Ecran total - rencontres de l'ARP N°1303

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Cinéma

les obligations, au même titre que › dans les droits France. Cette possibilité est

aujourd’hui ouverte pour deux des trois taux d’obligation prévus (22,5 % et 25 %). Une telle possibilité remettrait en cause l’esprit même de notre régulation et constituerait un écran de fumée derrière lequel les plateformes pourraient allègrement se cacher. Nous y sommes farouchement opposés. P. J. : L’équité est une notion essentielle. Actuellement, un groupe comme Canal+ investit beaucoup dans le cinéma, mais pour des droits français. Cela relève de leurs obligations. Mais obliger les plateformes à investir dans des droits monde leur serait très bénéfique, puisque ni Canal+ ni Orange ne peuvent le faire. La première obligation des plateformes doit donc concerner l’exploitation des films en France. Investir dans des droits monde ne doit pas entrer dans leur champ d’obligations. C’est là qu’il nous faut trouver dans ce décret le juste équilibre par rapport à Canal+ et Orange. Il est vital que les films français continuent de sortir en salle, et nous nous battons pour que, ici comme ailleurs, cette rencontre magique avec le public reste l’acte de naissance d’un film de cinéma. M. D. : C’est évidemment la liberté contractuelle d’un producteur que de céder l’exploitation des droits monde d’une œuvre à une plateforme, s’il le souhaite. Mais cela ne doit pas avoir d’impact sur les financements consacrés aux autres films, dans le cadre même de l’obligation. Un autre débat aura pour thème “la stratégie des partenaires historiques face à l’arrivée des plateformes”… P. J. : En effet  : comment élaborer

un décret qui soit suffisamment pertinent pour qu’il ne contraigne pas nos partenaires historiques à renégocier des accords différents ? Sachant qu’il y a une grande inconnue : quelles sont les intentions de Maxime Saada et de Vincent Bolloré ? Veulent-ils rester les partenaires privilégiés du cinéma français et rester dans la grande chaîne française du cinéma ? Après tout, les autres plateformes sont des adjuvants à de la vente en ligne, ou de groupes audiovisuels spécialisés dans les séries. M.D : Il nous faut comprendre quel est le projet industriel et éditorial de groupes comme France Télévisions, Canal+ ou M6, et quel rôle y joue le cinéma. Restera-t-il au cœur du modèle éditorial de Canal+ ? Comment France TV souhaitet-il poursuivre sa relation avec le cinéma, qu’il diffuse de plus en plus, y compris en délinéaire pour les œuvres préachetées ? Nous souhaitons avoir un débat positif qui permette à chacune et chacun d’exprimer sa vision, et d’évoquer de manière concrète la contribution du cinéma à ces modèles industriels, éditoriaux et d’usages en plein bouleversement. Vous évoquerez aussi l’avenir du cinéma français et du parc de salles.

P. J. : Les salles de cinéma ont résisté à la télévision, à Canal+, au DVD, au piratage, et ont reçu 213 millions d’entrées en 2019, soit la troisième meilleure année jamais enregistrée. Aujourd’hui, elles sont en danger et il faut les aider. Au moment du couvre-feu, elles étaient pleines aux séances de 18 heures. Je gage que ce bonheur du cinéma demeurera intact et que le public conservera ce plaisir à nul autre pareil. M.D. : Voilà six mois que nous sommes focalisés sur nos priorités à court terme – la survie des auteurs, des producteurs, des distributeurs et des exploitants –, mais nous n’avons pas vraiment questionné notre avenir à moyen terme. Nous avons à cœur, à travers les Rencontres, de remettre à plat les difficultés qu’éprouve actuellement un créateur qui souhaite mettre son film en financement. De nombreux tournages ont eu lieu depuis le déconfinement ; mais beaucoup avaient été financés préalablement. Que se passe-t-il désormais pour les films en fin de développement qu’un producteur souhaite mettre en financement ? Les échos que nous avons sont dramatiques car les distributeurs, également mis à mal par la crise, ne peuvent investir de minimum garanti suffisant. Ce qui incite les chaînes de télévision à ne pas s’engager non plus. Un problème d’envergure… Enfin, vous questionnerez la notion de souveraineté culturelle pour l’Europe à l’ère numérique ? P. J. : Il n’y aura pas de France sans

Europe et il n’y aura pas d’Europe sans la France. Nous sommes un des premiers pays à transposer la directive SMA. Ce qui va se passer en France va être regardé de très près dans toute l’Europe. Malheureusement, l’ordre mondial est actuellement bouleversé avec le Covid et la place colossale que prennent les Chinois, ou le repliement de l’Amérique sur elle-même avec la présidence de Trump. Cela redistribue les cartes. L’Europe ne peut trouver sa force et son autonomie qu’en régulant les Gafan et en se montrant courageuse en matière de coercition. M. D. : Nous sommes à un des moments-clés de la politique culturelle du quinquennat d’Emmanuel Macron avec l’intégration des plateformes dans le cercle vertueux du cinéma français. C’est un acte décisif, tant notre souveraineté culturelle est menacée alors que le cinéma français est durement touché et que les plateformes ont fortement bénéficié du premier confinement et profiteront autant, si ce n’est davantage, du deuxième. Sur ce sujet, tout comme sur le sujet de la préservation de nos actifs stratégiques, la France doit travailler en bonne intelligence avec ses homologues européens, mais sans jamais oublier le rôle fondateur de notre pays pour préserver la diversité culturelle. Par son ambition, la France peut ouvrir la voie à une véritable régulation européenne des plateformes. Soyons à la hauteur. Propos recueillis par Nicolas Colle

4 novembre 2020 / Écran total  n°1303

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