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3e conférence des forces d’intervention de Saint-Gall 2024

Diriger et prendre des décisions dans des situations extrêmes

Le 7 novembre a eu lieu la 3e conférence des forces d’intervention de Saint-Gall. Lors de l’exposé principal, Egmont Roozenbeek, expert en leadership et officier de la police militaire pendant 12 ans avec des missions en Afghanistan, a présenté la manière de diriger dans des situations extrêmes et ce qui était nécessaire pour assurer un bon leadership.

Le conférencier principal Egmont Roozenbeek pointe du doigt le problème de l’iceberg : souvent, les décideurs ne connaissent qu’une infime partie des véritables problèmes des collaborateurs et de l’organisation.
Jörg Rothweiler

« Diriger est un privilège, et cela s’apprend. » C’est par ces mots que le conférencier principal Egmont Roozenbeek a commencé son exposé devant les quelque 80 membres de diverses organisations d’intervention de Suisse, d’Allemagne, d’Autriche et du Luxembourg qui s’étaient déplacés le 7 novembre 2024 pour assister à la 3 e conférence des forces d’intervention de Saint­ Gall. Avant de les emmener faire un petit tour. En voiture. Accompagné d’amis, dans son propre véhicule et dans quatre autres. Un voyage à travers un paysage pittoresque et ensoleillé. Dans le rétroviseur : des montagnes enneigées sur lesquelles on aimerait bien skier. Dans les véhicules : une ambiance détendue, de la musique, un peu de rêverie ici et là.

Mais soudain : BOUM ! Une explosion dévastatrice retentit et détruit en une fraction de seconde cette idylle trompeuse. Le premier des cinq véhicules du convoi, dont les occupants ne sont pas partis skier mais sont en patrouille en Afghanistan, a sauté sur une mine. Il est très endommagé et deux de ses occupants sont grièvement blessés. Des projectiles percutent toutes les secondes le pare­brise de son propre véhicule : pang, pang, pang, pang !

« Nous avons maintenant deux alternatives », s’exclame Egmont Roozenbeek. « Descendre de la voiture, combattre l’ennemi et essayer de sauver nos deux camarades blessés. Ou rester assis, en espérant que le blindage du véhicule résiste aux tirs, et attendre les renforts ». Il interpelle ensuite ses auditeurs : « Que faites­ vous ? Prenez votre décision maintenant, dans les trois prochaines secondes ! »

À la question de savoir qui a pris une décision et laquelle, seuls quelques auditeurs lèvent le bras. Les autres sont restés choqués, comme paralysés mentalement, incapables de prendre une décision.

Diriger, c’est prendre des décisions !

« C’est très typique », déclare Egmont Roozenbeek. « Se figer dans des situations extrêmes, réfléchir trop longtemps, c’est naturel et compréhensible. Mais dans une situation extrême, ce comportement inadéquat est fatal. Diriger, c’est prendre des décisions ! Rapidement, sous une forte pression psychologique, dans une situation très complexe et sans connaître de nombreux détails importants. Il ne s’agit alors que de donner un sens au moment présent », ajoute Egmont Roozenbeek. « Qu’une décision prise soit bonne ou mauvaise, c’est le destin ou la chance qui le dira. Mais également des personnes qui n’étaient pas là et qui n’ont jamais été dans une situation comparable. »

Pour prendre une décision sensée, il faut une formation de haut niveau et disposer des bonnes structures, déclare Egmont Roozenbeek : « Il faut être prêt à prendre des décisions. Il faut avoir été formé pour cela. Et on doit avoir la possibilité de prendre des décisions ! » Or, c’est selon lui souvent le problème, explique­t­il , en faisant référence à la « pyramide de l’incompétence ». Selon cette pyramide, les collaborateurs d’une organisation connaissent 100 pour cent des problèmes existants. Mais ils ne peuvent pas prendre de décision. La direction générale ne connaît que 4 pour cent des problèmes, mais prend pourtant les décisions importantes. « Ce décalage est fatal », déclare Egmont Roozenbeek. C’est pourquoi il est essentiel que les chefs et les commandants connaissent les activités quotidiennes et échangent avec les collaborateurs, en particulier pour les organisations d’intervention. C’est la seule façon pour eux de savoir où le bât blesse, et de prendre des décisions fondées afin de remédier aux dysfonctionnements et de relever les défis.

Diriger demande des connaissances, du courage et une formation

« La plus grande erreur est d’avoir peur de faire des erreurs ! », a ensuite expliqué Egmont Roozenbeek. Pour ne pas avoir cette peur, deux choses sont importantes : avoir une bonne formation et du courage. « Il faut prendre des décisions, dans des situations très diverses, s’exercer, réfléchir et tirer les leçons qui s’imposent. C’est ainsi que l’on acquiert des compétences en matière de résolution de problèmes ». Une bonne culture d’équipe est en outre essentielle, et il faut pour cela une communication ouverte et de qualité. « Il faut renforcer le maillon le plus faible de la chaîne et confirmer les forces des plus forts. Il ne faut en outre jamais exiger quelque chose que l’on ne serait pas prêt ou capable de faire soi­même », Egmont Roozenbeek.

Pour cela, il est indispensable d’être capable de diriger non seulement les autres, mais aussi et surtout soi­même, ce qui implique quatre choses : premièrement, s’entraîner comme en situation réelle (train as you fight). En effet, plus la préparation est réaliste, plus l’apprentissage peut être mis en pratique dans la réalité. Deuxièmement, avoir le courage de traverser la peur pour la vaincre. « La personne qui reste toujours dans sa zone de confort, qui n’ose pas la nouveauté de peur de ne pas y arriver, n’évoluera jamais », déclare Egmont Roozenbeek avec conviction. « Si vous assimilez le mot anglais pour la peur, « Fear », à « Forget everything and run » (oublier tout et fuir), vous échouerez. Mais si vous assimilez « Fear » à « Face everything and rise » (affronter tout et se relever), vous grandirez à chaque nouveau défi et à chaque décision que vous prendrez et deviendrez finalement un bon leader », affirme Egmont Roozenbeek.

Jörg Rothweiler

Ne pas avoir peur et avoir des objectifs clairs

Le troisième point important, selon lui, est de toujours avoir un objectif clair en tête. Ainsi, la première personne atteinte du syndrome de Down à avoir couru l’Iron Man of Hawaii n’avait qu’un seul objectif : réaliser à chaque entraînement un pour cent de performance de plus que la fois précédente. « Cela a pris cinq ans, mais il y est parvenu », a expliqué Egmont Roozenbeek.

Et comment l’histoire décrite au début s’est­ elle terminée en Afghanistan ? « Bien », a confirmé Egmont Roozenbeek. « Le chef a décidé de laisser ses hommes descendre des véhicules et d’engager le combat avec les assaillants, au risque que d’autres soldats ne se blessent ou ne meurent. Ils ont été aidés par une équipe américaine arrivant en hélicoptère de combat qui leur a fourni un appui feu et a également sauvé les deux blessés graves. Au final, tout le monde a eu la vie sauve ».

Une fin qui confirme ce qu’Egmont Roozenbeek, qui fait partie des 100 meilleurs formateurs d’Allemagne, disait au tout début. « Diriger dans des situations difficiles nécessite le courage de prendre des décisions et la chance que la décision prise mène à une fin heureuse. »

S’entraîner à agir correctement en cas d’acte terroriste

Dans le cadre de la 3e conférence des forces d’intervention de Saint-Gall, Patrick Strauch et Yves Massard de la Police Grand-Ducale ont présenté la manière dont l’immense exercice d’intervention terroriste « Vigilnat » a été planifié et réalisé au Luxembourg, et les leçons qui en ont été tirées.

Lorsque les terroristes frappent, des heures difficiles s’annoncent pour les forces d’intervention. Sur la photo, un négociateur pendant l’exercice « Vigilnat » à côté d’une « personne » grièvement blessée.
Jörg Rothweiler

L’exercice d’intervention terroriste « Vigilnat » (vigilance nationale), qui s’est tenu le 19 janvier 2019 à l’initiative du gouvernement luxembourgeois, était un projet titanesque. Avec plus de 1 800 participants, dont 1 200 figurants et 600 membres de la police et des services de secours, l’exercice consistait à simuler, après neuf mois de planification, ce qui se passerait si cinq terroristes armés attaquaient les spectateurs d’un concert, tuaient et blessaient des dizaines de personnes et finissaient par prendre 25 personnes en otage.

Patrick Strauch, commissaire en chef à la Police GrandDucale et depuis 2023 chef de division adjoint à l’Unité de Garde et d’Appui Opérationnel ­ Service Opération et Administration, et Yves Massard, ancien officier d’intervention à l’unité spéciale de la police du Luxembourg et depuis 2017 formateur d’intervention à l’école de police ainsi que formateur d’intervention pour la formation et le perfectionnement de la police luxembourgeoise, ont fait le déplacement à SaintGall en tant qu’intervenants. Ce qu’ils ont montré, illustré et analysé en deux heures était remarquable.

Lieu de l’exercice

En référence aux attaques terroristes de novembre 2015 à Paris, où des terroristes ont tué 130 personnes dans plusieurs endroits de la capitale française, dont 90 dans la salle de concert Bataclan, la Rockhal à Esch/ Alzette a été choisie comme lieu d’exercice. Cette salle de concert, située à côté de la gare, est très fréquentée et accueille de nombreux événements. Elle peut accueillir jusqu’à 6 500 personnes et dispose d’une grande salle d’environ 2 600 mètres carrés, ainsi que de nombreuses petites salles, de salles de répétition, d’un café, d’un salon VIP avec galerie et d’un labyrinthe d’allées, de couloirs, de pièces annexes et de caves quasiment incontrôlables.

Le bâtiment est situé sur le site d’un ancien complexe industriel, à côté d’une ancienne aciérie. Il est bordé à l’arrière par des voies ferrées, y compris des lignes à haute tension. Il est donc impossible d’y pénétrer par ce côté. Devant l’entrée, de l’autre côté, s’étend un immense espace libre qui n’offre aucun abri. Autour de la Rockhal se trouvent l’université, des immeubles d’habitation, des centres commerciaux, la gare, une grande banque, et, à environ cinq kilomètres, le Centre Hospitalier Emile Mayrisch. Ce dernier a testé ses plans d’urgence dans le cadre de l’exercice, avec la particularité qu’au Luxembourg, l’hôpital n’emploie pas de personnel permanent, mais uniquement des médecins agréés. Et ceux­ ci s ont normalement de repos le samedi où l’exercice a eu lieu.

Planification

L’exercice à grande échelle avait plusieurs objectifs. Il s’agissait de tester la coopération entre la police, les pompiers et les services de secours, ainsi que le réseau radio numérique RENITA qui devait fonctionner à plein régime ce jour ­là. Les plans de triage en cas d’afflux massif de blessés (MANV) devaient être passés en revue et les actions centrales telles que les soins d’urgence, la mise en place d’un point de rassemblement des blessés, l’évacuation des victimes et la sécurisation des nœuds de circulation devaient être appliquées. Il s’agissait également d’évaluer les chaînes de commandement au sein des AOSS luxembourgeoises, mais également leur coopération avec les organisations des pays voisins, la France et la Belgique, et de tester les performances du centre de commandement des opérations.

Les préparatifs de l’exercice ont duré neuf mois et trois groupes (scénario, logistique et médias) ont d’abord agi individuellement et ne se sont réunis qu’à la fin des préparatifs pour deux réunions communes.

Une grande partie des préparatifs pour les figurants a été effectuée par les pompiers professionnels et les services ambulanciers. Ils ont établi une « carte des blessures » et un rôle détaillé pour chacune des quelque 1 200 personnes qui avaient pour mission d’être les « invités du concert ». « Ce rôle détaillait notamment si une personne était blessée et à quel point, si elle pouvait s’échapper par ses propres moyens, si elle se cachait à l’intérieur ou à l’extérieur du bâtiment, ou encore si elle pouvait se rendre à l’hôpital avec l’aide de tiers privés. L’évolution de son état était en outre clairement définie, selon qu’elle serait retrouvée ou non, et à partir de quand et comment elle serait traitée médicalement », a expliqué Patrick Strauch.

Le conférencier Patrick Strauch présente le moment où les « terroristes » pénètrent dans la Rockhal et commencent leur massacre sanglant. « C’était incroyablement facile pour eux », explique-t-il.
Jörg Röthweiler

Scénario

Le jour de l’exercice, un vrai DJ a joué de la musique à la Rockhal pour les 1 200 figurants. Ceux­ ci ont fait la fête, comme il est d’usage le samedi, et étaient tellement en effervescence que presque tous ont laissé leurs manteaux au vestiaire, détail qui s’est avéré être un problème par la suite.

Au milieu de la soirée, cinq « terroristes » joués par des membres de l’unité spéciale de la police luxembourgeoise ont fait irruption. L’un d’eux s’est fait exploser devant l’entrée. Il a entraîné la mort de nombreuses personnes, tandis que d’autres se sont retrouvées plus ou moins gravement blessées. Les quatre autres assaillants ont pris d’assaut la Rockhal, ont ouvert le feu dans la salle de concert, se sont introduits dans la galerie, ont pris le contrôle de la salle située en dessous et ont fait un massacre parmi les spectateurs. Ils ont également ouvert le feu sur les forces de sécurité et de secours qui arrivaient sur place avant de finalement prendre 25 personnes en otage.

Les terribles souvenirs de l’attaque terroriste du Bataclan à Paris refont surface : partout dans la salle de concert du site d’entraînement, des morts et des blessés graves gisaient dans d’immenses flaques de (faux) sang.
Jörg Rothweiler

Résultats

L’exercice a révélé à la fois des points forts existants et des points faibles préoccupants. Ainsi, dès le début de l’attaque, huit des dix policiers qui se sont rendus sur le parvis non couvert de la Rockhal ont été « tués » en quelques secondes parce qu’ils faisaient face aux tirs des terroristes sans protection. Un peu plus tard, la première équipe des forces spéciales appelée sur place a rapidement garé son BMW X5 blindé en travers de l’une des rares routes d’accès, a verrouillé le véhicule et a emporté les clés. L’homme qui possédait les clés ayant été pris en otage ultérieurement, le SUV resté en travers de la route a bloqué une importante voie de secours pendant des heures.

Les portes du bâtiment qui ne peuvent être ouvertes de l’extérieur qu’avec des cartes magnétiques, auxquelles personne des AOSS n’avait accès, ont également constitué un obstacle. De plus, certains policiers se sont exercés au « service d’ordre » par crainte de pénétrer dans le bâtiment. Les « terroristes » ont ainsi pu l’occuper beaucoup plus longtemps, ce qui a considérablement retardé l’intervention des services de secours. « Il n’y a eu à aucun moment un message radio confirmant que le bâtiment était sécurisé », déplore Patrick Strauch.

Ainsi, les secouristes, qui avaient monté en un rien de temps quatre tentes gonflables et aménagé des lieux de rassemblement séparés pour les personnes indemnes et blessées, ont attendu bien trop longtemps avant de pouvoir enfin accéder aux blessés dans le bâtiment.

Deux problèmes imprévus ont encore compliqué la situation. Premièrement, des membres de l’unité spéciale ont placé de leur propre initiative une « bombe » sur un patient. Résultat : il n’a pas été possible d’établir une voie de secours sécurisée. Les blessés ont donc dû être secourus un par un, à l’aide d’un véhicule blindé qui a dû entrer et sortir de la salle à plusieurs reprises. Le deuxième problème concernait un membre « blessé » de l’unité spéciale qui a été transporté à l’hôpital avec l’ensemble de ses armes. Puisque personne ne savait où mettre l’équipement sensible, il a simplement été placé dans une chambre fermée ensuite à clé. « Le plan d’urgence de l’hôpital contient pourtant également des instructions claires pour ce cas précis », explique Patrick Strauch.

Le fait que le système RENITA ait fonctionné comme prévu, que la communication entre la police et les secours ait été rapide et coordonnée et que 110 médecins agréés et employés de l’hôpital soient intervenus malgré leur jour de congé a été un point positif. « En 15 minutes, le garage de l’hôpital était transformé en hôpital d’urgence et les 10 salles d’opération étaient prêtes et environ une heure après la réception du premier appel d’urgence, l’hôpital était pleinement opérationnel », a expliqué Patrick Strauch. Il a toutefois fallu attendre environ deux heures avant que les premiers blessés ne soient effectivement admis à l’hôpital. « Cela est dû au fait que la police a mis beaucoup de temps à reprendre le contrôle de la Rockhal. D’autre part, les ambulances étaient initialement en file indienne dans une rue latérale étroite, rendant difficile leur départ », explique Patrick Strauch.

Enseignements pour l’avenir

Diverses leçons ont été tirées des résultats de l’exercice : les postes de sécurité doivent être composés de trois hommes au lieu de deux. Les véhicules doivent être guidés plus intelligemment en cas d’urgence, dans une zone sécurisée et de manière à ce qu’aucune voie d’accès ou de sortie ne puisse être bloquée. Les forces d’intervention ont besoin de clés ou de cartes magnétiques pour toutes les portes d’un bâtiment et il faut réussir à mettre en place rapidement et efficacement un centre de commandement des opérations, pour lequel il faut toutefois d’abord acquérir un nouveau logiciel de gestion de crise plus performant (ce qui a été fait entre­temps). Selon Patrick Strauch, il faut en outre s’assurer que les collaborateurs des centres d’appels puissent interrompre les appels téléphoniques inutilement longs qui n’apportent pas de nouveaux éléments sur la situation. Et la communication au sein des forces des AOSS doit également être optimisée. « Les messages radio des « assaillants » étaient concis, courts et très précis. Ceux des forces d’intervention étaient plus longs, parfois peu clairs et mal compris. Nous devons donc nous efforcer d’améliorer durablement la communication et la coordination de nos forces », explique Patrick Strauch.

Il souhaite en outre s’engager sur trois points : que les portes de sécurité de la Rockhal, qui se sont ouvertes automatiquement après l’alarme, laissant les figurants qui avaient transpiré pendant la soirée sans protection pendant des heures face au froid de janvier, puissent être fermées manuellement. Qu’il n’y ait plus d’interruption de 45 minutes simplement pour permettre aux ministres et aux VIP d’admirer la scène. Et que les policiers recevront enfin de nouveaux casques, plus performants (ce qu’ils attendent toujours).

Il est en outre apparu clairement que même dans le cas d’un exercice, un nombre suffisant de professionnels formés en psychologie devait être présent sur place à tout moment. « Un grand nombre de figurants ont eu besoin d’un soutien psychologique à la fin de l’exercice », explique Patrick Strauch. « Certains parce qu’ils seraient « morts » parce que personne n’est venu à leur secours ou parce qu’ils ont été retrouvés trop tard dans leur cachette. D’autres parce qu’ils se sont tellement immergés dans la simulation qu’ils se sont plaints d’un état de panique et d’anxiété effectif pendant ou après l’exercice ».

Aussi terrible que cela ait pu être pour les personnes concernées, cela montre également une chose : l’exercice à grande échelle mis sur pied à Luxembourg était extrêmement proche de la réalité et reproduisait avec une précision implacable les processus et les événements qui se déroulent lors d’un acte terroriste. Et cela est indispensable pour l’approche « entraînez­ vous comme en situation réelle ».

Le « Green Manikin » comme partenaire d’entraînement

Dans le cadre de la 3e conférence des forces d’intervention de Saint-Gall, « MED1stMR », un projet de recherche financé par des fonds de l’UE visant à développer un système d’entraînement en réalité mixte pour les secouristes médicaux, a été présenté. Le prototype du « Green Manikin », un nouveau mannequin d’entraînement réalité mixte-réalité virtuelle, était en outre présenté sur place.

Ici, un participant au congrès (ambulancier) assisté de l’inventeur Jakob Carl Uhl expérimente réellement ce que l’on ressent lors d’un entraînement en réalité mixte avec le « Green Manikin ».
Jörg Rothweiler

Jakob Carl Uhl est un psychologue spécialisé dans la psychologie du travail et des organisations, et un chercheur en nouvelles technologies telles que la réalité augmentée tangible (XR) pour la formation aux métiers difficiles. Au Center for Technology Experience, il s’occupe du développement et de l’étude des nouvelles technologies et a également participé au projet « Med1stMR » qui vise à développer de nouveaux systèmes de formation pour les secouristes médicaux basés sur des environnements virtuels et de réalité mixte.

« Les secouristes auront besoin à l’avenir de nouveaux moyens de formation plus performants. En effet, le nombre d’interventions augmente tandis que la disponibilité des spécialistes diminue », a expliqué Jakob Carl Uhl à SaintGall. Dans le cadre du projet « MED1stMR », il a donc étudié au cours des trois dernières années dans quelle mesure et dans quelles conditions les environnements virtuels (VR) ou les environnements combinant expérience réelle et virtuelle (réalité mixte, MR) convenaient à la formation et au perfectionnement des secouristes médicaux. Son équipe s’est notamment concentrée sur l’entraînement le plus efficace possible au triage en cas d’afflux massif de blessés (MANV).

« Nous avons combiné un mannequin d’entraînement, le Manikin, et des wearables portés sur le corps ainsi que des lunettes VR qui transposent les personnes entraînées dans une situation d’intervention aussi réelle que possible », a expliqué Jakob Carl Uhl. Les participants ont en outre été équipés de capteurs de biosignaux qui mesurent le rythme cardiaque et la transpiration dans le dos, permettant ainsi de déterminer le niveau de stress actuel des personnes entraînées. « C’était important pour que le responsable de l’entraînement puisse contrôler de manière ciblée l’entraînement ou le scénario », a expliqué Jakob Carl Uhl.

Selon lui, l’entraînement purement réel pratiqué jusqu’à aujourd’hui présente deux points faibles majeurs : il n’est pas très réaliste et les exercices à grande échelle (MANV) exigent des ressources considérables et sont très coûteux. « Les entraînements sont donc peu nombreux et ne permettent en outre de reproduire qu’un portefeuille restreint de variations potentielles de blessures. Le stress des participants n’est pas pris en compte et le débriefing est généralement de mauvaise qualité », critique l’expert.

À l’inverse, les entraînements VR sont moins chers, ils laissent plus de liberté dans le choix du scénario et permettent un débriefing beaucoup plus complet grâce à l’enregistrement de l’ensemble de l’entraînement. Mais Jakob Carl Uhl ne pense pas qu’il s’agisse de la solution idéale. « Pour la formation des chauffeurs de poids lourds, les entraînements VR dans un cockpit d’entraînement sur des routes virtuelles ne sont certainement pas une mauvaise chose en tant que formation complémentaire. Mais l’entraînement VR pur néglige totalement l’haptique et celle­ ci est extrêmement importante, notamment pour les secouristes médicaux. Car leurs mains constituent pour eux les instruments les plus importants et les plus sensibles en intervention ».

C’est pourquoi Jakob Carl Uhl et son équipe ont combiné le mannequin d’entraînement ADAM­X avec un système VR du spécialiste suisse Refense, ainsi qu’avec des capteurs de biosignaux pour la détection du stress et une commande de scénario externe, et ont intégré le tout dans un système multi­utilisateurs.

« Nous avons mis au point deux scénarios, dont un accident dans un tunnel avec une vingtaine de blessés. La tâche des quatre secouristes en formation était d’évaluer la situation et de procéder à un triage judicieux », a expliqué Jakob Carl Uhl. Le scénario pouvait être adapté en fonction du stress et un débriefing détaillé avait lieu à chaque fois, intégrant entre autres les données de mouvement et toutes les actions des personnes formées enregistrées sur vidéo.

Cela a permis de montrer une chose : les entraînements en réalité mixte ont un grand potentiel, mais ils sont également riches en défis, notamment concernant la communication, l’interaction réaliste des participants, l’intégration dans les plans d’entraînement et l’acceptation de la part des personnes formées. Ces dernières se plaignaient surtout de ne pas voir leurs mains pendant l’exercice et de ne pas pouvoir les utiliser comme d’habitude à cause des wearables.

C’est pourquoi l’équipe de Jakob Carl Uhl a conçu le Manikin. « Nous avons coloré le mannequin en vert et le plaçons sur une civière devant un fond vert », explique ­t­il . Cela nous permet de superposer des images virtuelles au mannequin, par exemple des images d’une vraie patiente dans une ambulance de grande capacité. En parallèle, nous filmons les mains des participants à l’aide de deux caméras et superposons ces images à la projection des lunettes VR, également en temps réel. Les personnes formées travaillent ainsi avec un mannequin qui est un patient virtuel mais qu’elles peuvent toucher. Elles voient leurs mains, les sentent normalement et agissent presque comme d’habitude ».

De plus, de vrais appareils (marqués d’un QR code), comme un stéthoscope, peuvent être utilisés pendant l’exercice et le mannequin peut répondre à des questions grâce au chat GPT 3.5. Par exemple, s’il se souvient de ce qui s’est passé, comment il se sent, quelle est l’ampleur de sa douleur. « Le tout sera combiné à l’avenir avec une solution d’IA qui adaptera le scénario de l’exercice en fonction des biosignaux détectés pour mesurer le stress », a expliqué Jakob Carl Uhl.

Après son exposé, les participants au congrès ont pu voir en direct le « Green Manikin », actuellement encore à l’état de prototype, et ceux qui le souhaitaient ont pu enfiler les lunettes VR et se faire une idée très réelle de ce à quoi pourrait ressembler un futur entraînement MR pour les secouristes médicaux.

Dans un avenir proche, le système « Green Manikin » devrait être prêt pour la production en série et devenir plus facilement transportable, ce qui permettrait aux organisations de secours de dispenser des formations RM sur site aux secouristes à un coût raisonnable.

Retrouvez de plus amples informations concernant le projet MED1stMR sur : www.med1stmr.eu

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