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Les drêches, l’ingrédient vertueux en cuisine

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une fois l’amidon extrait du malt, les brasseurs obtiennent des drêches. Des céréales riches en fibres, protéines, minéraux et vitamines encore peu exploitées dans l’alimentation humaine, mais que certains commencent à transformer.

A N A ï S D i G O N N e t

Toutes les semaines depuis cinq ans, edward Jalat-Dehen et son équipe de la brasserie de l’Être, à Paris (19e), envoient le planning des brassages sur un groupe whatsApp qui rassemble tous les transformateurs de drêches avec lesquels ils travaillent. Objectif : qu’ils s’organisent afin de récupérer une partie des résidus de son orge bio restant après la cuisson de la bière et le soutirage du moût. « Traditionnellement, les brasseries artisanales situées en campagne les donnent aux agriculteurs ou aux éleveurs, car les drêches sont très appréciées des vaches. À Paris, c’est plus difficile, mais il a fallu trouver des solutions de revalorisation. » Car depuis janvier 2016, la loi impose aux professionnels produisant plus de 10 tonnes de biodéchets par an de les valoriser… la brasserie de l’Être en a produit un peu plus de 60 tonnes l’an passé. Si edward Jalat-Dehen s’est d’abord tourné vers des méthaniseurs, la facture s’est avérée salée : pour acheminer 1 tonne de drêches vers ces cuves qui fabriquent du biogaz, le brasseur doit payer 150 euros. Alors, parmi les idées qui ont émergé, il y a eu celle d’elsa raverdy, la fondatrice de brewsticks qui fabrique des biscuits apéritifs à partir de ces restes de ces céréales. « C’est une matière première qui a une odeur très gourmande, remplie de fibres et de protéines, car les brasseurs en ont extrait les sucres », résume cette ancienne consultante en économie circulaire et gestion des déchets. en 2017, elle décide d’ouvrir son atelier. Sa particularité ? Être directement intégré au sein de la brasserie de l’Être. « Utiliser de la drêche fraîche nous permet de nous affranchir de la logistique, car nous sommes littéralement à la source de là où est produite notre matière première. »

séDuire Les papiLLes le goût est un moyen essentiel de promouvoir cet ingrédient. « Il y a une méconnaissance de cette matière première : certains parlent de recyclage, d’autres de résidus, là où il faudrait plutôt évoquer le mot ressource, conseille elsa raverdy. Et puis, à cause de produits plus ou moins aboutis en termes gustatifs, certains peuvent avoir un a priori en disant que c’est fade. Pourtant, le côté versatile de la drêche est un vrai atout pour promouvoir cette dernière car elle peut justement s’intégrer à tout pour enrichir ses préparations. » et ce n’est pas mickaël Duvette, à la tête de Nogashi, qui dira le contraire. en 2021, il a installé ses machines à la brasserie Hub à roubaix (59) pour fabriquer une gamme de produits cuisinés à base de farine complète bio. « En général, on remplace 30 % de farine de blé par notre farine de drêche dans les recettes traditionnelles, ce qui

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en 2017, elsa raverdy a lancé les brewsticks, des biscuits apéritifs au sésame, curry et tomate. Depuis 2018, Sabrina michée utilise cette ressource alternative pour fabriquer des nouilles japonaises vendues sous la marque ramen tes drêches. Pionnière de l’upcycling, marie Kerouedan a fondé resurrection en 2018. Sa gamme de crackers et tortillas compte aujourd’hui sept références.

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permet d’y ajouter un goût toasté, une texture fondante et de bonnes valeurs nutritionnelles », détaille-t-il. un travail pour séduire les papilles qu’ont aussi entrepris Guillemette Jaillet et mathilde Petit-velasco il y a trois ans. Avec Somalté, elles ont choisi de créer des bols comestibles à base de drêches pour remplacer la vaisselle jetable, destinés notamment aux traiteurs en quête de nouveautés. « Ce qui les intéresse, c’est que le goût des contenants soit suffisamment neutre pour mettre des plats salés et sucrés. On retrouve cet aspect de céréales grillées, une sensation de biscuit en termes de textures, avec un goût torréfié et bon pour que ce soit comestible. On a créé une formulation avec des ingrédients simples, bruts et sans additifs », expliquent les cofondatrices.

travaiL De r & D Sabrina michée fait aussi partie des entrepreneurs qui récupèrent ces drêches dans de nombreuses brasseries artisanales de la capitale. C’est chez bapbap, à Paris (11e), que cette amatrice de bière découvre que l’on peut faire des cookies à base de drêches. Sensible aux questions du recyclage, cette ancienne communicante reconvertie dans l’agroalimentaire décide d’utiliser ces céréales « nombreuses après un brassage, hypernutritives, mais sous-exploitées en alimentation humaine » comme une ressource alternative et saine à une partie de ce que l’on trouve dans les assiettes, avec l’idée de préserver les terres agricoles. incubée au sein d’AgroParistech, elle se lance alors en septembre 2018 dans la fabrication de nouilles japonaises, sous la marque ramen tes drêches. un produit récompensé en 2020 lors d’idFood, le concours de l’innovation alimentaire de la région ile-deFrance. « Si les pâtes ne sont que de la farine et de l’eau, la drêche est un produit complexe dans sa transformation. On la récupère chaude et humide dans les cuves, entre 500 et 600 kg par semaine. Pour éviter qu’elle ne moisisse ou que les bactéries ne prolifèrent, j’ai donc travaillé à une meilleure stabilisation du produit grâce à un processus de déshydratation. Mais je voulais une farine intégrale pour garder les fibres et ne pas reproduire de déchet et, suffisamment fine pour pouvoir être mélangée à des légumineuses comme de la farine de fève. » Aujourd’hui, l’entreprise, dont l’atelier est installé à romainville (SeineSaint-Denis) et labellisée écotable, développe aussi des coquillettes. « Des boulangers bretons font actuellement des essais pour intégrer notre farine à leur gamme de pain, tout comme des restaurateurs qui la prennent pour réaliser des fonds de tarte », souligne Sabrina michée, qui voudrait que ses produits intègrent les régimes des sportifs, « car ils sont très nourrissants », et soient démocratisés dans les cantines scolaires. Parmi les pionniers, il y a aussi marie Kerouedan avec résurrection. C’est dans son atelier du Sud-Ouest que sont élaborées ses recettes de crackers à base de drêches. « Nous venons d’être certifiés par le Collège culinaire de France, ce qui nous donne une belle visibilité auprès des CHR », confie-t-elle. une expérience et une légitimité qui a conduit son équipe de r & D à travailler sur une dizaine d’autres coproduits comme le marc de pomme récupéré chez les cidriers, ou l’okara provenant du tofu et aujourd’hui transformé en tartinable. De quoi inspirer les entrepreneurs de l’upcycling alimentaire ! —

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