N° 03 - Avril 2020

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DEMAIN 04-2020

ACTUALITÉ CORONAVIRUS

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Regard d’un entrepreneur Philippe Cloux, CEO d’Importexa et Vice-Président de la CVCI, gère une PME active dans la création et la fabrication de vêtements et accessoires personnalisés. Son entreprise ayant des activités notamment en Suisse et en Chine, nous l’avons sollicité pour recueillir ses impressions concernant la situation liée au Covid-19. Pour vous, les entrepreneurs suisses doivent-ils analyser la crise en Chine et faire des parallèles pour estimer l’évolution de la situation en Suisse ? Ce qui est déterminant, c’est la capacité des Etats à agir vite. Tous les parallèles ne sont donc pas bons à faire. En Chine, les citoyens sont habitués à un fort leadership étatique, et les mesures sont généralement bien appliquées par la population. La région ayant déjà connu des crises similaires comme le SRAS, la population est déjà sensibilisée à l’importance de suivre les règles imposées. On le voit avec Hong Kong et Taiwan, qui comptaient respectivement 200 et 77 cas à mi-mars. Ces deux Etats ont rapidement fermé leurs frontières et pris les mesures internes pour éviter une épidémie. La Suisse – et l’Occident de manière générale – sont dans une phase d’apprentissage, tant pour les autorités que pour la population. La démocratie implique

une adhésion du peuple aux mesures édictées, ce qui rend leur compréhension et leur adoption plus lentes. En conséquence, il se peut que la crise dure un peu plus longtemps ici, par contre on sera mieux préparés à l’avenir.

Evaluez-vous la situation économique avec pessimisme ou optimisme ? Cela dépend pour qui. Pour les micro-entreprises, les indépendants, et de manière plus large, les entreprises de services liées au tourisme ou à l’événementiel, ce sera trois mois de perte nette. Là je m’inquiète. Pour les autres entreprises, ça va repartir comme avant, peut-être même avec un effet de rattrapage au sortir de la crise. Chez Importexa, nous tablons sur une forte baisse de l’activité pendant deux mois, puis avec l’effet de reprise, cette perte de chiffre d’affaires devrait s’établir à 10 % sur l’année. Si les mesures de

soutien étatiques permettent aux PME de maintenir leur trésorerie à flot le temps que ça se calme, je reste plutôt confiant.

Quelles mesures allez-vous mettre en place sur le long terme ? Nous allons poursuivre la démarche entamée il y a dix ans, c’est-à-dire réduire notre dépendance à la Chine. Toutefois, ce n’est pas si simple. Aujourd’hui déjà, avec des fournisseurs en Chine, en Inde, en Turquie et en Tunisie, nous sommes en mesure de couvrir deux tiers de nos besoins depuis n’importe lequel de ces marchés. Cette redondance est essentielle en cas de rupture d’approvisionnement avec l’une de ces régions. Toutefois, la Chine reste leader pour les accessoires (fermetures, mercerie) et à l’heure actuelle nous ne pouvons pas nous en passer. Rapatrier ce type de production et trouver de la main-d’œuvre aura forcément un impact sur les prix. Dans les faits, aujourd’hui 84 % des clients dans le textile disent vouloir des produits plus durables, mais seuls 3 % le confirment dans leurs actes d’achat. Quoi qu’il en soit, la question du rapatriement de la production va se poser, du moins pour les achats stratégiques. Pour le reste, les générations futures seront peut-être d’accord de payer plus pour des produits plus durables et locaux, mais la transition prendra dix à quinze ans...

Cette transition implique-t-elle d’investir dans l’innovation ? Oui, si l’on parle d’innovation dans la supply chain. Le volume est une composante essentielle dans notre domaine pour maitriser les coûts. Dès lors, on pourrait être amenés à s’approvisionner en masse en Chine pour les composants de base, à stocker en Europe, puis à se spécialiser dans les phases de finition. Nous travaillerions ainsi moins en flux tendus avec la Chine. Ce que l’on constate, c’est que la course à la performance extrême a rendu la chaîne de valeur très interdépendante et fragile. C’est à cette problématique que nous devrons répondre.

PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAEL.THIEBAUD@CVCI.CH PHOTO SHUTTERSTOCK


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