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formulation des hypothèses de recherche

groupe d’individus autour de ces questions ? Nous savons que la pollution de l’air touche une immense partie de la population et pourtant peu d’individus s’emparent de cette question pour l’élever comme un problème public objet de mobilisation. Néanmoins, les individus se sententils concernés et préoccupés par la pollution de l’air ? Le cas échéant, comment s’engagent-ils autour de ces questions ?

Rapidement, l’école élémentaire Michel Servet apparaissait comme un terrain potentiellement pertinent afin d’étudier ces phénomènes.

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2. La pollution de l’air au sein d’une école élémentaire : présentation du terrain et formulation des hypothèses de recherche

Localisation de l’école Michel Servet dans l’agglomération lyonnaise, Open Street Map / IGN

Située à quelques dizaines de mètres de la sortie du tunnel de la Croix-Rousse côté Rhône, l’école est à proximité immédiate d’un axe routier emprunté par 47 000 véhicules et 1000 vélos par jour.

Comme en témoigne la carte ci-dessus, la sortie du tunnel de la Croix-Rousse côté Rhône est, au même titre que l’axe nord-sud des quais du Rhône, l’un des secteurs de Lyon où la circulation automobile est la plus intense. Ce fort trafic routier explique les très fortes concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote mesurées sur ce secteur (cf. carte ci-dessous.)

Sur cette carte nous avons voulu localiser le public sensible à la qualité de l’air sur le territoire à partir de l’implantation des établissements scolaires et des hôpitaux (tout en sachant que ces deux types de structures ne représentent évidemment pas l’intégralité du public sensible). Nous avons mis ces données en relation avec les mesures en particules fines et en dioxyde d’azote aux différentes stations de l’agglomération. La station implantée à proximité immédiate de la sortie du tunnel de la Croix-Rousse et de l’école Michel Servet enregistre les plus fortes concentrations de l’agglomération. Initialement construit entre 1939 et 1952 afin de désengorger la circulation en centre-ville, le tunnel de la Croix-Rousse ne comprenait initialement qu’un seul tube réservé à la circulation automobile en double sens (cf. photos ci-dessous).

Dessin de l’entrée du tunnel de la Croix-Rousse et de la place Louis-Chazette, fond Jules Sylvestre (1859-1936), Bibliothèque municipale de Lyon/P0546 Se 1422

Photographie de la construction du tunnel de la Croix-Rousse à Lyon en 1952, Blog-habitatdurable.com

Photographie de l’entrée est du Tunnel de la Croix-Rousse en chantier pour la création d’un second tube en 2012, By Otourly, Own work, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=22043046

Un nouveau tube consacré aux modes doux est percé à partir de 2009. La poussière et les nuisances sonores du chantier obligent l’école à fermer la cour Nord donnant directement sur la sortie du tunnel pendant la phase des travaux (cf. photos ci-dessous). Le chantier s’achève et le tunnel rouvre à la circulation en 2013.

La sortie du tunnel côté Rhône aujourd’hui, photographie personnelle, 12/01/2018

Localisation du tunnel de la Croix-Rousse, par Tibidibtibo, Own Works, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=28048520

Vue de la cour nord, de la station de mesure de la qualité de l’air et de la sortie du tunnel côté Rhône, photographie personnelle, 12/01/2018

Afin de mesurer la concentration des principaux polluants au niveau de la sortie du tunnel, l’organisme chargé de la mesure de la qualité de l’air ATMOAURA installe en 2009 une station à l’extrémité de la cour Nord (visible sur les différentes photos de la cour). À la suite de cette installation, des premiers résultats paraissent sur le site d’ATMOAURA, et indiquent des dépassements des taux autorisés. Une mère d’un des enfants scolarisés à l’école décide alors d’en alerter le directeur de l’école et l’information se propage au sein des parents délégués élus. En 2015, un groupe de parents décide de créer un collectif militant contre la pollution de l’air à l’école Michel Servet. S’en suivent plusieurs assemblées plénières avec l’ensemble des familles de l’école, deux manifestations publiques, des campagnes de communication, une pétition, des réunions avec des élus du Grand Lyon et de nombre articles dans les journaux. Si la qualité de l’air était médiocre avant même l’implantation de la station dans le secteur, l’information n’était pas connue des familles et du personnel de l’établissement. Dès lors que les données ont été partagées et reprises par une lanceuse d’alerte, l’école a connu une importante mobilisation. Nous postulons que le problème de la pollution à l’école Michel Servet est

l’objet d’un processus de « problématisation » et de « publicisation » (Dewey, 1925 ; 1931)

que nous nous donnons l’ambition de comprendre. Nous entendons par là que la pollution s’est sans doute érigée comme problème à la suite d’une série d’évènements qui ont permis le déploiement de la controverse. En reconstituant l’histoire et les étapes de la mobilisation,

nous chercherons à comprendre comment l’enjeu de la pollution de l’air à l’école Michel Servet s’est transformé en problème public ?

Mais avant cela, nous souhaiterions nous demander si la mobilisation autour du problème de

la pollution de l’air à l’école Michel Servet pouvait être comprise et éclairée par l’étude des représentations mentales des acteurs ? En effet, nous nous demandons si le partage d’un ensemble de représentations en matière de pollution de l’air pourrait guider et motiver l’action collective au sein d’un groupe ?

Pour comprendre cela, il s’agit dans un premier temps de comprendre ce qu’est une représentation mentale tant en psychologie qu’en sociologie, de voir quelles sont leurs modalités d’élaboration, leurs fonctions et effets et comment se construisent-elles ? Sont-elles le produit d’acteurs autonomes ou sont-elles influencées par certains facteurs ? Peuvent-elles être partagées pour les acteurs d’un groupe ? Si oui, pour quelles raisons ? Quel est le lien entre représentations et pratiques ?

Une fois que nous aurons clarifié ces points théoriques, nous pourrons analyser les représentations des parents telles qu’elles sont ressorties lors des entretiens.

Comme nous l’avons rapidement vu en introduction, il a fallu attendre la fin du 19e siècle pour voir émerger une réelle prise de conscience collective de possibles dangers invisibles, imperceptibles lié à un air pollué. Si les individus ont désormais conscience du caractère

risqué de certains phénomènes invisibles (amiante, radioactivité, etc.), parviennent-ils pour

autant à évaluer objectivement les risques liés à leur exposition ? En dehors des indicateurs scientifiques, il peut être difficile de repérer olfactivement la présence d’un élément invisible dangereux et encore plus d’en mesurer les risques. Contrairement aux radiations ou à l’amiante, la pollution de l’air n’est pas complètement invisible. Nous verrons qu’elle peut se manifester sous forme d’un nuage lorsque les conditions le permettent. De plus, les gaz d’échappement ou les émissions des usines émettent des odeurs parfois désagréables que les individus rattachent à de la pollution. Toutes ces manifestations olfactives gênantes nous permettent d’affirmer que la pollution de l’air n’est pas complètement invisible. D’après l’enquête annuelle de l’ADEME sur le rapport des Français à l’environnement (2017), 46 % de la population se dit gênée ou subit un trouble lié à la pollution de l’air extérieur. Cette part dépasse les 56 % à Paris et les 54 % dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Si la gêne est importante, qu’en est-il de la

perception du risque pour la santé? Si les personnes interrogées ressentent des symptômes respiratoires/ORL comment les interprètent-ils ? Parviennent-ils à distinguer ce qui relève de la pollution de l’air, des allergies, etc. ? S’ils n’y parviennent pas, comment gèrent-ils cette incertitude et en particulier lorsque les symptômes (asthme, rhinite, dyspnée, etc.) touchent leurs enfants ?

Enfin, nous nous intéresserons à la faculté préventive des individus. Face au caractère difficilement visible de la pollution, nous nous demanderons si les individus cherchent à s’en protéger. Ont-ils recours à des méthodes préconisées par les experts ? (Port d’un masque

antipollution, report d’activités sportives lors des pics, utilisation des transports en commun, etc.) Développent-ils des savoir-faire « profanes » qui pourraient-être acquis grâce à l’expérience du problème et transmise à d’autres ? Nous verrons dans cette partie que les représentations de la pollution de l’air chez les personnes interrogées remplissent bien une fonction opérationnelle : celle d’agir en vue de se protéger et de protéger leurs enfants.

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