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«Faire émerger les idées de la base stimule l'innovation»

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«Les Suédois voient les conflits comme une rupture dans des relations basées sur la confiance plutôt que comme une étape dans la prise de décision.»

David Muylaert

Dans les entreprises suédoises, on attend pour avancer que tout le monde soit d'accord. Et le personnel a son mot à dire. Cette culture du consensus demande beaucoup de temps et de discussions, mais elle est très solide. Les responsables de trois organisations témoignent de la vivacité de cette culture bottom-up

Structure horizontale, ouverture, modestie, autonomie et innovation. Ce sont les principales caractéristiques d'une culture d'entreprise à la suédoise. «Dans une société comme la nôtre, cette culture est très présente, même si elle revêt des accents belges», explique David Muylaert, manager RH de Volvo Car à Gand. «Nous écoutons le plus possible ce que l'on nous dit et nous donnons la parole aux salariés. C'est évidemment la base du modèle de la concertation à la suédoise. Nous dialoguons avec tous les membres du personnel pour parvenir à un résultat qui soit accepté par tout le monde. Nous prenons parfois beaucoup de temps avant de décider mais nous réussissons ainsi à éviter la plupart des conflits.»

Cette culture suédoise du consensus ressemble à ce qui se pratique en Belgique. Cela dit, David Muylaert distingue plusieurs grandes différences. «La culture belge est un peu plus dure que la suédoise. Chez nous, nous ne reculons pas devant le conflit. Nous en profiterons même pour élaborer une nouvelle solution sur cette base.»

En réalité, les conflits ouverts sont peu appréciés dans la culture suédoise. «Ils sont considérés comme contre-productifs. Les Suédois voient les conflits comme une rupture dans des relations basées sur la confiance plutôt que comme une étape dans la prise de décision.»

Priorit Aux Contacts Informels

Pour les Suédois, les contacts informels sont essentiels, peut-être plus d'ailleurs que les rencontres formelles. David Muylaert cite en exemple l'expression fika, un mot en suédois qui associe café et cake et qui a toute sa place dans le contexte professionnel. «La dimension sociale qui y est liée est indispensable pour prendre des décisions acceptées par tous et anticiper l'escalade éventuelle de conflits d'intérêts.»

Cette culture du consensus est aussi présente chez Atlas Copco qui fabrique notamment des compresseurs et des pompes à vide. Cette société fête cette année son cent cinquantième anniversaire. L'entreprise compte 49.000 salariés dans le monde, dont 4.200 en Belgique, et opère dans 180 pays. Avec plus de 850 ingénieurs, le site de Wilrijk se profile comme l'université de l'air comprimé. Atlas Copco encourage ses salariés à partager leurs idées, même si elles sont contrastées. Source d'idées industrielles, Atlas Copco cherche en permanence à améliorer ses activités. Son mantra, There is always a better way, est à la base de l'innova-

ID David Muylaert — FONCTION Manager RH de Volvo Car Gand

tion, l'une des trois valeurs cardinales de l’entreprise, aux côtés de l'interaction et de l'engagement. «Quand un nouveau produit arrive ou quand nous planchons sur l'amélioration d'un processus, nous réunissons systématiquement toute l'équipe», affirme Annick de Bakker, vice-présidente des ressources humaines d'Atlas Copco Airpower à Wilrijk. «Nous prenons les décisions ensemble. Nous n'avançons pas tant que toutes les parties concernées ne sont pas alignées. C'est le consensus que nous visons. Cette approche exige de gros efforts de concertation mais elle est robuste. Ce modèle ne se limite pas au comité de direction, il s'applique aussi à nos activités quotidiennes.»

Quand Stijn Verherstraeten est entré en 2018 chez Husqvarna Group à Göteborg, il a dû s'habituer à cette culture suédoise. L'entreprise, fondée en 1689, fabrique des produits pour des secteurs très variés, qui vont du jardinage au bâtiment en passant par les motos. «On dit que vous devez continuer à appliquer votre style de management quand vous changez d'employeur», affirme le vice-président du département des sols et surfaces en béton. «En réalité, je crois que vous devez vous montrer pragmatique et vous adapter à l'environnement dans lequel vous entrez. C'est ce que j'ai appris. Je le reconnais, c'est parfois frustrant. D'autant que vous risquez de commettre des erreurs parce que vous n'avez pas évalué correctement le contexte culturel.»

La Culture De La Base

Dans un premier temps, Stijn Verherstraeten a eu le sentiment que les salariés suédois étaient particulièrement froids. Il se demandait même s'ils s'engageaient vraiment dans leur travail. «Mais si vous réussissez à convaincre un Suédois de la direction que vous voulez prendre et que vous l'associez à l'objectif final, il s'investira à fond. Il pourra aller jusqu'à travailler jour et nuit pour atteindre ce but.» Les Suédois sont très autonomes et s'accommodent parfaitement de l'ambiguïté. «Même quand tout n'est pas clair, ils cherchent à avancer pour réaliser leur mission. C'est dans leurs gènes.»

«La Belgique est renommée pour son goût du compromis, mais dans la culture suédoise du consensus, il est essentiel que les idées proviennent de la base», explique Stijn Verherstraeten. En Suède, les salariés veulent que les responsabilités soient déléguées. «Le dirigeant s'attache à définir l'objectif ultime et les limites dans lesquelles l'organisation doit fonctionner. On ne lui demande pas de se préoccuper des compromis ou des détails. En Belgique aussi, il est important d'écouter les avis des autres, mais en définitive, nous acceptons beaucoup plus facilement qu'à un moment donné, le leader tranche le débat et impose sa décision.»

Cette culture de la base qui inspire le sommet est également présente chez Atlas Copco. «La personne qui est la plus proche du problème est aussi celle qui est la plus proche de la solution», souligne Annick De Bakker. «En conséquence, nous donnons aux salariés la responsabilité de trouver cette solution.» Elle fait la comparaison avec un terrain de football. Atlas Copco fixe les règles mais les salariés décident eux-mêmes comment ils vont jouer le match. «Bien sûr, nous les coachons et nous prévoyons un forum pour qu'ils puissent exprimer leur feed-back. Et le management est à leur écoute.»

Une chose caractérise la culture d'entreprise de Atlas Copco: personne ne travaille seul. «L'interaction est l'une de nos valeurs essentielles. Nos salariés ne sont pas confinés sur une île. Nous travaillons dans le cadre de projets avec des équipes multidisciplinaires et nous abordons toujours les choses en interaction avec tout le monde, y compris les clients et les fournisseurs. Grâce à ces différentes perspectives, grâce à ces interactions, nous parvenons à des résultats innovants.»

Des Coachs Plut T Que Des Dirigeants

À cause de l'autonomie des salariés, les leaders ne peuvent être trop directifs. Stijn Verherstraeten s'en est rendu compte quand il a commencé à piloter les grandes équipes de R&D de Husqvarna. «Ici, le micromanagement est contre-productif. Les salariés s'y opposeraient. Si vous essayez d'imposer vos règles, vous vous heurterez à des résistances. Vous devez en être conscient.»

Chez Atlas Copco, il s'agit avant tout d'accompagner et de coacher les salariés. «Notre organisation est décentralisée et notre structure est plate, avec quatre niveaux au maximum», explique Annick De Bakker. «Nous créons beaucoup d'opportunités pour permettre à nos collaborateurs de tracer leur propre voie dans notre groupe. La mobilité interne est élevée parce qu'ils ont la liberté d'assumer différents rôles.»

Comme les carrières ne font pas l'objet d'une planification stricte, Atlas Copco attend de ses managers qu'ils

Senior Vice-President Concrete Surfaces & Floors, Husqvarna Group

Annick De Bakker — FONCTION Vice-President Human Resources, Atlas Copco Airpower

soient attentifs aux ambitions et au potentiel de leurs collaborateurs. Ils doivent se placer dans une position de coach pour les aider à progresser. Lors de chaque recrutement, cinq compétences cruciales sont passées au crible: la priorité donnée au client, la volonté d'atteindre les résultats de l'entreprise, l'autodéveloppement, l'esprit d'équipe et la durabilité. «C'est dans l'ADN de nos collaborateurs, à tous les niveaux, de l'opérateur au CEO. Nous évaluons tout le monde sur ces critères et prévoyons des programmes de formation. Apprendre tout au long de la vie est une exigence pour nous.»

Dans la culture bottom-up de Volvo Car Gand, les managers donnent la direction générale et expliquent clairement la stratégie et les objectifs. Le but est fixé, mais le chemin pour y parvenir est défini par le feed-back et l'apport des salariés. L'environnement doit donc être très sûr.

«La sécurité est notre bien le plus précieux, pas seulement pour nos produits mais aussi dans notre culture», affirme David Muylaert. «Nous attendons de nos managers qu'ils créent un environnement sécurisé pour que les salariés puissent parler ouvertement. Nous insistons beaucoup sur la transparence et l'ouverture. Les travailleurs de Volvo Cars refusent de tenir leur langue. Ils ont donc besoin d'un environnement de travail inclusif, où règne la confiance et où chacun peut exprimer son opinion librement.»

Relations Avec Les Syndicats

Stijn Verherstraeten estime qu'en Suède, les relations avec les syndicats sont plus simples. «Quand vous voulez changer quelque chose, vous pouvez nouer un vrai dialogue avec les partenaires sociaux. Un dialogue adulte. Les syndicats recherchent véritablement une solution avec vous. Pour une entreprise, il devient plus facile d'augmenter sa flexibilité et de réagir rapidement.»

Volvo Car Gand applique cette culture de la concertation dans tous les aspects de la gestion de l'entreprise, et bien sûr aussi dans le dialogue social avec les partenaires syndicaux. «Nous dialoguons dans un processus continu avec des délégués syndicaux librement élus pour parvenir à des décisions mûrement réfléchies», explique David Muylaert. «Un exemple: les organes officiels de concertation, comme le conseil d'entreprise et le comité pour la protection et la prévention au travail, ne durent qu'une demi-heure par mois. Ces réunions se limitent à confirmer officiellement ce qui a été discuté et décidé au cours des rencontres hebdomadaires.»

Stijn Verherstraeten croit beaucoup dans la diffusion de la culture d'entreprise dans tous les pays et dans tous les départements. «Cela favorise le bon fonctionnement de l'entreprise, indépendamment de la localisation du site de Husqvarna, en Inde, en Chine ou en Belgique», affirmet-il. «Vous avez l'impression d'une homogénéité dans les façons de parler et dans la manière dont les choses sont organisées. Cette approche donne aux salariés une certaine direction, un sens dans leur travail. Je pense même que la culture de l'entreprise peut devenir plus forte que la culture locale du pays dans lequel vous opérez.»

«Nous ne faisons pas de distinction entre les usines de Chine, d'Inde ou de Bulgarie. Ce n'est pas parce qu'elles sont situées dans des pays à bas salaire que nous faisons des concessions dans le domaine de la sécurité ou de l'environnement. Nous voulons des usines aussi impeccables dans ces pays qu'en Europe. Cela vaut également pour les règles qui ne sont pas imposées par la loi, mais inspirées par les salariés de nos usines. L'une de ces directives est l'interdiction faite aux opérateurs de soulever une charge de plus de 25 kilos. Si ce poids est franchi, nous prévoyons des outils spéciaux sur la ligne d'assemblage. Un principe que nous appliquons en Inde et en Chine, comme en Europe ou en Amérique. Ce qui permet aux salariés de se sentir liés à l'entreprise.» ¶

Annick De Bakker

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