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L’ubrogépant (UbrelvyMD) : une option per os prometteuse en traitement aigu de la migraine
Objectifs d’apprentissage
1. Comprendre le mécanisme d’action de l’ubrogépant, sa posologie et son utilisation dans le traitement aigu de la migraine.
2. Évaluer l’efficacité et l’innocuité de l’ubrogépant à partir de différentes études.
3. Informer les patients sur sa bonne utilisation, ses effets indésirables et les suivis associés.
Introduction
La migraine est une condition de santé chronique caractérisée par des périodes récurrentes de douleur pulsatile se présentant généralement d’un côté de la tête et ayant une durée de 4 à 72 heures.
Le diagnostic requiert au minimum 2 des 3 critères suivants : interférence avec les activités, nausées ou photophobie1. On peut également utiliser la 3e édition de l’International Classification of Headache Disorders (ICHD-3) pour classifier les migraines (méthode diagnostique utilisée dans les études portant sur les migraines).
RÉDACTION
Iulia Andra Andrei, Léa Faucher, Marianne Le Corre, étudiantes de 4 e année au Pharm. D. et candidates à la MPA (Université de Montréal), Jean Laverdière et Martin Lozier, étudiants de 4 e année au Pharm. D. (Université de Montréal).
En collaboration avec Elizabeth Leroux , M. D., FRCPC, neurologue spécialisée en céphalées et fondatrice de Migraine
Québec et Migraine Canada
RÉVISION
Jean-Philip Monette, Pharm. D., Pharmacie Nicolas Carbonneau
Texte original : 9 juin 2023
Texte final : 26 juillet 2023
Les auteurs principaux et le réviseur scientifique ne déclarent aucun conflit d’intérêts lié à la rédaction de cet article. La Dre Leroux a reçu des honoraires à titre de conférencière, de consultante et de membre de comités pour plusieurs entreprises pharmaceutiques (Novartis, LinPharma, Eli Lilly, etc.).
Les critères incluent le nombre de migraines, leur durée, leurs manifestations ainsi que les symptômes associés tels que la phonophobie ou les vomissements1
La migraine est un problème de santé chronique parmi les plus communs. En 2013-2014, on estimait qu’environ 8,1 % des Québécois de 12 ans et plus souffraient de migraine et que cette prévalence était 2 fois plus élevée chez les femmes2 . De plus, selon Statistique Canada, le groupe d’âge des 30 à 49 ans est le plus touché3
L’impact de cette condition de santé chronique chez les patients n’est pas à négliger. Un sondage effectué en 2015 chez plus de 28 000 Canadiens rapportait que les migraines se classaient au 3e rang des plus grandes pertes financières liées à la réduction de la productivité, avec une somme perdue estimée à 245 millions de dollars en aussi peu que 3 mois4
CAS CLINIQUE 1/3
Mme DP, 34 ans, se présente à votre pharmacie avec une nouvelle ordonnance pour de l’ubrogépant 100 mg PO. La posologie mentionne de prendre 1 comprimé STAT si migraine et répéter après 2 heures si les symptômes persistent.
Vous connaissez bien Mme DP, car elle souffre de migraines depuis de nombreuses années et vous avez essayé à plusieurs reprises de l’aider dans la gestion de celles-ci.
Sa pharmacothérapie actuelle comprend : n Amitriptyline 50 mg PO HS n Élétriptan 20 mg PO STAT puis 2 h après si inefficace (max 40 mg/24 h) n Nifédipine XL 30 mg PO die (syndrome de Raynaud) n Stérilet MirenaMD installé l’année dernière
En consultant le dossier de Mme DP, vous voyez qu’elle a déjà tenté plusieurs triptans, dont le rizatriptan et l’almotriptan. Vous constatez également qu’elle a déjà reçu, dans le passé, du propranolol et du topiramate comme prophylaxies, mais ils se sont avérés inefficaces.
L’amitriptyline semble néanmoins avoir aidé depuis le début de ce traitement il y a 6 mois. Effectivement, selon une note de suivi, son calendrier de migraines indique une baisse de 20 à 16 crises de migraines par mois; ce qui est énorme pour elle.
Vous apercevez une nouvelle note au dossier, datant d’il y a deux semaines. Mme DP s’est présentée à votre pharmacie, se plaignant d’une intensification du nombre de migraines dans le dernier mois. Elle a mentionné prendre son élétriptan à chaque crise, soit plus de neuf fois par mois. Votre collègue a alors fortement soupçonné la présence de céphalées médicamenteuses chez votre patiente. Il en a discuté avec elle, mais elle ne pensait pas être capable de réduire la prise de son triptan, considérant que ses migraines l’empêchent d’aller au travail.
Mme DP n’a pas d’allergie ou d’intolérance. Elle possède une assurance privée. Ce médicament n’est pas encore couvert pour l’instant, mais la patiente est prête à payer pour en faire l’essai.
L’objectif du traitement de la migraine est le soulagement de la douleur et des symptômes associés, le plus rapidement possible, dans le but d’améliorer la qualité de vie des patients.
Les traitements offerts pour la crise de migraine aiguë sont généralement composés d’acétaminophène, d’antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) et de triptans. Quant à la dihydroergotamine, la Société canadienne des céphalées ne la recommande généralement pas en usage régulier en raison de ses effets indésirables cardiovasculaires et de son potentiel significatif d’interactions5. Le danger d’abus, les nombreux effets indésirables, le risque de céphalées médicamenteuses et le manque de preuve font aussi en sorte que les opioïdes ne sont pas à privilégier de prime abord5. Les traitements actuels, tels que les anti-inflammatoires non stéroïdiens, inhibent la transmission neuronale de la douleur, tandis que les triptans agissent non seulement en bloquant cette transmission, mais également en empêchant la vasodilatation au niveau des méninges. Toutefois, ces traitements ne sont pas miraculeux et leur taux d’efficacité varie selon le patient. Les études cliniques démontrent que chez environ 30 % à 40 % des patients, les triptans n’ont pas une efficacité suffisante6
Les gépants, une classe de médicaments émergente, pourraient redonner espoir à certains patients. Cette classe de médicaments agit sur le récepteur du peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP), un élément important dans la transmission de la douleur et de la cascade inflammatoire dans la physiopathologie des migraines. Jusqu’ici, les médicaments ciblant ce peptide servaient seulement en prophylaxie.
En novembre 2022, Santé Canada a approuvé un nouveau médicament de la classe des gépants : l’ubrogépant (UbrelvyMD). Cette molécule développée par AbbVie est la première de cette famille à détenir l’indication de traitement aigu des crises migraineuses. Elle est donc une nouvelle option per os s’ajoutant à l’arsenal thérapeutique disponible pour nos patients.
Pharmacologie et mécanisme d’action
Le peptide lié au gène de la calcitonine, ou CGRP, est un neuropeptide principalement présent dans les structures du nerf trijumeau, auquel on attribue un rôle important dans les migraines7. En effet, lors d’une crise, la relâche de CGRP par le ganglion trigéminal mènerait à une cascade inflammatoire neurogénique et à une dilatation des vaisseaux cérébraux7
L’ubrogépant est un antagoniste de faible poids moléculaire spécifique au récepteur CGRP. Par sa forte affinité avec ce récepteur, il permet de renverser la dilatation des vaisseaux cérébraux en interrompant la cascade inflammatoire neurogène induite dans les structures du nerf trijumeau. Par ce même mécanisme, l’ubrogépant inhiberait aussi la transmission des signaux de la douleur, ce qui lui attribuerait un rôle intéressant en cas de crise migraineuse8.
Des études sur des artères coronaires humaines isolées laissent penser que l’ubrogépant ne cause pas d’effet vasoconstricteur sur les artères coronaires. Cela le rend potentiellement plus sécuritaire que les triptans chez les patients à risque cardiovasculaire élevé ou avec antécédents cardiovasculaires8
Pharmacocinétique
L’ubrogépant est donné à raison de 50 mg à 100 mg per os, selon l’importance de la migraine, pour un maximum de 2 doses par jour à au moins 2 heures d’intervalle. La dose maximale journalière est de 200 mg per os. Sa pharmacocinétique reste proportionnelle à la dose jusqu’à au moins 400 mg.
Après l’administration orale, l’ubrogépant est rapidement absorbé et atteint sa concentration maximale dans le sang (Cmax) en 1 heure 30 minutes. La prise avec ou sans nourriture ne semble pas changer sa cinétique d’absorption de manière cliniquement significative. Cela dit, un repas riche en gras retarderait le délai d’atteinte des concentrations maximales (Tmax) d’environ 2 heures, sans toutefois changer l’aire sous la courbe (ASC).
I PRINCIPAUX PARAMÈTRES PHARMACOCINÉTIQUES DE L’UBROGÉPANT8
PARAMÈTRES PHARMACOCINÉTIQUES UBROGÉPANT
Temps médian d’atteinte de la concentration plasmatique maximale (Tmax)
Métabolisme
Environ 1 heure pour la dose de 50 mg et 2 heures pour la dose de 100 mg
Cytochrome P450 3A4 en majorité
Autres cytochromes : non cliniquement significatifs
Note : l’ubrogépant est aussi un substrat des transporteurs P-gp et BCRP
Voies d’élimination de la forme active
Inactivation par les CYP450 en majorité Inchangée dans les fèces : 42 % Inchangée dans l’urine : 6 %
Temps moyen de demi-vie d’élimination 5 à 7 heures en supposant des fonctions hépatiques et rénales normales
AJUSTEMENT EN CAS D’INSUFFISANCE RÉNALE
Élimination inchangée dans l’urine : 6 %
ClCr 15 – 29 ml/min ClCr < 15 ml/min Patients dialysés
50 mg PO q2h
Max 100 mg PO die Pas étudié Non défini par le fabricant
AJUSTEMENT EN CAS D’INSUFFISANCE HÉPATIQUE Métabolisme de la molécule mère par le foie :
Cirrhose légère
Child-Pugh A
Aucun ajustement requis
Cirrhose modérée
Child-Pugh B
Cirrhose grave
Child-Pugh C
50 mg PO q2h
Max 100 mg PO die
P-gp : glycoprotéine P; BCRP : Breast cancer resistant protein; ClCr : clairance à la créatinine mesurée avec l’équation de Cockcroft-Gault
Une fois absorbé, l’ubrogépant a une demi-vie de 5 à 7 heures. Il est métabolisé par le cytochrome P450 3A4 (CYP3A4) en 2 métabolites jugés inactifs. Les autres voies d’élimination de la molécule active sont les fèces (42 %) et l’urine (6 %).
Par rapport au rimégépant (NurtecMD, pas offert au Canada), l’ubrogépant a l’avantage de pouvoir être donné même si le patient souffre d’insuffisance hépatique grave. En effet, chez les patients avec insuffisance hépatique de classe C du classement Child-Pugh, on évalue l’augmentation de l’ASC de l’ubrogépant à 115 % (voir le tableau I pour la conduite à suivre)8