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IV. Le premier éco-quartier de Paris

Aujourd’hui, les constructions de grande hauteur ne sont pas des goûts de tous. Avec son prix au m² plus important, elle nécessite une plus grande attractivité afin de trouver des acquéreurs. Enfin, pour rompre avec l’idée que la tour se place en rupture totale avec les liens sociaux, l’immeuble prévoit un espace partagé au 8e étage. Celui-ci doit permettre de fédérer des interactions entre les habitants. Pourtant, ces derniers se regroupent entre eux au sein de l’immeuble et ne s’ouvrent pas au reste du quartier. Cela créé une rupture entre le bâtiment et le reste de la ville.

Ce retour à la hauteur, notamment dans le quartier Bruneseau est prévu dans le projet conception de 2003. En effet, dans le chapitre III : Analyse des impacts du parti d’aménagement sur l’environnement et mesures compensatoires envisagées - I : Les effets permanents et les mesures compensatoires du parti d’aménagement sur la population et le cadre urbain (structure foncière, bâti et cadre de vie), il est stipulé que le secteur initialement nommé Masséna Bruneseau se placerait en rupture avec le reste de la capitale et de la ZAC en imposant un paysage urbain bien différent et où l’urbanisme serait d’une densité nouvelle45. Ainsi, la cohérence architecturale entre le 13e, la banlieue et Paris, est volontairement délaissé, au profit d’une image de ville moderne. De plus, la tour reste le meilleur moyen de répondre à la problématique parisienne que soumet le manque de parcellaire : une rentabilité offre/demande de surfaces disponibles, de la densification et un bon développement économique.

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Depuis le XXe siècle, la prolifération de tours dans le monde s’accroît considérablement. Si la ville de Paris a cessé ce mode de construction pendant près de quarante ans, aujourd’hui la capitale française s’impose dans la course. En l’espace de dix ans, elle envisage un certain nombre de projets de grande hauteur, répondant aux différentes thématiques actuelles : la construction de grande hauteur spectaculaire et la construction en hauteur écologique. Seulement, la tour ne possède pas de réel intérêt urbain pour la ville, elle permet simplement de renvoyer une image de modernité et une logique de promotion immobilière mise en place dans la ZAC et plus largement dans le monde. En outre, l’accumulation des tours depuis les années 70, en bordure de la capitale fabrique une frontière physique isolant le Paris historique du Grand Paris.

IV. Le premier éco-quartier de Paris

Suite aux débats sur la COP21, les politiques ont pris conscience de l’urgence écologique dans la conception de la ZAC. La ville de Paris vise à concevoir un quartier répondant à de hautes exigences écologiques. Le quartier de Bruneseau sera le premier quartier décarboné répondant au label E+C- au niveau 3. Il marque une nouvelle ère pour l’aménagement de la capitale : il devient le démonstrateur de la ville de demain. Il aura pour objectif d’allier le confort à une énergie basse ainsi qu’une grande innovation technologique et la pérennité des systèmes.

Un éco-quartier est un aménagement fondé sur les principes du développement durable : limiter son impact environnemental, favoriser le lien social, se développer économiquement.

En France le secteur du bâtiment est le plus gros consommateur d’énergie. Ainsi le quartier de Bruneseau se compose de bâtiments à basse consommation, construits à partir de matériaux écologiques. Des panneaux solaires sont projetés sur les toitures pour alimenter le quartier en énergie. Ainsi, 50% de l’énergie produite sera réutilisée sur le site. La mixité sociale est également mise en avant dans le projet. Elle vise à offrir une diversité sociale, culturelle et générationnelle dans un rayon d’une centaine de mètre. Ainsi, des équipements tels que des résidences étudiantes et seniors, des logements privés et sociaux, des équipements publics comme une crèche multiaccueil, un groupe scolaire et un jardin public sont projetés. La mixité sociale est aussi pensée au sein même des immeubles. Joseph Falzon réalise une bande dessinée du projet Bruneseau Seine pour le compte des architectes Hardel Le Bihan, Youssef Tohme, Adjaye Associates et Buzzo Spinelli, lauréats du concours Inventer Bruneseau (Annexe. 7). Les architectures s’articulent d’une multitude de programmes, visant une auto-suffisance et se plaçant en marge du quartier. Les modes de transports doux (à pied, à vélo ou en transports en commun) sont favorisés afin de limiter considérablement l’usage de la voiture. Ainsi les aménagements de voies piétonnes, des pistes cyclables, des parkings à vélos et de la continuité du réseau de transports déjà dense permettent d’offrir une variété de solutions à l’usager. Pour autant, cet aménagement est pensé à l’échelle de la ZAC et ne se cantonne pas à l’éco-quartier Bruneseau Nord. Cela s’inscrit dans la continuité des décisions politiques prises par la maire de Paris Anne Hidalgo. Nous observons ce jeu de réflexion permanent entre Paris-ZAC Paris Rive GaucheBruneseau Nord, afin d’obtenir une cohérence territoriale dans les décisions politiques en vigueur. La biodiversité est une des caractéristiques de l’éco-quartier. Elle vise à développer la faune et la flore dans le quartier et notamment au cœur des ilots qui représentent l’espace de vie des immeubles. Ainsi, cette opération se traduit par la végétalisation des sols, des terrasses et des toitures améliorant le confort de vie des usagers. Cet aménagement s’inscrit dans une logique de re-naturalisation de cet ancien espace industriel et routier. Cependant, on observe que si l’accent est mis dans ce secteur, il ne s’insère pratiquement que dans des parcelles d’immeubles. Ainsi, si quelques parcs ponctuent la ZAC, majoritairement cette dernière se trouve en déficience. Peut-on donc dire que la végétation souhaitée dans ce quartier permettra, à long terme, de recréer un écosystème à travers la ZAC de Paris Rive Gauche ? Enfin, l’éco-quartier avance la notion d’éco-citoyenneté. L’éco-citoyenneté est une prise en considération de l’environnement dans lequel nous vivons. Ce terme se compose des notions d’« écologie » et de « citoyenneté ». Ainsi, cela implique que l’usager possède des droits et des devoirs face à son environnement. Les habitants du quartier sont donc impliqués dès le début de la conception, dans la gestion des projets et dans la construction de ceux-ci. Nous observons que les valeurs qui fondent l’éco-quartier se retrouvent également dans d’autres secteurs de la ZAC. Les modes de transport doux s’étendent à l’échelle de la ville de Paris, l’implication des habitants dans le projet est développé dès 1990, la prise en compte de la biodiversité dans le projet s’inscrit dans la démarche de conception de la bibliothèque de France… Seule la labellisation des bâtiments reste propre au quartier Bruneseau. Ainsi, cela nous mène à nous questionner sur la réelle nature de l’éco-quartier Bruneseau Nord.

Le projet lauréat de l’étude de définition de ce secteur est celui des ateliers Yves Lion. La force de ce projet réside dans la prise en compte et l’intégration du périphérique urbain dans la ville : il n’est plus pensé comme une infrastructure hostile mais comme une artère parisienne. En 2017, le projet Nouvel R, rebaptisé Bruneseau Seine, de l’équipe coordonnée par Hardel Le Bihan est lauréat du concours Inventer Bruneseau. 85 000 m² de logements neufs, de bureaux et de commerces et d’activités sont projetés sur le secteur dessiné par les ateliers Lion. Ils basent leur aménagement sur des gabarits haut et dense en bois. Le projet Bruneseau Seine doit ainsi prolonger et affirmer la skyline du 13e arrondissement. Les immeubles de grande hauteur permettent de recréer une centralité dans le projet et ainsi redonner à ce quartier vide un sens dans la ville et le projeter comme un point stratégique en Paris et Ivry.

Les projets architecturaux proposés dans ce secteur de la ZAC restent très hétéroclites et l’urbanisme très dense. Nous observons une typologie qui diffère des autres secteurs de la ZAC. Le périphérique urbain qui traverse le secteur impose un aménagement habile et ingénieux du terrain. La superficie du secteur Bruneseau est bien moindre comparée à celles des autres secteurs. Pour rentabiliser la construction, il faut pouvoir augmenter la superficie de plancher. Ainsi un certain nombre de tours vont voir le jour. La nécessité de composer un quartier s’inscrivant dans une ville durable s’est vite imposée dans la capitale. Avec les Accords de Paris sur le Plan Climat, les politiques souhaitent réduire tant que possible l’empreinte carbone. Pour cela ils envisagent de changer les modes de construction dans la capitale. Un bâtiment standard utilise 50% de ressources naturelles et produit 25% de CO2. Le ciment contenu dans le béton représente à lui seul 5% du CO2 dégagé. Ainsi la ville de Paris projette des constructions en bois dans le quartier Bruneseau. Ce sera l’opportunité d’innover dans le domaine de la construction. Ce matériau a l’avantage d’être naturel et renouvelable. Le promoteur de la tour Wood’Up affirme que chaque arbre utilisé sera replanté. Par ailleurs, nous ne pouvons affirmer que la ressource n’est pas inépuisable. Car même si les arbres repoussent, cela prend du temps. L’ampleur du phénomène de tours en bois augmente considérablement dans le monde. Cette ressource pourra donc faire face à la surconsommation bien connue dans notre ère et cela mènera à une pénurie. Le projet Wood’Up est né à la suite d’un appel à manifestations d’intérêts (AMI) lancé par Adivbois (Association pour le Développement des Immeubles à Vivre en bois). Les projets issus de cet appel ont pour ambition de démontrer l’intérêt et les avantages du matériau pour la construction durable. Wood’Up est un des IGH en bois des plus hauts du monde. Le projet inclut dans son aménagement des terrasses végétalisées. Elles permettent de poursuivre la trame verte importante pour un bon équilibre de la biodiversité. Il se compose d’une structure bois. Pour autant son infrastructure est conçue en béton. Les planchers et les murs de contreventement sont en CLT de résineux tandis que l’ossature est en lamellé-collé. En plus d’être bas carbone, le bois est réputé pour ses qualités de bon isolant. Une deuxième tour en bois est prévue pour 2021. Il s’agit de la Tour Commune : c’est une résidence étudiante dessinée par les agences WOA et Nadaud Lavergne. Penser la ville durable de demain signifie penser une éventuelle évolution programmatique. Ainsi, à travers leur architecture, les architectes imaginent une structure aérée permettant d’anticiper ce changement de destination. Pour cela ils associent différents matériaux : le bois, l’acier et le béton. Chacun possède des atouts et un but précis dans la construction. Le béton permet de stabiliser la structure de la tour sur les deux premiers étages. Au-dessus du socle s’élance la tour. Elle est composée d’un noyau central également en béton. L’ossature du bâtiment vient s’accrocher sur

les cinq côtés de ce noyau. C’est une structure poteaux-poutres en lamellé-collé. Ce système permet de générer de grands plateaux libres. Ainsi, il sera aisé de réaménager les espaces en fonction des futurs besoins. La façade du bâtiment sera imaginée en métal. Cela permet de protéger le bois. Par ailleurs, il sera mis en évidence dans l’architecture intérieure du bâtiment et dans le mobilier des espaces communs. Tout comme la tour Wood’Up des espaces extérieurs végétalisés sont pensés en façade et en toiture pour amener la biodiversité : insectes, plantes grimpantes, légumes, oiseaux, prairies… Un maximum d’espaces plantés seront aussi créés devant le bâtiment. Ces deux bâtiments répondront aux labels E+C- et BBCA. Notre société est de plus en plus sensible aux problèmes soulevés par le développement durable et les changements climatiques. Poussés par cette prise de conscience, les éco-quartiers deviennent des habitats en vogue. Ainsi, il est aisé de trouver acquéreur dans ce type d’aménagement. Seulement, si un grand engouement est produit autour de ce type de construction, cet aménagement pose des questions. Les coûts beaucoup plus importants liés aux matériaux utilisés et à la typologie des constructions mais aussi à d’autres vecteurs demandent une plus grande rentabilité qu’une construction dite classique. Les constructions hautes impliquent de nombreuses réglementations relativement contraignantes, mais la construction en bois en impose davantage. L’épaisseur des planchers en bois est bien plus conséquente qu’avec des planchers en béton. De ce fait, les investisseurs perdent de la surface. Si les bâtiments en bois répondent à certaines exigences environnementales, leur bilan global est moins intéressant comparé à un bâtiment standard. Pour répondre à cette problématique, les concepteurs imaginent des bâtiments multifonctionnels. Cela peut causer des déséquilibres entre les secteurs. Le secteur Bruneseau peut se refermer sur lui-même jusqu’à devenir une entité à lui seul, se distinguant ainsi de la ZAC, du 13e arrondissement, de Paris et d’Ivry. Cette conséquence vient en opposition avec le but initial de l’aménagement de ce secteur : recréer un lien entre Paris et sa banlieue Ivry-sur-Seine.

Enfin, si les éco-quartiers sont bien perçus par l’opinion publique, le débat sur les tours persiste : personne ne remet en cause l’initiative d’un éco-quartier pensé dans le PAZ de la ZAC de Paris Rive Gauche en 2003, mais les constructions hautes sont beaucoup moins acceptées, pointées comme étant énergivores par les Verts. Pourtant, dans la logique impulsée par le néo-libéralisme, les tours sont un bon moyen de promouvoir ce type d’architecture inscrit dans une logique de démarche écologique et ainsi rentabiliser le coût des constructions. Les architectures de ce quartier ont donc un double enjeu : s’insérer dans l’écologie mais conserver l’attractivité répondant aux attentes internationales. Les tours DUO s’imposent donc comme l’emblème attractif de ce quartier. Pourtant, elles se placent en rupture avec les architectures souhaitées : elles se composent de verre, d’acier et de béton, atteignant 180m de hauteur, par ailleurs elles répondent à quelques labels écologiques, bien que critiquées. Ainsi, à travers ce projet, nous constatons que le prestige véhiculé permet de développer un autre type d’architecture : les tours DUO deviennent le visage du secteur Bruneseau Nord et propulsent ses consœurs.

Ainsi, le projet de Bruneseau Seine répond au défi d'habiter la hauteur au XXIe siècle en insérant les ambitions écologiques portées par la Mairie de Paris : il est le laboratoire de la ville durable de demain.

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