LA ROSÉE MATINALE Mon enfance au temps de Pol Pot
Vicky Sikith OUK
© 2020, éditions CLC France BP 9 – F-26216 Montélimar Cedex Tél. : +33 (0) 4 75 90 20 54 editions@clcfrance.com – www.clcfrance.com ISBN : 978-2-7222-0369-3 1ère édition 2017, en autoédition. Diffusé en Suisse par les éditions Emmaüs Diffusé en Belgique par la Centrale Biblique Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Sauf mention contraire, les citations bibliques sont extraites de la Bible Segond (Nouvelle Édition de Genève 1979). Couverture de l’auteur. Impression : IMEAF, F-26160 La Bégude de Mazenc Avril 2020 – N° d’impression :
Vicky Sikith OUK
La rosée matinale Mon enfance au temps de Pol Pot
Illustrations de l’auteur
Vicky OUK
Table des matières Dédicace.....................................................................................7 Préface.........................................................................................9 Avant-propos.............................................................................11 Quelques mots d’histoire….......................................................13 1. La guerre civile a commencé ! .............................................15 2. Évacués de Phnom Penh......................................................17 3. Les nouveaux paysages de l’exode........................................19 4. Accueillis dans une première famille....................................21 5. Dans une autre famille........................................................27 6. Pour quelques grains de sel…..............................................29 7. La récolte des moqueurs......................................................31 8. Ma tante Hi Line................................................................35 9. Ma grand-mère, un personnage ! ........................................39 10. Une histoire… vache ! ........................................................45 11. À la pêche aux crabes...........................................................49 12. La rosée matinale.................................................................53 13. Perdue dans les champs.......................................................57 14. Sisa est malade.....................................................................63 15. La moisson..........................................................................67 16. Une liste et des noms...........................................................71 17. Le deuxième exode : Pursat..................................................75 18. Le camp des enfants............................................................79 19. Mes cueillettes avec la cuisinière..........................................87 20. Souvenirs de mon village à Boeung Salaing..........................91 21. Nous montons la garde......................................................101 22. Soka sur la liste noire.........................................................105 5
23. Phnom Penh après la guerre – 1979..................................111 24. La route de l’espoir............................................................115 25. Premiers pas d’une nouvelle vie.........................................119 26. Accueillis en France...........................................................123 27. Les pages se tournent….....................................................129 Épilogue..................................................................................133 Remerciements........................................................................137
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À ma grand-mère Mak-Yieil, pour qui j’avais tant d’admiration et qui m’a inspirée pour écrire. Je regrette qu’elle ne soit pas là pour la sortie de ce livre. À maman, ma petite Mak, une femme au courage exemplaire. Je voudrais lui dire encore mon amour et aussi que toutes les décisions qu’elle a prises n’ont pas été vaines. Sans elle, sans sa présence, son travail, ses sacrifices, ma vie et celle de mes frères et sœurs ne seraient pas aussi heureuses aujourd’hui. À mon cher Pa, mon père disparu dans cette foule le jour où la guerre a commencé et qui me manque tant. À mes deux chers enfants Dévery et Timothy qui réjouissent mon cœur. J’ai écrit ce livre par devoir de mémoire pour eux. À ma petite sœur Flora Sisa qui a toujours écouté avec patience et intérêt l’évocation de mes souvenirs passés. Je pense aussi à Nak, Ten, à mon sage petit frère Soka, qui a feint le jeu pour survivre et enfin à mon grand frère Van Sak, parti trop tôt. Tous les personnages évoqués sont réels bien que les noms soient des diminutifs. Chaque personne a joué un rôle important dans ma vie.
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Préface « Le cambodgien est doux et souriant, ce que l’on raconte sur ce qui se passe actuellement au Cambodge est impossible. » Voilà ce que me disait un de mes professeurs, « ancien du Cambodge » dans les années 1980. Personne n’imaginait alors ce que ces hommes, ces femmes, ces enfants étaient en train de souffrir. Depuis, chacun a pu réaliser l’horreur de ces quelques années sous le régime de l’Angkar1. Mais comment peut-on survivre à de tels traumatismes ? Les quelques cambodgiens qui m’ont parlé de ces années-là l’ont toujours fait avec beaucoup de pudeur. Ils n’ont fait qu’effleurer la surface de leur drame personnel comme pour s’excuser d’avoir survécu. Certains ont eu le courage de mettre par écrit ce qu’ils ont vécu, Sikith OUK est de ceux-là. Son témoignage est remarquable à plusieurs égards. C’est avec son regard d’enfant qu’elle décrit ce qu’elle et sa famille ont vécu et ce regard partiel est sinon neutre, du moins factuel. Un enfant accepte souvent les choses sans comprendre même s’il a un sentiment aigu d’injustice. Je ne dirai pas qu’il est sans passion car les sentiments qui ressortent de ce récit sont l’amour pour sa famille et pour ce pays si attachant. Sous-jacente dès le début se lit aussi la certitude qu’à travers leur drame, une main protectrice veillait sur eux. Si vous connaissez le Cambodge, des paysages, des couleurs, des visages vont vous venir à l’esprit. En lisant ces lignes vous verrez le vert des rizières, les étangs remplis de lotus aux pétales roses et de jacinthes d’eau bleues, les palmiers et les sous-bois, les vil1 Ou Organisation, nom donné au régime de Pol Pot. 9
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lages ombragés aux maisons sur pilotis avec leur petit étang. Vous entendrez les bruits de la nuit et ressentirez la brûlure du soleil. Si vous ne le connaissez pas, ces descriptions vous feront rêver et vous donneront sans doute l’envie d’aller voir par vous-même. Dieu a donné à cette petite fille un regard lui permettant de voir la beauté de sa création pour l’aider à échapper un peu à l’horreur quotidienne. Il était là, tout près d’elle, parlant à son cœur et à ses yeux et c’est dans un camp de réfugiés qu’elle l’a finalement rencontré. Ce n’est pourtant pas la fin. Il a fallu se reconstruire une nouvelle vie en terre étrangère. Après des années, beaucoup de questions restent bien sûr sans réponses et les blessures sont toujours là, mais le Dieu d’amour est venu apporter sa paix. Pour moi, il faut comprendre ce livre comme « Un chant d’amour et de reconnaissance au Dieu Créateur ». Laissez-vous emporter. Marie-Christine Duflos
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Avant-propos Dans une splendide contrée du Cambodge, la petite Sikith s’épanouit au sein d’une famille évoluée, dans un contexte aisé. Sa vie prend une tournure inattendue lorsqu’elle est chassée de sa maison à coups de canons, avec les siens et des milliers d’habitants pour qui commence un terrible exode. Le pays vient de tomber aux mains des Khmers Rouges, sonnant le début de quatre années d’une atroce guerre civile. Le temps passe, mais les souvenirs s’effacent-ils ? Un jour où elle partage avec ses amis le témoignage de son vécu, elle se revoit làbas, triste, seule et perdue au milieu des cadavres. Ces images qui la hantent encore parfois l’ont poussée à écrire son histoire. Un peu comme un journal, Sikith a voulu sortir de son silence pour libérer son cœur mais également par devoir de mémoire pour les siens et pour nous tous. Tout au long de ce récit, nous voyagerons bien loin, là où la guerre et la démence humaine opèrent leur œuvre de destruction, mais aussi dans un pays où personne ne peut totalement ôter l’espérance : l’âme d’un enfant. Comme cette ROSÉE MATINALE dans laquelle Sikith aime tant courir, cheveux au vent, avec une légèreté aérienne, l’espoir distille en elle chaque matin le courage de vraiment VIVRE… Cher lecteur, venez boire à cette rosée dont Sikith partage avec vous quelques perles. Bernadette Haury
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Quelques mots d’histoire… Avant de partager avec vous mon histoire personnelle, il me semble important de faire un petit rappel d’une page de l’histoire de mon pays afin de mieux situer l’époque dont je vais vous parler dans La rosée matinale. Après avoir été placé sous protectorat français de 1863 à 1953, le Cambodge acquiert son indépendance. Sihanouk (1922-2012), le Prince du Royaume Kamputchea dirige alors le pays jusqu’en 1970, lorsqu’il est lui-même destitué. Saloth Sâr, connu sous le nom de Pol Pot, prend alors le contrôle du pays avec un groupe de nationalistes d’extrême gauche : les Khmers rouges. Le principal objectif de Pol Pot est de réduire le Cambodge en autarcie. Le pays se voit alors isolé du reste du monde et régresse totalement. Tout ce qui a trait à la culture et à la civilisation passée est proscrit : écoles, hôpitaux, machines et jusqu’aux vêtements de couleur qui sont interdits ! L’élite intellectuelle est éliminée. Pour donner un petit exemple, le simple fait de porter des lunettes est considéré comme un signe d’intellectualisme, donc passible de mort. Tous les citadins de Phnom Penh et de ses banlieues sont contraints et forcés de quitter leur demeure pour travailler dans les campagnes, la valeur suprême étant l’agriculture. C’est ainsi qu’en 1975, alors que ma famille et moi vivions paisiblement, nous sommes chassés de chez nous à coups de canons. On nous place dans différents camps selon notre âge et notre sexe, nous séparant ainsi les uns des autres pendant quatre ans. Le pays traverse une période terrible, car l’Angkar (l’Organisation) exige des habitants du pays une obéissance aveugle au moyen d’une cruauté démentielle. Cette ty13
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rannie s’illustre bien par la devise de Pol Pot : « Qui proteste est un ennemi, qui s’oppose est un cadavre. » Pendant cette tragique période, c’est un tiers de la population de mon pays qui disparaît à cause des exécutions, de la torture, de la maladie et de la famine. En 1979, les Vietnamiens prennent Phnom Penh. La Croix-Rouge internationale intervient pour aider la population des survivants, dont un certain nombre quitte le pays. Le Cambodge est totalement libéré en 1990 mais reste l’un des pays les plus pauvres du monde. Moi qui étais une jeune enfant, avec toute mon innocence, je faisais partie de la jeunesse malléable qui représentait l’espoir des Khmers Rouges. Nous étions les « enfants de la patrie ! » Il est temps de vous ouvrir mon cœur pour partager cette tranche de ma vie, de mon histoire… Vicky Sikith Ouk
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1 La guerre civile a commencé ! Je ne sais depuis combien de temps je suis là à regarder les gouttes de pluie se briser une à une contre le rebord de ma fenêtre. Le paysage mélancolique pleure et l’essence de mes pensées jaillit. L’écran noir et blanc s’allume, une douce mélodie m’envahit pendant que les images nostalgiques défilent. Toutes mes illusions s’y confondent. Ma sérénité se nourrit de ma capacité à rêver. Ainsi, j’essaie de faire renaître et de rattraper mon enfance. Les moments de bonheur ont été balayés en ce jour mémorable. Mais par-dessus tout, les séquences agréables inhibent ma douleur. Étrangement, plus j’y songe et plus ces images vagues deviennent réalité, comme si le film en noir et blanc se colorait. J’aimais le moment où je voyais Pa revenir à la maison. Il avait toujours sa serviette noire à la main. Pa était un homme grand et mince. Son visage rayonnait d’un doux sourire presque coincé entre ses joues creuses. Il travaillait toujours beaucoup. Dans les années 70, il occupait le poste de secrétaire du Préfet de la ville de Phnom Penh. Parallèlement, il prenait des cours de médecine en vue de devenir médecin généraliste. Pa savait qu’en 1975 le régime politique allait changer et qu’une guerre civile approchait. En 1974, les amis de Pa lui avaient proposé de quitter le Cambodge. Il ne devait pas s’inquiéter pour le voyage car un de ses amis était commandant de bord d’un avion. Toute la famille pouvait donc partir quand elle le souhaiterait. Mais Pa était très attaché à 15
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son travail de politicien, c’est la raison pour laquelle nous sommes restés chez nous. Je me demande encore pourquoi maman, « Mak » n’a pas saisi l’occasion de partir et n’a pas préparé sa famille à fuir. Sans doute que ma vie et celle de ma famille auraient-elles pris une autre tournure. En effet, le 17 avril 1975, le drapeau de la révolution a flotté sur le Cambodge. Une page noire s’ouvrit pour moi, pour ma famille, pour mon pays… Malgré mon jeune âge, j’étais très observatrice. J’avais sept ans quand ma jeune maman a dû quitter Phnom Penh avec nous à cause de cette terrible « guerre » qui m’a déracinée et privée de mon cercle familial. Il ne reste maintenant que de tristes souvenirs qui perdurent au fond de ma mémoire. Comment dans un même peuple peuvent se mêler à la fois tant d’innocence et tant de cruauté ? Alors que le pesant joug des dirigeants de Pol Pot s’abattait soudainement sur nous, ma terrible vie « d’enfant de la guerre » commença.
Pa, Soka, moi Kith et Achamroeun notre chatte. 16
2 Évacués de Phnom Penh Les soldats sur leurs chars débarquent à Phnom Penh et nous évacuent de force de notre maison. Tout commence avec les voix au micro qui résonnent dans ma tête. Il s’agit d’une évacuation provisoire. On nous dit que nous allons revenir dans peu de temps… Si nous ne partons pas, nous allons être blessés par des bombardements. Dans les rues de Phnom Penh les gens se bousculent, baluchon à la main. Tous se rendent dans la même direction, suivis par des chars ; des coups de fusils et la fumée causée par des bombardements éclatent. Ma main toute tremblante tient fort celle de Mak, de l’autre main je tiens celle de Soka, mon petit frère. Sur le dos de Mak est accrochée la petite dernière Pow Sisa, la benjamine. Mak l’a nouée avec un grand foulard pour qu’elle ne se détache pas en cours de route. Moi, je la regarde d’en bas avec envie. Le tissu aux gais motifs a les couleurs du printemps. Tout à coup, j’entends mon père qui nous appelle, il essaie de nous rattraper. Il semble vouloir dire quelque chose d’important à Mak, mais très vite, son visage se fond dans la masse, parmi tant d’autres visages affolés. Peu à peu, il disparaît dans la foule et devient un visage flou parmi tant d’autres. C’est la dernière image que j’ai de mon père. Grand-maman, « Mak-Yieil » marche à pas vifs à côté de nous avec ses trois filles, Lain, Ly et La. En groupe, en file indienne les autres marchent aussi. C’est le reste de ma famille : ma grand-tante 17
TÉMOIGNAGE Kim, tante Hi Line et mon jeune oncle Kim Chy. Mak-Yieil a juste eu le temps de prendre avec elle une grande casserole pleine de boulettes de riz pour le trajet vers l’inconnu. De temps en temps, je jette un coup d’œil vers Mak qui est surchargée. En plus de son gros baluchon, elle porte la petite sœur endormie sur son dos. Celle-ci est si paisible, alors que tout s’affole autour d’elle ! J’ai très peur de perdre Mak. Mes tristes pensées s’envolent vers Aki, mon chien laissé Bien à la maison. Je l’avais un jour un lebuisson à côté de des années aprèstrouvé l’époque de sadans vie où Cambodge la place du marché. Mak m’avait autorisée à l’adopter. Je pense a été déchiré par une guerre civile à l’époque des Khmersaussi à Achamroeun, ma chatte. Je nel’auteur voulais pas les abandonner, mais on Rouges (1967-1975), a voulu nous rendre m’avait catégoriquement interdit de les emmener. témoins de quelques bribes de son histoire, entre peines Cela fait quelques que nous marchons en direction de et joies, momentsjours de terreur et moments de bonheur. la Province. Le but est de s’éloigner de Phnom Penh. Les soldats À traversPlus son nous récit nous et quelques aquarelles, Vicky fera les sont partout. éloignons, moins se fontvous entendre découvrir les paysages de son beau pays ainsi que la bruits de chars et les hurlements des gens. L’atmosphère y est vie moins quotidienne de sa famille pendant conflit. Elle Je oppressante. Je peux apercevoir à présentceleterrible paysage verdoyant. soit uncar témoignage pour les et tous ne saisa voulu pas oùque nousceallons, pour le moment la siens nuit commence ses lecteurs, mais également hymne de reconnaissance à tomber. Nous nous posons et, un avec les moyens du bord, Mak à Dieu son Créateur et Jésus-Christ soncamp Seigneur, quilea sol. et tous les adultes confectionnent des lits de à même donné un sens à sa vie et son histoire. Nous dormons à la belle étoile. L’air est frais, le ciel est dégagé avec des milliers d’étoiles qui scintillent. Pour toute nourriture, je remVicky vient faire la voix « enfantsrassasiée. de la guerre » plis mon estomac d’airécho pur,à sans êtredespourtant L’atmosde tous les temps et de tous les pays. phère si chaude devient vite glaciale. L’inquiétude me gagne, ainsi qu’une étrange appréhension…
LA ROSÉE MATINALE
Vicky Sikith OUK a été accueillie en France après la guerre du Cambodge. Elle vit désormais avec sa famille dans la région parisienne. Ses talents, elle veut les utiliser pour exprimer sa joie et sa foi : peinture aux aquarelles, piano, jardinage.
ISBN : 978-2-7222-0369-3
16 € TTC www.clcfrance.com
Réf. : CLCR130
Témoignage / Biographie