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2.2.3 La mobilisation de l’école Michel Servet, un cas d’école ?
systématique de la « cour interdite » nous révèle l’importance et le poids de l’interdit tant dans les imaginaires que dans les pratiques.
2.2.3 La mobilisation de l’école Michel Servet, un cas d’école ?
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Comme nous l’affirmions plus tôt, il semblerait que le militantisme à l’école Michel Servet soit plus marqué parmi les parents appartenant aux catégories sociales supérieures. Si les autres familles s’investissent peu, cela ne veut évidemment pas dire qu’elles ne sont pas sensibles à la question, mais plutôt qu’elles aient des hésitations sur leur légitimé à s’investir. Les résultats de l’étude annuelle de l’ADEME (2017) sur le rapport des Français à l’environnement montrent en effet que les couches sociales aisées se disent plus sensibles à la qualité de l’air dégradé que les couches sociales inférieures. En effet, dans le premier quartile, 45 % des individus jugent la qualité mauvaise et s’en inquiètent contre 18 % dans le dernier quartile. L’étude ajoute que 46 % des Français se disent gênés par la pollution de l’air extérieure ou subissent un trouble lié. Cette part monte à 54 % dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants et jusqu’à 56 % pour les habitants de Paris intra-muros. En matière de qualité de l’air intérieure, les résultats sont plus nuancés, car les individus la pensent meilleure, mais les auteurs notent néanmoins que 59 % des parents d’enfants mineures se disent inquiets par la qualité de l’air intérieur dans les écoles et les crèches.
Ces résultats confirment que les enjeux d’environnement et en particulier de qualité de l’air sont plus appréhendés par les individus de catégories sociales supérieures urbaines et en particulier dans les familles avec enfants en bas âges. Ces résultats s’expliquent par la plus forte présence de pollution en zone urbaine et par un meilleur niveau d’information des familles des catégories sociales supérieures.
Néanmoins, d’autres études affirment que les craintes liées à un risque environnemental comme les ondes émises par les antennes relais ou les centrales nucléaires et la mobilisation autour de ces questions sont plus présentes chez les individus des couches sociales défavorisées (PerettiWatel et al, 2012), car les difficultés sociales de ces derniers « créeraient un sentiment de vulnérabilité diffus ». L’incertitude des risques entourant de tels dispositifs serait également propice à faire naitre des controverses. Le sentiment de défiance envers les pouvoirs publics ressenti par les individus des milieux populaires serait également un élément d’explication des controverses autour de tels objets.
Au-delà de l’appartenance sociale des militants du collectif, c’est peut-être la multipolarité du quartier des Pentes de la Croix-Rousse qui serait un élément facilitant l’émergence d’une telle mobilisation. En effet, d’après une étude de Patrick Peretti-Watel, Chantal Vergélys et Béatrice Hammer sur les ondes électromagnétiques et leur perception par les individus (2012 ; 2013), les territoires multipolaires auraient plus de chance de voir émerger des revendications autour d’un risque environnemental parce que « les habitants (de ces territoires) n’ont pas de relation de confiance et de familiarité qui les lieraient avec leur cadre de vie. » Ainsi, les résidents de ces territoires multi polarisés seraient plus méfiants envers les changements de leur environnement dans un tel contexte d’incertitude. Le quartier des Pentes de la Croix-Rousse connait des dynamiques de gentrification qu’il nous parait important de rappeler pour contextualiser le problème de la pollution à l’école Michel Servet. La diversification des populations vivantes dans le quartier des Pentes de la Croix-Rousse nous invite à repenser et resituer le problème de la pollution de l’air au cœur des mutations urbaines actuelles et à venir.
L’incertitude des effets sur la santé de la pollution, l’incertitude quant à l’évolution d’un quartier en pleine mutation, l’incertitude de l’avenir des prochaines générations, l’incertitude face aux changements climatiques, sociaux, économiques, se combinent pour
permettre l’émergence d’un mouvement autour d’un problème, celui de la pollution. Parce qu’elle est difficilement visible et maîtrisable, la pollution est l’objet de nombreux fantasmes, inquiétudes, croyances. Elle est donc l’objet parfait de controverse. Si la mobilisation n’a pas abouti à de réels changements en faveur des enfants de l’école, elle a permis de montrer que la qualité de l’air pouvait rapidement devenir un problème et l’objet d’une mobilisation à l’échelle d’un quartier. Le cas de l’école Michel Servet n’est peut-être pas si isolé, car la qualité de
l’air est globalement mauvaise à l’échelle de la métropole et d’après nos investigations de nombreuses écoles lyonnaises sont exposées à des niveaux de concentrations bien supérieures à la normale. L’accès facilité aux mesures de la qualité de l’air, l’information croissante du public sur les enjeux de la pollution et la médiatisation autour du cas de l’école Michel Servet pourraient encourager d’autres écoles à se mobiliser à leur tour comme c’est le cas de l’école de Sallanches dans la vallée de l’Arve qui a récemment publié sur YouTube une vidéo mettant en scène les écoliers masqués et « figés » dans leur mouvement à la façon d’un « mannequin challenge ». Les militants à l’origine de cette vidéo affirment vouloir dénoncer les différentes restrictions qui affectent la vie des écoliers comme l’interdiction de pratiquer du sport ou de se récréer en extérieur.
Copie d’écran de la vidéo, Sources : https://youtu.be/cruSzaOy0gM, ajouté le 13/12/2016