5 minute read

ART DE VIVRE

Les fameuses demi-sphères plates, fourrées de pâte d’amande, riz noir et saké, caramel pomme et épinard, ganache combava ou pâte d’amande pomme de terre et vodka.

Une des sculptures de Patrick Roger, en métal, majestueuse et imposante, même si d’autres sont nettement plus grandes, pesant parfois plusieurs tonnes.

boulangers pour un pâtissier... et tout en bas de l’échelle les chocolatiers. Parce que c’est répétitif, c’est une matière compliquée à maîtriser, ça n’intéressait pas grand monde. » Et il va se passer un truc avec le chocolat. « Je dis toujours que je n’ai pas découvert le chocolat, c’est lui qui m’a découvert. Ou qui m’a permis de me découvrir. Je ne me considère pas comme talentueux. J’ai cette espèce de capacité à pouvoir refaire des tâches, de manière répétitive, mais avec une grande précision. Et c’est ce que je vais faire en cuisine, travailler, travailler encore avec précision pour maîtriser cette matière thermosensible que beaucoup n’aiment pas modeler. » Il se découvre une température de peau sur les mains si basse qu’il ne fait pas fondre le chocolat quand il le touche. Ils seraient rares, les chocolatiers dans ce cas. Quelque chose d’étrange, mais qui lui permet de faire des choses que d’autres ne peuvent pas réaliser. À cette période, Patrick ne gagne pas beaucoup d’argent, mais il travaille d’arrache-pied, plus de 400 heures par mois dit-il. « Sept jours sur sept, 400 heures par mois, ça pique. C’est sûr que tu n’as pas trop le temps de sortir. De toute manière, moi mon truc c’est de rouler à moto. Mes paies servaient à acheter mon essence et mes pièces, mes pneus... Tourner en rond sur un circuit, ce n’est pas très loin de ce que je fais en cuisine avec le chocolat finalement, c’est une histoire de température (de pneus et de chocolat) et de temps, de chrono. »

Drôle de manière de voir la chose. Pendant une dizaine d’années, il va accumuler les expériences et les petits boulots, travailler d’abord à Paris, puis un temps à Monaco, en vivant dans une chambre de bonne, et quelques mois en Suisse, où l’un de ses souvenirs les plus marquants sera de s’y être fait retirer le permis de conduire, pour excès de vitesse, bien sûr à moto. Ça ne rigole pas sur ce point de l’autre côté de la frontière. Au final, il aura été plus pâtissier que chocolatier sur ces années, à son grand regret. « En sortant de l’armée, je m’étais payé une moto sportive, avec laquelle je suis allé de boulot en boulot. Je prenais ce que je trouvais. J’ai même bossé pour un charcutier qui voulait ouvrir une boulangerie. » Il aime rouler, voyager, et ça ne le quittera jamais. C’est en 1997 qu’il décide de se lancer à son compte. Sa technique est sûre, il a déjà conçu des vitrines incroyables pour d’autres, mais maintenant c’est à son tour. Il ouvre sa propre boutique à Sceaux, que de chocolats, de bonbons et de sculptures. « Le jour de l’ouverture, je savais que j’allais en boucher un coin à pas mal de gens. Mais je ne savais pas si cela allait marcher. Et le soir même, j’ai en caisse plus d’argent que je n’en ai jamais gagné en un mois. » La légende est en marche, Patrick a trouvé sa voie et va pouvoir commencer sa collection de motos, des Ducati de course entre autres, mais pour rouler tous les jours, en pneus slicks et parfois sans rétroviseurs. En 2000, pour sa seconde participation, il remporte le col bleu blanc rouge de MOF chocolatier. C’est la période où il découvre la fonderie de Coubertin, un moyen pour lui de mouler ses œuvres dans le métal pour les rendre immortelles. « Si j’avais moulé Harold, ma sculpture de planteur de cacao avec laquelle j’ai gagné le concours de MOF, je l’aurais encore, elle n’aurait pas fondu dans l’incendie. » Avec le succès, la maison Patrick Roger avait dû déménager en 2009, quittant le premier atelier de 40 m2 pour un superbe lieu de 700 m2, toujours à Sceaux, dans lequel Patrick peut produire avec ses équipes les milliers de bonbons en chocolat la journée, et lui créer ses sculptures majestueuses le soir. Quand vous avez pris l’habitude de travailler 14 à 18 heures par jour, il faut bien s’occuper. Sauf qu’en 2014, tout avait brûlé dans le nouvel atelier, en tout cas tout ce qui ne résistait pas aux flammes, les sculptures, les carnets de croquis, beaucoup trop de choses évidemment. « J’avais tout perdu. Au moins, maintenant, je moule tout, j’en fais des bronzes, ou des sculptures en aluminium, et même en acier. » Ce qu’il faut comprendre dans le travail de Patrick, c’est qu’il démarre toujours par une sculpture en chocolat. « Je sais très bien comment le façonner, comment le maîtriser, au dixième de degré près. Ensuite, je fais des moules en silicone sur lesquels mes partenaires fondeurs vont travailler. Mais à chaque fois, tout part du chocolat, c’est vraiment la matière première ici. » C’est pareil pour la ligne de joaillerie qu’il vient de lancer, des bagues, des colliers aux formes étonnantes, nées dans cette matière que l’on aime habituellement croquer ou laisser fondre dans la bouche. Pour certains c’est du plâtre, de la terre, du métal ou même de la pierre. Pour Patrick Roger, c’est du chocolat. Son inspiration, il la trouve dans son imagination parfois, dans ses voyages souvent. Comme quand il s’était rendu au Rwanda observer les grands singes en 2016... mais que faute d’avoir les bons papiers pour y circuler, il avait dû rester deux mois sur place, assigné à résidence dans son hôtel. Une péripétie de plus dans la vie compliquée du chocolatier. Pendant ces deux mois, ce sont ses équipes qui ont fait tourner la boutique à Sceaux, lui ne conservant que le rôle de goûteur, recevant ses échantillons par transporteur. Car s’il ne moule pas tous les bonbons lui-même, ça n’est plus son rôle, il est – presque – le seul à en déterminer les goûts et à ajuster les mélanges. Presque car il est arrivé que sa compagne, Mathilde, qui travaille avec lui, puisse parfois donner son avis. Mais il faut être un peu perché pour imaginer une sphère de chocolat décorée à la main et fourrée d’une pâte d’amande, riz noir et saké, ou d’un caramel semi-liquide pomme et épinards. Mais c’est sublime. Patrick Roger mène aujourd’hui ses deux activités de front, développant de nouvelles saveurs et de nouvelles formes pour ses bonbons et sphères, tous livrés dans ces belles boîtes au couvercle vert, faits des meilleurs chocolats, avec ses propres amandes depuis qu’il a acheté quarante hectares de culture d’amandiers vers Perpignan en 2014. Et se réservant, le soir, après le départ de ses collaborateurs, le droit de continuer sa journée de travail, à inventer des formes qu’il va sculpter en chocolat, avant d’en faire des œuvres en métal. Drôle de personnage.

Après les bonbons et les sculptures en chocolat, puis celles en métal, de différents métaux qui plus est, Patrick Roger se lance dans la joaillerie. Ici une des bagues de la ligne, qui a évidemment vu le jour sous une forme... chocolatée. Parce que tout débute comme cela dans son atelier.

La fameuse boîte de chocolats BR6 de la maison Patrick Roger, avec un assortiment de ganaches, de pralinés au chocolat, noir ou au lait, et un peu de pâte d’amande. Sublime (52 €).

Dans les boîtes de bonbons en chocolat de la maison, le fond est fait d’une plaque de chocolat... que les équipes de Patrick coulent ici, avant de la découper.

This article is from: