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pollution

contradictions, de doutes et de présupposés sur les causes de ses rhinorrhées. Elle attribue ces maux à ce qu’elle nomme à la pollution qu’elle nomme aussi « l’effet grande ville ».

« Tout à l’heure vous me demandiez le trajet de chez moi à l’école. C’est clair et net, je le dis régulièrement à mes enfants, je leur dis : mettez vos foulards quoi. Vraiment ça se sent. C’est olfactif, vraiment. Ça prend au nez l’odeur j’en parle même pas et même les jours où on ne sent pas on peut le voir. Moi je suis sur les hauteurs, on voit aussi les deux couleurs le bleu et le gris. Il y a des jours c’est effrayant, c’est parlant quoi. »

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Cette autre personne interrogée montre bien comment les sens sont sollicités et permettent de détecter la présence de pollution. Cette dernière ne consulte pas les relevés des stations de mesure de la qualité de l’air disponible sur différentes applications mobiles ou sites web, mais recourt uniquement à ce que nous qualifions « d’indicateurs sensibles ».

2.2.2 Usage et transmission des « savoir-faire de prudence » pour se protéger contre la pollution

Si ces indicateurs sensibles permettent la détection et la « mesure » profane de la pollution, nous allons voir qu’elles permettent par extension de se protéger. Nous avons constaté en entretien que de nombreux parents, lorsqu’ils détectaient de la pollution, mettaient en œuvre un certain nombre de pratiques originales pour préserver leur santé et protéger leurs enfants de la pollution comme l’illustre cet extrait :

« Je me force à respirer par le nez parce que je sais qu’il n’y a rien de mieux comme filtre naturel, ça, c’est clair. C’est un premier geste. Chaque fois que je sens une oppression à ce niveau-là, je me force à me couvrir la bouche et à respirer qu’avec le nez. Même si c’est complètement futile pour les micros particules en termes de sensation immédiate c’est plus agréable quand même. »

Pour ce père, l’odeur désagréable des gaz d’échappement constitue un indicateur sensible de la menace, de « l’oppression ». À travers ce passage, nous voyons pourtant l’incertitude qui entoure cette mesure préventive : si ce père de famille cherche à se protéger de la pollution en se couvrant la bouche et en respirant par le nez, celui-ci doute tout de même de l’efficacité réelle du geste.

Pour lui, cette mesure ne permettrait pas tellement de prévenir les risques de la pollution atmosphérique, mais plutôt de réduire la gêne olfactive.

D’autres personnes expliquent en entretien qu’ils utilisent leurs vêtements, écharpes, t-shirts, pull ou foulard pour se couvrir la bouche et le nez lorsque l’odeur de pollution est forte. Là encore, il est difficile pour eux de se convaincre et de nous convaincre de l’efficacité du dispositif. En tout cas, cette stratégie a, pour eux, un effet avéré sur leurs sensations de gêne olfactives. Aucun d’eux ne dispose ou n’utilise un masque antipollution ou antiparticules vendue dans le commerce comme on en voit régulièrement en Asie et aujourd’hui en Europe. Pourtant l’efficacité de ces dispositifs est jugée bonne et assez peu couteuse. À l’inverse, les foulards et écharpes classiques ne protègent pas des particules fines et des autres polluants (NO2, SO2, etc.).

D’autres personnes interrogées mettent en œuvre des stratégies de mobilité pour se protéger comme contourner les axes très empruntés par les automobilistes aux heures de pointe, limiter leurs efforts, ou « prendre l’air » le weekend à la campagne, etc. Un père nous explique par exemple qu’il ne fréquente plus avec ses enfants un jardin public situé à proximité de la sortie du tunnel depuis qu’il juge le secteur est pollué.

Si certains parents mettent en œuvre des stratégies « bricolées » de filtrage de l’air avec leurs vêtements lors de leurs déplacements, d’autres œuvrent pour améliorer la qualité de l’air intérieur de leur domicile. Les personnes interrogées emploient ici des méthodes radicalement différentes. Si certains privilégient l’aération régulière des pièces, d’autres affirment qu’ils « aèrent le plus rarement possible » afin de se protéger. Enfin, d’autres aèrent régulièrement en choisissant l’heure et la pièce la moins exposée :

« Je dois vous avouer que chez moi j’aère par les chambres, pas depuis le salon qui donne sur la rue. Pour deux raisons : le bruit et… heu… j’ai compris qu’un immeuble faisait un peu obstacle à la pollution donc j’ouvre de l’autre côté. »

D’après les autorités de santé, il est préférable d’aérer régulièrement aux créneaux où l’air est moins pollué (la nuit, tôt le matin), mais pour les familles interrogées, la procédure a adoptée est plus floue. Pour certain, l’air intérieur du domicile parait naturellement de meilleure qualité que l’air extérieur. Pour d’autres, l’air extérieur permet d’évacuer les polluants concentrés dans l’espace clos du domicile. Il est ici question des représentations du domicile et ses propriétés.

Pourquoi certains n’objectivent pas le caractère pollué de l’air intérieur de leur domicile ? Selon nous, les personnes pourraient très bien nier le risque afin de garantir « l’habitabilité » de leur logement. En effet, n’habite-t-on pas un lieu pour être en sécurité ? (Salignon, 2010). D’ailleurs « l’habitat » se définit comme un « espace qui offre des conditions qui conviennent à la vie et au développement d'une espèce animale ou végétale » (CNRTL). Comme l’explique Bernard Salignon (Ibid), « lorsque l’enfant s’étayait sur la mère (son corps et sa parole) et plus tard sur les parents réunis, pour qu’en retour ensemble ils portent et soutiennent l’enfant, afin qu’il trouve ainsi un lieu de projet pour ses désirs possibles, aujourd’hui, l’homme semble s’étayer aussi sur « le corps » de la maison avec son environnement. » (p.43). Comme l’affirme l’auteur, la maison soutient l’individu, son psychisme et son corps et par extension, sa santé. Si la sécurité de cet habitat est compromise, comment s’y épanouir ?

Si cette question nous amène à des réflexions intéressantes, nous ne l’approfondirons pas davantageici,car nous ne disposons pas de données de terrain suffisamment précises sur ce point.

Revenons-en à la qualité de l’air extérieure et aux stratégies de prévention déployées par les personnes interrogées. D’un point de vue formel, cette gamme de stratégies, pour certaines « bricolées », sont souvent inefficaces. Si des familles mettent en œuvre ces stratégies pour préserver leur santé ou réduire les gênes olfactives, elles ont toutes un objectif commun : réduire le stress généré par la pollution de l’air. D’ailleurs, il est important de préciser que différentes études ont prouvé que le stress causé par l’environnement aggravait les effets de la pollution sur la santé. Physiologiquement, le stress perturbe le système d’immunitaire de l’organisme et en particulier ses fonctions de régulation et tolérance et provoque des réactions pathologiques comme l’allergie. Une étude menée par le service d’Immuno-Allergologie du Centre Hospitalier Lyon-Sud Pierre Bénite a montré que des souris stressées déclenchaient des réactions allergiques qu’elles ne déclenchaient pas dans des situations non stressantes (Bérard et al, 2003).

Selon nous, ces stratégies ne sont pas sans rappeler ce que Damien Cru (2014) nomme « savoirfaire de prudence », c’est-à-dire un savoir-faire non expert acquis avec l’expérience de la pratique professionnelle et transmis aux plus jeunes ayant pour fonction de préserver/protéger leurs corps et leur santé dans l’activité de travail. Ces savoir-faire sont qualifiés d’informels, car ils ne sont pas dictés par l’autorité hiérarchique ou experte et échappent à la formalisation, à la règle. Ces compétences reposent souvent sur des stratégies de détournement/contournements de pratiques

et de règles formelles. Les savoir-faire de prudence visent à dégager une marge de manœuvre nécessaire à la bonne pratique professionnelle, ils s’écartent de la règle de sécurité, parfois trop contraignante pour chercher le bon équilibre entre efficacité, confort et sécurité.

Les stratégies déployées par les personnes interrogées ressemblent à des savoir-faire de prudence dans la mesure où il s’agit de méthodes et pratiques « bricolées » visant à préserver la santé et le corps de la pollution. Ces méthodes ne sont en rien dictées ou recommandées par les experts, bien au contraire, elles s’y opposentparfois. Cependant, si elles reposent sur des savoirs profanes, elles ne sont pas toutes inefficaces, bien au contraire. Certes, nous avons vu qu’elles ne protègent pas toujours des particules, mais elles ont le mérite de réduire la gêne et le stress. Nous en avons également parlé, la détection du risque, de la gêne et la mise en œuvre des stratégies reposent sur ce que nous avons appelé des « indicateurs sensibles » et non sur des indicateurs « experts » (niveaux de concentration en polluants). Les méthodes sont « bricolées » et ne reposent pas sur des dispositifs éprouvés (purificateurs d’air, masques antipollution, capteurs embarqués, ministations, etc.).

De la même façon, Adeline Ferreira (2010) a identifié chez les égoutiers de Paris des méthodes de détection et de mesure informelle du risque basé sur l’odorat. Dans ce cas, les professionnels apprennent de façon informelle à se servir de leur odorat pour détecter les produits chimiques et toxiques dans les égouts. Ces savoir-faire sont transmis entre professionnels et sortent du cadre des procédures de sécurité.

Dans nos entretiens, il est ressorti qu’un certain nombre de parents transmettaient ces savoir-faire à leurs enfants comme l’illustre cet extrait :

« Quand je fais le trajet jusqu’à l’école avec les enfants, la pollution je la sens, je la vois. Je dis aux enfants : mettez vos foulards quoi ! Vraiment ça se sent. C’est olfactif. Ça prend au nez, l’odeur c’est horrible. Je leur dis sans arrêt de se couvrir quand il y a autant de pollution. »

L’éducation joue un rôle central dans la transmission de ces compétences et de ces savoirs.

« Mes enfants vont devenir comme moi des anti-bagnoles. (Rires). Mais bon, parfois ils me disent qu’ils trouvent certaines voitures jolies ! »

Comme le sous-entend ce père de famille, un ensemble de représentations générales sont véhiculées par les parents à leurs enfants en plus de ces savoir-faire de prudence. Ici, la personne interrogée montre comment ses représentations négatives de la voiture viendraient teinter celles

de ses enfants. Néanmoins, comme nous l’avons vu dans la sous-partie sur les caractéristiques générales des représentations, celles-ci n’évoluent pas toutes de façon homogène. Parfois, ce sont seulement « les éléments périphériques » qui sont impactés. Ici, les enfants partageraient une partie de leurs représentations de la voiture avec leur père (les voitures polluent et doivent être bannies), mais une autre partie (certaines voitures sont belles et attirantes) est autonome. N’ayant pas eu le temps lors de cette étude de nous intéresser précisément aux représentations des enfants, nous ne nous avancerons pas davantage sur cette voie.

À travers cette partie, nous nous sommes intéressés aux contenus des représentations mentales de la pollution de l’air chez les familles de l’école. Nous avons vu que celle-ci était perçue très négativement et comparée à une « bombe à retardement » dont on ne peut prédire ni les effets ni l’échéance de la détonation. En effet, pour les personnes interrogées, les conséquences de la pollution de l’air pour la santé des enfants de l’école seraient particulièrement néfastes et imprévisibles. Pour les parents, il est impossible de prédire les impacts réels de ce phénomène sur la santé de leurs enfants, et cet aspect est très anxiogène et culpabilisant pour les familles. Pour les personnes interrogées, un ensemble de symptômes ORL et respiratoire affectant certains enfants de l’école est immédiatement attribué aux effets de la pollution de l’air. À leurs yeux, la pollution est systématiquement responsable de ces maux étranges. Si les familles n’utilisent jamais le terme « d’allergie » pour qualifier les maux de leurs enfants, ils n’accusent pas non plus les pollens, les phanères d’animaux, les acariens, etc. d’en être à l’origine. Ici, la pollution de

l’air est, au moins dans le discours, systématiquement mobilisée comme la cause des

symptômes. Pour la détecter et mesurer sa concentration, les personnes interrogées

recourent à ce que nous avons qualifié « d’indicateurs sensibles » (ouïe, odorat, vue). La circulation automobile, par les gênes olfactives qu’elle suscite, est considérée par les parents

comme la première cause de pollution.

Comme nous allons le voir, elle apparait rapidement comme la cause du problème à l’école et la cible sur laquelle cibler les actions. Pour s’en protéger, les parents développent et transmettent à leurs enfants ce que nous avons qualifié de « savoir-faire de prudence » qui vise moins à se protéger qu’à réduire la gêne et le stress qu’elle suscite. Lorsque nous avons passé en revue la théorie sur les caractéristiques, fonctions et effets des représentations mentales, nous avons vu que celles-ci étaient évolutives, organisées et avaient pour fonction de guider l’action individuelle. Lorsqu’elles sont partagées, les représentations offrent une clef de lecture commune du monde et peuvent ainsi guider une éventuelle action collective organisée. Dans la partie suivante, il s’agira d’analyser le processus de transformation du phénomène de

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