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Environnement Plans d’eau : des bombes à retardement
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Plans d’eau : des bombes à retardement
C’est une idée qui a la vie dure : un plan d’eau permettrait d’accroître la quantité d’eau. La réalité est exactement inverse. Ces plans d’eau nuisent gravement à la quantité et à la qualité de l’eau. Plusieurs collectivités commencent à les effacer.
Qui n’a pas son plan d’eau ? Avec l’avènement de la société des loisirs et les difficultés à gérer les zones humides, créer des plans d’eau était à la mode entre les années 1970 et les années 2000. De nombreuses communes ont succombé à l’attrait d’un étang de loisirs pour pratiquer la pêche, la baignade, voire des activités nautiques. Construits souvent sans aucune autorisation, ces plans d’eau posent aujourd’hui de multiples problèmes. Outre l’obstacle à l’écoulement naturel du cours d’eau, ils influent sur la qualité de la ressource, mais aussi sur sa quantité, l’envasement, la production d’algues, la multiplication des plantes invasives, etc. « Aujourd’hui, ces plans d’eau constituent l’une des causes principales de déclassement des masses d’eau au titre de la directive-cadre sur l’eau », confirme Franck Daniel, chargé de mission au service de l’eau du département du Morbihan, qui compte plus de 10000 plans d’eau.
L’essentiel
Des dizaines de milliers de plans d’eau ont été créées depuis les années 1970. Au fil du temps, ils s’envasent, sont envahis par des plantes invasives et s’eutrophisent. Ils représentent aujourd’hui l’une des causes principales de dégradation de la qualité et de la quantité de l’eau. Certaines collectivités arrivent à les supprimer, mais ce choix politique est toujours difficile à expliquer et impopulaire.
La modification de l’hydrologie et le réchauffement des eaux entraînent une uniformisation des habitats, une modification des peuplements de poissons et des cyanobactéries. La température de l’eau s’élève au-delà de 20 C°, ce qui pose des problèmes de biodiversité, mais aussi d’évaporation de l’eau. « Nous avons réalisé une étude « hydrologie milieux usages climat » (HMUC) qui montre nettement la relation entre le nombre d’étangs et l’impact qualitatif sur les populations piscicoles des cours d’eau et la quantité d’eau disponible. En été, le volume d’eau évaporé représente la somme de tous les autres usages cumulés ! Contrairement aux croyances, l’effacement d’un plan d’eau accroît la quantité d’eau disponible. À l’inverse, plus il y a de plans d’eau et plus il y a d’assecs. Mais cela reste encore incompris et ces effacements sont largement impopulaires », souligne Yoann Brizard, directeur du syndicat d’aménagement du bassin de la Vienne. Même constat dans le Morbihan. « Selon les études, la quantité d’eau évaporée en été représente de 4 à 7 litres par hectare (ha). Pour un bassin-versant comme la Vilaine, la somme de ces évaporations représente l’équivalent de l’eau qui s’écoule au barrage d’Arzal », déclare Arnaud Cholet, chargé de mission milieux aquatiques au département du Morbihan.
Opérations d'effacement
Les conséquences néfastes de ces plans d’eau sur les milieux aquatiques (réchauffement, évaporation, eutrophisation) se développent avec le changement climatique. Depuis quelques années, les problèmes sanitaires liés à l’eutrophisation se multiplient et les baignades autorisées sont de plus en plus victimes de fermetures temporaires. Pour y remédier, les opérations d’effacement bénéficient d’un appui technique et financier important, notamment grâce aux contrats territoriaux milieux aquatiques de l’agence de l’eau Loire-Bretagne. Paradoxe : d’un côté la suppression de plans d’eau est subventionnée, mais de l’autre la création de retenues agricoles l’est aussi dans certains secteurs, alors que les conséquences hydrologiques sont similaires… Cherchez l’erreur! Dans le Morbihan, le département, l’agence de l’eau, l’Office français de la biodiversité et la direction départementale des territoires de la mer (DDTM) élaborent actuellement une stratégie pour réduire la pression de ces plans d’eau. Jusque dans les années 1990, ce département finançait leur dévasement. Avec l’arrêt de ces subventions, cette charge repose désormais entièrement sur les propriétaires privés et sur les communes. À l’inverse, depuis 2018, leur effacement est totalement financé par l’agence de l’eau, la région et le département. De quoi faire réfléchir les communes et soulever de nombreux débats. Car le problème n’est pas tant technique, que culturel, voire affectif. « Les habitants sont souvent très attachés à ces lieux et il convient de les associer très tôt au projet », conseille ArnaudCholet. « Ces plans d’eau sont de véritables bombes à retardement pour les communes. C’est pourquoi nous notons une tendance à l’effacement depuis
Bloom de cyanobactéries dans l’étang de Pen Mur (60 ha) à Muzillac dans le Morbihan.
© Département du Morbihan
quelques années, avec quatre à cinq projets par an », souligne FranckDaniel. C’est le cas de l’étang de Caudan, d’une superficie de 5 ha, créé en 1972 sur un cours d’eau aujourd’hui très dégradé. Cet espace d’agrément (pédalos, pêche, etc.) a été curé plusieurs fois jusque dans les années 2000. L’envasement et la dégradation de la qualité de l’eau ont progressivement mis fin aux activités de loisirs. « Le souhait initial de la municipalité était de le restaurer, mais le coût du curage et les problèmes d’exportation des boues ont fait basculer le choix vers la suppression en 2018 », explique Fabrice Vély, maire de Caudan. Le coût de l’effacement s’est élevé à 70000 euros, entièrement subventionné. Ce rétablissement de la continuité écologique a aussi permis de supprimer le différentiel de température de 7 °C entre l’étang et le cours d’eau.
Réflexions autour d'un projet
Une concertation publique a ensuite été organisée pour définir l’aménagement du nouveau site. Il en est ressorti le désir de conserver un espace naturel. Pour y répondre, un cheminement piéton a été réalisé, ainsi qu’une passerelle. Un bassin de rétention des eaux pluviales a également été créé à l’emplacement de l’ancien étang. « Nous sommes ravis du résultat et de nombreuses communes viennent visiter les lieux pour s’en inspirer. Le parc réaménagé est bien accepté par la population. Si c’était à refaire cependant, nous réfléchirions en amont avec les habitants à un projet global, avant l’effacement », reconnaît l’élu. Pour d’autres communes, le choix de conserver ou non leur étang est plus compliqué. C’est le cas de NoyalPontivy où un plan d’eau de 5 ha a été créé en 1977. Utilisé pour l’alimentation en eau potable jusqu’en 1993, il a été ensuite ouvert à la baignade et à la navigation. Mais avec la prolifération des plantes invasives notamment, tous ces usages sont interdits depuis 2013. Face aux problèmes, plusieurs scénarios ont été présentés aux élus en 2018 : réduction d’un tiers ou deux tiers du plan d’eau, ou suppression totale. « Malgré le résultat de l’analyse multicritère et quatre avis négatifs à la commission locale de l’eau, dont ceux de la région Bretagne et l’Agence de l’eau, le scénario de réduction d’un tiers du plan d’eau, le moins bon techniquement et réglementairement, a été retenu en 2019 par la majorité sortante », regrette HenriDombrowski, adjoint en charge de l’environnement à Noyal-Pontivy depuis 2020. Mais en juillet 2020, le dossier d’autorisation de travaux déposé à la DDTM est déclaré irrégulier. « Notre nouvelle équipe municipale ne souhaite pas investir d’argent public dans un projet hasardeux », déclare l’élu. Le projet a donc été abandonné en mai dernier. Restent deux options : ne rien faire ou supprimer le plan d’eau et restaurer le ruisseau. La décision sera prise en fin d’année, après la tenue de réunions publiques. | Par Sylvie Luneau Quand les étangs impactent l’alimentation en eau potable
Le Limousin est une terre particulièrement fertile en étangs. Leur nombre est passé en quelques dizaines d’années de 2 000 à 24 000 ! La grande majorité se situe sur des terrains privés. « Ces étangs, souvent non déclarés et non conformes, n’ont pas de statuts et la DDT en connaît à peine la moitié », estime Yoann Brizard, directeur du syndicat d’aménagement du bassin de la Vienne. Cet établissement efface cinq à six étangs par an depuis une dizaine d’années. Ce qui est jugé largement insuffisant par son directeur, vu le nombre total. Rien que le bassin-versant de la Glane (314 km2) en compte au moins 800. Nombre d’entre eux sont eutrophisés et les cyanobactéries s’y développent. En aval, une retenue avait été construite pour l’alimentation en eau potable. Son exploitation a dû être stoppée en 2010 pour cause de dégradation de la qualité de l’eau. L’effacement de ce barrage a eu lieu en 2017.
Qu’est-ce que c’est ?
Plan d’eau : ce terme général désigne toutes les eaux retenues dans une cuvette ou derrière un barrage, avec ou sans communication avec un cours d’eau. Il inclut les mares et étangs (moins de 200 ha), mais aussi les retenues agricoles, réserves et autres « bassines ».