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UN EFFACEMENT DES ARCHITECTES DANS LES MISSIONS D’EXÉCUTION

LE RÔLE DE L’ARCHITECTE DANS LA MAITRISE DES COÛTS ET DÉLAIS D’UN CHANTIER.

UN EFFACEMENT DES ARCHITECTES DANS LES MISSIONS D’EXÉCUTION

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En premier lieu, il est utile de préciser qu’il existe deux types de commande en architecture, la commande publique et la commande privée. La commande publique rassemble quatre grandes natures de Contrats administratifs tels que les marchés publics, les montages complexes, les délégations de service public et les partenariats public / privé. Ces familles de contrats publics sont régies par le Code de la Commande Publique (CCP) qui donne un cadre juridique extrêmement précis. Ce cadre juridique garantit entre autres à l’architecte une mission complète.

Nous n’entrerons pas dans le détail des marchés publics car nous allons davantage nous intéresser à la commande privée qui, à l’opposé de la commande publique, aborde le contrat librement et de ce fait, laisse libre-court à la négociation en termes de rémunération, en termes de missions attribuées au maître d’œuvre et des méthodes qu’il emploiera. En effet, ce type de relation contractuelle introduit la notion de risque sur le plan juridique et financier, et c’est pourquoi il est nécessaire pour les architectes de prêter une attention particulière dans la négociation des types de missions et de leur rémunération. Le MOE aura alors intérêt à se référer à la norme volontaire et non obligatoire NF P 03-001 qui régit les marchés de droit privé et qui leur fixe un cadre réglementaire et technique à l’instar des CCAG et CCAP dans le domaine public.

Face à une certaine complexité des marchés privés, on assiste de nos jours à un changement de la part des architectes et des agences d’architecture qui, de plus en plus, délaissent les missions d’exécution pour se concentrer exclusivement sur les missions de conception. Ceci les conduit à perdre une partie des compétences qui étaient les leurs et par conséquent à perdre en légitimité. Selon Olivier Chadoin, ce phénomène a pour cause deux raisons principales : « D’une part le travail de clarification des besoins qu’opère le travail de conception est rendu difficile par la programmation, d’autre part « l’esthétisation de l’architecture » fait perdre aux architectes le savoir et la maîtrise de la technique qui est pourtant une des bases de leur compétence professionnelle. C’est alors l’autonomie de la profession et la

définition de sa compétence qui sont mises en jeu. »1. À l’opposé des idées reçues, idéalisant ou dénigrant l’architecte comme étant le « concepteur-réalisateur suprême » d’une construction et le seul responsable, on s’aperçoit aujourd’hui que la réalité est tout autre. En effet, l’architecte est de plus en plus relégué au second plan comme l’explique Florent Champy, « les compétences que les architectes mettent en oeuvre sont de moins en moins consensuelles et de plus en plus difficiles à faire reconnaître : les architectes les plus en vue revendiquent comme principale source de légitimité leur créativité, mais celle-ci ne peut être la base d’une identité professionnelle partagée et d’une reconnaissance officielle ».2

Ce détachement et ce désintérêt de la part des architectes vis-à-vis de la maîtrise d’œuvre d’exécution se caractérisent par une inquiétude profonde, sous-jacente, vis-à-vis des compromis à faire entre « esthético-symbolique » et contraintes budgétaires. Ainsi, les architectes préfèrent mettre en avant leur apport culturel comme le souligne aussi l’analyse de Florent Champy, « la capacité des architectes à produire du non-reproductible et/ou à faire valoir leurs produits comme tels serait le dernier domaine sur lequel les architectes pourraient faire valoir leur exclusivité ? Le processus de stratification symbolique, expression de leur seule revendication à être les seuls détenteurs des critères de leur évaluation, fonctionnerait alors au bénéfice plus ou moins conscient et avoué de tous, fournissant à l’ensemble de la profession les arguments de sa prédominance, voire de son quasi-monopole, sur la maîtrise de la dimension esthético-symbolique de la production de l’espace ».3

Ces propos doivent tout de même être nuancés car une autre donnée pousse les architectes à s’éloigner des missions d’exécution. C’est en effet la venue de nouveaux acteurs sur le marché de la construction tels que les contractants généraux et entreprises générales qui développent une tout autre logique que les architectes, celle de la rentabilité. Ces entreprises s’exposent à des risques financiers assez importants lorsqu’elles sont missionnées pour un chantier et l’une de leurs principales préoccupations va être de s’assurer que leurs dépenses en fournitures et en main d’œuvre correspondent bien au marché qu’elles ont signé. De plus, elles doivent être en mesure de garder un certain pourcentage sur chacune des prestations afin de faire vivre l’entreprise et collecter de la trésorerie pour palier

1 CHADOIN Olivier, Être architecte : Les vertus de l’indétermination, Pulim, 2017, p.89-90. 2 CHAMPY Florent, Sociologie de l’architecture, La Découverte, 2001, p.108. 3 CHAMPY Florent, Sociologie de l’architecture, La Découverte, 2001, p.63.

à d’éventuels aléas de chantier. En cela, du point de vue de l'exécution, ces entreprises partagent la même logique que certains maîtres d’ouvrages, à savoir, construire efficacement et le moins cher possible. Par conséquent, l’architecte, désireux de faire valoir une qualité de finition, de détails architecturaux et d’espaces de vie répondant aux attentes de la commande, se trouve dans une posture très délicate lorsque les deux entités énoncées plus haut se rejoignent sur ces mêmes intérêts.

Selon les études d’Archigraphie 2020, seulement 4% des maisons individuelles de moins de 170 m² étaient construites en mission complète de maîtrise d’œuvre par les architectes alors que cette proportion s’élevait à 18% pour les maisons de plus de 170 m² de surface de plancher, où le recours à l’architecte est rendu obligatoire par la Loi du 3 janvier 1977 pour l’établissement du permis de construire. Ainsi, 90 % des maisons individuelles se font sans architecte et 70 % des projets privés se font sans que ceux-ci assurent la maîtrise d'œuvre du chantier. Ce constat est à l'opposé de ce qui se passe dans la construction publique, bien mieux organisée du fait de la loi MOP (aujourd’hui Code de la Commande Publique), qui dans la mission de base de l'architecte inclut obligatoirement la direction de l'exécution des travaux.

Statistiques issues de l’étude Archigraphie 2020, portant sur l’évolution de la maîtrise d’œuvre en mission complète concernant la maison individuelle, p.109

Ainsi, Régis Chaumon, ex président de l’Union National des Syndicats Français d'Architectes (UNSFA), constate ceci dans un article du Moniteur paru en 2018 : « Il est beaucoup plus simple pour le maître d'ouvrage de s'adresser au fabricant d'un produit «clé en main» qui lui présentera un parcours sans obstacle. (…) En cas de

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