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3. Renouer avec la hauteur

notoriété de la part des investisseurs due à la vague néo-libérale. À partir du XXIe siècle, les architectures deviennent un moyen d’attirer les investisseurs. Dans les années 80, les starchitectes apparaissent grâce à l’impulsion des concours d’architecture essentiellement issus de la commande publique : la pyramide du Louvre, la très grande bibliothèque, l'Institut du monde arabe. Cette décennie marque l’âge d’or de l’architecture : elle fait parler d’elle à travers différents supports : presse, publications, médias, … mais elle est aussi en grande majorité réalisée. Elle permet de mettre à jour une nouvelle génération de jeunes architectes qui règne de nos jours. De nos jours, ces architectes comme Jean Nouvel, Frank Gehry, Bernard Tschumi, Dominique Perrault et Christian de Portzamparc s’attirent la convoitise des grands capitaux privés de la ZAC et participent activement au changement du visage de la capitale parisienne. En septembre 1997, la ville de Paris organise un Conseil de Paris afin d’éclaircir les dettes de la Ville. Cellesci sont en partie causées par la ZAC de Paris Rive Gauche dont son déficit est estimé à 6 milliards de francs. L'achat conséquent de terrains fonciers est en partie responsable de cette somme. À ce moment-là, il représente 60% des dépenses globales, c’est-à-dire 531,4 millions de francs pour un total de 909,5 millions. Seulement, les recettes estimées des constructions s’élèvent à 485,2 millions, trop peu pour rentabiliser les dettes de la Ville de Paris . Ainsi, avec cette dette, la Ville de Paris ne peut envisager trop de frais 42 supplémentaires liés à la construction d’infrastructures publiques. L’État sollicite donc des capitaux privés pour financer les opérations qu’il ne pourra assurer. Dans cette logique, nous constatons que les architectures nées avant les années 2000, comme la BnF, ne se développent pas dans le but d’attirer des investisseurs, mais dans le but de produire des architectures-objets. Cependant elles restent tout autant exceptionnelles et démesurées dans leur contexte.

3. Renouer avec la hauteur

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Tours et gratte-ciels ne sont plus seulement des architectures rayonnantes à l’échelle nationale. De nos jours, leurs impacts à l’échelle mondiale sont énormes. Pour la plupart, elles sont devenues un des vecteurs du tourisme international constituant le symbole d’une ville. Nous pouvons prendre en exemple les tours de télévision Fernsehturm à Berlin, ou Žižkov à Prague, la tour CN à Toronto ou encore la Space Needle à Seattle. Cette attraction peut être due à leurs architectures et dimensions impressionnantes. Si pendant des années un certain nombre de tours (habitations comme techniques) ont été critiquées et rejetées, aujourd’hui la prestance qu’elles dégagent, anciennes comme nouvelles, est un moyen de véhiculer la grandeur et la modernité d’une nation. Si initialement la tour était un moyen de construire pour répondre à des besoins techniques ou de logements, aujourd’hui, son programme est plus complexe. Très sollicitée dans un environnement urbain dense pour sa petite emprise au sol, elle symbolise le dynamisme d’une ville. Elle permet de regrouper un grand nombre de services permettant d’attirer différentes cibles et ainsi atteindre une certaine rentabilité. En effet, la tour se doit d’être des plus spectaculaires pour attirer investisseurs et usagers afin d’amortir les coûts onéreux engendrés par leur complexité structurelle et les normes techniques. Pour autant nous observons un paradoxe

ECHEGUT, Alain. « Paris : le PS réclame des éclaircissements sur la dette de la Ville ». 42 Les Echos. 24/09/1997. [en ligne] Consulté le 12/02/2021. URL : https://www.lesechos.fr/1997/09/paris-le-ps-reclame-des-eclaircissements-sur-la-dette-de-la-ville-820768 64

: il est compliqué de concevoir une tour, sans empiler, à partir d’une certaine hauteur, qu’elles soient de logements ou tertiaire, des typologies identiques. Cela entraîne une monotonie architecturale. Si des exceptions arrivent à se démarquer, comme le Tribunal Judiciaire de Paris, elles sont majoritairement toutes semblables. La prolifération de ce type d’architecture aboutit à la création d’une image dépersonnalisée où toutes les villes sont vouées à se ressembler. Par ailleurs, le bilan énergétique qu’elles dégagent n’est pas moindre, même pour les plus performantes, dites écologiques. Ces géantes de l’architecture témoignent de l’évolution des représentations des usagers. Aujourd’hui, la tour renvoie des signaux très positifs. Cette image renvoyée au rang mondial produit des quartiers d'affaires internationaux dans une ville. Les plus grandes entreprises s’y installent pour le prestige et les prestations qu’elles offrent. Les tours sont le reflet du système capitaliste qui consiste à faire du profit pour enrichir le pays. Pour autant, la tour possède des inconvénients. Son impact dans l’environnement urbain n’est pas négligeable. Par sa hauteur, elle fait perdre toutes notions de proportionnalité dans une ville, l’usager peut se sentir déstabilisé. Elle occupe un espace dimensionnel beaucoup plus important qu’un immeuble bas, qui se place comme une barrière face à la ligne d’horizon. Enfin, la tour, par sa hauteur, s'octroie la lumière. Ainsi ces tours peuvent devenir un environnement austère et inhumain. Le risque d’en faire un quartier est de provoquer une rupture entre les liens sociaux : le voisinage, la vie de quartier, la proximité et les interactions entre les usagers ne se font plus de la même manière. La tour est avant tout un moyen de vendre du prestige, de témoigner d’un pouvoir. En résumé, la tour est un moyen de conception facile et évident pour montrer la grandeur des dominants.

La ville de Paris possède un urbanisme condensé et étalé. Au fil des siècles, elle connaît des agrandissements urbains qui font d’elle, aujourd’hui, une ville aussi dense que Manhattan. Son architecture, bien que ponctuée par des tours et des monuments hauts, est équilibrée et harmonieuse. Les grands travaux engagés par le Baron Haussmann au XIXe siècle lui procurent une identité architecturale de renommée mondiale. Ainsi, a contrario de Dubaï, les tours ne caractérisent pas Paris. Celles-ci servent seulement à exposer les investisseurs et se placent en opposition avec le paysage urbain parisien. Seulement, dans cette course à la hauteur impulsée à l’échelle mondiale, la ville de Paris pouvait-elle rivaliser avec ses immeubles de 30m de haut face aux tours de Londres et de Dubaï, bien que leurs concepteurs soient les mêmes ? Le Grand Paris se place aujourd’hui comme la métropole européenne ayant le plus de tours. La mairie de Paris vote en novembre 2010 le déplafonnement des hauteurs de constructions limitant les logements à 50m de haut et les immeubles de bureau à 180m de haut. Les capitaux privés sollicités répondent favorablement à cette nouvelle orientation urbaine. Cette typologie offre une réponse positive à la demande des usagers qui souhaitent vivre près de leur lieu de travail, dans la logique où l’objectif principal est de rééquilibrer le secteur tertiaire entre l’Ouest et l’Est de la capitale. Seulement, cette population n’est pas majoritaire et les parisiens qui sont détachés de cette idée ne sont pas en admiration devant les tours. Ainsi la tour reste le meilleur moyen de construire sur des emprises minimes, un nombre de logement bien supérieur à un immeuble standard et ainsi répondre aux attentes de vie des usagers : vivre proche de son travail.

Cette prise de conscience de la part des politiques et des usagers témoigne d’un changement de mentalité des représentations à l’égard de l’utilité et des avantages des gabarits de la tour. Mais peut-on penser que les problèmes soulevés dans les années 70 avec les constructions de tours, sont résolus ? Pour rappel, l’esthétique des Olympiades est décriée, la mixité sociale souhaitée réduit considérablement l’attractivité du secteur, le prix du foncier augmentant réduit également la cible potentielle d’acheteurs sans compter le manque de transport en commun. En outre, les équipements de quartier tardent à se construire. Ce n’est qu’en 1974, avec l’arrivée de la population asiatique que la dalle des Olympiade se dynamisme. Le quartier est alors catégorisé, jusqu’à être dénommé « quartier chinois », et formant la réputation du 13e dans Paris. Ainsi, aujourd’hui dans l’imaginaire collectif, le 13e et ses tours sont assimilés à cette population, bien que cela ne représente pas la majorité de l’arrondissement. Le sujet du retour des tours dans la capitale provoque des réactions43 et des mouvements engagés par les associations dont Tam-Tam. Ces manifestations nous laissent comprendre que la construction des IGN n’est pas bien perçue dans le 13e arrondissement, depuis l’opération de grand ensemble des années 70, Italie 13. Pourtant nous constatons qu’une majorité des problèmes soulevés à l’époque sont résolus : de nombreux transports en commun desservent le quartier, les équipements sont présents, la mixité sociale semble fonctionner, seul l’esthétisme des tours restent à prouver. Si l’impact paysager de la tour n’est pas anodin (Annexe. 5), car il dénote par rapport à l’histoire de la ville et prend le dessus sur le reste du paysage, la tour devient un véritable symbole de renouvellement urbain et politique, mis en avant par nos dirigeants.

Les nouveaux IGH émergents se distinguent totalement des IGH des années 70. Ils répondent à des architectures variées et spectaculaires, issues d’appels d’offre et inscrites dans des problématiques actuelles. La première tour de la ZAC, nommée Home, est livrée en 2015. Elle symbolise le retour à la hauteur dans la ville et marque le début d’une longue série de tours dans le quartier. Une deuxième tour émerge en 2016. Il s’agit de la tour de la biodiversité construite par l’architecte Édouard François (Annexe. 4 ; Fig. 17). Elle s’élève à 50m de haut. Sa façade est composée d’un revêtement de titane aux reflets bleus-verts qui fait

changer l’aspect du bâtiment selon les heures de la journée. Une résille métallique tendue, créant le gardecorps, englobe la tour, comme une seconde peau. Elle est habillée par des plantes sur toute la hauteur des quatre façades. Ces espèces ont une capacité à se développer dans tout type de milieu. À terme, il a été souhaité que cette tour devienne sémencière : les vents permettent de répandre les graines dans l’environnement proche de la tour. Ainsi elle participe à l’aménagement paysager du quartier. Pour autant, elle connaît des controverses. En effet, le revêtement métallique est obtenu avec des plaques d’aluminium anodisées. Ce processus de fabrication est loin de correspondre à la démarche écologique dans lequel veut s’inscrire le projet. S’ajoute à cela le reflet qu’elles créent : au contact des rayons du soleil celui-ci peut devenir aveuglant tant pour les usagers de la tour que pour les passants dans la rue. La couleur verte, avec le soleil procure aussi une ambiance colorée sur le balcon et au sein des appartements, pas forcément souhaité par les habitants. La résille métallique qui englobe la tour en soutien des plantes, procure une sensation

« Lettre ouverte aux candidats du 13e : Pensez-vous vraiment qu’un nouveau quartier privé de tours ‘’Bruneseau-Seine’’ soit une 43 bonne idée ? ». France Nature Environnement Paris. 20/03/2020. [en ligne] Consulté le 27/03/2020. URL : https://fne-paris.fr/ 2020/03/03/lettre-ouverte-aux-candidats-du-13e-pensez-vous-vraiment-quun-nouveau-quartier-prive-de-tours-bruneseau-seine-soitune-bonne-idee

d’enfermement, une fois sur le balcon. Le mur végétal imaginé n’est pas non plus des plus réussis. La tour est livrée depuis 4 ans, pourtant les plantes ne sont pas encore très répandues. Comme un bon nombre de murs végétaux, cette façade n’atteint pas le niveau escompté. Est-ce dû à l’exposition, au support, à sa localisation ou faut-il plus de temps pour que ce projet aboutisse ? Bien que fortement critiqué, il illustre les expérimentations architecturales engagées dans la ZAC et plus spécifiquement, il tente de répondre aux orientations écologiques et de densification en hauteur des villes souhaitées par les politiques. Un des projets phares de ce retour à la hauteur dans Paris est le projet des Tours Duo de Jean Nouvel (Annexe. 6). Il est actuellement en cours de construction. Il se compose de deux tours : Duo 1 se compose de 39 étages et culmine à 180m. Duo 2, qui atteint les 125m de haut, s’agence sur 27 étages. La parcelle de ce projet est particulièrement petite : 8 794m². Avec un projet de grande hauteur, l’architecte a pu atteindre une surface de plancher de 106 950m². Ainsi ce type de construction prend sens à l’échelle de la parcelle. Il permet la construction d’une surface intéressante sur une petite zone, toujours dans une logique de rentabilité et de prospection. Les Tours Duo possèdent une spécificité qui les démarquent des architectures de tours standards. Elles ont un angle d’inclinaison qui leur procure un sentiment de déséquilibre. Ces deux tours s’imposent dans la perspective visuelle de l’avenue de France. Elles se placent comme une butée qui clôt cette avenue. Ainsi, si nous comparons l’avenue de France à une vitrine urbaine, la position des Tours Duo les place comme l’élément principal, à mettre en valeur. Ainsi, leurs hauteurs et leurs architectures concordent avec la prestance et la grandeur que leur offre l’avenue de France. La livraison de ces géantes est prévue pour 2021. Leur grande surface aura une vocation tertiaire : elle permettra d’accueillir des bureaux, un hôtel quatre étoiles ainsi que des commerces. Son attractivité ne doit pas concerner seulement un type d’usager. En imaginant un tel projet, la cible visée est beaucoup plus large. En effet, il a été souhaité que celles-ci soient ouvertes à tout public, notamment grâce à des terrasses - espaces publics en étage. Parmi les différents types de cibles visées nous pouvons citer les voyageurs d'affaires et les touristes. Ils participent pleinement à répandre la visibilité d’une architecture au niveau mondial. Ce projet se veut respectueux de la qualité et de l’environnement et engrange les labels et certifications44 . Un autre des projets emblématiques de la ZAC se trouve être celui de l’agence d’architecture LAN, avec son projet de tour en bois dans Bruneseau Nord. Wood’Up est une des premières tours en bois de France et des plus hautes du monde. Avec sa hauteur de 55m, elle se compose de 17 étages avec une charpente et une toiture en bois. Afin de ne pas détériorer le bois en façade, elles seront recouvertes d’une double peau de verre. Celle-ci permettra d’imperméabiliser la structure et de la protéger de la pollution. Cette technique est une première : elle innove dans les modes de construction. Le bois joue un rôle majeur dans le projet, il permet de dessiner une trame en façade. Elle permet de dessiner un module type à multiplier selon la taille des logements souhaitée. Le bois a ainsi été mis au cœur du projet ; il permet de structurer des espaces, de concevoir sa structure et de créer l’esthétique qui définit la tour. Cette trame se développe sur deux étages. Cela permet de générer un espace extérieur tous les deux étages. Ainsi, ils profitent d’une meilleure qualité d’ensoleillement. La tour de logements privés répondra à une excellence environnementale, à des prouesses techniques importantes et des innovations concernant les conditions de logements. Ces caractéristiques offriront un standing à cette tour. Seulement, il représente un certain prix car le bois et ses coûts de fabrication sont plus élevés que des matériaux standards. Ainsi, cette construction est un grand défi.

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