Construction & Bâtiment n°1/2023. Extrait.

CONS TRUCTION & BÂT I MENT

PROJETS ET CHANTIERS DES PROFESSIONNELS DU BÂTIMENT

Architecture, La petite échelle en trois projets

Energie, les nouveaux enjeux

Le nouveau siège de MSF à Genève

Arbora, un nouveau quartier à Crissier

Il est intéressant d’observer avec quelle rapidité les critères de la construction ont changé. Désormais les questions de durabilité, d’énergie renouvelable et d’implémentation environnementale respectueuse constituent les critères principaux autour desquels s’articulent tous les nouveaux grands projets de construction. Ce qui est intéressant de relever c’est que les mesures prises par les architectes, comme par les maîtres d’ouvrage, vont bien au-delà des normes et règlements en cours.

Plusieurs facteurs sont derrière ce changement structurel. D’abord ceux qui ont contribué à bien marquer les esprits : la guerre en Ukraine et la question de la crise énergétique qui en a découlé, mais également le fait que le changement climatique soit devenu beaucoup plus tangible et critique. Ensuite les actions soutenues et massives des institutions et des pouvoirs publics pour encourager les constructions durables et les énergies renouvelables. Des subventions à l’information, ces actions ont bien contribué à ce changement rapide.

Autre facteur déterminant, le fait qu’en Suisse, on a toujours privilégié une construction de qualité, d’autant plus qu’aujourd’hui le marché est porteur ; Les prix sont élevés et les promoteurs peuvent se permettre de doter leurs bâtiments de toutes les plus-values possibles. Dans cette édition, nous vous présentons des illustrations et des preuves, du quartier Arbora à Crissier au nouveau siège de MSF à Genève et beaucoup d’autres projets. Bonne lecture.

Maroun Zahar, rédacteur en chef

CONSTRUCTION & BÂTIMENT 01/23

4 Édito ACTUALITÉS

10 Les news de l’architecture et de la construction

INTERVIEW

18 Pei nture, la durabilité jusqu’au bout

REPORTAGE

20 Les immeubles de logements de la Gradelle à Genève

28 La petite échelle en trois projets

TECHNIQUES DU BÂTIMENT

42 Énergie, les nouveaux enjeux

62 Fenêtres et baies vitrées, plus de lumière

78 Le pont de la Redoute, la mise à niveau

82 Transformer et isoler l’ancien sans l’altérer

84 Fra mo, du produit au service clés en main

PROJET

88 Le centre pédagogique alpin Les Cabris à Leysin

94 L’immeuble d’habitation Bel-Air à Villars-sur-Glâne

100 Home-Chez-Nous, un foyer pour jeunes au Mont-sur-Lausanne

108 À Genève, le nouveau siège de l’ONG Médecins Sans Frontières

120 À Ca rrouge (VD), le Collège Gustave Roud

132 La t ransformation de la Maison de retraite du Petit-Saconnex

138 La surélévation du bâtiment de la Poste à Genève

ENTREPRISES 154

HABITER DANS LE PARC

Un grand parc arboré ouvert à tous, trois immeubles de logements organisés autour d’une cour centrale, un projet paysager en symbiose totale avec l’architecture et le contexte environnants : ce récent ensemble d’habitation réalisé à la Gradelle (GE) reste un must à (re-)découvrir.

texte : Marielle Savoyat

photos : LRS architectes SA

D’un point de vue architectural, la conception de projets de petite échelle n’est pas une tâche facile. Les enjeux restent les mêmes – implantation, intégration, programme, matérialité – mais sont concentrés sur un tout petit objet. Parfois délaissées au profit de la « grande » architecture, ces petites constructions isolées dans l’espace public et d’apparence simple sont souvent pourtant riches et complexes. Bien que contraignante, la petite échelle offre aussi de nombreuses possibilités. Elle permet notamment de valoriser des techniques constructives complexes et des matériaux locaux. À ce titre, le bois est souvent privilégié. Zoom sur trois projets aux fonctions variées qui expérimentent la petite échelle.

PETITE ARCHITECTURE, GRANDES RÉFLEXIONS

Salomé Houllier Binder

© Thomas Telley Architektur Fotografie

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Le nouveau centre nautique de Nant naît dans un contexte plus global de transformation de la plage. À l’origine du projet se trouve Oxygène, une association pour les jeunes, appuyée par la commune de Mont-Vully. L’ouvrage remplace deux anciennes cabanes vétustes qui abritaient un centre d’animation pour l’association ainsi que la société de sauvetage du Vully. Le nouveau pavillon conserve ces fonctions ainsi que l’ajout de toilettes publiques pour la plage. Afin de répondre à ce programme multiple et divers ainsi qu’aux possibilités d’évolution des besoins, le projet se déploie comme une construction légère en bois composée de deux structures autonomes reposant sur un piédestal en béton. La première constitue un grand couvert structurel composé de onze arches en lamellé-collé sur lesquelles repose une toiture en polycarbonate opale. Ce toit à peine translucide ajoute de la légèreté et de la transparence qui diffuse la lumière naturelle. Le couvert abrite la seconde structure composée de trois volumes autoportants accueillant les différents programmes – un espace de stockage, une salle de réunion avec kitchenette, les sanitaires et une salle polyvalente dédiée aux réunions et animations. Réalisées en ossature bois habillée d’un bardage, ces boîtes sont traitées de la même

manière indépendamment de leur fonction. La dissociation des entités du pavillon génère deux artères traversantes faisant office de circulation et d’espaces interstitiels appropriables librement. Elles contribuent aussi à la porosité de l’ouvrage qui fait ainsi un lien visuel entre l’école et la route d’un côté et le lac de l’autre.

Le choix du bois découle d’une volonté de durabilité, de préfabrication et de rapidité de mise en œuvre, de coût, de modularité et d’impact visuel dans le paysage existant. L’épicéa se retrouve dans la totalité de la construction sous différentes formes. Il est non traité afin de laisser le bois se patiner avec le temps, se dotant ainsi d’une protection naturelle lui permettant de s’intégrer de manière discrète dans son environnement.

Enfin, le projet est pensé comme une œuvre totale. Les architectes ont conçu l’architecture du projet mais aussi le mobilier et l’identité graphique du lieu. Les usagers et notamment les jeunes de l’association ont contribué à la conception des différents éléments et même au montage de certains meubles. Une manière de présenter un ouvrage complet, cohérent qui répond aux besoins des utilisateurs de manière efficace et sensible.

© Thomas Telley Architektur Fotografie

© Thomas Telley Architektur Fotografie

© Thomas Telley Architektur Fotografie

© Thomas Telley Architektur Fotografie

ESPRIT CABANE DE MONTAGNE

Perché sur les hauts de Leysin, le centre pédagogique alpin Les Cabris séduit par la qualité de ses espaces collectifs. Clin d’œil aux cliniques de montagne d’antan, une longue coursive magnifie les Dents-du-Midi.

texte : Isabelle Jaccaud

photos : Yves André

Profitant au maximum d’une orientation solaire et visuelle offerte par la situation en balcon, la construction de bois sombre zigzague à la lisière d’une forêt de conifères, faisant écho aux montagnes.

Lorsque le concours est lancé au début 2018, le maître d’ouvrage a une vision précise de ce lieu destiné aux jeunes en camp de ski et aux adultes en formation continue. Le programme du bâtiment compte 25 chambres à 4 lits, 10 chambres individuelles, un restaurant, un local à skis, une réception, une cuisine et une salle de cours polyvalente. Plus singuliers, un mur de grimpe et un carnotzet donnent au projet une approche programmatique originale.

Le bureau meier + associés architectes remporte le premier prix, fort de son savoir-faire et de son expérience acquise lors de la réalisation de la cabane de montagne Topali sise à plus de 2700 m au-dessus de St. Niklaus. L’agencement des espaces

collectifs séduit le jury à l’unanimité. Les couloirs sont transformés en espaces appropriables, sans se limiter à un rôle de distribution. Il y a une volonté claire de créer des lieux adaptables à chaque envie dans un esprit de collectivité face à la vue panoramique. Les espaces plus privatifs comme les chambres sont réduits à l’image de ceux des cabanes de montagne.

UNE HISTOIRE ENCORE PRÉSENTE

A la fin du 19e siècle, le village de Leysin était caractérisé par la construction de plusieurs sanatoriums pour enfants destinés à les soigner de la tuberculose qui sévissait alors. De magnifiques bâtiments avec de grandes terrasses s’implantent dans la pente, orientés vers le sud, y compris sur la parcelle du projet, où deux anciens chalets étaient reliés par un long balcon exposant les petits patients à l’air et au soleil.

HABITATS D’EXCEPTION… ABORDABLES !

Deux petits immeubles d’habitation jumeaux sont venus s’intercaler aux côtés de deux autres immeubles jumeaux des années 60, à Villars-sur-Glâne (FR). Une densification heureuse où optimisation maximum du budget rime avec qualité. Pari réussi !

texte : Marielle Savoyat

photos : Rasmus Norlander

Histoire inattendue que ces réalisations jumelles sur deux parcelles distinctes que rien ne liait sur le foncier. Une situation idéale, entre ville et campagne, proche du centre de Fribourg et face aux champs cultivés, une recherche de valorisation par le propriétaire de l’une des parcelles, un architecte proactif et créatif, et le tour était « presque » joué pour faire d’une pierre deux coups.

À l’initiative de Valentin Deschenaux, auteur du projet, qui a contacté le propriétaire de la deuxième parcelle, l’opération consistant à réaliser un nouvel immeuble a pu être répétée à l’identique sur la parcelle voisine. Ce qui a permis de réduire les coûts, tout en garantissant une densification réfléchie. Le résultat est bluffant. Qualité spatiale des logements, richesse des matériaux, soin des détails, tout y est, pour un plan financier défiant toute concurrence. Les douze logements

(2 x 6) réalisés ont ainsi trouvé preneurs à la location avant même la fin du chantier en juillet 2021.

EFFICACITÉ DU PLAN

Un principe typologique et structurel d’une grande efficacité a permis de dédier toute la qualité spatiale aux logements. Tous

traversants nord-sud, les appartements, deux par étage, s’étirent de manière symétrique le long d’un grand mur porteur. Chaque logement bénéficie d’une grande loggia ouverte plein sud, face aux champs et au cordon boisé terminé par un chêne existant, dans le prolongement de la cuisine. Les espaces s’égrènent tout en longueur, avec une fluidité certaine. Les espaces de vie, salon et cuisine, fonctionnent comme des poches spatiales sans porte, offrant une perception de l’espace augmentée. Chaque pièce profite de larges ouvertures avec vue sur les montagnes et la ville, ce qui crée une ambiance particulièrement calme et apaisante. Les appartements apparaissent très lumineux. Même le hall d’entrée et la salle de bain bénéficient de leur propre fenêtre. Le « bel étage », celui des combles, bénéficie d’une hauteur plus généreuse. Les fenêtres sont placées en fonction des espaces intérieurs et de leur relation à l’extérieur, et non en fonction d’une cohérence de façades. Ce qui laisse apparaître à l’extérieur un jeu graphique irrégulier très fin, à peine perceptible, pour un résultat particulièrement harmonieux.

Construits sur d’anciens marais, les immeubles reposent sur une cinquantaine de pieux ancrés dans le sol à six mètres de profondeur. Ce sont quasiment des bâtiments sur pilotis qui

UNE MAISON À S’APPROPRIER

Le Home-Chez-Nous offre une vision innovante du vivre-ensemble dans un foyer pour jeunes. Le projet propose un plan morcelé où matériaux, distribution et circulation travaillent de concert pour créer un environnement propice au développement de l’individu.

texte : Isabelle Jaccaud

photos : Matthieu Croizier

Situé au Mont-sur-Lausanne, le projet Home-Chez-Nous a été réalisé par le bureau d’architecture lausannois NB.ARCH. Le foyer accueille 20 jeunes garçons, de 12 à 18 ans, répartis en trois groupes. Les plus jeunes sont scolarisés sur place et les plus âgés sont intégrés dans des programmes d’insertion à l’extérieur du site. Un concours ouvert a été organisé en 2013. La donnée de base était une démolition-reconstruction de l’institution.

Aujourd’hui, le réemploi d’une partie du bâtiment existant aurait certainement été considéré. Terminé en été 2021, le home est actuellement en fonction.

Datant de la fin des années 80, le bâtiment occupant précédemment la parcelle était assez obsolète au niveau construction et énergétique. Étriqué, il présentait des caractéristiques décrites

comme anxiogènes. De plus, les programmes et la proximité des différents groupes d’âge souffraient d’une importante concentration, générant des problèmes de cohabitation. Ce constat a mené à la décision d’une déconstruction-reconstruction. Le bureau a proposé l’idée, qui a séduit le jury, de quatre maisons et d’un bâtiment scolaire, en cherchant à gommer l’aspect institutionnel.

SENTIMENT D’APPARTENANCE

Le projet a élaboré un plan d’ensemble morcelé, où chaque jeune aurait un fort sentiment d’appartenance à « son » unité, à sa maison ; sentiment renforcé par le recours à la forme archétypique de la maison et une matérialité prévue pour évoquer la domesticité. En résulte une circulation plus longue entre les

Le parc avec ses arbres et ses équipements sportifs redevient l’élément majeur qui enveloppe l’ensemble du site, estompant l’aspect institutionnel.

ARCHITECTURE AU SERVICE DE L’ÉCOLE

Une intégration dans le tissu urbain, une volumétrie animée qui accommode un programme complexe et prend en compte la sécurité des usagers et une atmosphère accueillante et ouverte sur l’extérieur, le Collège Gustave-Roud à Carrouge répond à des objectifs variés.

texte : Iphigeneia Debruyne

photos : Adrien Barakat

Le Collège Gustave-Roud, un des huit sites composant l’Établissement primaire et secondaire du Jorat, se développe sur une parcelle de 11 266 m2 au cœur de Carrouge, dans le canton de Vaud. Achevée en 2022, cette réalisation conceptualisée par le bureau Épure Architecture et Urbanisme à Moudon accueille 24 classes du primaire et une unité d’accueil parascolaire. Le maître d’ouvrage, l’Association scolaire intercommunale du Jorat, saisit le projet pour stimuler la vie communautaire. Afin de maximiser l’utilisation de la salle de sport triple, cette infrastructure est ouverte au public en dehors des heures de cours.

L’aménagement du site et le concept architectural témoignent de la recherche d’une accessibilité optimale pour les usagers. Au nord-ouest, le terrain longe la route d’En Bas, l’artère urbaine du bourg. La façade principale est parallèle à la route. Entre la voie de circulation et le complexe bâti, une zone de transition est dégagée. L’aire d’arrêt des bus scolaires, l’accès au parking souterrain réservé au corps enseignant, les douze places de parking ainsi qu’un parc de stationnement de vélos et de trottinettes forment un espace tampon entre le trafic et l’école. Au nord-est et au sudouest, le site est accessible à pied.

Cour et préau, pédagogie et jeu ne font qu’un.

RATIONALITÉ

La façade principale révèle une structure en trois parties : un socle (le rez inférieur) sur lequel se développe, de part et d’autre, un volume sur deux niveaux. Entre les deux bâtiments à plan carré – l’un comprenant le complexe sportif et l’autre les salles de classes – se situe la cour de récréation. « Le choix d’un concept à deux unités indépendantes reliées par le socle permet de répondre à la complexité du programme architectural tout en assurant une intégration dans le tissu urbain », soulève Marie Bolay, architecte chez Épure Architecture et Urbanisme. Le plan du rez inférieur crée une osmose entre les deux unités. Ceci

grâce au couloir qui assure une liaison entre les deux volumes. Le bâtiment à vocation sportive comprend au rez inférieur deux salles de classes, deux salles de dégagement, une infirmerie et la salle de sport triple à double hauteur. Les vestiaires se situent au sous-sol. Un escalier central assure la distribution. Au rezsupérieur, une galerie permet de suivre des manifestations qui se déroulent dans la salle de sport. À l’étage se situent les bureaux des services de psychologie, psychomotricité et logopédie en milieu scolaire (PPLS). Pour sa part, le bâtiment à vocation scolaire comprend au rez inférieur l’UAPE.

Cette unité parascolaire est attenante mais non reliée au réfectoire. Au rez supérieur et à l’étage, des classes et salles des maîtres sont créées autour d’un noyau central. « La distribution rationnelle avec des sanitaires et la cage d’escalier au centre du bâtiment permet d’optimiser l’espace et de maximiser la luminosité. » En effet, la partie centrale de la toiture où se situe l’escalier est vitrée. Ce puits de lumière apporte le jour dans les zones de circulation.

Les matériaux témoignent d’un souci de durabilité. Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, le bois et le béton prévalent. Le socle

est minéral. Quant aux deux bâtiments, ils ont une structure en béton avec une façade ventilée en bois. Les deux charpentes sont en tôle Kalzip. Ces choix assurent un ancrage dans le tissu urbain. En plus de l’osmose entre le site moderne et le patrimoine traditionnel, le bureau Épure introduit une touche ludique à travers un jeu de couleurs jaune et orange. « Afin d’animer davantage la façade des deux bâtiments, nous avons réalisé, ici et là, des fenêtres avec des claustras. Ainsi, un rythme est créé sans pour autant diminuer la luminosité des espaces », conclut Marie Bolay.

COLLEGE GUSTAVE ROUD