrait à lui seul avoir entraîné un réchauffement de 0,3 °C à 0,5 °C, faisant dégeler encore davantage le pergélisol, et ainsi de suite. Or, ponctue Antoine Séjourné, « ce n’est pas pris en compte dans les modélisations. Aucun scénario actuel n’intègre ce paramètre ».

La montée des eaux

« On a clairement une accélération de l’élévation du niveau de la mer, entame Gonéri Le Cozannet, chercheur au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et coauteur du sixième rapport du GIEC. Pendant 6 000 ans, c’était pratiquement stable. Au XXe siècle, cette élévation était d’environ 1,4 mm par an. Aujourd’hui, elle est de 4 mm par an. » Un phénomène qui s’explique à la fois par la dilatation thermique des océans et la fonte des calottes glaciaires, qui s’alimentent mutuellement. Or, il continuera à s’accentuer même si les températures se stabilisent, en raison d’une forme d’inertie : « Le Groenland et l’Antarctique, ce sont des masses de glace colossales, qui mettent beaucoup de temps à fondre. On sait que l’élévation du niveau de la mer va continuer pendant des siècles. » En 2050, il n’y a quasiment aucun écart entre les différents scénarios : l’élévation sera de l’ordre de 20 cm. En revanche, autour de 2100, on commence à voir des écarts : « 40 à 60 cm pour un scénario de + 2 °C, mais 60 à 110 cm pour les trajectoires plus pessimistes. En 2300, ce sera 1 mètre en cas de très faibles émissions, mais jusqu’à 7 mètres autrement, sans pouvoir exclure 15 mètres en cas d’effondrement des calottes de glace. » L’éventuelle submersion de zones basses (les polders aux Pays Bas...) n’est pas ce qui inquiète le plus le chercheur : « On risque surtout d’avoir des digues énormes un peu partout le long des côtes. Une artificialisation massive du trait de côte qui aurait des conséquences très négatives sur les écosystèmes et les gens... sans parler des finances publiques ! »

Le recul de la biodiversité

« Le concept d’extinction, il est à prendre avec des pincettes, car il n’est pas simple à mettre en évidence, estime Jonathan Lenoir, chercheur en écologie (notamment forestière) au CNRS. Il y a des phénomènes intermédiaires bien plus visibles. » Parmi eux, il cite « le déplacement des aires de distribution ». Pour les espèces terrestres, cette migration peut d’ailleurs se faire verticalement : « Il faut parcourir en moyenne 100 km vers les pôles pour perdre 0,6 °C, et c’est compliqué à cause de la fragmentation des habitats. Mais on peut obtenir le même résultat en montant de 100 mètres. » Dans tous les cas, il y a un chamboulement des écosystèmes, avec de nouvelles interactions et, par exemple, de nouvelles compétitions. Le chercheur souligne au passage que les espèces végétales aussi peuvent migrer : « Un arbre ne se déplace pas, mais on peut constater une migration de descendance, car les graines vont germer plus facilement là où les températures sont plus clémentes. » Reste que ce sont les espèces marines qui se déplacent le plus rapidement : « Les poissons migrent énormément vers les hautes latitudes, en moyenne de 6 km par an. » Gonéri Le Cozannet, pour sa part, insiste sur le sort des coraux : « À + 2 °C, on estime que 99 % de la couverture corallienne aura disparu. Sans atténuation vraiment résolue, + 2 °C, on y sera en 2050. »

Les épisodes extrêmes

Ces impacts peuvent entraîner tout un éventail de risques, qui vont des glissements de terrain à l’infiltration d’eau salée dans les nappes phréatiques. Ou les inondations : « 1 °C de plus, c’est 7 % d’eau supplémentaire dans l’atmosphère, explique Gonéri Le Cozannet. De l’eau qui a tendance à retomber sous forme de pluies intenses, qui ne peuvent pas être absorbées. » Sans oublier les incontrôlables mégafeux, qui semblent se multiplier. « Effectivement, c’est lié au réchauffement climatique », répond Jonathan Lenoir. Qui tempère aussitôt, pour souligner le rôle de l’activité humaine : « La forêt landaise, par exemple, elle est monospécifique, c’est une plantation en rangs d’oignons d’arbres de la même espèce, des pins maritimes, qui ont le même âge et la même taille, parce que c’est plus simple à exploiter. Les feux de forêt vont être de plus en plus fréquents, mais surtout dans les écosystèmes forestiers les moins complexes, et donc moins résilients. » Pourquoi donc ? « Notamment parce que les arbres adultes les plus âgés dans la canopée protègent les petits en dessous d’eux. Ils peuvent aller puiser l’eau plus profondément dans les sols en cas de sécheresse, et la “transpirer” au cours de la photosynthèse, ce qui maintient un microclimat frais et humide. »

Le cas des villes

Tous ces impacts sont considérablement aggravés en ville, explique Julia Hidalgo, directrice de recherches au CNRS et climatologue urbaine à l’université de Toulouse. Par exemple, au cours des vagues de chaleur, la hausse des températures est renforcée par ce que l’on nomme îlot de chaleur urbain : « C’est l’expression de l’impact de l’urbanisation sur la température de l’air, qui se traduit par quelques degrés de plus en ville qu’à la campagne. En France, il peut atteindre + 6, voire + 10 °C. » Avec encore un cercle vicieux, cette fois d’origine purement humaine : on estime qu’au moins 10 % de ce phénomène amplificateur provient de la climatisation. « Outre l’augmentation exacerbée des consommations d’énergie, détaille la chercheuse, la climatisation a surtout un effet de rétroaction, parce qu’elle rafraîchit la pièce dans laquelle elle est installée, mais en expulsant de l’air chaud à l’extérieur. Selon une étude menée à Paris, elle entraînerait une élévation locale de température de 1 °C. C’est donc une source de pollution thermique de l’air, d’inégalités flagrantes, et un cas typique de “maladaptation” à la chaleur. » La même souligne qu’il existe « d’autres leviers d’adaptation beaucoup moins néfastes, comme la végétalisation », mais précise que ce n’est sans doute pas la panacée : « C’est très bien, mais il ne faut pas négliger la ressource en eau. À l’année, un arbre en consomme autant que trois personnes. La ville de Toulouse a un plan “100 000 arbres d’ici à 2030” qui, en termes d’eau, équivaut donc à 300 000 habitants de plus... »

Il faudrait peut-être y réfléchir à deux fois.

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